Lorsque l’hiver arrive

Poèmes Premier et second carnets de poèmesmanuscrits autographes (p. 54-58).

XVI

Lorsque l’hiver arrive, et sa triste tourmente,
Lorsque des aquilons la fureur desséchante
Vient brûler dans les bois les feuillages épars,
Et jaunir la foret qui fait mal aux regards ;
Quand revêtant sa robe éclatante de neige
La terre ouvre son sein au moelleux qui l’assiège,
Et couvrant de ses pleurs la nature aux abois,
Exhale tristement sa soupirante voix,
Le pauvre laboureur à l’âme moins glacée,
Au cœur qui se réchauffe à l’ardente pensée
De son pain a gagner, de ses fils à nourrir
De chasser de leur âme un éternel soupir,
S’en va silencieux, la pelle sur l’épaule
Chercher de son travail le prix qui le console ;
Que la pluie en tombant glace ses pauvres bras
Que le givre glissant fasse hésiter son pas,
Que le vent soulevant la glèbe lourde et dure

L’en couvre de débris, lui coupe la figure
Qu’il ne puisse échauffer ses bras contre ses flancs
Qu’il gèle comme un arbre aux rameaux secs et blancs
Qu’importe, il restera ! Le pain de sa journée
Est là ! Sa nourriture est à peine gagnée
Par ses rudes travaux, et dut-il en mourir,
Il est là, car il a sa famille à nourrir.

Puis l’hiver au printemps cèdera la nature,
L’arbre reverdira, tout reprendra figure,
La fleur épanouie, en fuyant les frimas
Reprendra son odeur, sa splendeur, ses éclats !
La terre réchauffée à la chaleur féconde
Couvera dans son sein les richesses du monde ;
L’espérance du pain, tout frêle encor, le bled
Percera son écorce, et de l’attentif pied
Réclamant la prudence, enduira la campagne
D’un verdoyant gazon ; l’activité se gagne,
Le travail est un jeu, marche et s’entend au loin,
Domine, anime tout, et devient un besoin ;
Le laboureur penché sur l’ardente charrue
Entr’ouvre de son soc la terre sèche et nue,
Et dirigeant les bœufs de l’actif aiguillon

Ouvre, et laisse à sa suite un tortueux sillon,
Puis balançant dans l’air une main exercée
Sème la folle graine en la terre tracée,
Poussière que le ciel féconde d’un rayon
Rayon d’où germera l’espérance au sillon ;

Alors l’été revient ; sa marche fécondante
Arrache tout au sein de la terre brûlante ;
La plaine est haute et verte en herbes, en roseaux
Et livre sa richesse au tranchant de la faulx ;
Le champ, le digne orgueil de l’utile nature
Laisse emporter au loin sa féconde dorure ;
La faucille s’agite, et reluit au soleil ;
La gerbe sous ses coups penche son front vermeil ;
Les chariots surchargés sous le poids des richesses,
S’avancent lentement accablé de largesses ;
Le soir a rappelé les paysans au hameau,
Le cœur joyeux, chantant un refrain peu nouveau ;
Ils marchent ; chaque pas met au cœur plus de joie
Et tandis que les bœufs traînant le char qui ploie,
S’arrêtent gravement aux chants des moissonneurs,
Tandis que l’aiguillon, le sceptre des honneurs
S’allonge innocemment sur leurs flancs que soulève

D’un mouvement égal une abondante sève,
Que le cœur rayonnant confiant et joyeux,
Le moissonneur distrait laissé arrêter ses bœufs,
Et l’œil plein d’un plaisir doux, muet mais sans bornes,
S’appuie indolemment à leurs paisibles cornes,
Le gai ménétrier sur le bord du chemin
N’ayant aucun souci d’hier, ni de demain,
Enfle et presse à la fois son aigre cornemuse ;
Un paysan à la danse unit l’adroite ruse,
De la serpe tranchante, il s’entoure en chantant
La tourne et la brandit, sûr de son mouvement ;
Cependant sur le char, joyeuses, plus tranquilles,
Les femmes à l’œil doux, aux sourires mobiles
Soutiennent leurs enfants qui regardent ces jeux ;
L’horizon est vermeil, et les cœurs sont heureux.
Puis après un moment la marche recommence
Pour s’arrêter encor et reprendre la danse ;
Le lendemain matin, content, frais, et dispos,
Le laboureur revient à ses féconds travaux.

Puis l’automne à son tour règne sur la campagne
De ses raisins vermeils il couvre la montagne
Met ses fruits doux et murs aux arbres surchargés

Couronne en souriant même les plus agés
Et les faisant ployer du poids de ses largesses,
D’un printemps enchanteur accomplit les promesses.
Du raisin au pressoir les grains si liquoreux
Déversent à l’envi le vin trop généreux ;
Et le paysan remplit ses greniers de futailles,
Comme se préparant à des jours de bataille ;
Il sait que l’abondance et les fruits de l’été,
Mettront à son hiver quelque joyeuseté !

De ses rudes travaux, voilà la récompense ;
Sans se plaindre l’hiver, il souffre sa souffrance.