Louÿs – Archipel, précédé de Dialogue sur la danse/Archipel 13.


LES FEUILLES DE VIGNE DANS LA STATUAIRE


En feuilletant la collection de l’Intermédiaire, je trouve une ancienne discussion qui se rattache indirectement à notre récent débat sur la Diane de Houdon et la décence des statues.

La question était de savoir si l’usage des feuilles de vigne en sculpture remontait aux anciens.

On ne put citer du fait que deux exemples : deux statuettes de bronze, prétendues antiques, et qui, par une coïncidence bien singulière, se trouvaient réunies dans la même collection. Détail non moins curieux : c’était le collectionneur lui-même qui se portait garant de leur authenticité. — Néanmoins, la notice avait été publiée dans la Revue archéologique, et l’autorité de cette feuille sembla si respectable que nos collaborateurs considérèrent la question comme résolue. (X. 14).

Sans doute, il est bon qu’un article paraisse dans un recueil estimé ; mais, en archéologie, la première des recommandations, c’est encore la signature. Sur un débat d’authenticité, il est plus rassurant de lire une opinion signée Clermont-Ganneau ou Furtwaengler, par exemple, qu’un article signé Théodore Reinach, depuis l’histoire de la tiare.

L’article qui résolvait, disait-on, notre problème, était signé : Chevrier, de Chalon-sur-Saône. En voici le titre, je l’ai sous les yeux : Étude sur une nouvelle statue de Vénus Marine, de travail grec, en marbre de paros. — Paris 1876. 8° (tirage à part). Examinons cette petite brochure et nous verrons bien vite quel genre de crédit mérite son auteur.

Les deux statues feuillues ne sont citées là que par parenthèse. La grande découverte de M. Chevrier, c’est le marbre sus désigné, qui fait aussi partie de sa collection, d’ailleurs, bien qu’il ne porte pas de feuille de vigne. Quand le bon M. Chevrier acquit cette trouvaille, il ne restait de la statue que les jambes et une partie du corps. Estimant qu’une demi-Vénus était indigne de figurer dans son cabinet de Chalon-sur-Saône, il pria M. Del Gaïsso, sculpteur à Naples (?) de fabriquer une seconde demi-Vénus, ajustable à la première ; puis les deux fragments, l’antique et le moderne, ayant été collés l’un sur l’autre, constituèrent ce qu’on appelle un document archéologique[1].

Après quoi il s’avisa que sur le flanc du dauphin qui servait d’attribut à sa déesse marine on lisait l’inscription cal… suivie d’un vague jambage qui pouvait être la moitié d’un v. — Et sur cette seule indication, il entreprit de démontrer que sa Vénus, « contemporaine de Praxitèle », c’est-à dire remontant au quatrième siècle, avait été créée par un sculpteur romain un personnage hypothétique qu’il appelle J. Calvinus !

L’idée d’un artiste latin sculptant des Vénus antiques à l’âge des guerres samnites est une conception tellement bouffonne… Mais l’anecdote se passe de développements. Si je l’ai contée ici, ce n’est pas seulement pour édifier nos lecteurs sur l’autorité qu’on leur imposait ; c’est plutôt pour combattre l’humilité générale et la respectueuse confiance avec lesquelles nous acceptons l’opinion de quiconque, dans une revue savante, soutient ses théories sur un appareil de notes et d’abord sur un titre universitaire.

Tout est sujet à vérification, même les certitudes de MM. Reinach sur Saïtapharnès et la ville d’Olbia ; même celles de M. Chevrier touchant les feuilles de vigne antéchristianiques et l’art gréco-romain sous Manlius Torquatus.


FIN D’ARCHIPEL
  1. M. Salomon Reinach reproduit cette statue dans son Répertoire (t. II, p. 458, f. 9) et ne note pas la Restauration.