Louÿs – Poésies/Astarté 9

Slatkine reprints (p. 83).



AU PRINCE TACITURNE


Ô Toi qui pour passer les fleuves taciturnes
Ne portes pas de fleur et marches vers la nuit.

       henri de régnier.


Si j’entre en la forêt du frêne et de l’alberge
Attiré par la lune au lac lucide et pur
À l’espoir d’entrevoir comme un songe futur
Ta chimère apparue au miroir de la berge,

Avant d’atteindre aux eaux d’où sa blanche ombre émerge
La marque de tes pas séchée au terrain dur
Me dira quel héros de l’aube ou de l’azur
A fait sourdre le sang nuptial de la vierge.

Je n’irai pas au bois conquérir les seins froids
Où ta longue épée entre et luit comme une croix,
Chercheur de face pâle et d’âme taciturne ;

Je suivrai le long gué par les marais du soir
Et j’irai conquérir, nue en son thrône noir,
Une déesse en fleurs dans une île nocturne.