Littérature orale de la Haute-Bretagne/Texte entier

AVANT-PROPOS.





Dans les pages qui suivent cette introduction, j’ai essayé de tracer un tableau de la littérature orale de la Haute-Bretagne, c’est-à-dire de la partie de cette ancienne province où la langue française est seule en usage. Mon travail se compose surtout de textes qui sont suivis de commentaires : chaque série est en outre précédée d’une courte introduction ; mais le plus souvent j’ai laissé la parole aux paysans et aux marins.

Bien des personnes, même parmi ceux de mes compatriotes gallots qui habitent la campagne, seront sans doute surprises de tout ce que contiendront ces pages, et pourtant elles ne sont que des échantillons de chaque genre, choisis parmi un grand nombre de pièces que je possède encore. Ce sentiment de surprise s’est déjà manifesté lorsque j’ai publié mes Contes populaires de la Haute-Bretagne ; mais il tient surtout à ce que les gens qui sont en relations journalières avec le peuple des campagnes ne connaissent guère que son extérieur, et ne sont pas suffisamment patients et observateurs pour découvrir ses coutumes singulières et pour noter ses croyances, ses chants, ses aspirations, ses superstitions, tout ce qui en un mot ne se livre pas au premier examen. Il est juste d’ajouter que l’habitude de toujours voir les choses même originales les fait paraître toutes naturelles.

Recueillir cette littérature parlée n’est point aussi facile qu’on se l’imagine ; elle n’est point écrite ni réunie en des endroits déterminés ; elle est au contraire dispersée dans la mémoire d’un grand nombre de personnes, d’où il n’est pas toujours aisé de la faire sortir. On n’y arrive qu’à force de temps et de persévérance, et il est de plus nécessaire de bien connaître la langue des paysans et de leur inspirer confiance ; sans cela, ils demeureraient obstinément fermés, et l’on ne saurait rien ou peu de chose.

Les manifestations de la littérature orale sont très-diverses et très-complexes ; on pourrait presque dire qu’elle est partout et nulle part.

Il y a cependant quelques endroits où l’on en peut découvrir des fragments importants : ce sont les réunions d’hiver. Quand les soirées sont longues, on s’assemble parfois, et pendant que les uns travaillent, les autres disent des contes, proposent des devinettes ou chantent des chansons. Voici les noms et la description succincte de quelques-unes de ces assemblées.

Le Filouas, qui a disparu dans beaucoup de pays, a lieu le soir dans une ferme où un certain nombre de personnes se réunissent pour filouaser, c’est-à-dire filer à la quenouille ou au rouet ; les garçons qui ont des « bonnes amies » y viennent pour accompagner les filles et leur aider à tourner leur rouet. On y raconte des contes et des légendes ; on y dit des devinettes ; on y chante des chansons, et la soirée se termine parfois par des danses. Vers Ercé, où cette sorte de réunion se nomme Filanderie, il s’y trouvait parfois quarante ou cinquante personnes, et une femme âgée m’a assuré que, de son temps, il ne se passait guère de semaine sans qu’il y eût une ou plusieurs filanderies dans la commune.

On racontait aussi des contes aux Veillouas, réunions du soir où l’on se rassemblait surtout pour se divertir à jouer et à danser ; aux Érusseries de chanvre, où les jeunes garçons et les filles s’aidaient à enlever les fibres du chanvre ; il s’en fait encore maintenant, mais moins fréquemment que jadis. Les Cuiseries de pommé, où l’on se réunissait pour faire une sorte de confiture avec des pommes cuites dans de grands bassins et arrosées de cidre doux, n’ont point encore complètement disparu. Il en est de même des Lessives de nuit.

Mais dans une grande partie du pays gallot ces réunions sont devenues moins fréquentes qu’autrefois ; à force de prêcher, le clergé les a souvent fait disparaître, de même qu’il a supprimé les danses, sans que la moralité de la campagne y ait beaucoup gagné. Toutefois des raisons d’ordre purement économique ont, tout autant que le clergé, contribué à faire tomber en désuétude les anciens usages. Depuis que les campagnes sont devenues sûres, le groupement des fermes, qui jadis était la règle, est devenu une exception ; presque partout de belles routes ont remplacé les anciens chemins creux, effondrés et boueux, qu’ont encore vus ceux qui n’ont guère que trente ans à l’heure actuelle, et au lieu de se réunir dans les villages, on va au bourg pour apprendre des nouvelles et en dire.

L’instruction s’est aussi peu à peu répandue : dans bien des maisons, au lieu de raconter des contes pour empêcher les gens de s’endormir ou de s’ennuyer, on fait la lecture, et souvent c’est le petit garçon ou la petite fille qui, en revenant de l’école, sont chargés de ce soin.

Il existe cependant encore un grand nombre de contes, et on les dit dans bien des endroits autres que les réunions du soir : au four où les femmes se rassemblent, au doué où se racontent les faits divers du pays, sur les routes en allant au marché, et dans les champs. Il n’est pas rare d’entendre dire, au moment des travaux en plein air :

— Dites-nous donc un petit des devinailles et des contes pour nous désennuyer.

Les petits garçons et les petites filles qui gardent ensemble les moutons ou les vaches se racontent entre eux les contes que leurs mères leur ont appris.

La littérature orale et traditionnelle est encore fort riche, même dans les pays qui ne forment pas, comme la Bretagne bretonnante et le pays basque, des groupes compacts, qui se distinguent nettement de leurs voisins par la langue et les costumes. Dans la préface de ses Contes lorrains, M. Cosquin rapporte que, dans un seul village, il a recueilli environ quatre-vingts récits : mon expérience personnelle confirme de tout point ce qu’il dit ; dans les quatre mois que j’ai passés à Ercé près Liffré, de 1878 à 1880, j’ai réuni plus de cent contes ; à Saint-Cast, j’en ai recueilli soixante-dix l’année dernière, cent quarante cette année, et je ne crois pas ces deux pays épuisés.



J’ai divisé ce livre en deux parties : la première contient seulement des spécimens des divers genres de contes les plus répandus ; en tête de chaque groupe j’ai placé une sorte d’introduction où j’ai essayé de déterminer la caractéristique de chacun d’eux. Cela me dispense d’entrer ici dans de longs détails, chaque groupe de contes possédant pour ainsi dire sa petite préface particulière.

Les contes sont suivis de références généralement courtes : sans m’interdire absolument les excursions hors de France, j’ai surtout visé les recueils français. Dans les limites de ce livre, je n’aurais pu citer tous les similaires étrangers, au lieu qu’en bornant presque toujours mon travail aux contes français, je puis espérer d’avoir, à un très-petit nombre près, fait les références complètes. Lorsque, cependant, j’ai eu la bonne fortune de trouver une monographie déjà consacrée à un similaire des contes que j’ai déjà publiés, et embrassant toute la série indo-européenne, je l’ai citée simplement au lieu de l’abréger, afin que ceux qui s’intéressent à ces sortes d’études puissent trouver, dans l’ouvrage indiqué, un ensemble complet que les limites de ce livre m’interdisaient de faire.

Parmi les contes français, les deux groupes qui m’ont fourni le plus grand nombre de similaires sont le groupe bas-breton — et cela n’a rien de surprenant, vu le voisinage et la communauté d’origine des Gallots et des Bretonnants — et le groupe basque, ce qui est plus curieux. Ces deux remarques ressortent clairement du travail comparatif que j’ai fait pour les quarante-quatre contes que je publie ici, et de celui auquel je me suis livré, par simple curiosité, pour la première série déjà parue de mes contes, et pour ceux qui sont encore inédits. Il est juste d’ajouter que ces deux pays sont ceux de France qui jusqu’ici ont été explorés avec le plus de soin.

Dans la seconde partie du volume, j’ai fait entrer un choix de chansons, de devinettes, de formulettes et de proverbes, et, pour donner une idée de l’esprit des paysans gallots, j’ai terminé le volume par une série de petits contes ou de facéties qu’on pourrait appeler les Nouvelles à la main de la campagne.

Chacun de ces sujets me fournira, je pense, dans un avenir peu éloigné, la matière d’une monographie : chaque jour mon recueil s’enrichit, et, depuis que ce volume est sous presse, j’ai recueilli plusieurs centaines de proverbes, de devinettes ou de formulettes qui n’auraient pu y prendre place sans bouleverser tout le plan primitif et lui donner une grosseur exagérée.

Je me suis encore ici préoccupé de montrer des échantillons ; pour les références, j’ai agi comme pour les contes, et j’ai surtout visé les recueils français. À la suite des devinettes, des proverbes et des formulettes, j’ai placé la table de chaque série : cela m’a paru plus clair qu’une table rejetée à la fin du volume.



L’origine des éléments très-variés dont se compose la littérature orale d’un groupe provincial est difficile à déterminer : elle est sans doute puisée à un grand nombre de sources, les unes fort anciennes, d’autres relativement modernes, et il serait téméraire d’affirmer que tel ou tel conte par exemple est ancien dans le pays ou s’il y a été importé récemment. Ici les apparences elles-mêmes peuvent être trompeuses, bien que les conteurs gallots ne tiennent pas, en général, autant que ceux d’autres pays, à placer le théâtre de leurs récits dans un endroit connu de leurs auditeurs. C’est ce qui me porte à considérer comme très-anciennement connus en Haute-Bretagne les contes, par exemple, des houles ou grottes des falaises au bord de la mer, groupe curieux et important entre tous.

Quant aux contes que l’on pourrait appeler sporadiques, parce qu’ils se retrouvent, avec de légères variantes, dans tous les coins de la France, dans tous les pays européens et même en dehors de l’Europe, il est, ce me semble, impossible à l’heure actuelle de dire à quelle époque ils ont été introduits dans les pays où on les raconte. Les guerres de la Révolution et de l’Empire, les Français prisonniers à l’étranger, les étrangers prisonniers en France, ont dû produire un échange de contes, et même aujourd’hui il y a encore importation et exportation journalière de récits par les soldats qui, au régiment, racontent les légendes de leur pays, puis en rapportent chez eux de nouvelles.

Une exploration scientifique faite au siècle dernier aurait vraisemblablement jeté là-dessus des lumières plus grandes que celles que nous pouvons découvrir à présent ; mais on ne serait pas encore arrivé à un résultat incontestable ; qui pourrait dire ce que les invasions des Barbares, les Croisades, la guerre de Cent ans, les luttes religieuses du XVIe siècle, les guerres de Louis XIV ont pu provoquer d’échanges de contes entre les différents peuples ?

La littérature écrite a aussi laissé des traces dans les contes populaires ; certains d’entre eux semblent empruntés à des fabliaux du moyen âge comme le Segretain moine (cf. Contes populaires de la Haute-Bretagne : D’un vieux cheval et d’une vieille femme, no xxxvi) et le Diable de Papefiguière, que Rabelais y avait puisé, et dont j’ai, en cinq ou six contes, retrouvé la trace. La Bibliothèque bleue a, de son côté, fourni aux narrateurs campagnards des épisodes et parfois des récits entiers, tels que Jean de Calais, par exemple, que M. Webster a trouvé dans le pays basque et que j’ai moi-même rencontré au bord de la mer, additionné de surnaturel, allégé de certains épisodes, et orné d’une géographie ultra-fantaisiste.



La littérature orale a une tendance à disparaître, non pas en bloc et tout d’un coup, mais par émiettement, et il n’est que temps d’en sauver les débris.

Né en 1843, j’ai déjà constaté que des contes couramment racontés dans mon enfance, et que toutes les femmes savaient, ne se retrouvent plus aujourd’hui, et je n’ai pu, malgré des recherches obstinées, m’en procurer que des versions à demi-effacées : souvent des personnes âgées m’ont cité des fragments de contes qu’elles affirmaient avoir entendu conter jadis et qu’alors tout le monde savait d’un bout à l’autre.

Les chansons, en certains pays du moins, sont destinées à disparaître dans un avenir encore plus prochain que les contes ; elles ont à lutter avec les chansons des cafés-concerts et les romances sentimentales que les paysans trouvent de bien meilleur ton que les vieux airs d’autrefois. Aux noces de campagne, où l’on a conservé l’habitude de chanter au dessert, il est rare d’entendre autre chose que des romances sentimentales et prétentieuses qui, il y a vingt ans, étaient populaires dans les villes.

Il est urgent de faire dans toutes les provinces une investigation qui, à l’heure actuelle, est encore possible ; mais il faut se hâter, car bientôt il serait trop tard.

Je ne veux pas terminer cette introduction sans remercier les personnes qui ont bien voulu m’aider, et parmi elles M. Gaidoz, le savant directeur de la Revue celtique, qui a mis gracieusement à ma disposition les livres, parfois rarissimes, de sa Bibliothèque bretonne, et M. Prosper Guyot, qui a noté les airs de plusieurs de mes chansons.

Saint-Cast (Côtes-du-Nord), 15 octobre 1880.
PREMIÈRE PARTIE




LES
CONTES POPULAIRES EN HAUTE-BRETAGNE
PRINCIPAUX OUVRAGES CONSULTÉS
POUR LES RÉFÉRENCES



A. — Contes populaires en France.

Bladé. Contes populaires recueillis en Agenais. Paris, Baer, 1874. — Trois contes recueillis à Lectoure. Bordeaux, 1877.

Carnoy (H.). Contes picards (dans Mélusine) ; Contes, petites légendes et croyances populaires (dans Romania, p. 233-263, no 30).

Cénac-Moncaut. Littérature populaire de la Gascogne. Paris, 1868.

Cerny (Elvire de). Saint-Suliac et ses traditions. Dinan, Huart, 1861.

Cerquand. Légendes et récits populaires du pays basque, en trois parties. Pau, 1874-1878.

Chapelot. Contes balzatois. Angoulême, 1872.

Cordier (Eugène). Les Légendes des Hautes-Pyrénées. Bagnères, Cazenave, 1878.

Cosquin. Contes populaires lorrains (dans Romania).

Delangle (Caliste). Le Grillon du foyer, légendes bretonnes. Paris, Durand, 1870.

Deulin (Ch.). Contes du roi Cambrinus. — Contes d’un buveur de bière. Paris, Dentu.

Dulaurens de la Barre. Veillées de l’Armor. — Sous le chaume. — Fantômes bretons. Paris, 1879.

Fouquet. Légendes du Morbihan. Vannes, 1857.

Luzel. Contes bretons. Quimperlé, 1870. — Contes (dans les Archives des missions scientifiques, 1872-1873). — Contes (dans Mélusine). — Les veillées bretonnes. Paris, Champion, 1879.

Mélusine (passim).

Romania (passim).

Sébillot (Paul). Contes populaires de la Haute-Bretagne. Paris, Charpentier, 1880.

Souvestre. Le Foyer breton. Paris, Michel Lévy.

Troude et Milin. Le Conteur breton. Brest, 1870.

W. Webster. Basque Legends. London, Griffith, 1877.


B. — Contes populaires divers.

Brueyre. Contes populaires de la Grande-Bretagne. Hachette, 1875.

Chodzko. Contes slaves. Hachette.

Deulin. Contes de ma mère l’Oye. Dentu.

Husson. La Chaîne traditionnelle. Vieweg.

Marc-Monnier. Contes populaires en Italie. Charpentier, 1880.

Et les commentaires de MM. Köhler, Grimm, de Gubernatis, G. Paris, Ralston, etc.
I


LES FÉERIES
ET LES AVENTURES MERVEILLEUSES




A. — CONTES À APPARENCES LOCALES.




§ I. — LÉGENDES DES HOULES.

Sur le littoral de la Manche, en Ille-et-Vilaine et dans la partie des Côtes-du-Nord où la langue française est seule en usage, on donne le nom de houles aux grottes des falaises. Les unes ont été creusées par la mer, qui a peu à peu rongé les parties les plus friables du rocher ; les autres sont dans des endroits du rivage où la marée ne monte pas actuellement.

Les houles sont en grand nombre ; il y en a à Cancale, à Saint-Briac, à Saint-Jacut, à Saint-Cast ; le cap Fréhel, dans la commune de Plévenon, en est percé d’une douzaine au moins. À Erquy se trouve une grotte qui, au lieu du nom de houle, qui est le plus généralement employé, se nomme la Goule de Galimoux ; la grotte de Saint-Enogat, bien connue des baigneurs de Dinard, s’appelle aussi la Goule-ès-Fées.

L’imagination des habitants des côtes a peuplé ces grottes de personnages fantastiques et mystérieux : c’est là que demeuraient les fées, avec leurs maris et leurs enfants ; elles en sortaient à la nuit tombante pour se promener sur les falaises ou sur la mer. D’après plusieurs de mes conteurs, leurs grands-pères les avaient connues ; mais aujourd’hui elles ont disparu, et ils semblaient généralement croire que les fions — c’est le nom qui désigne, en plusieurs endroits, les fées des deux sexes — s’étaient retirés du pays à peu près au moment de la Révolution française.

Toutes les houles que je connais ont une légende, parfois deux ou trois ; ce sont les plus curieuses et les plus particulières, ce me semble, de toutes celles qu’on raconte dans le pays gallot.

Les quatre contes qui suivent ont pour théâtre des houles situées en quatre communes différentes : le premier a déjà été publié dans mes Contes populaires de la Haute-Bretagne, où se trouvent d’autres récits : la Houle de Chélin (no IV) ; l’Enfant de la Fée (no XVII), et la Fée et le Marin (no XXII), qui se passent dans les houles de Saint-Cast ou dans celles de Plévenon.

Il est assez difficile de déterminer l’étymologie du mot houle, qui vraisemblablement ne vient pas du breton. C’est le mot anglais hole qui s’en rapproche le plus : il a la même signification, et M. Webster l’emploie à chaque instant pour désigner les demeures des Lamigna basques (cf. Basque Legends), qui ont quelque affinité avec les fées des Houles.

I

La Houle de la Corbière[1]


Au temps où les grands-pères des plus âgés de la paroisse n’étaient pas encore en culottes, Agnès Depais demeurait avec son mari dans une maison isolée, sur la route de la pointe de la Corbière[2], et c’était celle qui était la plus voisine de la Houle aux fées dont l’entrée se voit de la mer. Souvent, pendant le silence de la nuit, elle entendait le bruit d’un rouet à filer de la laine, et le son assourdi semblait venir de sous la pierre de son foyer. D’autres fois, un coq chantait sous la terre, un enfant pleurait, ou il semblait à Agnès ouïr le pilon d’une baratte qui battait le lait pour faire du beurre. Mais ni elle ni son mari n’avaient peur de ces bruits souterrains, car ils pensaient que les fées de la Houle de la Corbière étaient cause de tout cela ; elles passaient pour n’être point méchantes, et personne n’avait jamais eu rien à leur reprocher.

Une nuit, un pêcheur de l’Isle vint chercher le mari d’Agnès pour aller pêcher le lançon[3] dans la grève de la Mare. Pendant que son homme s’habillait, Agnès, qui était couchée, dit au pêcheur :

— Sais-tu quelle heure il est ?

— Non, répondit-il, je ne sais pas au juste.

À peine avait-il prononcé ces mots qu’une voix sortit de dessous terre et cria :

— Il est deux heures après minuit.

Loin de s’effrayer, les gens qui étaient là se mirent à rire, parce qu’ils avaient l’habitude d’entendre du bruit sous la pierre du foyer. Ils pensèrent que c’étaient les fées qui avaient répondu, et ils dirent à haute voix : « Merci ! »

À quelque temps de là, l’enfant d’Agnès tomba malade, si malade qu’il semblait prêt à trépasser, et sa mère se désolait, ne sachant ce que faire pour le secourir.

— Ah ! mon Dieu, s’écriait-elle en pleurant, mon pauvre petit gars va mourir !

Elle entendit un bruit sourd qui venait de la cheminée, comme si quelqu’un heurtait par en dessous les pierres du foyer, et en même temps une voix disait :

— Ton enfant a le croup ; lève-toi, et viens ici ; je vais te donner quelque chose pour le guérir.

Cette fois Agnès eut peur, et son premier mouvement fut de se blottir sous ses couvertures ; mais elle pensa à son enfant qui souffrait, et elle reprit courage. Elle sauta à bas de son lit, et ayant allumé une chandelle, elle vit remuer une des pierres du foyer, qui se leva lentement ; elle aida à la soulever, et quand la pierre ne toucha plus la terre que par un côté, une main passa par le trou béant, et elle présenta à Agnès une petite bouteille :

— Frotte ton enfant à la gorge et à la poitrine avec cette liqueur, dit une voix qui venait de dessous terre, et conserve soigneusement cette bouteille.

La pierre du foyer retomba et, à la voir, on n’aurait pas cru qu’elle eût jamais été bougée de place. Agnès se hâta de frotter son petit gars, qui aussitôt cessa de se plaindre, et ne tarda pas à être guéri. Elle était si contente qu’elle ne put s’empêcher de tout raconter à ses voisines : la nouvelle se répandit d’oreille en oreille jusque dans les villages, et Agnès, qui était obligeante, prêtait la bouteille à ceux qui avaient des enfants malades, et ils revenaient rapidement à la santé. Longtemps après cela, la colique prit le mari d’Agnès, et il se tordait, tant la douleur était violente. Agnès alla chez sa voisine chercher la bouteille, qui contenait encore un reste de liqueur ; mais la voisine la laissa tomber, et elle se brisa en mille pièces. La pauvre femme revint chez elle bien désolée, car son mari allait de mal en pis et semblait prêt à trépasser. Elle s’assit près du foyer, et tout en pleurant elle disait :

— Main bienfaisante, qui avez donné la bouteille qui a guéri mon petit gars et tant d’autres personnes, est-ce que vous allez laisser mon homme mourir ?

Elle ne reçut aucune réponse ; alors elle souleva avec un outil la pierre qui se levait, et elle cria au bord du trou en demandant du secours ; à la fin, la fée allongea la main et lui donna une bouteille en disant :

— Prends bien garde, Agnès ; voici la dernière bouteille que je puis te donner ; fais bien attention à ne la prêter à personne, et n’en parle à âme qui vive.

Dès qu’Agnès eut frotté son mari avec la liqueur, il se trouva guéri, et cette fois elle ramassa soigneusement la bouteille dans son armoire.

À quelque temps de là, Agnès entendit la nuit un chant qui sortait de sous terre ; il était si doux et si mélodieux que rien qu’à l’écouter elle tombait en extase ; il y avait bien trois ou quatre voix qui chantaient à l’unisson, et elle alla chercher sa voisine pour l’entendre. La nuit suivante, un violon joua plusieurs airs.

Tous ces prodiges donnaient à penser à Agnès, qui se disait :

— À quelque jour, ils monteront tous ici, et arriveront dans ma maison par le trou du foyer.

Toutefois elle reprenait de l’assurance en songeant que les habitants de la houle ne lui avaient jamais fait que du bien. Et elle pensait à sa vache et à ses deux moutons qu’on lui avait volés pendant qu’il paissaient dans les champs.

— Il faudra, se disait-elle, qu’à la première occasion je demande aux fées qui me les a dérobés ; sûrement elles me le diront bien si elles veulent.

Une autre nuit, elle entendit une voix qui disait :

— Commère, as-tu du feu ?

— Oui, répondit Agnès ; à votre service.

Et voilà la pierre du foyer qui se soulève ; Agnès prit un tison allumé et l’approcha du trou : à sa lueur, elle vit une belle main de femme qui s’en empara, et à chacun de ses doigts il y avait des anneaux brillants.

— Ah ! madame, dit Agnès, si vous vouliez me dire où je pourrais retrouver ma vache et mes moutons, je vous serais bien obligée, moi qui n’ai rien à donner à mes pauvres enfants.

— Tiens, répondit la fée, voici une petite boîte qui contient un onguent fait avec des cornes de vache et de moutons ; graisse les cordes qui attachaient tes bestiaux, et tu auras une vache et des moutons.

La pierre retomba, et le lendemain, dès qu’il fut jour, la bonne femme alla frotter la nâche qui lui avait servi à attacher la vache volée, et aussitôt elle vit une vache superbe ; elle frotta le tiers[4] qui servait à mener ses deux moutons à la pâture, et elle eut deux moutons plus beaux que ceux qu’elle avait perdus.

Agnès était bien contente ; toutefois elle regrettait de ne pas avoir demandé du pain. Elle y pensait à chaque instant et disait :

— Comment ferais-je bien pour prier la fée de me donner du pain pour moi et ma famille, du pain des fées qui, ne diminue pas ?

Une nuit qu’il ne restait pas une miette de pain à la maison, l’enfant d’Agnès eut faim, et pleurait pour en avoir un morceau ; elle entendit du bruit sous terre, et mit un marteau dans la main de son petit gars, en lui disant :

— Frappe fort sur la pierre du foyer, et demande du pain à la bonne dame qui nous a déjà fait tant de bien.

Elle parlait haut, pensant que sa voix serait entendue. Le petit garçon prit le marteau et frappa de toute sa force sur la pierre, en disant d’une voix câline :

— Bonne dame, donnez-moi du pain ; j’ai faim.

Ils entendirent cogner : pan ! pan ! sous la pierre qui se leva, et une main déposa sur le foyer un tourteau de pain, pendant qu’une voix disait :

— Tiens, mon petit, voilà de quoi manger toute ta vie, si tu sais conserver mon présent et n’en donner à personne qu’à tes parents.

Le tourteau de pain ne diminuait point, et, malgré qu’on en coupât, il restait toujours frais et entier, et cela dura plus de dix ans. Mais un soir que le mari d’Agnès était en ribotte, il amena avec lui un de ses amis ; il tira du buffet la tourte des fées et en coupa un morceau pour son camarade. Mais aussitôt le pain des fées disparut, et quoiqu’Agnès et ses enfants aient supplié maintes fois les dames de la houle de leur donner un autre pain, elles sont restées sourdes à leurs prières.

(Conte en 1879 par Marie Chéhu, de Saint-Cast, âgée de quatre-vingts ans.)

Cette légende n’est pas la seule qui ait pour théâtre la Houle de la Corbière : d’après un autre conte dont je n’ai pu avoir jusqu’à présent qu’un résumé, une des fées qui l’habitaient s’amouracha d’un des soldats qui gardaient la Redoute de la Corbière dont on voit encore les ruines aujourd’hui. Elle suivit son amant à l’armée, a l’époque des guerres de la Révolution : tant qu’ils furent ensemble, le soldat monta en grade et fut victorieux sans recevoir de blessures. Mais la fée l’ayant abandonné, la chance le quitta aussitôt ; il fut blessé, et toutes les batailles où il figura furent perdues.


Dans plusieurs autres contes, on voit les fées avoir des rapports, généralement bienveillants, avec les hommes. (Cf. Contes populaires de la Haute-Bretagne : XXII, la Fée et le Marin ; IV, la Houle de Chélin ; XVII, l’Enfant de la Fée, et les contes qui suivent le présent récit. Voyez aussi mes Traditions, superstitions et légendes de la Haute-Bretagne, p. 8 et 9. Paris, Maisonneuve, 1880, et Revue de linguistique, t. XIII.)


D’après une autre légende populaire à Plévenon, les fées des houles du cap Fréhel allaient laver leur linge à la mare de Gaulehen, qui est au milieu de la lande aride de Fréhel, et elles étendaient sur les gazons qui l’entourent leurs linges qui étaient les plus blancs qu’on pût voir. Celui qui aurait pu arriver jusque-là sans remuer les paupières aurait eu la permission de s’en emparer ; mais aucun de ceux qui ont tenté l’aventure n’a pu y réussir, et dès qu’ils avaient remué les paupières le linge devenait invisible.

(Conté par Scolastique Durand, de Plévenon, 1879.)


Plusieurs récits parlent du pain des fées « qui ne diminue point, » si on a la précaution de ne le partager avec personne. (Cf. XVII, l’Enfant de la Fée, et ci-après la Houle de Poulifée.)


Les fées de la houle de la Teignouse, qui est aussi en Plévenon, avaient un bœuf qui pâturait sur la lande ; un jour, il s’en écarta et passa en dommage à travers les blés. Les cultivateurs qui avaient été lésés vinrent se plaindre aux fées, qui pour les dédommager leur donnèrent un belle gâche de pain, en leur disant :

— Voici pour vous dédommager du tort que le bœuf vous a fait, et le pain ne diminuera point tant que vous le mangerez entre vous ; mais il disparaîtrait si vous en donniez une seule miette à un étranger.

Le pain dura deux ans : au bout de ce temps, il disparut, parce qu’on en avait coupé un morceau pour un mendiant.

(Conté par Scolastique Durand, 1879.)

II

La Houle de Poulifée[5].


La Houle de Poulifée[6] est, comme le savent tous ceux qui ont visité le cap Fréhel, une grotte haute à l’entrée comme une cathédrale, et qui s’étend si loin sous la terre qu’on prétend dans le pays que personne n’a pu encore pénétrer jusqu’au fond.

Autrefois, il y a bien longtemps de cela, deux jeunes gens de Plévenon voulurent essayer de savoir jusqu’où la houle s’étendait ; ils y pénétrèrent avec une chandelle qui, à un certain endroit, s’éteignit brusquement. Ils s’en retournèrent effrayés. Mais quand ils furent sortis, ils se dirent :

— Que nous sommes sots d’avoir eu peur ! C’est l’air qui a éteint notre lumière ; aujourd’hui la mer monte, mais demain nous reviendrons.

Le lendemain, ils prirent mieux leurs précautions et allèrent plus loin, et comme ils continuaient à avancer, ils crurent entendre parler.

— Écoute, dit l’un d’eux à son camarade ; on dirait qu’on appelle des enfants.

Ils se hâtèrent encore de sortir de la grotte, et comme la veille, dès qu’ils eurent revu le ciel, leur frayeur cessa.

Le lendemain qui était un vendredi, ils portèrent un coq dans la houle, et le laissèrent à une bonne distance de l’entrée. Le samedi, ils n’allèrent pas à la grotte ; mais le dimanche, on leur dit qu’on avait entendu un coq qui chantait sous le porche de l’église, et dont la voix semblait venir de sous terre.

— Il paraît, dirent les jeunes gens, que la houle s’étend bien loin ; il y a plus d’une lieue de son entrée à l’église de Plévenon ; elle est peut-être habitée par quelqu’un ; il faudra voir au juste ce qui en est.

Dans l’après-midi du dimanche, ils retournèrent à la houle, et cette fois d’autres garçons de leur âge les acompagnèrent ; ils allèrent plus profondément que de coutume, et à mesure qu’ils s’avançaient, il leur semblait reconnaître à certaines marques que la grotte était habitée. Cependant, quand ils entendirent une voix qui criait :

— « Il faut mettre la pâte dans le four » ; ils s’enfuirent effrayés, sans oser regarder derrière eux.

Le bruit de ces choses surprenantes se répandit dans le pays, et d’autres personnes se joignirent à ceux qui les premiers s’étaient aventurés dans la grotte. Tous ensemble allèrent jusqu’à un endroit où personne n’avait pénétré, et sur une table en pierre il virent un repas servi :

— Voici du nouveau, dirent-ils ; il faut savoir ce que c’est ; rien ne nous presse, car la mer ne vient pas jusqu’ici.

Au même instant deux dames se présentèrent devant eux, qui les invitèrent à dîner ; ils se mirent à table et mangèrent toutes sortes de mets. Le repas fini, les dames leur dirent de revenir une autre fois, et qu’elles leur apprendraient des choses qui leur seraient utiles plus tard.

Les gens de Plévenon pensèrent que sûrement c’étaient des fées ; mais ils n’eurent pas peur de retourner, et quand ils furent à l’endroit où le repas était servi, ils virent les deux dames, et l’une d’elle les interrogeait chacun à son tour, leur demandant s’ils étaient cultivateurs ou marins, garçons ou mariés. Elles leur racontaient des choses utiles, et leur donnaient du pain et de la viande.

L’un des gens de Plévenon dit qu’il était père de famille, et que souvent il avait bien du mal à gagner du pain pour lui et ses enfants.

— Quand ta femme sera de nouveau enceinte, dit la dame, reviens ici ; j’aurai à te parler,

Elle lui donna de l’argent avec lequel il se mit à l’aise. Quand sa femme fut enceinte, l’homme retourna à la houle, où la dame lui demanda à être la marraine de l’enfant.

Le mari, de retour à la maison, raconta à sa femme ce que les fées lui avaient dit. Mais elle répondit :

— Ce sont des fées ; je ne veux pas donner mon enfant aux fées.

Alors les dames de la grotte, irritées de ce refus, leur ôtèrent tous les présents qu’elles avaient faits, et ils redevinrent pauvres comme auparavant.

(Conté par Scolastique Durand, de Plévenon, âgée de soixante-douze ans, 1879.)

Habasque, au t. III, p. 127 de ses Notions historiques sur les Côtes-du-Nord, raconte que l’on prétend à Erquy que la Goule de Galimoux s’étend jusque sous le village de Thieuroc, et pour le prouver on affirme que, de ce village, on y a entendu un coq chanter. Dans Roch-Toul, p. 103 des Fantômes bretons de M. Dulaurens de la Barre, il est aussi question d’un coq qui a été porté dans une grotte, et qu’on entend chanter sous le maître-autel de Guimiliau.

Cf. Pour le pain des fées le commentaire du conte précédent.

Les fées qui demandent à être marraines d’un enfant se trouvent dans plusieurs contes français : on connaît ceux de Perrault où il est souvent question de fées marraines. Dans les légendes basques de M. Webster, il y a un conte intitulé : La reine des fées marraine, p. 59 de l’édition anglaise.

Voici, à titre de curiosité, un conte que je tiens de mon ami et compatriote, M. Auguste Lemoine, qui l’a entendu aux environs de Dinard. C’est un conte de seconde main, et qui n’est par conséquent point littéral. Je l’ai rédigé en patois du littoral ; mais, pour être vrai, je dois ajouter que jamais aucun de mes conteurs ne s’est servi purement du patois pour me raconter des légendes. La plupart du temps, il y avait entre leurs récits et leur manière habituelle de s’exprimer autant de différence qu’il y en a entre la langue écrite et le langage de la conversation ordinaire.


Un saï[7] que la mère Milie[8], qu’était saïge-femme[9] de son état, était assise su n’un berchet[10] dans l’coin d’son fouyer, o ouït queuqur’un[11] qui cognait à l’hu[12] de son hôté.

O débarrit la porte, et o vit entrer sez ielle[13] eune veille femme qui li dit comme héla de veni do ielle tout cont’ Saint-Leunaire, à cette fin d’assister une créiature qu’était en ma d’éfant[14], Milie répondit qu’o voulait ben : o print ses solées[15], mint su son dos eune petite devantière, rapport à la fret[16] ; o cutit[17] son feu et sieuvit la veille qui cheminait devant ielle et marchait par les sentes comme s’il avait été joû.

I’y avait mêzé[18] un p’tit d’temps qu’iz étaint partis, quand Milie ouït le bru de la mé, qui menait tenant de ramaïge cont’ les roches des falâses.

— Eioù qu’ous me menez ? qu’o dit[19]. Voul’ous me faire aller diqu’à[20] la Goule-ès-Fées, ousque n’en dit qu’on vaït des fions d’aut’ faïs[21] ?

— Vère[22], Milie, que li repondit la veille ; j’allons directement là. Prends ma main ; tu n’as que faire d’avaï poû[23] ; je n’veux point te défalâser[24]. Sieus-ma, et tu renras service à ieune de tes semblabes.

Milie arait ben voulu êt’e cor sez ielle au coin d’son fouyer, ou ben dans son let ; mais olle était forcée d’aller éioù que l’aut’e la menait, et o marchait sur les pentières des falâses comme su n’eune route messière.

E’ finirent par arriver à la Goule-ès-Fées, qu’est eune grotte escarabe[25], quasiment aussi grande que ielle à Poulifée ou la Salle à Margot, que les monsieux vont va quand le temps est biau, et qui sont au bas des falâses de Ferhel. O vit su n’un let eune femme toute jieune et qu’avait p’usieurs personnes alentour de ielle. O li portit secoû, et bentôt o reçut un biau petit gars, ben mochet[26], qui b’sait ben sept liv’es tras quarts ou le quart maïns de huit liv’es.

Les aut’s femmes donnitent à Milie eune bouêtte où i’ n’y avait une manière d’onguent, quasiment pareil — respé d’vous — à de la graisse de pouër[27], et i’ li ditent de frotter l’éfant, et de ben s’essuer[28] les mains après de cela, ou ben qu’i li en arriverait vantiez du deu[29].

O frottit la garçaille, et sans faire mine de ren o se grattit un zieu[30] et o s’en mint un p’tit dans n’un coin. O n’eut pas p’utôt fait héla, qu’o vit tout changé alentour de ielle. La grotte était belle comme une église à la Miaô[31] ; les femmes étaint attifées comme des princeresses, et Milie n’avait ren veu de si biau ni à SaintMalo sez les bourgeois, ni dans les châtiaux de Proubala, de Pleurtu et de Saint-Béria[32]. O vayait à l’entour de ielle toutes sortes de petits fions qui n’étaint pas plus gros que l’peuce[33], qu’étaint habillés comme des monsieux cossus, et qu’avaint à leux cautés d’z épées qui n’étaint pas p’us longues que d’s épilles à piécettes[34].

Olle était tenant[35] ébahie, mais o ne dit ren, et o frottit l’éfant diqu’à au moment où i’ li ditent de fini. V li donnitent eune bonne boursée d’argient et la ramenitent, ben contente, diqu’à sez ielle.

Depais le temps-là, o vayait par les sentes, par les clos et un p’tit partout toutes sortes de fions, mais o ne faisait mine de ren. Un joû qu’olle était à la faïre de Saint-Béria[36] éioù que les touchous de Tréméreu et d’ Peûdeûneu[37] viennent venre leux pouërs et leux nourretures[38], o vit les fées qui tenaint toutes sortes de p’tits jeux pour baiser[39] l’ pauv’ monde et li voler sa pauv’ argent. O ne dit cor ren le coup-là, mais quand ce fut su la reciée[40], à n’un moment où i n’y avait ténant[41] d’ monde au Carrousé et alentour des marchands qui vendent des saucisses de Plancoué et des cimériaux[42], o vit ieune des fées qui mettait sa main dans la pouchette de la devantière d’une chupée[43]. O s’ébérit[44] et o criit à la voleuse ! Mais la fée se tournit devers ielle et do le daït, o li arrachit un zieu si viferment[45], qu’o ne s’en avisit que quand o fut devenue borgneuse.

On raconte à Saint-Jacut-de-la-Mer une légende qui présente plusieurs points de ressemblance avec la précédente, et dont l’action se passe à la Houle Cosseu, grotte située non loin de l’extrémité de la presqu’île de Saint-Jacut ; la voici telle qu’elle m’a été contée, il y a une quinzaine d’années, par mon ami le docteur Carré, originaire de Saint-Jacut, qui la connaissait depuis son enfance.


Un soir, à la nuit tombante, un pêcheur de Saint-Jacut revenait des pêcheries, où il était resté le dernier, et, son panier sous le bras, il longeait les rochers qui sont au bas des falaises pour arriver au sentier qui conduisait au village : il marchait pieds nus sur le sable mouillé qui étouffait le bruit de ses pas, lorsqu’au détour d’une petite anse il aperçut dans une grotte plusieurs fées qu’il reconnut de suite pour telles à leur costume ; elles causaient entre elles en gesticulant avec vivacité, mais il n’entendait rien de ce qu’elles disaient ; il les vit se frotter les yeux avec une sorte de pommade, et aussitôt elles changèrent de forme et s’éloignèrent de la grotte, semblables à des femmes ordinaires.

Lorsque le pêcheur les avait vues se disposer à quitter leur retraite, il s’était caché avec soin derrière un gros rocher, et elles passèrent tout près de lui, sans se douter qu’elles avaient été observées. Quand il pensa qu’elles étaient loin, il cessa de se cacher et alla tout droit à la grotte. Il avait bien un peu frayeur, car l’endroit passait pour hanté ; mais la curiosité l’emporta sur la peur. Il vit, sur la paroi du rocher qui formait une des murailles de la caverne, un reste de là pommade dont elles s’étaient frotté les yeux et le corps. Il en prit un peu au bout de son doigt, et s’en mit tout autour de l’œil gauche, pour voir s’il pourrait, par ce moyen, acquérir la science des fées et découvrir les trésors cachés.

Quelques jours après, une chercheuse de pain vint dans le village où elle demandait la charité de porte en porte : elle paraissait semblable aux femmes déguenillées et malpropres dont le métier est de mendier. Mais le pêcheur la reconnut aussitôt pour une des fées qu’il avait vues changer de forme dans la grotte ; il remarqua qu’elle jetait des sorts sur certaines maisons, et qu’elle regardait avec soin dans l’intérieur des habitations, comme si elle avait voulu voir s’il n’y avait pas quelque chose à dérober.

Quand il sortait au large avec son bateau, il voyait les dames de la mer nager autour de lui, et les reconnaissait parmi les poissons auxquelles elles ressemblaient par la forme. Les autres marins ne les apercevaient pas ; mais lui savait se garantir des tours qu’elles jouent aux pêcheurs dont elles se font un malin plaisir d’embrouiller les lignes, de manger l’amorce sans se laisser prendre, ou d’emmêler les unes dans les autres les amarres des barques, sources de disputes violentes et de querelles entre les pêcheurs.

Quelque temps après, il alla à la foire de Ploubalay, où il vit plusieurs fées, qu’il reconnut aussitôt malgré leurs déguisements variés : les unes étaient somnambules et disaient la bonne aventure ; d’autres montraient des curiosités ou tenaient des jeux de hasard où les gens de campagne se laissaient prendre comme des oiseaux à la glu. Il se garda bien d’imiter ses compagnons et de jouer ; mais il pouvait s’apercevoir que les fées étaient inquiètes, sentant vaguement que quelqu’un les reconnaissait et les devinait.

Aussi elles faisaient plusieurs choses de travers : il s’en réjouissait, et souriait en se promenant parmi la foule. En passant près d’une baraque où plusieurs fées paradaient sur l’estrade, il vit que lui aussi avait été aperçu et deviné, et qu’elles le regardaient d’un air irrité. Il voulut s’éloigner ; mais rapide comme une flèche, l’une des fées lui creva, avec la baguette qu’elle tenait à la main, l’œil que la pommade avait rendu clairvoyant.

C’est ainsi que le grand Cangnard devint borgne pour avoir voulu savoir les secrets des fées de la mer.


La pommade qui rend clairvoyant se retrouve dans plusieurs contes : dans la Pixie en mal d’enfant, légende du Devonshire, recueillie par Mistress Bray (Brueyre, Contes populaires de la Grande-Bretagne, conte 39), qui présente de singulières ressemblances avec la Goule-ès-Fées ; dans le Roi d’Égeberg, conte norvégien d’Abjörsen, traduit en français dans Mélusine, col. 84. Égeberg est une montagne au bord de la mer. Cf. également les Mille et une Nuits, histoire de l’Aveugle Baba-Abdallah.


Dans l’Enfant de la Fée (Contes populaires de la Haute-Bretagne, conte XVII), il est aussi question d’une pommade qui fait reconnaître les fées sous tous leurs déguisements. Cf. aussi la Sorcière et le nouveau-né, conte basque de M. Webster.


L’épisode de l’œil arraché, qui figure dans les deux contes précédents, se retrouve dans la Lamigna en mal d’enfant, légende basque du recueil de M. Cerquand. Il est intéressant de comparer avec la Goule-ès-Fées ce conte et ses trois variantes où il est question de Lamigna accouchées par des femmes.

Une des légendes recueillies par Madame de Cemy, à Saint-Suliac (Ille-et-Vilaine), sur les bords de la Rance, parle aussi de fées qui habitaient des grottes. Voici en substance ce qu’elle dit à ce sujet :


La Fée du Bec-du-Puy ou de la Grotte-ès-Chiens habite une grotte marine des bords de la Rance. Elle en sort le soir, d’abord en vapeur blanche et indistincte ; ensuite elle prend la forme d’une belle femme dont les habits sont couleur de l’arc-en-ciel. Elle fuit à la vue de l’homme et pleure sa puissance détruite. Jadis elle avait du pouvoir sur les vents, et pour se la rendre favorable on venait déposer des fleurs à l’entrée de sa grotte, que gardaient des chiens invisibles. Aujourd’hui sa vue n’annonce rien de bon.

Un jour des bergers trouvèrent à l’entrée de la grotte une jeune fille expirante qui leur raconta qu’elle venait à cette place attendre son fiancé. Il y a trois jours, elle avait vu la fée, puis elle lui était apparue une seconde fois avec un bruit comme un petit battement d’ailes. Elle ne put fuir et resta anéantie : la fée lui dit que son fiancé n’était plus, et qu’elle-même mourrait bientôt. Les bergers la portèrent au bourg. Le curé somma la fée de comparaître et l’exorcisa avec les formules ordinaires. On ne vit rien ; mais on entendit un cri de douleur, et, depuis ce temps, la fée n’a plus de pouvoir.

En revenant de la grotte, les personnes qui avaient accompagné le curé trouvèrent le cadavre du jeune fiancé.

(Saint-Suliac et ses traditions, p. 18-22.)

Dans les récits que j’ai recueillis personnellement, il est rarement question de fées qui ont pour demeure des monuments mégalithiques. Cela tient sans doute à ce que la partie du pays gallot où j’ai habité jusqu’ici est assez pauvre en dolmens, en tumuli et en menhirs. Habasque cite (t. II, p. 364 ; t. III, p. 82, 152, 158) plusieurs endroits de la Haute-Bretagne où on lui a parlé de monuments mégalithiques hantés par les fées.

Le conte de la Couleuvre, p. 162 des Contes populaires de la Haute-Bretagne, met en scène une fée ou, comme disait mon conteur, une Margot-la-Fée, qui habitait la Roche aux fées de la Brousse, située dans les environs de Collinée[46].

Quant aux travaux qui passent pour avoir été exécutés par les fées, je n’en ai trouvé le souvenir que dans une légende très-incomplète et assez confuse qu’on racontait jadis à Ercé près Liffré, mais qui aujourd’hui est presque oubliée.

Des fées qui avaient désobéi à leur supérieure furent condamnées par elle à creuser la nuit un étang. C’est là l’origine de l’étang et de la butte de Graphard, sur la limite d’Ercé et de Gosné ; la butte a été formée par les déblais jetés sur le bord par les fées.

Mais il y a en pays gallot d’autres constructions qui leur sont attribuées : ce sont elles qui ont bâti le portail de la chapelle de Saint-Jacques-le-Majeur en Saint-Alban, Côtes-du-Nord. (Cf. Habasque, t. III, p. 170.) Les grosses pierres qui couvrent les landes de Cojou et de Tréal en Saint-Just (Ille-et-Vilaine) furent, d’après les gens du pays, apportées par les fées qui en remplissaient leurs tabliers. (Cf. Guillotin de Corson, Légendes de l’Ille-et-Vilaine, p. 193.)

Je n’ai recueilli aucune légende sur les fées des eaux et des rivières.

Mme de Cerny (Saint-Suliac et ses traditions, p. 53-63) raconte que sur les bords de la Rance existent des fées qui, d’après ce qu’on lui a dit, se promènent pendant les orages, et en suivent une plus belle qu’elles, qui est montée sur une barque faite de la coque d’un nautile des mers du Sud, traînée par deux écrevisses. C’est elle qui commande aux vents de souffler moins fort, et aux flots de rendre les cadavres. Un jeune candidat au long cours, qui était sur l’île Notre-Dame, la vit un jour aborder, et pour la mieux voir se cacha derrière un rocher ; elle s’endormit, et le jeune homme restait à l’admirer quand il fut entouré par d’autres fées qui voulurent le jeter à la mer. Heureusement la dormeuse se réveilla, et empêcha ses compagnes de lui faire du mal ; puis, après avoir chanté une chanson, elle disparut dans un char traîné par des papillons.

Il est assez souvent question de Gargantua dans le pays gallot, où l’on dit en proverbe : « Manger comme un Gargantua. » En plusieurs endroits, notamment à Plévenon, on montre le lieu d’où il s’élança pour se rendre à Jersey. Une pierre haute d’environ 3 mètres, qui se trouve à côté du fort La Latte en Plévenon, se nomme le Bâton de Gargantua : c’est vraisemblablement un menhir ; il est enfoncé dans un gros rocher qui lui sert de piédestal, et dont l’un des côtés est orné d’un bas-relief grossier représentant une croix qui surmonte une sorte d’autel ; sur le dessus de la pierre est sculptée l’empreinte d’un soulier long de 60 centimètres environ, pointu par le bout comme les souliers de fer des chevaliers, et à côté est gravé le bout d’une canne carrée.

À la chapelle de Hirel en Ruca, près Matignon, une statue grotesque, placée à l’extérieur, est appelée Gargantua.

À Plurien, à l’embouchure de la petite rivière de la Bouche, se trouve une pierre nommée la Gravelle de Gargantua.

À Saint-Just (Ille-et-Vilaine), les grosses pierres de la lande de Cojou furent jetées par Gargantua, qui les trouvait gênantes dans ses souliers. (Cf. Guillotin de Corson, p. 193.)

À Saint-Suliac, un menhir, qui n’a guère qu’un mètre de haut, se nomme la Dent de Gargantua.

Sur la lande de la Pierre-Plate en Treillières (Loire-Inférieure), un peulvan porte le nom de Galoche (bouchon) de Gargantua ; les plateaux de granit voisins étaient ses palets. (Ogée, nouv. édit.)

La quenouille de la femme de Gargantua se trouve à côté de Josselin ; c’est un menhir de 6 mètres de haut ; son fuseau, un autre menhir de 5 m 30 de haut, se voit à Loqueltas, sur la limite de la langue française et du breton, mais en pays bretonnant ; on les retrouve sur la lande de Lanvaux, près d’Auray, et les deux mille cailloux de 4 à 7 mètres de haut qui parsèment la lande du Haut-Brambien en Pluherlin (partie française du Morbihan) sont des graviers que Gargantua secoua de ses souliers. (Cf. Violeau, Pèlerinages du Morbihan, p. 240.)

On en trouve aussi beaucoup de traces en pays bretonnant ; mais, pour le moment, je ne m’occupe que du pays gallot.

J’ai entendu parler, mais à l’état vague, de légendes concernant Gargantua : jusqu’à présent, je n’ai recueilli que des fragments insignifiants. Mme de Cerny a été plus heureuse, et voici l’analyse du conte de la Dent de Gargantua (p. 70-79).


Gargantua était si grand qu’en deux enjambées il allait de Saint-Malo en Angleterre, passait par dessus les clochers, et faisait en huit jours le tour du monde. Il passa par Dinan, visita les géants de Saint-Samson[47], et fut si charmé de la Rance, ruisseau formé des larmes de sa sœur veuve, qu’il résolut de se fixer sur ses bords ; mais il était très-gêné, parce qu’il ne trouvait point de grotte. Toutefois comme c’était l’été, il vécut à la belle étoile et eut envie de devenir amoureux.

Un jour, en allongeant la jambe, il renversa une petite barque d’où sortit un cri perçant. Il se baissa et ramassa une petite forme si gentille, que jamais il n’en avait vu de pareille ; c’était la fée des Eaux, et Gargantua en tomba amoureux, en regrettant qu’elle fût si petite ; mais sa voix l’effraya, et elle s’enfuit. Toutefois, elle revint coqueter avec lui, et cela dura un siècle. Au bout de ce temps, Gargantua voulut se marier ; mais les frères de la fée ne consentirent au mariage qu’à la condition que les nouveaux mariés n’auraient point d’enfants.

Gargantua emporta sa femme sur son pouce, et ils furent heureux pendant quelque temps. Mais le génie du mal, qui n’avait point été convié à la noce, vint un soir les visiter ; le lendemain la fée apprit à Gargantua qu’elle allait être mère, et son mari déclara que, pour ne point violer son serment, il mangerait ses enfants.

Pendant que le géant était endormi, la fée alla consulter sa nourrice qui demeurait à Chausey : la nourrice lui dit qu’elle ferait avaler un chevreau à Gargantua, et que sa fille élèverait l’enfant sous les eaux du lac. La nourrice vint près de la fée, et présenta à Gargantua un chevreau emmaillotté qu’il avala d’une bouchée. La fée eut un deuxième enfant, et Gargantua dévora un jeune porc à sa place ; puis il y eut encore quatre autres enfants, et Gargantua avala successivement un chien, un ânon, un veau et un jeune poulain.

Mais il vint un septième enfant : Gargantua arriva juste au moment de l’accouchement et demanda le nouveau-né. La nourrice, qui n’avait rien préparé, se trouva fort embarrassée ; heureusement, elle vit une grosse roche, l’emmaillotta et la présenta au géant[48]. Mais la pierre, qui était forte, brisa une dent à Gargantua, qui entra en colère et voulut donner un coup de pied à la nourrice. Celle-ci s’esquiva ; le coup porta à faux et enfonça la plaine de Mordré ou Mordreuc. Gargantua rendit la dent, qui se piqua dans le sable.

Il alla du côté de Saint-Malo, et, sentant quelque chose qui le gênait dans son soulier, il en tira un gravier qui est le rocher de Bizeul.

Le bloc le gênait sur l’estomac, et il avait soif ; comme il se trouvait en mer, il voulut boire, et aspira si fort l’eau, qu’il avala une flotte anglaise qui croisait par là, et il s’en aperçut à peine. Mais, au bout de quelque temps, il sentit comme des crochets de fer qui lui déchiraient l’estomac ; il revint au continent pour consulter son médecin sur les bruits sourds qu’il entendait dans son estomac, et, par son conseil, il se décida à aller aux Indes.

Cependant les vaisseaux entrés dans Gargantua ne savaient où ils étaient ; les officiers firent allumer les lampes et tirer le canon, qui tua un tas de matelots.

À l’arrivée du géant aux Indes, son médecin lui fit vomir la flotte, qui était en fort mauvais état. Gargantua mourut, et ses amis, pour lui faire un tombeau, construisirent l’Himalaya.

La fée regretta son mari, et elle alla rejoindre ses enfants sous les eaux. On dit que ce sont eux qui engloutissent les animaux, les hommes et les navires, sans pouvoir assouvir leur faim.


On peut consulter au sujet du mythe de Gargantua les éditions critiques de Rabelais et, parmi les monographies, la curieuse brochure de M. H. Gaidoz, intitulée : Gargantua, essai de mythologie celtique. Paris, 1868.

À côté des contes dont les narrateurs placent la scène dans un endroit déterminé de la Haute-Bretagne, il y a un grand nombre de récits de féeries et d’aventures merveilleuses qui se passent dans un lieu indéterminé, et dont souvent les héros sont anonymes. Ces contes sont de ceux dont le thème originel, modifié par le génie des narrateurs de chaque pays, se retrouve un peu partout, non seulement en France et chez les peuples qui parlent les langues novo-latines ou les dialectes celtiques, mais encore dans les pays où l’on se sert des idiomes germaniques, chez les Slaves, dans l’Inde, parfois même chez des peuples qui ne sont pas de race aryenne.

Quelle que soit l’origine de ces récits, qu’ils soient anciens dans le pays où on les raconte, ou qu’ils y aient été importés récemment, ils sont intéressants à recueillir, ne serait-ce que pour montrer les innombrables transformations que chaque race et parfois chaque groupe provincial a fait subir à ces mythes qui semblent communs a l’humanité tout entière.


Parmi les contes populaires dans le pays gallot, il en est plusieurs qui présentent, soit dans l’ensemble et la marche du récit, soit dans les épisodes, des analogies avec les contes de Perrault, sans qu’on puisse dire avec certitude si elles sont dues à des transformations faites par des conteurs ayant connu les récits de Perrault ou si la ressemblance provient de contes plus anciens. Dans les récits que j’ai recueillis, je n’ai point de mythes analogues à la Belle au Bois Dormant, avec laquelle la fille endormie des Bas enchantés, no  XXI, et les princesses endormies du Capitaine Pierre, no  VI, présentent pourtant des ressemblances, au Chat-Botté, à Riquet à la Houpe et aux Fées. Mais je retrouve dans mes contes des épisodes similaires à ceux qui se trouvent dans tous les autres contes de fées du recueil de Perrault. En voici quelques-uns ci-après ; j’ai analysé ceux que j’ai précédemment publiés, et parmi les contes enfantins, le Rat et la Ratesse, qu’on trouvera plus loin, se termine par un épisode qui n’est autre qu’une version du Petit Chaperon Rouge.

Voici un petit conte qui ressemble à la fin de la Barbe-Bleue ; mais il n’y a aucune trace des chambres interdites qui figurent dans le récit de Perrault.

I

BARBE-ROUGE



Barbe-Rouge s’était marié sept fois, et avait perdu successivement ses femmes au bout de peu de temps de ménage. Il vécut dix ans en bonne intelligence avec la huitième, dont il eut deux filles et un garçon. Mais, à cette époque, Barbe-Rouge prit sa femme en telle haine, qu’il résolut de se débarrasser d’elle.

Un dimanche, au moment où elle revenait de la messe, il lui dit :

— Jeanne-Marie, c’est aujourd’hui que je vais te tuer.

— Permettez-moi, répondit la femme, de prendre mes habits de noces, ceux avec lesquels je fus mariée avec vous.

— Alors, monte dans ta chambre, et dépêche-toi, car je suis pressé.

Elle ouvrit, avant de commencer à s’habiller, la porte de la maison à son petit chien, auquel elle mit dans l’oreille une lettre pour ses frères qui demeuraient à quelques lieues de là.

Barbe-Rouge, pendant ce temps, aiguisait son sabre en répétant :

    J’aiguise, j’aiguise mon couteau,
    Pour tuer ma femme qu’est en haut.

— Es-tu prête, Jeanne-Marie ? lui cria-t-il.

— Non, je n’ai encore mis que mon cotillon de dessous.

Quelques instants après, son mari, tout en répétant :

    J’aiguise, j’aiguise mon couteau,
    Pour tuer ma femme qu’est en haut,

lui demanda pour la seconde fois si elle était habillée.

— Non, dit-elle, je suis à chausser mes bas.

— Es-tu prête ? répéta-t-il au bout d’un quart-d’heure.

— Non, je peigne mes cheveux.

Une demi-heure après, Barbe-Rouge s’écria :

— Mon couteau est bien affilé ; descends, ou je vais te chercher.

— Attendez encore un peu ; je vais prendre ma grande coiffe.

Comme elle y attachait des épingles, elle regarda par la fenêtre, et vit sur la route plusieurs hommes à cheval auxquels elle fit des signes.

— Pour cette fois, s’écria Barbe-Rouge, je vais monter et te faire ton affaire là-haut.

— Je n’ai plus qu’une épingle à placer, et je descends.

Une minute après, elle dit :

— Je suis prête.

Et elle se mit lentement à descendre l’escalier. Au moment où elle arrivait au bas, on frappa à la porte, et Barbe-Rouge se cacha dans le corridor ; mais les chefs de la troupe le découvrirent et le tuèrent.

Jeanne-Marie sortit de la maison avec ses enfants, et, au bout de son deuil, elle se maria avec un des militaires qui l’avaient délivrée.

(Conté en 1878 par Jean Bouchery, de Dourdain, garçon de ferme à Ercé.)


Une variante basque de Webster, à la suite du Cordonnier et ses trois filles, p. 176, a beaucoup de ressemblance avec ce conte. Les sept femmes de la Barbe-Bleue, qui se retrouvent ici, ont leur similaire dans le début du Géant aux sept femmes, no  IX des Contes populaires de la Haute-Bretagne.


Quelques-uns des épisodes de Peau d’Âne ont leurs similaires dans plusieurs de mes contes : l’amour du roi pour sa fille se retrouve dans la Peau d’Ânette, qu’on trouvera plus loin, et dont le commencement seul ressemble au conte de Perrault.

Dans le Taureau bleu (Contes populaires de la Haute-Bretagne, no III), la jeune fille qui, à la fin du récit, joue un rôle analogue à celui de Peau d’Âne et de Cendrillon s’enfuit de chez ses parents à cause de la méchanceté d’une belle-mère ; Césarine (no XXVII) se loue comme gardeuse de dindons, après avoir quitté la maison paternelle, parce que sa mère la détestait. Dans ces contes, un prince devient amoureux de la gardeuse de dindons et finit par l’épouser.


Voici un conte recueilli dans l’Ille-et-Vilaine, et dont le milieu et la fin présentent des analogies avec Peau d’Âne.

II

LA POUILLEUSE.


Il était une fois un roi qui avait deux filles qu’il chérissait de tout son cœur. Quand elles furent grandes, il lui prit fantaisie de savoir si elles l’aimaient, en se disant qu’il donnerait son royaume à celle qui, par ses paroles, lui témoignerait le mieux son affection.

Il fit d’abord venir l’aînée des princesses et lui dit :

— Comment m’aimes-tu ?

— Comme la prunelle de mes deux yeux.

— Bien, dit le roi en l’embrassant tendrement ; tu es une fille dévouée et aimante.

À la cadette qui vint ensuite, il demanda comment elle l’aimait :

— À mes yeux, mon père, répondit-elle, vous êtes aussi aimable que le goût du sel dans les aliments.

Le roi, contrarié de ces paroles, ordonna à sa fille de quitter la cour et de ne jamais reparaître devant lui. La pauvre princesse monta à sa chambre et se mit à pleurer ; mais comme on lui rappelait l’ordre de son père, elle essuya ses larmes, et ayant fait un paquet de ses plus belles robes et pris ses bagues, elle se hâta de s’éloigner du château où elle était née.

Elle chemina tout droit devant elle, et sans trop savoir ce qu’elle allait devenir, car elle ne connaissait aucun métier, et tout son savoir se bornait à quelques recettes de ménage et de cuisine que sa mère lui avait apprises. Et comme elle craignait que sa jolie figure ne l’exposât aux entreprises des méchants garçons, elle résolut de se rendre si méconnaissable et si laide, que personne ne fût tenté de lui faire la cour.

Elle échangea la robe qu’elle portait contre les haillons usés et rapiécés d’une vieille mendiante, et cacha, dans un morceau d’étoffe grossière, les beaux habits qu’elle avait emportés. Elle se barbouilla la figure et couvrit de boue ses mains blanches ; pour compléter son déguisement, elle laissa pendre ses cheveux ébouriffés, et quand elle voyait quelqu’un, elle remuait les épaules, comme font les pauvresses que dévore la vermine.

Ainsi déguisée, elle allait se proposer pour garder les oies ou les moutons ; mais les fermières refusaient les services d’une fille aussi malpropre, et la renvoyaient en lui donnant par charité un morceau de pain.

Après avoir marché bien des jours sans trouver à s’employer, elle arriva à une grande ferme où l’on manquait d’une gardeuse de moutons, et on la loua pour remplacer celle qui était partie. Pour mieux faire croire qu’elle était une pauvre mendiante, quand elle se chauffait auprès du feu elle jetait sur la flamme du gros sel, qui pétillait et produisait le bruit que font les poux quand on les grille. Sa maîtresse, qui ne s’aperçut pas de la supercherie, la gronda pour cette malpropreté, et elle cessa de jeter sur les tisons sa prétendue vermine ; mais le surnom de Pouilleuse lui resta, et c’est ainsi que chacun la nommait.

Un jour qu’elle gardait ses moutons dans un endroit éloigné de la ferme et où elle pensait que personne ne la verrait, il lui prit envie de s’habiller comme autrefois. Elle se lava les mains et la figure dans un ruisseau, et comme elle portait toujours avec elle le paquet qui contenait ses robes, elle dépouilla ses haillons et ressembla en peu d’instants à une grande dame.

Le fils du roi, qui s’était égaré en chassant, aperçut de loin cette belle personne et voulut la voir de plus près ; mais la Pouilleuse, dès qu’elle eut connaissance de son dessein, s’enfuit dans le bois, légère comme un oiseau. Le prince courut après elle ; mais s’étant pris le pied dans une racine d’arbre, il tomba, et quand il se releva pour la poursuivre, elle avait disparu.

Dès que la Pouilleuse eut perdu de vue le fils du roi, elle se hâta de reprendre ses haillons, et de se salir la figure et les mains.

Cependant le jeune prince, qui avait chaud et soif, entra à la ferme pour boire un verre de cidre, et il demanda quelle était la belle dame qui gardait les moutons. En entendant cette demande, chacun se mit à rire, et on lui répondit que la pâtoure était la créature la plus laide et la plus crasseuse que l’on pût voir, et qu’à cause de sa saleté on l’avait appelée la Pouilleuse.

Le prince soupçonna quelque enchantement, et il s’en alla avant le retour de la gardeuse de moutons, dont les gens de la ferme se moquèrent de plus belle ce soir-là.

Le fils du roi pensait souvent à la jolie personne qu’il n’avait fait qu’entrevoir et qui lui avait paru plus charmante qu’aucune des dames de la cour. Il tomba amoureux de ce souvenir, et comme sa passion le rendait rêveur et qu’il maigrissait à vue d’œil, ses parents lui demandèrent la cause de son chagrin, promettant de faire tout ce qui pourrait contribuer à lui rendre la santé et la bonne humeur d’autrefois. Il n’osa leur avouer ce qu’il avait vu, de peur qu’on ne se moquât de lui ; il leur dit seulement qu’il désirait manger du pain blanc boulangé par la Pouilleuse qui était fille de basse-cour dans une ferme qu’il nomma.

Bien que ce désir parût bizarre, on s’empressa d’obéir, et on alla dire au maître de la ferme ce que voulait le fils du roi. La Pouilleuse ne parut pas fort étonnée de cet ordre : elle demanda de la fleur de farine, du sel et de l’eau, et dit qu’on la laissât seule dans une petite pièce qui touchait le four et où se trouvait une huche. Avant de se mettre à l’œuvre, elle se débarbouilla avec soin et passa même ses bijoux à ses doigts ; mais pendant qu’elle boulangeait, une de ses bagues glissa dans la pâte. Quand elle eut fini sa besogne, elle se salit de nouveau la figure et laissa de la pâte collée à ses doigts, si bien qu’elle parut aussi laide qu’auparavant.

On porta au fils du roi le pain, qui était fort petit, et qu’il sembla manger avec plaisir ; en le coupant, il trouva la bague de la princesse et déclara à ses parents qu’il épouserait celle qui pourrait la passer à son doigt.

Le roi fit publier cet avis dans tout son royaume, et les dames vinrent en foule pour tenter l’aventure. Mais la bague était si petite que celles qui avaient la main la plus fine pouvaient à peine y faire entrer leur petit doigt. En peu de temps toutes les jeunes filles du royaume, même les paysannes, eurent subi l’épreuve, mais sans succès, et on allait déclarer qu’il était inutile de faire d’autres essais, quand le fils du roi fit remarquer que la Pouilleuse n’était pas venue.

On alla la chercher ; elle arriva couverte de ses haillons ordinaires, mais les doigts mieux décrassés que de coutume, et elle mit facilement la bague. Le fils du roi déclara qu’il accomplirait sa promesse, et comme ses parents lui faisaient observer que la jeune fille était une simple gardeuse de moutons et des plus laides, la Pouilleuse prit la parole et dit qu’elle était née princesse, et que si on consentait à lui donner de l’eau et à la laisser quelques instants seule dans une chambre, elle montrerait qu’elle savait aussi bien que personne porter la toilette.

On se hâta de lui accorder sa demande, et quand elle sortit revêtue d’une robe magnifique, elle parut si belle qu’aucun des assistants ne pensa qu’elle pût être autre chose qu’une princesse déguisée. Le fils du roi reconnut la charmante personne qui lui était un jour apparue ; il se jeta à ses pieds, et lui demanda si elle voulait l’épouser. La princesse raconta son histoire, et dit qu’il fallait envoyer un ambassadeur à son père pour lui demander son consentement et le prier de venir à la noce.

Le père de la princesse, qui n’avait pas tardé à se repentir de sa dureté à l’égard de sa fille, l’avait fait chercher partout ; mais personne n’avait pu lui dire ce qu’elle était devenue, et il la croyait morte. Il apprit avec joie qu’elle vivait et qu’un prince la demandait en mariage, et il quitta son royaume avec sa fille aînée, pour venir assister à la cérémonie.

Par ordre de la mariée, on ne servit à son père, au repas qui suivit les noces, que du pain sans sel et de la viande non assaisonnée. Comme il faisait la grimace et qu’il mangeait peu, sa fille, qui était assise auprès de lui, lui demanda s’il trouvait la cuisine à son goût.

— Non, dit-il, les mets sont recherchés et apprêtés avec soin ; mais ils sont d’une fadeur insupportable.

— Ne vous avais-je pas dit, mon père, que le sel était tout ce qu’il y a de plus aimable ? Et cependant quand je vous ai, pour vous peindre mon affection, répondu que je vous aimais comme le goût du sel, vous avez cru que je n’étais pas une fille aimante, et vous m’avez privée de votre présence.

Le roi embrassa sa fille et reconnut qu’il avait eu tort de mal comprendre ses paroles. On lui servit pendant le reste du repas du pain et des mets convenablement assaisonnés, et il les trouva les meilleurs du monde.

(Conté en 1838 par Aimé Pierre, de Liffré, garçon de ferme, âgé de dix-neuf ans.)


On peut comparer à ce récit, où ne se trouvent ni fées ni surnaturel, la version en prose de Peau d’Âne, qui figure dans les contes de Perrault, quoiqu’elle ne soit pas de lui, et la dissertation que Ch. Deulin lui a consacrée dans les Contes de ma mère l’Oye avant Perrault, p. 83-126.

Dans un conte agenais de Bladé, la Gardeuse de dindons, no VIII, se retrouve, mais au début seulement, l’épisode du sel : les similaires sont indiqués à la fin du volume dans une excellente note de M. Reinhold Kœhler.

On peut encore rapprocher de la Pouilleuse certains épisodes de Césarine (Contes populaires de la Haute-Bretagne, no XXVII.)


Les épisodes de Cendrillon sont souvent mêlés à ceux de Peau d’Âne, et réciproquement, ce qui a fait penser à plusieurs auteurs que les deux contes n’en formaient originairement qu’un seul. Ainsi, la pantoufle de verre se trouve dans le Taureau bleu cité ci-dessus, et qui par d’autres épisodes ressemble à Peau d’Âne.

Dans un conte encore inédit, intitulé : Cendrouse, que j’ai recueilli à Ercé, il y a deux sœurs jalouses de la fille de leur beau-père ; elles lui font tout le mal possible, l’envoient garder les vaches dans les champs et lui donnent à peine à manger. Elle est secourue par une fée qui finit par lui donner un carrosse obtenu par les mêmes moyens que dans la Cendrillon de Perrault. Quand la jeune fille est à se promener en voiture, elle rencontre la fée habillée en mendiante ; elle fait arrêter son carrosse pour que la fée puisse y monter, et la fée, ravie de cette marque de bon cœur, marie Cendrouse à un beau monsieur.


J’ai recueilli dans l’Ille-et-Vilaine un conte intitulé : Poucerot ou Peucerot, qui ne diffère du Petit Poucet que par les détails : l’ogre a deux bottes de sept lieues, et quand il se met à la poursuite des petits garçons, il n’en prend qu’une. Poucerot la lui dérobe pendant qu’il est endormi, et, après avoir demandé de l’argent à l’ogresse, il se sauve avec ses frères et achète une belle ferme. Mais l’ogre prend sa seconde botte de sept lieues et se met à la poursuite de Poucerot, qui finit par le lasser et par lui enlever sa seconde botte.

Une petite fille des environs de Moncontour m’a récité, sous le titre de Petit Peuçot, un conte qui n’est guère différent de celui de Perrault ; l’ogre y est appelé Sarrasin ; — plusieurs fois j’ai entendu nommer les ogres des sarrasins. À la fin Peuçot va à la cour d’un roi, qui lui promet sa fortune s’il peut rapporter le corne (cor ou trompette) du sarrasin ; il parvint à s’en emparer par ruse.

Dans un autre conte intitulé : la Perle (Contes populaires de la Haute-Bretagne, no XIX), trois frères, dont l’aîné et le plus rusé se nomme la Perle, vont chez un ogre ; l’ogresse les met à coucher avec ses filles et leur place sur la tête des bonnets ; pendant la nuit, la Perle substitue les bonnets aux couronnes des filles, et l’ogre, trompé par cet échange, tue ses filles et veut ensuite, quand il a reconnu son erreur, manger la Perle et ses frères ; mais la Perle persuade à l’ogre de le laisser engraisser. La Perle vole à l’ogre ses bottes qui font sept lieues à l’heure, sa lune qui éclaire sept lieues à la ronde (Cf. Luzel, le Géant Goulaffre, demi-lune qui sert de lanterne) et sa baguette. Le géant, qui avait d’autres bottes, se met à la poursuite des enfants qui lui échappent, en faisant, grâce à la baguette, couler entre eux et l’ogre une rivière si profonde qu’il ne peut la traverser. (Cf. sur les bottes de vitesse, Deulin, Contes de ma mère l’Oye, p. 326 et sqq.)

On peut consulter sur le mythe de Poucet la savante dissertation de M. Gaston Paris, Le Petit Poucet et la Grande Ours, Paris, Franck, 1875 ; sur l’ensemble des Contes de Perrault, l’excellente introduction que M. André Lefèvre a mise en tête de son édition de Perrault, nouvelle collection Jannet, 1878, et l’ouvrage de Deulin cité plus haut.

Ces contes sont en assez grand nombre ; outre ceux que j’ai déjà publiés dans les Contes populaires de la Haute-Bretagne, des trois que je donne ici comme spécimen, j’en possède encore une quarantaine qui sont inédits. Les trois qu’on trouvera ci-après présentent des ressemblances avec beaucoup d’autres récits de pays très-divers ; j’en signale quelques-unes à la fin de chacun d’eux, en citant de préférence les contes populaires français déjà publiés, et en renvoyant, pour plus de détails, à des dissertations qui ont paru dans des livres spéciaux.

Il y en a qui sont fort étendues, car certains de ces contes se retrouvent en des pays éloignés, et très-différents de langue et de race ; le catalogue des similaires de ceux qui sont les plus répandus occuperait à lui seul plusieurs pages.

I

LE MERLE D’OR.


Il était une fois un homme riche qui avait trois fils. Il tomba malade, et il fit venir des médecins de toute sorte, et même des reboutous ; mais ils ne connaissaient rien à son mal et ne pouvaient lui procurer aucun soulagement. À la fin, il vint un médecin étranger qui déclara que le Merle d’Or pourrait seul guérir le malade.

Le vieux seigneur envoya son fils aîné à la recherche de l’oiseau merveilleux, en lui promettant de grands biens s’il parvenait à l’apporter, et il lui donna de l’argent pour voyager à son aise.

Le jeune homme se mit en route et ne tarda pas à arriver à un endroit où quatre chemins se croisaient ; il se trouva bien embarrassé, ne sachant lequel prendre, et il jeta son chapeau en l’air en se disant qu’il irait du côté où tomberait le chapeau. Après avoir cheminé pendant deux ou trois jours, il s’ennuya de marcher sans savoir s’il arriverait bientôt, et il s’arrêta à une auberge où il y avait joyeuse compagnie. Il y resta à boire et à manger.

— Ma foi, dit-il, c’est folie d’aller plus longtemps à la recherche de l’oiseau ; le bonhomme est vieux, et s’il meurt, j’aurai son héritage.

Au bout de quelque temps, le vieux seigneur, ne voyant pas revenir l’aîné de ses enfants, envoya le cadet à la recherche du Merfe d’Or ; le jeune homme prit la même route que son frère, et, arrivé au carrefour des quatre chemins, il jeta aussi son chapeau en l’air ; le chapeau tomba du même côté que la première fois, et il marcha jusqu’au moment où il arriva à l’endroit où son frère s’était arrêté. Celui-ci, qui était à la fenêtre de l’auberge, l’appela et lui dit de rester avec lui à se divertir.

— Tu as raison, répondit le cadet ; qui sait si en allant au bout du monde je pourrais trouver le Merle d’Or ? Au surplus, si le bonhomme meurt, nous aurons son héritage.

Il entra à l’auberge, et les deux garçons menèrent une vie joyeuse, si bien qu’en peu de temps tout leur argent fut dépensé ; ils devaient même à leur hôte, qui ne voulait plus les laisser partir et les retint jusqu’à ce qu’ils l’eussent payé, ce qu’ils ne pouvaient faire.

Le dernier des enfants partit à son tour, et il arriva à l’endroit où ses frères étaient arrêtés malgré eux ; ils l’appelèrent et firent tout ce qu’ils purent pour l’empêcher d’aller plus loin.

— Non, répondit-il, mon père a eu confiance en moi, et j’irai jusqu’où il faut pour trouver le Merle d’Or.

— Ah, bah ! disaient ses frères, tu ne réussiras pas plus que nous. Que le bonhomme meure s’il veut ; nous aurons son héritage.

Sur son chemin il rencontra un petit lièvre, qui s’arrêta pour le regarder et lui dit :

— Où vas-tu, mon ami ?

— Je n’en sais trop rien, répondit-il ; mon père est malade, et il faut que je lui rapporte le Merle d’Or pour le guérir. Il y a longtemps que je marche ; mais personne n’a pu m’indiquer l’endroit où il se trouve.

— Ah ! dit le lièvre, tu n’es pas au bout de ta course ; il te reste encore plus de sept cents lieues pour y arriver.

— Comment ferai-je pour parcourir une si longue route ?

— Monte sur mon dos, dit le petit lièvre, et je t’y conduirai.

Le jeune garçon obéit ; à chaque saut le petit lièvre faisait sept lieues, et ils ne tardèrent pas à arriver devant un château tout à fait grand et tout à fait beau.

— Le Merle d’Or est dans une petite cabane à côté, dit le petit lièvre, et tu la trouveras facilement ; il est perché dans une vilaine cage, et à côté est une cage en or ; mais garde-toi de le mettre dans la belle cage, car aussitôt les gens du château sauraient que tu l’as pris.

Le jeune garçon vit le Merle d’Or les pieds sur une perche en bois, et qui paraissait comme mort, et à côté de sa cage grossière était une cage d’or.

— Il va peut-être ressusciter si je le mets dans la belle cage, pensa le jeune garçon.

Dès que le Merle d’Or eut touché les barreaux de la cage en or, il s’éveilla et se mit à siffler. Aussitôt les gens du château accoururent et se saisirent du jeune garçon, en le traitant de voleur et en disant qu’ils allaient le mettre en prison.

— Non, répondit-il, je ne suis pas un voleur ; si j’ai pris le Merle d’Or, c’est pour guérir mon père qui est malade, et j’ai fait plus de sept cents lieues pour arriver jusqu’ici.

— Eh bien ! dirent-ils, nous allons vous laisser aller, et nous vous donnerons le Merle d’Or, si vous pouvez amener ici la Porcelaine.

Le jeune garçon sortit en pleurant, et il rencontra le petit lièvre qui broutait du serpolet.

— Qu’as-tu à pleurer, mon ami? lui demanda le lièvre.

— C’est, répondit-il, que les gens du château ne veulent me laisser emporter le Merle d’Or que si je puis leur amener la Porcelaine.

— Tu n’as pas suivi mon conseil, dit le petit lièvre, et tu auras voulu mettre le Merle d’Or dans sa belle cage.

— Hélas ! oui.

— Ne te désespère pas ; la Porcelaine est une jeune fille, jolie comme les amours, qui demeure à deux cents lieues d’ici. Monte sur mon dos, et je te conduirai.

Le petit lièvre, qui faisait sept lieues à chaque enjambée, ne mit pas longtemps à parcourir les deux cents lieues, et il s’arrêta sur le bord d’un étang.

— La Porcelaine, dit-il au jeune garçon, va venir se baigner ici avec ses compagnes, et moi je vais aller brouter un peu de serpolet pour me nourrir. Quand elle sera dans le bain, tu lui cacheras ses habits qui sont d’une blancheur éclatante, et tu ne les lui rendras que si elle consent à te suivre.

Le petit lièvre s’éloigna, et la Porcelaine arriva presque aussitôt avec ses amies ; elle se déshabilla et se mit à l’eau ; alors le jeune garçon se glissa sans bruit et s’empara de ses vêtements, qu’il alla cacher sous un rocher à quelque distance.

Quand la Porcelaine fut lassée de s’ébattre dans l’eau, elle sortit pour se rhabiller ; mais elle eut beau chercher ses vêtements, elle ne put les trouver. Ses compagnes aussi cherchèrent partout ; mais, voyant qu’elles ne les retrouvaient point, elles s’enfuirent et la laissèrent seule sur le rivage, où elle se mit à pleurer.

— Qu’avez-vous à verser des larmes ? lui dit le jeune garçon en s’approchant d’elle.

— Hélas ! répondit-elle, pendant que j’étais au bain, on m’a pris mes habits, et mes compagnes m’ont abandonnée.

— Je vous ferai retrouver vos vêtements si vous consentez à venir avec moi.

La Porcelaine dit qu’elle voulait bien, et après lui avoir rendu ses habits, le jeune homme acheta pour elle un petit cheval qui marchait comme le vent. Le petit lièvre les ramena tous les deux pour aller chercher le Merle d’Or, et quand on fut arrivé auprès du château où il était, le petit lièvre dit au jeune garçon :

— Sois plus fin cette fois-ci que tu ne l’as été, et tu emmèneras le Merle d’Or et la Porcelaine ; prends la cage d’or dans ta main, et laisse l’oiseau dans celle où il est, que tu prendras aussi.

Le petit lièvre s’en alla ; le jeune garçon fit ce qui lui avait été dit, et les gens du château ne s’aperçurent pas qu’il emportait le Merle d’Or.

Quand il fut arrivé à l’auberge où ses frères étaient retenus, il les délivra en payant à l’hôte ce qui lui était dû. Ils s’en vinrent avec lui ; mais ils étaient jaloux du succès de leur cadet, et comme ils passaient sur la chaussée d’un étang, ils se jetèrent brusquement sur lui, lui enlevèrent le Merle d’Or et le précipitèrent à l’eau, puis ils continuèrent leur route emmenant avec eux la Porcelaine et pensant que leur frère était noyé. Mais celui-ci, en tombant, se retint à un buisson de joncs et se mit à appeler au secours. Le petit lièvre accourut et lui dit :

— Prends ma jambe, et sors de l’étang.

Quand le jeune homme fut tiré de l’eau, le petit lièvre lui dit :

— Voici maintenant ce que tu vas faire : tu t’habilleras comme un Breton qui veut se louer comme garçon d’écurie, et tu iras proposer tes services à ton père ; là tu trouveras l’occasion de lui faire voir la vérité.

Le jeune homme s’habilla comme le petit lièvre le lui avait conseillé, et il se présenta au château de son père en demandant si l’on n’avait pas besoin d’un garçon d’écurie :

— Si, lui répondit son père, j’en ai bon besoin d’un ; mais le service n’est pas commode : il y a ici un petit cheval dont personne ne peut approcher, et il a déjà tué plusieurs de ceux qui ont voulu le soigner.

— Je le soignerai bien, moi, dit le jeune homme ; jamais je n’ai eu peur d’un cheval.

Le petit cheval se laissa panser sans lancer de ruades et sans essayer de frapper.

— Comment, disait le seigneur, ce petit cheval se laisse-t-il approcher par vous, lui qui est si mauvais avec tout le monde ?

— C’est qu’il me connaît peut-être, répondit le garçon d’écurie.

Deux ou trois jours après, le seigneur lui dit :

— La Porcelaine est ici dans une chambre ; mais quoiqu’elle soit jolie comme le jour, elle est si méchante qu’elle égratigne tous ceux qui s’approchent d’elle ; voyez donc si elle voudra accepter vos services.

Quand le jeune homme entra dans la chambre où était la Porcelaine, le Merle d’Or se mit à chanter d’un ton joyeux, et la Porcelaine sautait et chantait aussi en signe d’allégresse.

— Comment ! dit le seigneur, la Porcelaine et le Merle-d’Or vous connaissent donc aussi ?

— Oui, répondit le jeune homme, et la Porcelaine peut raconter, si elle veut, toute la vérité.

Alors elle dit tout ce qui lui était arrivé, et comment elle avait consenti à suivre le jeune homme qui, en revenant, s’était emparé du Merle d’Or.

— Oui, reprit le jeune garçon, j’ai délivré mes frères qui étaient retenus prisonniers dans une auberge, et, pour me récompenser, ils m’ont jeté dans un étang. Quant à moi, je suis venu ici déguisé pour faire éclater la vérité et réconquérir votre amitié.

Alors le vieux seigneur embrassa son fils, auquel il donna tout l’héritage, et il fit tuer les deux aînés qui l’avaient trompé et avaient voulu la mort de leur frère.

Le jeune garçon épousa la Porcelaine et, à cette occasion, ils firent de belles noces.

Le Merle d’Or, qui m’a été conté en 1879, par Françoise Dumont, d’Ercé prés Liffré (Ille-et-Vilaine), âgée de vingt ans, fille d’un tisserand et exerçant elle-même cette profession, est une variante du Petit roi Jeannot (Contes populaires de la Haute-Bretagne, n° I), que j’ai recueilli aussi à Ercé. Voici les principales différences entre ces deux contes.

Dans le Petit roi Jeannot, le Merle blanc qui ramène les vieilles gens à l’âge de quinze ans (Cf. W. Webster, Basque legends : the White Blackbird : le Merle blanc ; H. Carnoy, le Merle blanc ; Monnier, l’Oiseau griffon, etc.), n’est point destiné à guérir le père des enfants, comme le Merle d’Or ; c’est une simple épreuve qui leur est imposée.

Les trois frères, au lieu de partir successivement (Cf. Cosquin, le Petit Bossu ; H. Carnoy, Webster, le Merle blanc), se mettent en route en même temps. Arrivés à un carrefour, ils se séparent, et il n’est plus guère question dans le conte que du petit roi Jeannot.

L’épisode du mort privé de sépulture, et que le petit roi Jeannot fait enterrer décemment (Cf. Souvestre, l’Heureux Mao ; Webster, le Merle blanc, Jean de Calais), ne se retrouve pas dans le Merle d’Or, où l’intervention du lièvre n’est pas motivée : il y a là sans doute une lacune. Quand le jeune garçon a ôté le merle de sa vilaine cage et l’a mis dans la belle, il n’est point, comme dans le Petit roi Jeannot, jeté en prison ; mais on lui impose la tâche d’aller chercher la Porcelaine (Cf. Webster, le Merle blanc), qui remplace ici la Belle aux cheveux d’or gardée par un lion ; je ne sais pourquoi elle se nomme la Porcelaine. Le jeune homme se fait suivre d’elle après lui avoir, par le conseil du lièvre, caché ses vêtements. (Cf. Gubernatis, Mythologie zoologique, t. I, p. 225 ; t. II, p. 207 ; Brueyre, la Mermaid, et les citations des pages 258-261 ; la Montagne noire, conte picard, Mél., col. 448 ; Webster, la Dame Pigeon.)

Au lieu de se costumer en médecin, il se déguise en garçon d’écurie, et est reconnu par la Porcelaine et le Merle d’Or. (Cf. Cosquin, le Petit Bossu.)

L’aventure des ainés, qui s’arrêtent à l’auberge, se retrouve dans le conte basque de Webster, le conte de Carnoy, cités plus haut, dans le Petit Bossu de Cosquin, dans la Princesse grecque et le jeune Jardinier, conte irlandais de Kennedy, traduit par M. L. Brueyre, qui cite dans son commentaire plusieurs contes similaires.

Le renard joue un rôle de conseiller dans le Merle blanc de Webster, le Petit Bossu de Cosquin, le Merle blanc de Carnoy, la Princesse grecque et le jeune Jardinier ; Ohnivak, conte tchèque traduit par M. Chodzko ; dans ces contes, sauf dans le basque, le fils du roi désobéit au renard et met le merle dans la cage d’or au lieu de le laisser dans la cage de bois.

L’âme qui vient secourir sous la forme d’un animal a son similaire dans Webster, Jean de Calais, et dans Luzel, L’homme aux deux chiens, Quimperlé, 1870, p. 38. Les deux chiens sont l’âme du père et de la mère du héros du conte.

Sans entrer ici dans des explications mythiques, je crois devoir citer un passage de M. de Gubernatis, Nuova Antologia, 1880, p. 778, qui vise le conte du Petit roi Jeannot, mais dont une partie peut s’appliquer au Merle d’Or. « C’est là évidemment un mythe solaire : l’aube matinale qui rajeunit le soleil, c’est le Merle blanc ; l’aurore qui rend la jeunesse au vieux soleil, au vieux Tithon, c’est la Belle aux Cheveux d’or ; le royaume paternel, c’est le ciel lumineux dont le soleil est seul seigneur. »

Sur l’ensemble des traditions relatives à l’Oiseau d’Or, qui se retrouvent à peu près partout, on peut consulter la dissertation placée par M. Cosquin à la suite du conte du Petit Bossu (p. 103-109), où se trouvent indiqués et résumés les principaux mythes où il figure ; les notes de M. Chodzko sur Ohnivak ou l’Oiseau du feu (p. 286 ssq., p. 307 et ssq.) ; celles de M. Loys Brueyre, p. 151-152 des Contes populaires de la Grande-Bretagne ; les citations de M. Reinhold Kœlher (Mémoires de l’Académie de Saint-Pétersbourg, t. XIX, 1873, no 6, et Zeitschrift für Romanische Philologie, t. III, p. 311-313, où le savant bibliothécaire de Weimar, à propos du Petit roi Jeannot, cite les similaires.)

Il y avait une fois un homme veuf qui avait trois filles. Il devait à tout le monde et ne savait comment s’y prendre pour payer ses dettes. Il finit par se vendre au diable, qui lui donna de l’argent à la condition que, s’il ne pouvait le rendre à l’époque fixée, le diable l’emporterait.

Quand approcha le moment de l’échéance, l’homme n’avait pas de quoi payer, et il ne se souciait point de s’en aller en enfer. Il se confessa au recteur, auquel il conta tout.

Le prêtre lui dit :

— Il faut que vous rendiez au diable l’argent qu’il vous a fourni, car sans cela il vous emporterait. Je connais un homme qui pourra vous prêter la somme dont vous avez besoin : c’est Jean le Laid. Allez le trouver de ma part.

Le bonhomme s’en fut chez Jean le Laid, qui consentit à lui avancer trois mille francs avec lesquels il paya le diable.

Jean le Laid vint chez le bonhomme, et ayant vu ses trois filles, qui étaient jolies, avenantes et bien élevées, il lui prit envie d’en épouser une. Depuis longtemps il cherchait à se marier ; mais une fée l’avait maudit, et il était si laid que, rien qu’à le regarder, on éprouvait de la répugnance ; aussi, bien qu’il fût riche, il ne trouvait point de femme. Il dit au bonhomme :

— Il faut que vous me rendiez mes trois mille francs ou que vous me donniez une de vos filles en mariage.

Le bonhomme fit part à ses filles de la proposition de Jean le Laid, en leur disant que si l’une d’elles ne consentait pas à se marier avec lui, leur père serait obligé de se revendre au diable. Mais elles le trouvaient si laid qu’elles répondirent toutes les trois :

— Vendez-vous au diable si vous voulez ; mais nous refusons de prendre un si vilain mari.

Cependant l’aînée, qui s’appelait Eulalie, finit par dire qu’elle épouserait Jean le Laid pour empêcher son père d’être emporté par le diable.

Elle se maria, et son mari l’emmena dans sa maison, qui était fort belle et où elle ne manquait de rien.

Huit jours après la noce, elle se promenait dans son jardin, quand une de ses amies qui passait sur la route s’arrêta à lui causer et lui dit :

— Ah ! te voilà, ma pauvre Eulalie ! Comment as-tu pu épouser Jean le Laid, qui est si vilain qu’il en fait donger[49] ?

— Je ne l’aime point, répondit Eulalie ; il est bien laid, et si je me suis mariée avec lui, c’est pour empêcher mon père de se revendre au diable.

Son mari, qui s’était caché tout près de là et qui écoutait ce qu’elle disait, la tua au milieu de la nuit.

Le lendemain, il alla chez son beau-père et lui annonça que sa fille était trépassée.

— Comment ! dit le bonhomme en pleurant, ma fille est morte ?

— Oui, répondit-il ; je l’ai tuée parce qu’elle ne m’aimait point. Et il faut que vous me donniez une autre de vos filles ou que vous me rendiez mon argent.

Quand le bonhomme parla à ses filles de se marier avec Jean le Laid, elles jetèrent les hauts cris, et elles déclarèrent qu’elles aimaient mieux voir leur père se revendre au diable que de faire comme leur sœur.

Alors le bonhomme appela le diable, qui arriva aussitôt. Quand les filles le virent, elles eurent si grand peur, si grand peur, que la seconde, qui se nommait Amélie, s’écria qu’elle voulait bien prendre Jean le Laid pour mari.

Après les noces, Amélie alla demeurer dans la maison de son mari.

Un jour qu’elle se promenait aussi dans le jardin, elle vit passer son amie, qui lui dit :

— Comment ! tu as épousé Jean le Laid qui a tué ta sœur et qui est si vilain ?

— Ah ! répondit-elle, je me suis mariée avec lui parce que mon père lui doit de l’argent ; mais je ne l’aime point.

Jean le Laid entendit encore cela, et au milieu de la nuit il tua sa femme.

Après ce nouveau meurtre, il n’osa retourner chez son beau-père, et il resta trois jours sans avoir le courage d’aller lui annoncer la mort de sa seconde fille.

Il s’y décida enfin et dit au bonhomme qu’il voulait ses trois mille francs ou la troisième fille en mariage.

Le bonhomme s’écria qu’il n’y consentirait jamais, et qu’il aimait mieux se revendre au diable que de perdre le seul enfant qui lui restât.

Mais la fille, qui se nommait Louise, et qui était douce et bonne, dit à son père qu’elle consentait à épouser Jean le Laid. La noce eut lieu, et la nouvelle mariée alla demeurer avec son mari.

Elle se promenait souvent dans son jardin, et, un jour qu’elle y était, elle vit encore passer son amie, qui lui dit :

— Est-il possible que tu aies consenti à épouser Jean le Laid, qui est horrible à regarder et qui a tué tes deux sœurs ?

— Ah ! répondit Louise, si je l’ai pris pour mon mari, c’est que je l’aimais.

À peine eut-elle dit ces mots que Jean le Laid, qui était encore à écouter, se montra devant elle ; il était changé du tout au tout, et il était devenu aussi charmant qu’il était vilain auparavant, car la fée qui l’avait maudit l’avait condamné à rester laid et horrible à voir jusqu’à ce qu’il eût trouvé une femme qui l’aimât, malgré sa laideur.

Alors Louise fut bien contente ; elle fit venir son père, et elle devint princesse. Ils firent de grandes réjouissances ; depuis ils vécurent heureux, et ils ne pensèrent plus aux deux filles qui étaient mortes.

(Conté en 1870 par Rose Renaud, de Saint-Cast, âgée de cinquante-cinq ans environ.)


Le conte qui, à ma connaissance, se rapproche le plus de Jean le Laid est celui de l’Homme-Poulain de Luzel (IVe rapport, page 184 des Archives des Missions scientifiques). L’homme-poulain, fils d’un seigneur, épouse successivement les trois filles de son fermier ; il coupe la tête aux deux premières, parce qu’il les a entendues dire aux lavandières que le jour des noces elles décapiteraient leur mari. La troisième se garde bien de bavarder, et quand elle est devenue mère, son mari reprend une tête humaine.

Le mythe de la laideur détruite par l’amour est assez fréquent. M. H. Husson, p. 130 et sqq. de la Chaîne traditionnelle, cite plusieurs contes similaires : la Belle et la Bête, de Mmme Leprince de Beaumont, le Prince Crapaud, de Grimm, un conte africain, etc. M. L. Brueyre, p. 58, à la suite du Crapaud, conte écossais de Chambers, renvoie à plusieurs similaires français ou étrangers, auxquels il convient d’ajouter la Chatte-blanche, conte lorrain de M. Cosquin, suivi de notes curieuses, et deux contes, l’un toscan et l’autre piémontais, analysés par M. de Gubernatis, Mythologie zoologique, t. II, p. 403-404.


Il y a dans Jean le Laid un mélange de féeries et de superstitions d’origine chrétienne : le pacte avec le diable est fréquent dans les contes de la Haute-Bretagne. (Cf. l’Enfant vendu au diable, n° XXIX ; le Pacte, n° XLII ; les Femmes et le Diable, n° XLIV, Rodomont, n° XLVIII, etc.)

Il y avait une fois un homme dont la femme mourut. Quelque temps après il dit à sa fille qui était déjà grande :

— Tu vas te marier avec moi.

— Non, répondit-elle.

— Je t’aurai un habit couleur des étoiles.

— Non, je ne veux pas.

— Je t’aurai un habit couleur du soleil.

— Non, mon père.

— Je t’aurai un habit couleur de lumière.

— Non.

— Je vais t’acheter un coffre garni.

La fille dit alors qu’elle voulait bien ; mais elle ne pensait qu’à s’enfuir. Elle prit ses plus beaux habits et les mit dans son coffre, qui la suivait partout et allait par sur mer comme par sur terre.

En s’éloignant de chez son père, elle trouva un âne écorché dont elle prit la peau qu’elle mit par dessus ses vêtements.

Elle arriva à une ferme et y entra pour demander si on n’avait pas besoin d’une pâtoure pour garder les oies.

— Si, lui répondit-on. Et on lui donna les oies à conduire dans les champs.

À l’endroit où elle menait ses bêtes, il y avait une petite cabane pour loger la pâtoure quand il pleuvait, et elle y mit le coffre où étaient ses beaux habits. Un jour il lui prit fantaisie de s’habiller en demoiselle, et quand le garçon de la maison vint l’appeler pour dîner, il vit la Peau d’Ânette, — c’est ainsi qu’on la nommait, — qui était dans la cabane vêtue de ses beaux habits.

Il tomba amoureux de la pâtoure et déclara à sa mère qu’il voulait se marier avec elle.

— Non, dit sa mère, tu n’épouseras point cette fille qui vient on ne sait d’où ; elle ne sait ni filer, ni broder[50], ni faire les chambres, ni apprêter à manger.

— Si, ma mère, je veux me marier avec elle. D’ailleurs elle est peut-être plus capable que vous ne croyez.

— Nous allons bien voir, dit la mère.

On fit venir la Peau d’Ânette, et on lui dit que si elle pouvait filer la filasse qu’on lui mit dans une chambre, elle se marierait avec le fils de la maison.

Quand elle fut seule, au lieu de travailler, elle pleurait, car jamais elle n’avait appris à filer. Elle vit descendre par la cheminée une grande bonne femme qui avait de gros yeux et qui lui dit :

— Qu’as-tu à faire là, ma belle bergère ?

— À filer, mais je ne sais point.

— Que me donneras-tu, si je fais ton ouvrage ?

— Je vous donnerai l’écuellée de soupe qu’on m’a apportée pour mon dîner, car c’est tout ce j’ai à moi.

— Non, dit la femme aux gros yeux, garde ton écuellée de soupe ; je vais faire ta tâche, si tu veux me promettre de m’inviter le jour de tes noces.

La Peau d’Ânette y consentit ; en peu de temps toute la filasse fut convertie en fil, et quand le garçon de la maison vint pour lui apporter à souper, tout était filé.

Le lendemain, on l’enferma encore dans la même chambre, et on lui donna de la laine et des aiguilles pour tricoter des bas ; mais elle se désola encore plus que la veille, et quand le garçon vint lui apporter à dîner, elle n’avait pas même touché à son ouvrage.

Elle vit encore une grande bonne femme qui descendait par la cheminée et qui avait de longues oreilles. Elle dit à la Peau d’Anette :

— Que me donneras-tu, ma belle enfant, pour tricoter ta laine ?

— Je vous donnerai mon dîner, répondit-elle.

— Non, garde-le pour toi, et promets-moi seulement de me prier pour le jour de tes noces.

— Oui, volontiers, si le garçon m’épouse. La besogne fut promptement achevée, et au soir la maîtresse de Peau d’Ânette trouva un tricot très-bien exécuté.

Le troisième jour, on la mit dans une chambre pour y faire la cuisine ; mais quand le garçon alla lui porter à dîner, elle n’avait pas encore commencé.

Elle vit alors descendre par la cheminée une bonne femme qui avait de grandes dents :

— Que fais-tu là, ma belle bergère ?

— On m’a mise à faire la cuisine ici ; mais je ne sais point.

— Que me donneras-tu si j’accomplis ta tâche ?

— Le pain de mon dîner et toute la nourriture qu’on m’a apportée.

— Je n’ai que faire de cela ; promets-moi seulement de m’inviter à tes noces.

Quand Peau d’Ânette eut assuré à la bonne femme qu’elle se garderait bien de l’oublier, la viande fut apprêtée en peu de temps et très-bien.

Le lendemain, on lui ordonna de balayer les chambres ; mais à midi elle n’avait pas encore commencé. Elle vit descendre par la cheminée un grand bonhomme qui avait un grand balai pendu au derrière.

— Que fais-tu là, ma belle bergère ? demanda-t-il.

— On m’a mise à balayer, mais je ne sais point.

— Que veux-tu me donner ? Je vais balayer tes chambres, moi.

— Voilà mon petit dîner ; prenez-le.

— Non ; promets-moi de m’inviter le jour de tes noces.

— Oui, monsieur, si je me marie.

Quand la maîtresse de la maison et son fils vinrent le soir, ils trouvèrent les chambres balayées et bien nettoyées, et, les épreuves étant accomplies, la mère du garçon dit qu’elle voulait bien que son fils se mariât avec Peau d’Ânette. Le jour de la noce elle mit ses plus beaux habits, et ayant songé à sa promesse, elle cria :

— Madame aux Gros Yeux, venez ici ! Madame la Grande Oreille, arrivez à la noce ! Madame la Grande Dent, venez au mariage !

Et les trois femmes apparurent aussitôt. Au moment de se mettre à table, Peau d’Ânette dit :

— Ah ! je n’ai pas pensé à appeler le bonhomme.

Au même instant, le bonhomme qui avait le balai pendu au derrière arriva en disant :

— Il était temps que tu m’appelles ; sans cela tu ne te serais pas mariée.

(Conté en 1879 par Pierre Ménard, de Saint-Cast, mousse, âgé de treize ans.)


Le commencement de ce conte — que je mets ici surtout à cause de sa ressemblance de titre avec Cuir d’Asnette, que Noël du Fail cite parmi les contes qui de son temps étaient populaires aux environs de Rennes, — semble, mais au début seulement, un abrégé de la Peau d’Âne de Perrault et des récits similaires, au sujet desquels on peut consulter la Mythologie dans les contes de Perrault, p. LXVIII et suiv., dissertation mise par A. Lefèvre en tête de son excellente édition des Contes de Perrault ; Ch. Deulin, les Contes de ma mère l’Oye avant La Fontaine, p. 83 et sqq. ; H. Husson, la Chaîne traditionnelle, p. 50 et suiv.

Les fées difformes qui viennent en aide à la jeune fille se retrouvent dans plusieurs contes en France et ailleurs ; parfois c’est un lutin au lieu d’une fée. (Cf. Mlle Lhéritier, Ric-dindon ; W. Webster, la Jeune fille jolie, mais paresseuse, conte basque qui se trouve aussi dans le recueil de M. Cerquand, tome I, page 41, qui, au tome II, page 9 de ses Légendes du pays basque, consacre une dissertation à la comparaison de ce conte avec ses similaires étrangers ; Laboulaye, la Paresseuse, imité d’un récit dalmate (Nouveaux contes bleus) ; le Lutin Furti-Furton, conte du nord-ouest de la France, Mél., col. 150 ; et parmi les contes étrangers : Griram, les Trois Filandières ; Busching, les Trois petites Fileuses ; les Trois Tantes, conte norvégien d’Abjœrson ; la Comprata, conte italien de Gubernatis ; la Paresseuse et ses tantes, conte irlandais de Kennedy ; Whuppity Story, conte écossais de Chambers (trad. Brueyre) ; Kinkach-Martinko conte slave traduit par M. Chodzko, etc.)

Il existe en Haute-Bretagne tout un cycle de contes où il est parlé de géants qui accomplissent des tours de force, mais qui sont à la fin vaincus par l’adresse de quelque gars rusé ; il y est aussi souvent question d’hommes d’une force prodigieuse qui viennent à bout des aventures les plus périlleuses, et qui, comme les chevaliers errants d’autrefois, semblent prendre plaisir à courir le monde, à tuer les monstres, à secourir les faibles, à délivrer les princesses enchantées dans les souterrains ou dans les châteaux gardés par des dragons ou par des monstres. (Cf. le Capitaine Pierre, n° VI ; Jean-sans-Peur, n° XI ; la Princesse aux pêches, n° XIII ; le Roi des Poissons, n° XVIII ; la Perle, n° XIX ; la Princesse Dangobert, n° XXV.) Parmi les récits que font les conteurs, il n’en est guère qui passionnent davantage l’auditoire. Celui que je donne ci-après est la plus courte version d’un thème dont j’ai entendu au moins une douzaine de variantes.

Jean de l’Ours.


Jean de l’Ours était un homme d’une force prodigieuse ; il se fit faire une canne ferrée si pesante, que lui seul pouvait la soulever, et ainsi armé il résolut d’aller courir le monde.

En passant par une forêt, il vit un homme qui déracinait un arbre avec les bras, et il lui dit :

— Arracheur de chênes, veux-tu venir voyager avec moi ?

— Volontiers, répondit-il.

Ils marchèrent longtemps ensemble ; ils allèrent loin, bien loin, et en arrivant au haut d’une colline ils rencontrèrent un homme qui arrachait un moulin du sol où il était construit.

— Veux-tu venir avec nous, camarade ? dit Jean de l’Ours. Nous sommes de joyeux compagnons qui faisons notre tour de France en cherchant des aventures.

L’Arracheur de moulins les suivit, et au soir ils trouvèrent un beau château où ils entrèrent ; ils ne virent personne, et après avoir soupé, ils allèrent se coucher dans les chambres et dormirent tranquillement.

Le lendemain, Jean de l’Ours et l’Arracheur de chênes partirent pour la chasse, en laissant au château leur camarade, qui devait faire la cuisine et les avertir de rentrer en sonnant la cloche quand il serait midi.

L’Arracheur de moulins, resté seul, se mit à préparer le repas, et il vit venir un petit diablotin qui claquait des dents et répétait : J’ai froid! j’ai froid!

— Viens te chauffer, petit gars, lui dit l’Arracheur de moulins.

— Viens me chercher, car j’ai peine à marcher.

— Mets-toi au feu si tu veux ; je ne me dérangerai pas pour toi.

Quand le diablotin se fut bien réchauffé, il ôta le couvercle de la marmite et y jeta des poignées de cendres.

— Méchant garçon, lui dit l’Arracheur de moulins, je vais te faire passer par la fenêtre !

— Si tu le peux, repartit le nain, qui se mit à le frapper bien fort, et quand il le laissa il ne pouvait presque plus remuer.

Il oublia de sonner la cloche, et l’heure de midi était passée depuis longtemps quand les chasseurs, avertis par la faim que le moment de manger était venu, revinrent au château. Ils reprochèrent au gardien sa négligence ; mais lui, d’un ton dolent, leur raconta son aventure, et au lieu de le consoler, les deux autres se moquèrent de lui.

Le lendemain, ce fut le tour de l’Arracheur de chênes, qui resta à la maison pendant que les autres étaient à la chasse. Le diablotin vint comme à l’ordinaire, se réchauffa, et battit le cuisinier, qui oublia, lui aussi, de sonner la cloche.

Jean de l’Ours dit : Ce sera moi qui resterai demain pendant que vous irez chasser dans la forêt.

Le diablotin vint encore et fit son manège accoutumé ; mais quand il voulut frapper Jean de l’Ours, celui-ci saisit sa bonne canne ferrée, et cogna le diablotin si fort qu’il s’enfuit de la maison. À midi, Jean de l’Ours sonna la cloche et servit à dîner à ses compagnons.

Après cela, il leur vint à l’idée de visiter le château. Jean de l’Ours vit sous une armoire une pierre de taille aussi grosse qu’une meule de moulin, et il ordonna à l’Arracheur de moulins de l’enlever. Elle bouchait l’ouverture d’un puits qui paraissait très-profond. On descendit l’Arracheur de moulins avec une corde ; mais quand il fut à la moitié du souterrain, il cria à ses compagnons de le remonter. L’Arracheur de chênes se fit descendre à son tour ; mais il n’alla guère plus loin que son camarade et s’écria : Ramenez-moi au bord.

Jean de l’Ours se fit alors attacher avec des cordes, et prenant sa bonne canne ferrée, il leur dit de le laisser aller jusqu’au fond.

Là il vit une jeune fille qui pleurait en essuyant la vaisselle, et qui lui conseilla de remonter s’il tenait à la vie ; mais il répondit qu’il était résolu à poursuivre jusqu’au bout son aventure.

Il aperçut une grosse porte qu’il enfonça avec sa canne, et il entra dans une chambre qui était pleine de diablotins. Il les tua tous et pénétra dans une autre pièce où se trouvaient des bêtes féroces de toutes sortes, qu’il tua aussi à coups de canne.

Un peu plus loin il vit trois jeunes filles qui pleuraient ; il les consola de son mieux en leur assurant qu’il les délivrerait ou qu’il périrait. Elles lui dirent qu’il y avait dans le souterrain une bête féroce d’une grandeur épouvantable, qui seule pourrait les tirer de là et rompre leur enchantement, mais qu’il fallait qu’à chaque minute on lui donnât à manger un peu de viande. Elles ajoutèrent qu’elles avaient un baume qui faisait repousser la chair, et qu’ainsi il n’avait rien à craindre.

Jean de l’Ours trouva la grosse bête et monta sur son dos avec les trois princesses ; en remontant, elle se détournait souvent, et Jean de l’Ours lui présentait de la viande ; quand il n’en eut plus il la laissa manger ses bras, qui lorsque la bête arriva en haut, étaient dévorés jusqu’à l’os.

Mais les princesses lui donnèrent un baume qui le guérit si complètement, qu’on ne voyait pas même de cicatrice.

Il épousa la plus belle des trois princesses : les deux autres se marièrent avec ses compagnons, et ils vécurent tous ensemble, riches et heureux.

(Conté en 1879 par Jean-Louis Roussel, d’Ercé, âgé de treize ans.)


Outre les contes populaires de la Haute-Bretagne cités plus haut, et dont le plus voisin de celui-ci est le Capitaine Pierre, voici quelques épisodes similaires qui se trouvent dans des contes encore inédits que j’ai recueillis en divers pays de la Haute-Bretagne.

Dans Petite-Baguette, qui m’a été conté à Ercé, Petite-Baguette après diverses aventures s’arrête dans un château avec ses compagnons Brise-Fer, Petit-Palet, Range-Montagne, qui chacun a son tour sont rossés, et presque tués par le nain qui met dans la soupe de la cendre, du crottin, etc. Petite-Baguette, qui les guérit en les touchant de sa canne qui pèse sept cents livres, bat le nain qui était le diable, et, après lui avoir fait signer un écrit où il renonce au château, va avec ses compagnons dans un second château où il délivre trois princesses, enfermées dans un souterrain ; il remonte à terre sur le dos d’un énorme pigeon aussi vorace que le vieil aigle des contes similaires.

Dans le conte de la Boule d’or, recueilli à Saint-Cast, trois chasseurs se réunissent dans un château, et laissent chaque jour l’un d’eux pour faire la cuisine ; les deux premiers sont aussi battus par le nain ; mais le troisième le blesse et, guidé par le sang, descend dans un souterrain d’où il tire trois princesses qui lui donnent chacune une boule d’or et un mouchoir d’argent. Les compagnons du chasseur, après avoir remonté les princesses, laissent leur camarade dans le souterrain d’où il se tire en montant sur un vieil aigle, auquel il faut donner de la viande. Il retrouve ses compagnons, découvre leur fourberie, leur pardonne et épouse la plus jolie des princesses.

Dans les Garçons forts, il y a quatre frères, Bras-de-Fer, qui a une canne de dix mille livres, Décotte-Montagne, Teurs-Chêne et Meule-de-Moulin, qui se mettent à courir les aventures. Tous les quatre sont battus par le nain, qui vient aussi mettre de la cendre dans leur marmite ; mais ils se réconcilient avec lui, voyant qu’il est le plus fort, et ils lui donnent leur sœur en mariage.

On peut encore comparer à Jean de l’Ours, parmi les contes français : l’Intrépide Gayant et Culotte verte, de Deulin ; Malbrouk, conte basque recueilli par Webster (p. 77) ; le Pêcheur et ses fils, du même recueil (p. 87) ; le Poirier aux poires d’or, conte breton de Luzel ; Jean à la barre de fer, conte breton de Troude et Milin ; Jean de l’Ours, la Bête à sept têtes, contes lorrains de Cosquin ; à la suite de ces deux derniers se trouvent de curieuses références à des contes étrangers analogues. (Cf. aussi les contes russes similaires analysés par M. de Gubernatis, Mythologie zoologique, t. I, p. 208 sqq.)
II


LES FACÉTIES
ET LES BONS TOURS.




Avec un peu de patience, on recueillerait facilement dans les campagnes de la Haute-Bretagne plusieurs volumes de contes facétieux. Il n’en est guère que les conteurs racontent plus volontiers et avec plus de verve, au grand amusement de l’auditoire, qui rit de bon cœur lorsqu’il entend les nombreuses mésaventures — fort comiques d’ailleurs — de Jean le Diot, les bons tours joués par le Fin larron au roi, à son seigneur et aussi aux prêtres. Ce qui caractérise ces contes facétieux, c’est le peu de respect pour les puissances établies : le héros est presque toujours un pauvre garçon, parfois faible d’esprit, qui finit par arriver à la fortune après s’être moqué des rois, des seigneurs et du clergé. Les moyens employés ne sont pas toujours d’une moralité irréprochable ; mais les auditeurs ne s’en indignent pas, car au-dessus de cette question, secondaire pour eux, il y a la pensée maîtresse de la plupart de ces contes, qui est le triomphe d’un enfant du peuple, en qui se personnifie le peuple lui-même, sur ceux qui ont été pendant si longtemps ses maîtres. Et sans vouloir faire ici une dissertation politique qui serait déplacée, je puis dire que la note dominante de ces contes facétieux est une note profondément démocratique.

Le clergé lui-même n’est point épargné : dans quelques-uns des contes qui suivent, on verra combien les conteurs populaires sont peu respectueux pour la soutane, qu’ils ne traitent pas, du reste, avec plus d’irrévérence que la couronne et la puissance féodale. J’ai un grand nombre d’autres contes où les prêtres sont attrapés, parfois d’une manière cruelle, et aussi avec des détails d’un naturalisme à faire concurrence au Moyen de parvenir. Les conteurs n’y prennent point de mal, et ils font leur récit épicé avec une telle candeur que la grossièreté parait à peine quand on les entend.

À côté des contes qui ont pour ainsi dire une philosophie et une sorte de portée quasi-sociale, il en est d’autres qui sont de pures facéties, et dont le seul but est de faire rire l’auditoire par le récit d’aventures comiques, ou de mots d’un sel parfois grossier, mais presque toujours plaisant.

Les Jean le Diot.

Jean le Diot (Jean l’Innocent, qu’on appelle aussi Jean le Fou, Jean l’Hébété, ou le Garçon sans idée) est le héros favori des veillées de la Haute-Bretagne : les histoires qu’on raconte sur lui sont innombrables et varient suivant les narrateurs. Rarement ils font un récit complet de ses aventures ; c’est à son actif qu’on met les naïvetés, les histoires comiques qui peuvent passer par la tête des conteurs, et la vraisemblance y est si peu ménagée, que lorsqu’on veut parler de quelque chose qui n’a ni queue ni tête, on dit en proverbe : « C’est une histoire de Jean le Diot. »

On trouvera ci-après deux de ces récits, l’un qui m’a été conté dans l’Ille-et-Vilaine, l’autre dans les Côtes-du-Nord. Dans mes Contes populaires, j’ai publié plusieurs aventures de Jean le Diot (contes XX, XXXIII, XXXIV, XXXV), et il m’en reste en portefeuille un assez grand nombre.

La popularité de Jean le Diot n’est pas limitée à la Haute-Bretagne ; au théâtre il a son similaire dans Jocrisse ; dans les journaux, il s’appelle Calino : on le retrouve sous d’autres noms dans la plupart des recueils de contes ; parmi eux on peut citer :

Cénac-Moncaut, Maître Jean l’habile homme, Ambroise le Sot ; — H. Carnoy, Jacques l’Idiot (Mélusine, col. 109), Pierre le Badaud, contes populaires picards (Romania, t. VIII). — M. Reinhold Kœlher, qui s’est occupé de Pierre le Badaud dans le tome III, page 312 de la Zeitschrift für Romanische Philologie, cite plusieurs similaires ; Cerquand, t. II, les Deux Frères sage et fou. — Luzel, Jean de Ploubezre. Il est à la connaissance populaire dans l’Yonne, en Provence, où il se nomme Jean de la Mouche (Cf. Le Père Gérard, no 46, p. 550), et tout dernièrement M. Paul Courty publiait dans le Télégraphe (26 juillet 1880) les aventures d’un Jean le Diot catalan.

Il y a aussi, dans l’excellent recueil de Contes de fées dans l’Inde, de Miss Maive Stokes, peu connu en France, un conte intitulé Sachuli l’innocent, dont la donnée première est celle d’un garçon faible d’esprit, et qui prend à la lettre tout ce qu’on lui dit. À la fin du volume sont cités un assez grand nombre de similaires auxquels on peut ajouter les contes siciliens cités par M. Marc Monnier, p. 13-15, et les similaires russes analysés par M. de Gubernatis, p. 210-214, t. I, Mythologie zoologique.

I

Le Garçon sans idée.

Il y avait une fois une veuve qui n’avait qu’un petit garçon. Elle voulut lui faire apprendre un état et le mit en apprentissage chez un menuisier ; mais comme il était paresseux et simple d’esprit, il faisait toujours son ouvrage de travers : il gâtait tout ce qu’il touchait, si bien que son patron, impatienté, le renvoya.

Quand sa mère le vit revenir, elle lui dit :

— Je suis bien affligée ; nous sommes pauvres, et j’aurais voulu que tu prennes un métier pour gagner ta vie. Mais tu t’es si mal conduit que le menuisier t’a renvoyé ; veux-tu essayer d’un autre état ?

— Non.

— Que veux-tu faire ?

— Rien.

— Jésus ! dit la mère, que voilà un garçon qui me cause du chagrin ! Mais puisque tu t’obstines à ne pas vouloir d’un métier, tu m’aideras au moins dans mon petit labour, afin que je puisse te donner du pain.

Quelques jours après, sa mère lui dit d’aller au marché de la ville acheter un petit cochon.

— Que me donnerez-vous pour ma peine ?

— Un bel échaudé bien jaune et bien doré, et profond comme une écuelle à soupe.

Il alla au marché et acheta un joli petit cochon, puis il choisit un bel échaudé et sortit de la ville en poussant devant lui le petit animal.

Mais il se fatigua bientôt de le conduire, et, arrivé à un carrefour où il y avait deux routes qui conduisaient à la maison de sa mère, il dit au petit cochon :

— Nous allons aller chacun de notre côté, et le premier de nous deux qui sera rendu aura l’échaudé.

Il se hâta d’arriver chez sa mère, à laquelle il demanda si le cochon était venu :

— Non, dit-elle ; à qui l’as-tu donné à amener ?

— À personne ; je lui ai dit à l’oreille de se rendre ici le plus vite qu’il pourrait, en lui promettant mon échaudé s’il était ici avant moi.

— Pauvre innocent ! dit la mère. Tu aurais dû l’attacher avec une corde et le traîner derrière toi.

Le lendemain, sa mère l’envoya au bourg chercher de la viande. Il attacha avec une corde le morceau qu’il avait acheté, et le traîna tout le long de la route, si bien que, lorsqu’il arriva chez sa mère, la viande était déchirée par les pierres du chemin, couverte de boue et d’immondices, et en si mauvais état qu’elle n’était plus bonne qu’à jeter aux chiens.

— Me voilà encore bien aujourd’hui ! dit la bonne femme. Je ne pourrai donc rien faire de toi, puisque tu n’as pas eu assez d’esprit pour prendre un panier et mettre la viande dedans ?

— Une autre fois je serai plus fin, répondit le gars.

Quand vint le temps de la récolte, sa mère eut besoin d’un van pour vanner le blé, et elle l’envoya en chercher un.

Il prit son panier et essaya d’y faire entrer le van ; mais n’ayant pu y parvenir, il le coupa en plusieurs morceaux et l’apporta bien précieusement.

— N’y avait-il plus de van chez le marchand ? dit sa mère en le voyant revenir avec un simple panier sous le bras.

— Si, ma mère ; j’en ai un bon : il est dans mon panier, et je ne l’ai point laissé traîner sur la route.

Et il ôta précieusement tous les morceaux et les mit devant sa mère.

Celle-ci lui reprocha encore sa sottise et lui dit qu’il aurait dû passer son bâton à travers les oreilles du van et l’apporter sur son épaule. Le gars écouta avec attention cette observation et se promit d’en profiter.

Comme il ne voulait rien faire, et que quand il gardait les moutons il les laissait passer en dommage sur les champs dos voisins, sa mère lui dit d’aller chercher une pâtoure.

Il sortit avec son bâton à la main, et il demandait à chaque bergère qu’il rencontrait si elle voulait venir garder les moutons de sa mère. Elles refusaient toutes ; mais en passant par un chemin creux, il rencontra une petite fille assise sur une pierre, une gaule à la main, et qui pleurait.

Il lui proposa de venir chez sa mère ; la petite fille, qui avait été renvoyée le matin par le fermier chez lequel elle était gagée, et qui ne savait que devenir, accepta et se mit à marcher avec son conducteur.

Mais au bout de quelque temps, celui-ci se rappela ce que sa mère lui avait dit, et il passa son bâton à travers les oreilles de la petite bergère, malgré ses cris, et l’emporta morte sur son dos.

Quand la bonne femme le vit revenir ainsi, elle faillit tomber à la renverse, tant elle était saisie.

— Malheureux enfant ! tu as tué cette pauvre petite en lui passant ton bâton par les oreilles au lieu de la prendre par le bras et de la conduire gentiment. Les gendarmes te mettront en prison, et ce sera un déshonneur pour ta famille.

Quand les gendarmes eurent appris que la petite fille était morte, ils vinrent chercher le garçon sans idée et le conduisirent en prison.


(Conté en 1878 par Jeanne Bazul, de Trélivan, domestique, âgée de vingt-quatre ans.)

II

Jean le Fou.


La mère de Jean le Fou l’envoya au bourg acheter de la farine et du cidre :

— Quand tu seras revenu, ajouta-t-elle, tu mettras cela dans la place.

À son retour, Jean le Fou versa par terre la farine que contenait son sac et le cidre qu’il avait apporté. C’était un garçon simple et qui prenait au pied de la lettre tout ce qu’on lui disait.

— Où est ta farine ? demanda sa mère en rentrant de l’étable, où elle était allée soigner ses vaches.

— Dans la place.

— Et le cidre ?

— Je l’y ai mis pareillement.

— Ah ! pauvre innocent ! dit la bonne femme, qui regarda et vit le gâchis qu’avait produit ce singulier mélange ; pauvre innocent! ne pouvais-tu poser ton sac par terre et mettre ton pot de cidre à côté, au lieu de tout perdre comme tu l’as fait ? Mais tu gâtes tout ce que tu touches.

— Ne me grondez pas, ma mère ; une autre fois je serai plus fin.


À quelque temps de là, sa mère lui dit de prendre un broc et de monter des noix au grenier[51].

Jean comprit qu’on lui ordonnait de prendre sa fourche pour monter les noix au grenier, mais les noix passaient entre les dents écartées de son bro, et il ne put parvenir à en mettre une seule à l’endroit qui lui était désigné. Il essayait de son mieux, et il se donnait beaucoup de mal ; il se colérait si fort qu’il suait à grosses gouttes. Pour se rafraîchir, il prit une écuelle et alla tirer du cidre ; mais il oublia de remettre le petit fosset[52], et le cidre se mit à courir. Pour l’étancher, Jean ne trouva rien de mieux que d’appuyer contre le trou un sac de farine qui ne tarda pas à être traversé par le liquide et fut perdu.


La mère de Jean le Fou l’envoya au marché vendre un cochon.

— L’argent que nous en retirerons, dit-elle, servira à boucher les plus grandes brèches.

Jean vendit le cochon, et en revenant à la maison il mettait l’argent à « boucher les plus grandes brèches » qu’il voyait dans les talus des champs ; il ne tarda pas à avoir employé tout ce qu’il avait de pièces blanches, de sous et de liards.

À son retour, sa mère lui dit :

— Qu’as-tu fait du prix du cochon ?

— Je l’ai mis à boucher les plus grandes brèches ; mais il y en avait tant sur le bord de la route, que je n’ai pu en boucher que deux ou trois.

— Ah ! malheureux enfant ! tu n’es pas plus malin à une fois qu’à l’autre ; cet argent était pour boucher les brèches de notre fortune et non celles des champs. Retourne le chercher.

Jean se remit en route ; mais il ne retrouva pas ses pièces, que les passants avaient ramassées.


Quelques jours après, la bonne femme eut besoin d’un trépied et chargea son fils d’aller l’acheter.

Jean s’ennuya bientôt de porter le trépied ; il le posa par terre et lui parla en ces termes :

— Voilà la route qui conduit tout droit chez nous ; tu n’as qu’à la suivre, et si tu veux tu seras rendu avant moi, puisque tu as trois pieds et le ventre percé.

Et Jean s’en revint, les mains dans ses poches, avec une parfaite tranquillité.

— Où est le trépied ? lui demanda sa mère.

— Comment! il n’est pas encore ici ? Il se sera amusé en route, et je suis surpris qu’il ne soit pas arrivé, puisqu’il a trois pieds, un de plus que moi ; je lui avais pourtant bien indiqué la route.

— Le trépied est perdu ! Jésus ! que ce garçon est innocent de parler à un morceau de fer, au lieu de prendre son bissac et de le fourrer dedans pour le porter commodément sur l’épaule !

— Bien, se dit le gars ; je saurai une autre fois comment m’y prendre.


Quand vint le temps de la récolte, on eut besoin à la ferme d’un van pour nettoyer le blé. Jean fut chargé d’en acheter un.

Il se rappela les recommandations de sa mère, et dès qu’il fut sorti de la boutique du vannier, il essaya de faire entrer le van dans son bissac, qu’il avait apporté tout exprès ; mais comme il ne pouvait parvenir à l’y introduire, il prit son couteau et coupa le van en plusieurs morceaux, qu’il plaça soigneusement dans son bissac.

Quand sa mère le vit déposer devant elle, avec un air de contentement, les débris du van, elle poussa de grands soupirs et lui reprocha encore sa simplicité en disant :

— Ce n’était pas comme cela que tu aurais dû t’y prendre ; il fallait lui passer ton bâton dans les oreilles.


Quelques jours après, sa mère lui remit de l’argent :

— Nous avons besoin d’un cheval, dit-elle. Voici cinquante écus pour en acheter un ; mais écoute bien ce que je te recommande : ne mets pas un sou de plus.

— Soyez tranquille, ma mère, je sais mon affaire.

À la foire de Rennes, Jean s’informa du prix de plusieurs chevaux qui lui plaisaient ; mais tous les marchands auxquels il s’adressait lui demandaient tantôt plus de cinquante écus, tantôt moins, et Jean ne voulait pas démordre de cette somme. Il allait sortir du champ de foire et s’en retourner chez lui sans avoir rien acheté, quand il aperçut un paysan qui tenait par la bride un cheval aveugle.

— Combien la bête ? demanda Jean.

— Cinquante écus, répondit à tout hasard le rusé fermier, qui avait remarqué l’air niais du jeune gars.

— Marché conclu, se hâta de dire Jean, en frappant dans la main ouverte du vendeur.

Il prit le cheval, qui ne valait guère mieux que le prix de la peau, et monta dessus. En passant près d’une auberge, il eut envie de voir quelle heure il était, et il dirigea sa monture du côté de la porte. Comme la pauvre bête n’y voyait pas à se conduire, elle alla heurter la tête dans le contre-hu, ou demi-porte, avec tant de violence que la porte tomba dans la maison en brisant plusieurs bols à cidre qui étaient sur une table voisine de l’entrée.

L’aubergiste accourut, et Jean lui dit avec tranquillité :

— Quelle heure est-il ?

— L’heure où les fous s’en vont, répondit l’homme, qui voyait la simplicité du garçon.

— Merci bien, monsieur, dit Jean.

En voyant la rosse que son fils amenait, sa mère éclata en reproches :

— Pauvre sot ! tu as acheté une bête qui ne vaut pas dix pièces de cent sous ; ne vois-tu pas qu’elle est aveugle ?

— Aveugle, dit-il, non, car j’étais monté dessus, et elle ne m’a pas jeté par terre. Au surplus, si mon cheval ne vous convient pas, je le mènerai à la prochaine foire, et je parie le revendre au moins deux cents francs.

Il alla à la foire du grand Saint-Aubin, et à chaque marchand qui lui demandait le prix de sa bête, il répondait :

— Deux cents francs.

— Deux cents francs ! disaient les maquignons en haussant les épaules ; c’est un cheval qui ne vaut que l’argent de sa peau.

Voyant qu’à Saint-Aubin il ne trouvait pas à vendre son bidet, il le conduisit à Rennes, où il espérait s’en défaire plus avantageusement.

Mais on ne lui en offrit que quatre pièces de cent sous, et il finit par le donner pour ce prix.

À la foire suivante, il acheta pour quarante écus un cheval assez bon ; le marchand le lui livra, mais garda la bride, que Jean avait oublié de réclamer en concluant le marché.

Jean fit sortir le cheval du champ de foire en le tirant par la crinière ; mais arrivé sur la route, il se mit à réfléchir au moyen de l’emmener plus commodément.

— Ma foi, dit-il, c’est bien simple pourtant : je vais lui passer mon bâton dans les oreilles ; c’est ainsi que j’aurais dû faire l’autre jour, à ce que m’a assuré ma mère, quand je suis allé chercher le van.

Il essaya d’introduire son bâton dans les oreilles du cheval ; mais l’animal, qui était vigoureux, ne se laissa pas maltraiter. Il se cabra, rua, et finit par s’enfuir au galop, laissant son nouveau maître tout penaud.

Il vint raconter sa disgrâce à sa mère.

— En bonne conscience, dit-elle, je désespère de t’apprendre de l’esprit ; tu aurais dû lui passer un licol au cou et monter dessus ; cela n’était pas bien difficile.


On l’envoya chercher une servante que sa mère avait gagée ; la fille le suivit, et quand ils furent sur la route, Jean tira de sa poche un licol qu’il avait eu soin d’apporter et le lui passa autour du cou, puis il lui dit qu’il allait monter sur son dos. La servante eut peur de Jean et vit bien qu’il était un peu fou ; elle se laissa faire et apporta le garçon, qu’elle trouvait bien lourd cependant.

Quand on arriva à la ferme, elle suait à grosses gouttes ; Jean l’emmena à l’écurie, mit du foin devant elle, puis entra à la ferme.

— Où est la servante ? dit la bonne femme.

— Dans l’écurie.

La fermière se hâta d’y aller et de faire entrer la domestique dans la maison ; mais la pauvre fille avait eu si peur qu’elle resta plusieurs jours malade au lit.


Jean le Fou voulait aller voir les filles. Il importuna tant sa mère qu’un dimanche, l’après- midi, elle lui dit de se rendre dans un champ où une jeune voisine gardait ses vaches. Le garçon se mit à regarder sous le nez, et sans rien dire, la bergère qui, fort ennuyée, lui appliqua un vigoureux soufflet et s’enfuit.

Il vint se plaindre à sa mère en demandant comment il fallait s’y prendre pour se faire bien venir des filles.

— On druge (joue) avec elles, et on leur envoie toutes sortes de petits brochons.

— Bien, dit le gars.

Brochon signifie à la fois brindilles de bois, farces et bâtons de barrière. C’est en ce dernier sens que Jean l’entendit.

Il enleva les bois d’un échalier et se mit à en jeter les morceaux à la fille qui, surprise de cette galanterie d’un nouveau genre, s’enfuit de plus belle.

Le garçon revint trouver sa mère et lui conta que la bergère s’était sauvée comme si elle avait vu le loup, bien qu’il lui eût jeté des brochons, et même passablement gros.

— Il fallait, répondit la mère, lui faire des yeux de brebis.

C’est en certains pays la manière de désigner ce qu’ailleurs on appelle des yeux en coulisse.

Le gars ôta avec son couteau les yeux à des brebis qu’il rencontra sur son chemin, et retourna auprès de la fille. Il se mit à lui parler, et pour mieux avancer ses affaires, il tira de sa poche les yeux tout sanglants qu’il avait arrachés aux brebis. La fille, saisie d’horreur, s’enfuit au plus vite.

Comme Jean racontait à sa mère sa nouvelle mésaventure :

— Que tu es bête, dit-elle, d’avoir pris cela à la lettre ! Je voulais dire qu’il fallait faire les yeux mignons à la bergère.

— Ah ! puisqu’il est si difficile de faire la cour aux filles, repartit Jean le Fou, je ne me marierai point.

(Conté par Aimé Pierre, de Liffré, et Jean Bouchery, de Dourdain, 1878.)


Cf. sur la manière de faire la cour aux filles, ainsi que sur d’autres épisodes de ce conte et du précédent, Jean le Diot,

n° XXXIII des Contes populaires de la Haute-Bretagne.

III.

Les Boutons d’or.

Il y avait une fois une bonne femme dont le mari était cantonnier. Un jour qu’il travaillait sur la grande route, il trouva une valise qui était pleine d’or. Il revint au logis, et dit à sa femme :

— C’est moi qui ai trouvé un joli sac de cuir avec de beaux boutons dedans ! J’aurai pour longtemps avec quoi boutonner mes culottes.

— Fais-moi-les voir, dit la femme.

Elle ouvrit la valise, et comme elle était moins simple que son homme, dès qu’elle eut vu ce qu’elle contenait :

— Va te coucher, dit-elle ; tu es malade.

— Mais non.

— Si, je le vois bien ; il n’y a qu’à regarder ta figure.

Quand son homme fut couché, elle l’endormit en lui faisant respirer des herbes fortes, mit deux œufs dans son lit, puis baratta du lait.

Le soir, le cantonnier voulut se lever ; mais elle borda soigneusement ses couvertures et le fit rester au lit, en disant toujours qu’il avait la mine malade.

Le lendemain matin, quand il s’éveilla, il dit :

— Je retourne à ma journée ; je suis bien guéri aujourd’hui.

En se levant, il trouva dans son lit les deux œufs que la fine commère y avait placés la veille.

— Ah ! s’écria-t-il, tu avais raison de dire que j’étais malade : j’ai pondu deux œufs, et les voilà.

Le cantonnier alla à la croisée et vit la cour de la maison toute blanche : sa femme y avait jeté le lait qu’elle avait baratté.

— Qu’y a-t-il de blanc devant la maison ?

— Ah ! répondit-elle, pendant que tu étais couché, il a plu du lait-ribot.

Le bonhomme reprit ses outils et retourna travailler sur la route. À peine y était-il arrivé, qu’un monsieur l’aborda et lui dit :

— N’avez-vous rien trouvé hier sur cette route, mon ami ?

— Si, monsieur ; j’ai trouvé un petit sac en cuir, rempli de boutons jaunes.

— Faites-le-moi voir, s’il vous plaît.

— Venez avec moi ; il est à la maison.

Quand il fut arrivé chez lui avec le monsieur, il dit à sa femme :

— Montre-moi le petit sac de cuir que je t’ai apporté hier.

— Tu ne m’as rien apporté.

— Si, je t’ai donné un petit sac en cuir.

— Un petit sac en cuir ? Quel jour donc ?

— Tu ne te rappelles plus ? C’est le jour où j’ai pondu deux œufs, et où il a tombé du lait-ribot.

— Vous voyez bien qu’il est fou, dit la bonne femme.

Le monsieur crut que le cantonnier avait adioté[53], et la bonne femme a eu la bourse.

(Conté en 1879 par Élisa Durand, de Saint-Cast.)


J’ai recueilli a Ercé une autre version de ce conte, où il est question d’un journalier qui trouve un trésor et qui le garde par l’adresse de sa femme ; celle-ci lui fait accroire qu’il a pondu un œuf et qu’il a plu de la saucisse.

Un des épisodes du très-curieux conte de Sachuli l’innocent, recueilli par Mademoiselle Maive Stokes (Indian Fairy Tales, Calcutta, 1879), montre la mère de Sachuli semant des confitures sèches autour de sa maison, afin que lorsqu’on interrogera son fils, qu’elle sait faible d’esprit, sur un vol qu’elle a commis, il réponde que c’était le jour où il a plu des confitures. La ruse réussit en effet. Mademoiselle Stokes, dans le commentaire de ce conte, cite un récit publié dans Pall Mall Budget (numéro du 12 juillet 1878, Wild life in southern Country), où la mère d’un garçon innocent, désirant discréditer par avance son témoignage, monte l’escalier et fait pleuvoir du raisin sur son fils. Quand celui-ci est appelé à préciser le temps où s’est passé le fait qu’il raconte, il répond : « Quand il a plu du raisin » et, bien entendu, on ne le croit pas. — M. Campbell ajoute en note : « Ce conte d’un garçon stupide a son similaire dans un conte gaélique de ma collection, où le garçon fait remonter un événement vrai au jour où il a plu des crêpes ou quelque chose d’analogue. » Dans un des nombreux Jean le Diot inédits que je possède, sa mère jette aussi des crêpes par la fenêtre du grenier pour faire accroire à son fils qu’il pleut des crêpes. À la page 385, vol. II, des Contes des West Highlands, un garçon « à moitié nigaud » est trompé aussi par sa mère, et il date le vol qu’il a fait du jour où il y a eu « une ondée de soupe au lait. » (Indian Fairy Tales, p. 257.) On peut aussi rapprocher de ces diverses pluies factices et étranges la grêle, le tonnerre et les éclairs qui jouent un rôle analogue dans un conte des Mille et une Nuits intitulé : Histoire du Mari et du Perroquet.

IV.

C’est nous autres, messieurs.

Il y avait une fois trois garçons qui voulurent aller à Paris pour apprendre à parler. Arrivés près de la ville l’un d’eux dit :

— Restez ici ; je vais aller écouter et vous raconterai ce que j’aurai ouï.

Il entendit les gens de Paris qui disaient :

— C’est nous autres, messieurs.

Et il revint en disant à ses camarades :

— J’ai appris à parler : c’est nous autres, messieurs.

Le second alla écouter à son tour, et voici ce qu’il entendit :

— C’est parce que nous le voulons.

Le troisième ouït dire :

— Sacrédié, c’est de tant mieux.

Alors ils s’en vinrent, pensant être assez instruits. Ils trouvèrent sur leur route un homme assassiné, et se mirent à dire des prières auprès de son cadavre. Des gendarmes survinrent qui leur dirent :

— Qui a tué cet homme ?

— C’est nous autres, messieurs, répondit le premier des compagnons.

— Et pourquoi ?

— C’est parce que nous le voulions, dit le second.

— Vous allez passer en justice, dirent les gendarmes.

— Sacrédié, c’est de tant mieux, s’écria le troisième des garçons qui était allé à Paris pour apprendre à parler.

(Conté en 1880 par Françoise Dumont, d’Ercé.)


M. J. Thuriault, à la page 222 de son livre intitulé : Étude sur le langage créole (Brest, Lefournier, 1874), a publié un conte en patois créole : Les habitants du Gros-Morne avant leur civilisation, plus long que celui-ci, mais dont la trame est exactement la même : il s’agit de nègres qui vont écouter des gens qui parlent le français, et qui apprennent chacun une phrase qui, appliquée maladroitement, les fait finalement aller en prison. Cf. aussi, n° XXXIV, des Contes populaires de la Haute-Bretagne.

V.

Le Fin Voleur.

Il y avait une fois une bonne femme qui n’avait qu’un fils ; tous les matins elle allait à l’église demander à la sainte Vierge de quel état serait son gars.

Comme elle parlait haut et recommençait toujours sans se lasser, le sacristain l’entendit, et un matin qu’il n’y avait que lui et la bonne femme dans l’église, il se glissa derrière la statue de la Vierge en se disant :

— Je vais bien attraper la vieille.

Elle vint s’agenouiller devant l’autel et prononça sa prière habituelle :

— Ma bienheureuse sainte Vierge, de quel état sera mon gars ?

— Fin voleur ! répondit une petite voix.

— Tais-toi, petit babillard ! s’écria la bonne femme, qui crut que l’enfant Jésus lui répondait ; tais-toi, et laisse ta mère dire. Ma bienheureuse sainte Vierge, de quel état sera mon gars ?

— Fin voleur ! répondit le sacristain en prenant une voix de femme.

— Ainsi soit-il, ma bonne sainte Vierge, répondit la vieille, qui s’en alla à la maison.

Non loin de chez elle demeurait un fin voleur chez lequel elle mit son gars en apprentissage.

Son maître lui donna un sac de noix pour porter au marché, et lui dit de l’attendre auprès du porche de l’église, pendant qu’il irait voler un cochon.

Quand le jeune gars se vit seul, il s’assit auprès de son sac, et comme il faisait nuit, il se mit à manger des noix. En entendant ce bruit, le sacristain eut peur, et il courut au presbytère.

— Monsieur le recteur, s’écria-t-il, le diable est dans l’église ; venez vite le chasser !

— Tu sais bien que je ne peux marcher, répondit le prêtre ; j’ai un rhumatisme.

— Montez sur mon dos ; je vais, vous porter. Le recteur se hissa à grand’peine sur le dos du sacristain, et comme il approchait de l’église, le sacristain lui disait :

— L’entendez-vous ? Comme il grince des dents !

À ce moment, le jeune gars, croyant que son patron revenait avec le cochon, s’écria :

— Est-il bien gras ? Je vais le saigner.

En entendant ces mots, le recteur eut si grand’peur qu’il sauta à terre et courut à toutes jambes au presbytère, aussi lestement que s’il n’avait jamais eu de rhumatismes.

Peu après, le maître voleur revint.

— C’est moi, dit le gars à son patron, qui ai fait belle peur à deux hommes qui sont passés par ici ! Je croyais que c’était vous qui arriviez avec le cochon, et quand j’ai demandé s’il était bien gras, ils se sont enfuis comme s’ils avaient vu le diable.

Le patron du fin voleur, ayant pris le cochon, voulut le saigner ; mais voilà le cochon qui se sauve dans le grenier du sacristain, et il remuait le bois qui était sur le plancher.

Le sacristain alla chercher le recteur et lui dit :

— Monsieur le recteur, venez vite ; le diable est dans le grenier.

— Je ne puis aller.

— Venez, je vous en prie.

Quand ils furent à la porte du grenier, le recteur dit au sacristain :

— À tout ce que je dirai, tu répondras : Amen.

Mais quand on eut ouvert la porte, le cochon se précipita entre les jambes du recteur, qui resta à cheval sur lui, et il l’emportait sur son dos.

Le recteur criait : À moi ! à moi ! mais le bedeau, à chaque mot, se contentait de répéter Amen. Et je ne sais ce que le recteur est devenu.

Quand le fils de la bonne femme se fut perfectionné dans son métier, il se mit à son compte et ne tarda pas à acquérir la réputation de fin voleur[54].


Le Fin voleur avait été condamné par la justice à payer une somme qu’il devait ; mais il n’avait que peu d’argent, et il lui manquait dix écus, faute desquels il se voyait menacé de la prison.

Il alla de porte en porte les demander à emprunter ; mais personne ne consentit à lui prêter la moindre chose, et il s’en retournait bien tristement chez lui, quand il rencontra Jean le Diot.

— D’où viens-tu, Jean ?

— De la foire où j’ai vendu une vache ; mais elles n’étaient pas bien chères aujourd’hui ; je n’ai pu trouver que dix écus de la mienne, qui était pourtant une bonne laitière.

— Prête-moi les dix écus, ami Jean ; tu m’empêcheras d’aller en prison, et je ne tarderai pas à te les rendre.

— Je voudrais bien le faire pour t’obliger ; mais nous n’avons plus à la maison qu’un peu de galette pour le repas de ce soir, et demain il faudra que j’achète de la farine avec l’argent de ma vache. Si je te donnais les dix écus, ma femme me gronderait.

— Ne crains rien, et prête-moi ton argent ; je saurai bien te procurer de la farine, et si tu n’en as pas ce soir, tu en auras certainement demain matin.

Jean le Diot, persuadé par ces promesses, lui donna l’argent et l’emmena même souper. Quand sa femme apprit ce qui était arrivé, elle le gronda bien fort.

— Vilain innocent! que tu es bête d’avoir donné tes dix écus de bel argent à cet affronteur qui t’a fait accroire qu’il te fournirait avec quoi faire du pain, et qui va encore se moquer de toi quand il aura partagé notre souper !

— Taisez-vous, bonne femme, dit le Fin voleur ; je vous montrerai demain matin si je suis homme de parole.


Le lendemain, dès qu’il fut jour, le Fin voleur emprunta un sac, le remplit de sciure de bois bien blanche et bien fine, puis le mettant sur son dos et se courbant comme s’il portait un lourd fardeau, il se rendit au moulin le plus voisin et déposa son sac auprès de ceux qui étaient pleins de farine.

— Voici, dit-il au meunier, du blé que je vous apporte ; mais nous sommes pressés, et il faut que vous le mettiez à moudre tout de suite.

— Je ne le puis.

— Alors, je vais être obligé d’aller le porter ailleurs.

Profitant d’un moment où le meunier avait le dos tourné, il chargea sur ses épaules, tout en grondant, un sac où était la farine du seigneur du pays, et revint en toute hâte à la maison de Jean le Diot.

— Voilà, bonne femme, un sac de farine de première qualité ; je vous avais bien dit que je vous aurais apporté de quoi faire du pain.

Le meunier envoya son garçon porter au château du seigneur le sac de farine ; mais la servante ne put parvenir à faire de la pâte avec la sciure de bois. Elle montra le sac à son maître, qui entra dans une grande colère, fit seller son cheval et arriva au moulin.

— Brigand de meunier ! tu es encore plus fripon que ceux de ton espèce : je t’ai envoyé de beau grain, et tu me rends de la sciure de bois au lieu de farine.

— Ah ! s’écria le meunier, c’est le Fin voleur qui est venu ce matin et qui m’a joué ce tour-là.

Le seigneur alla à la maison du Fin voleur ; celui-ci l’aperçut de loin et alla se cacher dans un tonneau placé debout et défoncé par le haut, après avoir recommandé à sa femme de répondre : « Oui, monsieur, il le fera », toutes les fois qu’elle le verrait passer un doigt par le trou de la bonde.

— Bonjour, dit le seigneur à la femme ; où est votre mari ?

— Il est parti ce matin comme d’habitude, et il n’est pas encore revenu.

— Dites-lui de venir me parler ; je veux qu’il vole cette nuit le pâté qui sera à cuire dans mon four.

— Oui, monsieur, il le fera.

— Comment ! il le fera ?

— Oui, monsieur, il le fera, s’il plaît à Dieu.


Le seigneur plaça aux deux côtés de la gueule du four deux gendarmes en faction et leur recommanda de faire bonne garde.

Quand la nuit fut close, le Fin voleur arriva à pas de loup et vit que le four était bien gardé.

— Ah ! dit-il, il n’y a rien à tenter pour le moment. Et il se cacha sans bruit pour épier ce qui allait se passer.

Vers minuit, l’un des gendarmes dit à son camarade :

— Il fait bien froid, et l’on n’entend pas remuer ; si l’un de nous allait se coucher, il dormirait un peu et viendrait ensuite prendre la place de l’autre, qui se reposerait à son tour jusqu’au matin.

— J’y consens, dit le second gendarme ; et puisque c’est toi qui as eu cette bonne idée, va te coucher le premier.

Une heure après, le Fin voleur arriva en faisant du bruit avec ses souliers, et, déguisant sa voix, il dit :

— Tu n’as rien vu, camarade ?

— Non.

— Va te coucher ; je vais veiller à ta place. Quand le gendarme fut parti, le Fin voleur prit

le pâté et les pains qui étaient cuits, et les mit en lieu sûr à quelque distance, puis il plaça une belle bouse de vache dans la terrine où avait cuit le pâté, referma le four et se mit en sentinelle.

Au bout de quelque temps, le gendarme qui était parti le premier revint et dit :

— Rien de nouveau ?

— Rien.

— Alors va te reposer, et reviens quand il fera jour.

Le Fin voleur partit et emporta chez lui ce qu’il avait dérobé.

Le matin venu, le seigneur trouva les gendarmes à leur poste.

— Eh bien ! le Fin voleur a-t-il pris la fournée ?

— Nous ne l’avons ni vu ni entendu.

— C’est bien ; venez boire un coup à ma santé.

— Il ferait bon, dit un des gendarmes, de retirer du four les pains et le pâté ; ils doivent être cuits à point maintenant.

On ouvrit le four ; mais les pains n’y étaient plus. Le seigneur se mit en colère contre les gendarmes, qu’il accusa de négligence.

— Cependant, dit l’un d’eux, nous avons bien veillé, et le pâté est encore là.

Le Seigneur prit le pâté et le porta à sa femme qui, à moitié endormie, voulut le goûter ; mais dès qu’elle eut porté le premier morceau à sa bouche, elle fit une grimace horrible et s’aperçut que la terrine ne contenait que de la bouse de vache.

— Scélérat de voleur ! s’écria le seigneur, il m’a dérobé ma farine, enlevé mon pain, mon pâté, et fait manger à ma femme de la bouse de vache. Il se moque de moi, mais il me le paiera cher !


Le seigneur alla encore chez le Fin voleur qui, dès qu’il l’aperçut, se cacha dans le tonneau.

— Dites à votre mari, bonne femme, de venir cette nuit voler ma jument dans mon écurie.

— Oui, monsieur, il le fera, répondit la femme en regardant la bonde du tonneau où elle vit que le Fin voleur repliait le doigt, comme il était convenu.

Le seigneur fit mettre sa jument sellée et bridée au milieu de l’écurie, et de chaque côté de la bête il plaça un gendarme en faction.

Au bout de quelque temps, l’un des gardiens s’ennuya de rester sans lumière dans l’écurie, et il dit à son camarade qu’il allait se coucher pendant une heure ou deux, et qu’il reviendrait ensuite le relever de faction.

— Au reste, pour plus de sûreté, prends dans ta main la bride de la jument.

Le Fin voleur, qui était aux aguets, le vit s’en aller ; bientôt il entra dans l’écurie, demanda au gendarme s’il n’y avait rien de nouveau et lui dit d’aller se reposer.

Dès que la sentinelle fut partie, le Fin voleur ôta à la jument tous ses harnais et les posa sur une broie ; puis il la fit sortir et l’attacha à un arbre peu éloigné avec un licou qu’il avait apporté de la maison. Il revint ensuite avec la bride qu’il passa dans la poignée de la broie, la prit à la main et attendit le retour du gendarme qui était parti le premier. Il lui remit alors la bride à la main et monta sur la jument qu’il emmena chez lui.

Au petit jour, le seigneur arriva à l’écurie, qui était encore obscure, et il trouva ses gardes à leur poste.

— Eh bien ! mes amis, avez-vous été plus vigilants que vos camarades qui gardaient mon four ?

— Oui, monsieur, et l’un de nous tient votre monture par la bride.

— Venez boire un coup pour vous rafraîchir.

— Volontiers, monsieur ; mais la jument doit être fatiguée d’être restée debout toute la nuit. Si nous lui ôtions ses harnais ?

Quand ils les eurent enlevés, la broie tomba avec grand fracas, et le seigneur gronda bien fort les gendarmes dont la vigilance s’était trouvée en défaut.

— Le misérable voleur ! s’écria-t-il, il m’a volé ma farine, mon pain, mon pâté ; il a fait goûter à ma femme de la bouse de vache, et aujourd’hui il m’enlève ma bonne jument ; mais rira bien qui rira le dernier !


Il alla encore chez le Fin voleur, qui se cacha de nouveau dans la tonne.

— Où est votre mari, bonne femme ?

— Il est parti ce matin, suivant sa coutume.

— Cest un gaillard bien adroit ; mais il fera un tour qui surpasse tous les autres, s’il parvient cette nuit à dérober les draps de lit sur lesquels ma femme et moi nous couchons.

— Oui, monsieur, il le fera.

— C’est ce que nous verrons, dit le seigneur en s’éloignant.

Le Fin voleur était bien embarrassé, et il fut quelque temps sans savoir comment il sortirait à son honneur de cette épreuve difficile ; puis il se mit à faire un bonhomme de paille comme ceux qu’on met dans les champs pour épouvanter les oiseaux. Il l’habilla avec ses vieilles hardes, le coiffa d’un chapeau tout déchiré, qu’il attacha avec soin, et, le soir venu, il l’apporta près de la maison du seigneur.

Il planta une échelle le long du mur, et fit monter devant lui le bonhomme de paille. Le seigneur, qui était sur ses gardes, le voyait tantôt monter, tantôt se baisser, comme s’il avait eu peur. Il ouvrit tout doucement la fenêtre et tira un coup de fusil sur le mannequin : le Fin voleur le laissa tomber ; ensuite il mit quelques grosses pierres dans les poches du prétendu mort et se tint prêt à tout événement.

En voyant tomber le bonhomme de paille, le seigneur crut avoir tué le Fin voleur, et il descendit avec sa femme pour l’ensevelir.

Le Fin voleur monta dans la chambre par la fenêtre qui était restée ouverte, prit les draps de lit, et voyant sur la table une bouteille de cognac, il s’en empara et mit à la place une bouteille de vinaigre qu’il aperçut dans un coin, puis il s’enfuit avec son butin.

Quand le seigneur et sa femme eurent enseveli le bonhomme de paille, ils dirent à leurs domestiques d’aller le porter dans un creux de fossé, puis ils remontèrent dans leur chambre.

— Je boirais bien un coup, dit le mari, que la besogne avait échauffé.

— Prends, dit sa femme, la bouteille de cognac qui est sur la table.

Le seigneur s’en versa un verre ; mais le vinaigre le prit si fort à la gorge qu’il se mit à tousser, et sa femme s’aperçut que les draps avaient disparu du lit.

— Ah ! s’écria-t-elle, le Fin voleur s’est encore moqué de nous[55].


Le lendemain, le Fin voleur vit le seigneur qui arrivait : cette fois, il ne se cacha pas, mais alla à son écurie, où il mit quelques pièces d’or sous la queue de la jument qu’il avait volée et en répandit d’autres à terre.

— Voilà, dit le seigneur, la bonne bête que tu m’as volée.

— Oui, répondit-il, et j’en suis bien aise, car au lieu de crottin elle fait de l’or. Tenez, ajouta-t-il en lui pressant un peu sur la queue, la voilà qui va encore en faire.

— Vends-moi-la.

— Combien m’en offrez-vous ?

— Mille francs.

— Non ; j’y perdrais : donnez-moi trois mille francs, et elle sera à vous. Mais soignez-la bien, ou elle ne fera point d’or.

Le seigneur alla chercher de l’argent et revint chercher la jument, à laquelle pendant ce temps le Fin voleur fit avaler de l’or dans du son.

Le lendemain, les domestiques du seigneur trouvèrent encore un peu d’or parmi le crottin ; mais le jour d’après, il n’y en avait plus du tout.

Comme le seigneur venait pour se plaindre de cela, le Fin voleur dit à sa femme de se coucher et de faire la morte, et prenant un soufflet, il lui promenait le vent sur la figure en répétant :

— Si je n’ai recours à mon soufflet, je suis perdu.

— Qu’est-il arrivé à ta femme ?

— Hélas, monsieur, elle est morte. Et il répétait : Si je n’ai recours à mon soufflet, je suis perdu.

Peu à peu, la femme du Fin voleur ouvrit un œil, étira un bras, et enfin elle se mit debout, si bien portante que le seigneur en fut émerveillé.

— C’est, dit le Fin voleur, que mon soufflet est sorcier : il ressuscite les morts.

Après s’être bien fait prier, il le vendit au seigneur pour deux mille francs.

Quand le seigneur fut de retour au château, il montra son emplette à sa femme, qui se moqua de lui et lui reprocha de se laisser duper comme un sot par le Fin voleur. Comme elle ne cessait ses reproches, il la tua, et s’en étant repenti aussitôt, il voulut, à l’aide du soufflet, la rappeler à la vie ; mais la pauvre créature était bien morte.


Quand le seigneur vit que sa femme était défunte, il eut beaucoup de chagrin, et pour lui faire un enterrement digne de son rang, il envoya chercher son frère, qui était prêtre.

Celui-ci lui reprocha sa crédulité, et lui dit qu’au reste, en sa qualité d’homme de guerre et de chasseur, il l’avait toujours regardé comme faible d’esprit.

— Prends garde, dit le seigneur, toi qui es si subtil, d’être aussi bien pris que moi.

Et quand le prêtre fut parti, il alla trouver le Fin voleur, qui se cacha, comme d’habitude, dans son tonneau.

— Dites à votre mari, ma bonne femme, de tâcher de jouer un bon tour à mon frère le prêtre : il s’est moqué de moi, et je serais content de le voir pris à son tour.

— Mon homme essaiera ; mais il n’est point facile d’attraper un prêtre.

Le Fin voleur partit pour aller à l’endroit où le frère du seigneur était recteur. Il trouva deux chats et les attacha par la queue, deux boucs qu’il lia pareillement, puis deux bœufs qu’il accoupla aussi. Il leur mit des chandelles sur la tête, et au moyen d’une corde il les promenait autour de l’église.

Quand, le matin, le sacristain vint pour sonner l’Angelus, il eut peur de cette procession et alla avertir le recteur. Celui-ci vint en toute hâte et dit :

— Que venez-vous faire ici ? Êtes-vous de Dieu ou du diable ?

— Je suis venu de la part des anges vous dire de payer votre servante, et de me donner le reste de votre argent, après quoi je vous conduirai en paradis.

Le prêtre alla porter les gages à sa servante, puis remit au Fin voleur le reste de son argent. Celui-ci le ramassa dans sa poche et fourra le recteur dans un sac qu’il lia par le haut, et qu’il attacha au joug des bœufs ; puis il les poussa devant lui en les faisant passer par les chemins les plus raboteux.

— Pardon, mes anges, criait le prêtre du fond de son sac.

— Hue ! disait le Fin voleur en aiguillonnant ses bœufs.

— Pardon, mes anges, répétait le recteur.

Le Fin voleur, arrivé auprès du château, ôta le prêtre de son sac et renferma à moitié mort dans une étable où était une grande truie, qui s’approchait de lui en grognant, comme pour le dévorer, pendant que le malheureux criait :

— Pardon, mes anges.

Le seigneur, que le Fin voleur avait été prévenir, vint délivrer son frère et lui dit :

— Tu te vantais d’être si sage : le Fin voleur t’a encore mieux attrapé que moi !


Une autre fois, le Fin voleur trouva un trésor, et remplit d’argent plusieurs sacs qu’il apporta chez lui, et demanda à son voisin le seigneur de lui prêter un boisseau.

Celui-ci, qui voulait savoir quelle sorte de chose le Fin voleur mesurait, enduisit de poix le fond de son godet, et une pièce de six francs y demeura collée.

— Qu’as-tu mesuré ? lui dit-il quand il lui rapporta le boisseau.

— Du grain, monsieur, répondit le Fin voleur.

— Est-ce que cette année tu as récolté des écus de six livres ?

— Non ; mais je vais vous dire le fin mot : j’ai tué mes vaches, et je les ai vendues à raison de mille francs la peau.

Le seigneur fit abattre et écorcher toutes ses vaches, et porta les peaux au marché, où il criait :

— Qui veut acheter des peaux de vache ?

Les marchands s’approchaient ; mais dès que le seigneur leur disait le prix qu’il voulait de chaque peau, ils lui éclataient de rire au nez, et il ne tarda pas à être moqué et hué par tous ceux qui étaient là.

Il revint bien en colère, et s’empara du Fin voleur qu’il fourra dans un sac ; puis son domestique et lui partirent pour aller le noyer. Quand ils furent arrivés sur le bord d’un étang profond où ils voulaient le jeter, ils eurent soif, et, apercevant une auberge, ils résolurent d’y entrer pour se rafraîchir.

Ils déposèrent le sac sur le bord de la route, en disant à l’homme qui y était enfermé d’employer cet instant de répit à faire son acte de contrition.

Le Fin voleur criait et se démenait dans son sac ; mais il ne pouvait en sortir, car le haut était lié solidement. Ses cris attirèrent un marchand qui passait, et qui s’arrêta à lui demander pourquoi il se plaignait de la sorte :

— Ah ! dit-il, je vais être jeté à l’eau parce que je ne veux pas me marier avec la fille du roi.

— Sot que tu es ! Je l’épouserai bien, moi, et si tu veux je prendrai ta place.

— Alors délie le sac, et je t’y mettrai en t’enfermant de manière à ce qu’on ne s’aperçoive de rien. Quand tu sentiras qu’on te soulève, tu diras que tu veux bien maintenant consentir à ce qu’on exige de toi.

Après avoir mis le marchand à sa place et avoir soigneusement ficelé le sac, le Fin voleur s’empara du cheval et de la valise, et se hâta de s’éloigner.

Le seigneur et son domestique revinrent, et quand ils soulevèrent leur homme pour aller le jeter dans l’étang, ils l’entendirent crier :

— Messieurs, je veux bien maintenant.

— C’est fort heureux, dit le seigneur ; je vois avec plaisir que tu es un homme accommodant.

Ils précipitèrent dans l’étang le pauvre marchand, qui coula à fond et se noya.

Le lendemain, le seigneur alla se promener et fut bien étonné de voir le Fin voleur.

— Comment, dit-il, tu n’es pas noyé ?

— Ah ! monsieur, combien je vous remercie de m’avoir jeté dans l’étang : le fond en est pavé de pièces d’or, et voici, ajouta-t-il en tirant de sa poche l’argent qu’il avait dérobé au marchand, une partie de ce que j’y ai trouvé.

— Mon ami, dit le seigneur, il faut que tu me rendes à ton tour le même service.

— Je le veux bien, quoique vous n’ayez pas eu hier l’intention de m’obliger. Mais je suis bon garçon, et je ne vous en veux pas.

Le Fin voleur mit le seigneur dans un sac bien solidement noué, et après y avoir attaché une lourde pierre pour que le seigneur fût plus certain d’aller jusqu’au fond, il le jeta dans l’étang, et revint bien tranquillement chez lui.

(Conté en 1878 par Aimé Pierre, de Liffré, et par Jean Bouchery, de Dourdain.)


Le Fin voleur a de grandes ressemblances avec le Fin larron des Contes populaires de la Haute-Bretagne (n° XXXII). Voici les épisodes communs aux deux contes ; ce sont ceux : — de la Vierge consultée sur le choix d’un état (Cf. Luzel, Veillées bretonnes : les Finesses de Bilz ; Perron, Proverbes de la Franche-Comté, 1876, p. 30-31 ; on le retrouve aussi en Provence) ; — du four dévalisé (Cf. Luzel, ibid. ; Webster, La mère et son fis idiot) ; — des chevaux volés dans l’écurie (Cf. Cénac-Moncaut, Juan le Fainéant ; et les deux contes de Luzel et de Webster déjà cités) ; — des draps de lit dérobés dans la chambre du seigneur (Cf. Luzel et Webster) ; — du tour joué au prêtre (Cf. Luzel, ibid. ; Cosquin, Richedeau ; Webster, ibid. (il fait accroire au prêtre qu’il est le bon Dieu en personne) ; — des peaux de vaches vendues très-cher au marché (Cf. Cosquin, Richedeau ; H. Carnoy, Jean des Pois verts et Jean des Pois secs ; Luzel, Le meunier et son seigneur, Quimperlé, 1870) ; — du sac où le Fin voleur est mis et dont il se retire (Cf. Cénac-Moncaut, Le Juste et la Raison ; Cosquin, René et son seigneur, Richedeau ; les deux contes de Luzel ; Cerquand, Guillaume Pec, conte basque, 2e partie, p. 15 ; Webster, le Prêtre dupé).

Le recteur guéri par la peur qu’il a d’un prétendu diable se retrouve dans un petit conte inédit des environs de Matignon : un garçon se cache dans le reliquaire pendant que son compère va prévenir le recteur que le diable est en train de croquer les os des morts ; celui-ci ne veut pas venir, mais il finit par grimper sur le dos du garçon, et quand ils arrivent près du reliquaire, celui qui y était s’écrie, tout en écrasant des noix : « Camarade ! quelle est la vache noire que tu portes sur ton dos ? » Le pauvre prêtre épouvanté se laisse glisser à terre et s’enfuit, croyant avoir le diable à ses trousses.

Dans les Finesses de Bilz, le héros du conte se cache dans un tonneau comme le Fin voleur, et il fait des signes a sa mère pour lui dire comment elle doit répondre.

Le cheval qui fait de l’or est remplacé par un âne qui fait des écus, dans René et son seigneur ; dans Blancpied, autre conte lorrain de M. Cosquin, c’est un vieux cheval qui a le don prétendu de faire de l’or.

L’épisode de la femme qui ressuscite à l’aide d’un soufflet se retrouve, ainsi que la mort de la femme du seigneur, dans René et son seigneur, où le soufflet est remplacé par un sifflet ; dans Richedeau, où le héros, pour ressusciter sa femme, lui souffle dans l’oreille.

Le boisseau où collent les pièces d’or a aussi plusieurs similaires (Cf. Cosquin, Richedeau, et pour les contes étrangers où l’épisode similaire se trouve la note qui le suit ; H. Carnoy, conte cité ; Luzel, Le meunier et son seigneur).

Enfin le dénoûment du Fin voleur, où il persuade au seigneur que l’étang est rempli de pièces d’or et de choses précieuses, se rencontre dans les deux contes lorrains de M. Cosquin cités plus haut, dans les deux contes bretons de M. Luzel ; dans Guillaume Pec, conte basque de M. Cerquand.

On peut aussi comparer un autre conte breton recueilli par M. Corentin Tranois à Rosporden, et publié dans la Nouvelle revue de Bretagne, troisième année, p. 280, sous le titre de : Le comte, le curé et le paysan, et les Muscades de la Guerliche, conte flamand de Deulin.

En Haute-Bretagne, plusieurs épisodes du Fin voleur se trouvent mêlés a d’autres contes, à celui de la Jeannaie, autre voleur avisé (marmite qu’on fait bouillir en la fouettant, fouet qui ressuscite, etc.), qui a des tours qui lui sont spéciaux, et qui attrape aussi son seigneur. Vers Plancoët, on a localisé l’aventure, et c’est M. de Boisadam — nom d’une ancienne famille du pays — qui est la dupe de la Jeannaie. Ces mêmes aventures sont attribuées à un Meunier qui dupe le roi, et finit par le faire se jeter dans un étang, en lui assurant qu’il est plein de porcelaine. Ce conte a un épisode curieux : c’est celui où le meunier ayant trouvé le moyen de faire peur à des voleurs et de leur dérober leur argent, fait accroire au roi qu’il a gagné tout cela « en vendant des peaux de femmes ». Le roi fait tuer ses servantes et envoie leur peau au marché.

Sur le mythe du Fin voleur, on peut consulter l’étude très- longue de M. Kœhler, dans Orient und Occident (t. II, p. 486 et suiv., année 1863), et les notes mises par M. Cosquin à la suite de René et son seigneur (p. 56-57), de Richedeau (p. 111-116), de Blancpied (p. 251-353), où l’on trouve de nombreuses et savantes références à la littérature populaire des pays étrangers ; Monnier, Contes populaires en Italie, p. 240 ; Gubernatis, Mythologie zoologique, t. I, p. 220 et 349.

VI.

Le Navet.

Il y avait une fois un prêtre qui ne pouvait s’empêcher de péter en célébrant la messe. Il dit à sa servante :

— Je ne sais ce que j’ai ; à chaque fois que je dis ma messe, je ne fais que péter.

— Il faut, répondit la servante, vous boucher le derrière avec un navet.

Le prêtre suivit le conseil de sa servante, et tout alla bien jusqu’au dernier évangile ; mais, au moment où il se baissait vers l’autel, le navet ne put résister à tous ces pets qui s’étaient accumulés, et il partit avec un grand fracas à travers culotte et soutane. Il était lancé si fortement, qu’en passant au milieu de l’église, il tua deux femmes et défonça la grande porte. Dans la rue du village, il enleva les deux cornes d’un bœuf, assomma trois moutons qui étaient devant une écurie, et je ne sais ce qu’il devint ensuite.

(Conté en juin 1880 par Françoise Dumont, d’Ercé, âgée de vingt ans.)

Cf. Bladé, Joan lou Pèc, conte de l’Armagnac (Paris, Franck). Joan lou Pèc doit mourir au troisième pet de son âne ; aussi il essaie par tous les moyens d’empêcher ce troisième pet ; il va chercher « un pau bien pounchut et l’enfouncéc das un martet dens lou cu de l’ase. Mais l’ase s’enflec tant, e hascouc tant gran effort, que lou pau sourtiscouc coumo uo balo et tuèc lou praube Joan lou Pèc. »

J’ai un conte inédit, où un farceur fait accroire à un bonhomme qu’il mourra au troisième pet de son âne ; il essaie d’empêcher ce pet fatal, qui arrive malgré tous ses efforts, et alors il se croit mort et se couche par terre.

Il y a aussi dans le Moyen de parvenir une histoire assez semblable ; c’est celle de la servante qui « avait mangé des pois. »

Dans un conte inédit de M. Luzel, intitulé : l’Ankou (la mort) et son compère, le compère est parvenu à échapper pendant de longues années à la mort ; mais un jour il rencontre l’Ankou monté sur son chariot, et comme un des chevaux de la mort avait la foire et salissait tous les chemins, il veut le guérir, et finit, après avoir essayé plusieurs remèdes, par lui boucher le derrière avec une pierre qui, lancée avec violence, tue le pauvre compère.

VII.

Le prêtre qui n’a pas de chance.

Il y avait une fois un prêtre qui était gourmand. Un jour, il donna à sa cuisinière trois perdrix, en lui disant de les préparer pour le dîner. Quand elles furent cuites, elle voulut les goûter, et lorsqu’elle en eut avalé un morceau, elle trouva la perdrix si exquise qu’elle la mangea toute. Elle en entama une autre en pensant qu’une aile de plus lui ferait du bien ; mais elle finit par dévorer aussi la seconde. Quand il n’en resta plus qu’une, elle se dit :

— Ma foi, qu’est-ce que monsieur le recteur ferait d’une perdrix toute seule ? Je vais manger aussi la troisième.

Le recteur était sorti, et, suivant son habitude, il avait laissé son couteau à la maison. Il arriva un homme qui demanda à parler au prêtre.

— Monsieur le recteur est à l’église, dit la cuisinière, et il ne va pas tarder à rentrer ; mais il a une mauvaise habitude : toutes les fois que quelqu’un vient ici, il lui coupe une oreille. Il ne faudra pas vous effrayer : il vous en fera autant.

— Croyez-vous, répondit l’homme, me faire peur avec cette bourde ?

Le recteur rentra, et, comme c’était l’heure de son dîner, il demanda où était son couteau.

Quand l’homme entendit cela, il se sauva à toutes jambes, croyant déjà sentir le couteau trancher dans son oreille.

— Qui fait cet homme-là s’enfuir de la sorte ? demanda le prêtre.

— C’est qu’il a enlevé vos trois perdrix, monsieur, répondit la bonne pièce de cuisinière.

Le recteur se mit à poursuivre le prétendu voleur, et il criait :

— Donne-m’en au moins une !

— Non, non, vous n’aurez ni l’une ni l’autre, répondait l’homme en courant encore plus fort.

Un autre homme vint un jour le trouver et lui dit :

— Ah ! monsieur le recteur, c’est moi qui suis dans l’embarras !

— Qu’avez-vous donc, mon ami ?

— J’ai un procès avec deux personnes, et pour la même chose.

— Qu’est-ce ? Dites-moi votre cas.

— C’est que j’ai vendu le même veau à deux marchands.

— Eh bien ! si vous voulez me donner le veau, je vous tirerai d’affaire. Quand allez-vous à l’audience ?

— Jeudi, monsieur.

— Bien. Voici la manière de vous sauver de ce mauvais pas : quand on vous interrogera au sujet du veau, vous ne répondrez rien, mais vous sifflerez au nez de celui qui vous questionnera. Il est bien entendu, n’est-ce pas, que vous me donnerez le veau ?

— Oui, monsieur ; il sera pour vous.

Quand arriva l’audience, l’homme sifflait à chaque fois qu’on lui demandait quelque chose, et le juge, croyant avoir affaire à un fou, ne le condamna point.

Le recteur alla pour chercher le veau ; mais l’homme se mit à siffler comme à l’audience, et c’est tout ce que le recteur put obtenir de lui.

Le recteur s’en alla à la quête, et il entra dans une maison où il n’y avait qu’une petite fille.

— Où est ta mère ? lui demanda-t-il.

— Elle est à cuire une fournée de pain mangé.

— Et ton père ?

— Il est à la chasse.

— À quelle chasse ?

— Tous ceux qu’il ne peut tuer, il les rapporte, et tous ceux qu’il peut tuer, il les laisse là.

— Et toi, que fais-tu ici ?

— Moi, je cuis les allants et les venants.

— Ah ! dame, s’écria le prêtre, explique-moi un peu toutes tes drôleries : ta mère est à cuire une fournée de pain mangé, ton père à la chasse d’où il rapporte ceux qu’il ne peut tuer et laisse ceux qu’il tue, et toi qui cuis les allants et les venants ; qu’est-ce que tout cela veut dire ?

— Ma mère, répondit la petite fille, est à cuire une fournée de pain,pour rendre celui qu’elle avait emprunté et qui est mangé d’avance ; mon père est à chercher ses poux derrière un fossé : il laisse là tous ceux qu’il tue et rapporte ceux qu’il ne peut tuer.

— Et toi, comment cuis-tu les allants et les venants ?

— Voyez, dit-elle, en ôtant le couvercle de sa marmite ; je cuis des pois qui vont et viennent dans l’eau.

— Veux-tu me donner quelque chose ? dit le prêtre.

— Prendriez-vous bien un lièvre ?

— Oui, volontiers.

— Ah ! vous êtes plus malin que notre chien ; voilà quatre jours qu’il court après celui qui a son gîte dans notre verger, et il n’a pas encore pu l’attraper !

(Conté en 1879 par Élisa Durand, de Plévenon.)


Le second épisode de ce conte présente une singulière ressemblance avec la scène de l’avocat et du berger dans Maistre Pathelin. Quant aux énigmes de la dernière partie, elles se retrouvent, avec des formes presque semblables, en d’autres contes. Cf. Mélusine, col. 279 ; les Aventures d’un petit garçon, conte de l’Amiénois recueilli par H. Carnoy ; Fanch Scouarnec, conte breton de Luzel (Ibid., col. 465) ; Cénac-Moncaut, Juan le Fainéant ; Bladé, Joan lou pigre, conte recueilli en Armagnac ; M. Reinhold Kœhler, qui a fait suivre le conte de Fanch Scouarnec d’un savant commentaire, cite encore (Mél., col. 476) des variantes allemandes et suisses.

Les mêmes énigmes se retrouvent aussi dans deux contes gallots que j’ai en portefeuille : le Fermier et son domestique et le Fermier rusé ; et dans Blancpied, conte lorrain de M. Cosquin. (Cf. les citations à la suite, p. 252.)

L’équivoque sur les oreilles et les perdrix figure dans les Deux Predrix, p. 15 des Contes balzatois de J. Chapelot, publiés à Angoulême en 1871 ; seulement les rôles sont intervertis : c’est le curé qui a peur pour ses oreilles.

VIII

La Coquette et ses bons amis.

Une fille avait trois bons amis qui auraient bien voulu l’épouser.

Un soir, l’un d’eux vint la voir et lui dit :

— Bonjour, ma bonne amie ; vous avez la mine changée aujourd’hui.

— Ah ! répondit-elle, je ne me porte pas bien ; je suis allée à confesse, et mon confesseur m’a donné une pénitence que je ne saurais faire.

— J’irai à votre place, si cela est possible, dit le galant.

— Oui, s’écria-t-elle, allez-y ; vous savez que je vous ai toujours préféré entre tous les autres. Il faudra prendre un drap blanc, vous le mettre sur le dos, et rester auprès du porche depuis minuit jusqu’à trois heures du matin.

Quand le galant fut parti, le second amoureux de la fille vint la voir à son tour, et, après lui avoir souhaité le bonsoir, lui demanda pourquoi elle avait l’air affligé.

— Hélas ! dit-elle, je n’en ai que trop sujet : mon confesseur m’a imposé une si dure pénitence que, rien qu’à y penser, j’en ai la chair de poule.

— Quelle qu’elle soit, répondit-il, je la ferai à votre place, si vous voulez me promettre de m’épouser.

— J’y consens, dit la fille. Prenez une peau de vache, et allez vous promener dans le cimetière auprès de la tombe qui est fraîchement creusée.

Le troisième galant arriva à son tour, peu après le départ de l’autre, et trouva la jeune fille tout en larmes.

— Qu’avez-vous ? lui dit-il.

— Ce que j’ai ! C’est une pénitence si dure, si dure, que je n’ose y penser.

— Dites-la-moi, et je la ferai à votre place, si vous voulez me promettre de vous marier avec moi.

— Il faut prendre une chaîne et une clochette, et vous mettre à passer et à repasser dans le sentier entre les tombes, puis aller sous le porche tremper votre doigt dans l’eau bénite.

Quand les trois garçons furent au cimetière, celui qui avait sur le dos une peau de vache crut voir un revenant sous le porche ; celui qui était enveloppé d’un drap pensa que le diable se promenait, et tous les deux étaient effrayés d’entendre le bruit de chaînes et de clochettes que faisait le troisième galant. Celui-ci, de son côté, avait peur des deux autres, et tous les trois finirent par se sauver à toutes jambes après avoir, dans leur effroi, embrené leurs hannes ou, si vous aimez mieux, leurs culottes.

Le lendemain, ils se retrouvèrent à l’auberge, et comme chacun d’eux avait la figure triste et fatiguée, ils se demandèrent les uns aux autres s’ils étaient par hasard malades.

— Non, dit le premier ; mais je suis allé cette nuit au cimetière pour accomplir une pénitence, et j’ai vu le diable qui se promenait sur les tombes, et un fantôme qui agitait des chaînes en secouant sa clochette.

— Moi, repartit le second, j’ai vu sous le porche un revenant couvert de son suaire et un fantôme qui secouait sa clochette.

— J’ai, dit le troisième, vu le diable se promener parmi les fosses des défunts, et un revenant auprès de l’église enveloppé dans son suaire.

— M’est avis, les gars, qu’on s’est gaussé de nous : c’était moi qui étais sous le porche ; toi tu avais la peau de vache sur le dos, et notre camarade sonnait la clochette. Il faut jouer un tour à la personne qui a voulu se moquer de nous.

Le premier s’habilla en chercheur de pain, et alla frapper à la porte de la maison où demeurait la fille. Il avait recommandé aux autres de monter sur la cheminée du logis, et de lui envoyer ce qu’il demanderait.

— Voulez-vous me loger, pour l’amour de Dieu ?

— Non, bonhomme ; passez votre chemin ; la maison n’est pas une auberge.

— Logez-moi, je vous en prie ; je ne peux aller plus loin. Vous me coucherez sur une botte de paille, et cela ne vous gênera guère.

Les gens de la maison lui permirent d’entrer, et ils lui offrirent à manger.

— Non, merci, répondit-il ; je ne mange que ce que Dieu me donne, et si j’ai besoin de quelque chose, il me l’enverra. Mon Dieu, dit-il, envoyez-moi un gâteau.

À l’instant un gâteau descendit par la cheminée.

— Envoyez-moi des amandes.

Des amandes tombèrent aussitôt dans le foyer.

— Merci, mon Dieu, dit le chercheur de pain.

— C’est un saint, disait le bonhomme ; il faut le mettre à coucher avec notre fille.

Le saint se mit au lit avec la jeune fille, qui bientôt s’écria :

— Maman, le saint me bitte (me touche).

— Ne dis rien ; c’est un saint.

Cinq ou six mois après, on s’aperçut que la fille était enceinte, et la bonne femme, toute fière, entra dans l’église avec son bonhomme et sa fille en criant :

— Place, place à quatre ! Ma fille est grosse d’un saint ; elle accouchera d’un pape.

Et elle cassa la tête à tous les saints de l’église.

(Conté en 1879 par Saint-Toussaint-Gautier, d’Ercé.)


La fin de ce conte m’a été dite d’une façon un peu différente :

L’un des garçons s’habille en femme ; l’autre déguisé le conduit, et au soir ils viennent heurter à la porte de la coquette, et le prétendu mari demande un logement pour sa femme qui était enceinte :

— Logeons-la, dit le bonhomme ; mais avec qui va-t-elle coucher ?

— Avec la fille de la maison.

Au milieu de la nuit, la fille s’écria :

— Mon père, la femme est un gars.

Mais le bonhomme prit son violon, et se mit à jouer :

::Que le bon Dieu la mène, :::La mène, ::Que le bon Dieu la mène bien.


J’ai entendu plusieurs autres variantes de ce conte qui se retrouve — mais considérablement allongé et arrangé — dans le Grillon du Foyer, légendes (ou plutôt nouvelles) bretonnes, par Caliste de Langle. C’est le conte qui a pour titre : Archange et Capucins.

IX.

Les Trois dons.

Il y avait une fois un petit gars qui perdit sa mère, et son père se maria en secondes noces.

Mais sa belle-mère ne lui valait rien : elle ne lui donnait pour se nourrir que de vieilles croûtes de pain moisi, et quand il allait aux champs, il les mettait à tremper dans la fontaine avant de les manger.

Un jour qu’il était accroupi près de l’eau, un pauvre passa par là et lui dit :

— Que fais-tu, mon petit gars ?

— Je suis à tremper dans la fontaine les croûtes de pain moisi que ma belle-mère m’a données, car c’est tout ce que j’ai pour me nourrir.

— Donne-m’en une ou deux, petit gars.

L’enfant lui offrit quelques-unes de ses croûtes de pain ; le mendiant les mangea, puis il lui dit :

— Tu viens de faire une bonne action, et pour ta récompense, tu as trois choses à souhaiter. Que veux-tu ?

Le petit garçon se gratta la tête, puis il dit :

— Chaque fois que je regarderai ma belle-mère, elle se mettra à péter et à foirer jusque sur ses chausses.

Le chercheur de pain ne répondit rien, et le petit gars continua :

— Je voudrais un petit pistolet pour tirer sur les oiseaux, et je désirerais que tous ceux qui me verront tirer soient forcés de courir après la balle.

Le mendiant tira de sa poche un petit pistolet et le donna à l’enfant en disant :

— Et quel est ton troisième souhait ?

— C’est d’avoir une clarinette, et quand j’en jouerai tous ceux qui me verront ou m’entendront seront forcés de danser.

Le mendiant lui donna une clarinette, et il disparut.

Le petit gars retourna à la maison ; sa belle-mère était à l’étable en train de rattacher ses vaches ; il alla la voir et dès qu’il l’eut regardée, elle se mit à péter et embrena toutes ses chausses, ou si vous aimez mieux ses bas, et chaque fois que le petit gars la regardait, pareille chose lui arrivait.

Le lendemain, elle était invitée à des noces, et elle dit à son mari d’enfermer son fils dans un appentis auprès de la maison, car elle avait peur qu’il ne lui causât encore quelque accident. Vers midi, le père du petit gars lui ouvrit la porte et lui dit :

— Va voir ce que fait ta belle-mère.

Celle-ci était à table, assise entre deux beaux messieurs ; le petit gars alla à une fenêtre et regarda sa belle-mère, qui aussitôt se mit à péter et à embrener ses chausses, si bien que tout le monde se bouchait le nez. Et les messieurs ordonnèrent à leurs domestiques de jeter dehors cette bonne femme malpropre.

Le petit gars s’en retourna bien vite dans l’appentis, et quand sa belle-mère revint à la maison, elle alla voir s’il était là, et le trouva enfermé comme s’il n’était jamais sorti.

— Bien sûr, se dit-elle, il y a là-dessous quelque magie.

Le lendemain, dès le matin, elle fut à confesse et raconta au recteur ce qui lui était arrivé.

— J’irai le voir, dit le prêtre, et je lui ferai avouer le sortilège qu’il emploie.

Il vint dans le champ où était la fontaine et vit le petit gars qui trempait dans l’eau ses croûtes de pain.

— Que fais-tu là ? lui dit-il.

— Je mets à tremper les croûtes de pain moisi que ma belle-mère me donne.

— On prétend que tu as de la magie.

— Ah ! non, monsieur le recteur.

— Si tu veux me dire la vérité, je te donnerai une belle image dimanche prochain.

— Non, je ne tiens pas à l’image, répondit le petit garçon ; mais si vous voulez vous mettre tout nu, je vous conterai tout.

Le prêtre ôta sa soutane et ses culottes, et resta en caleçon et en chemise ; mais le petit gars dit qu’il fallait qu’il fût tout nu, et le prêtre, voyant que personne n’était là, se dépouilla des vêtements qui lui restaient.

Alors le petit gars tira un coup de pistolet dans un buisson de ronces ; aussitôt le recteur courut après la balle, et quand il fut rendu au milieu du buisson, le petit gars se mit à jouer de la clarinette, et le recteur dansait malgré lui, accrochant sa peau nue aux piquants des ronces, et, tout en tournant, il criait :

— Tu as de la magie ! tu as de la magie ! Je te ferai prendre ! je te ferai prendre !

À la fin, le petit gars se lassa de jouer, et le recteur, éraflé et tout sanglant, put reprendre ses habits et s’en retourner. Il alla raconter à la justice le tour pendable qui lui avait été joué ; les gendarmes amenèrent le petit gars devant les juges, et il fut condamné à mort. Quand on fut sur le point de le mener au supplice, le juge lui demanda s’il désirait quelque chose.

— Oui, dit-il, je voudrais aller me promener sur le bord de l’étang, tirer un coup de pistolet et jouer un air de clarinette.

Cette demande lui fut accordée ; mais le prêtre criait :

— C’est de la magie ! liez-moi ! liez-moi !

Les gens disaient :

— Le pauvre recteur est fou !

Et on finit par l’attacher.

Tous ceux qui étaient présents à l’audience allèrent sur le bord de l’étang avec le petit gars qui était entre deux gendarmes. Dès qu’il y fut arrivé, il tira un coup de pistolet, et aussitôt tout le monde se précipita, pour chercher la balle, au milieu de l’étang. Quand ils y furent, le petit garçon joua un air de clarinette, et ceux qui étaient dans l’eau se mirent à danser ; mais ils finirent tout de même par se noyer.

Le petit gars alla ensuite délier le prêtre, et ils s’en retournèrent gaîment tous deux.

(Conté en décembre 1879 par Françoise Dumont, d’Ercé près Liffré.)


Les Trois dons ressemblent en beaucoup de points à un récit portant le même titre (Contes populaires de la Haute-Bretagne, n° VII) que j’ai recueilli dans le même pays. Dans ce conte le pauvre est remplacé par une fée, le pistolet par une arbalète et la clarinette par une petite musique en chaume vert. La belle- mère pète toutes les fois que son beau-fils éternue, et la plus disgracieuse de ses aventures lui arrive à l’église.

Le prêtre n’est point contraint de se mettre nu ; c’est sa soutane seule qui est déchirée, et le dénoûment est moins tragique. Conduit devant le juge de paix, le petit garçon fait danser tout le monde et ne s’arrête que lorsqu’on lui a accordé sa grâce.

L’instrument de musique, qui force à danser ceux qui l’entendent, se retrouve dans la Flûte du berger Meyot, de Cénac-Moncaut ; le Petit Bossu, de Cosquin ; le Violon merveilleux, de Carnoy ; les Trois souhaits, de Luzel, cinquième rapport ; dans l’Air merveilleux, conte irlandais de Crooker, abrégé par M. L. Brueyre qui, à la suite, p. 166, cite un assez grand nombre de contes analogues ; et l’épisode de la musique jouée sur l’échafaud est aussi dans Cénac-Moncaut, mais le dénoûment a lieu à la satisfaction générale, comme dans le conte si connu de Grimm, le Juif dans les épines.

L’arc qui atteint son but a son similaire dans le Poirier aux poires d’or, le Corps sans âme, les Trois souhaits, contes bretons de Luzel ; dans le Petit Bossu, de Cosquin (flèche qui perce tout ce qu’on veut) ; Peronik l’idiot, de Souvestre (boule de fer qui, après avoir frappé, revient d’elle-même à son maître).

Voir, pour les contes étrangers où cet épisode se trouve, Brueyre, Contes populaires de la Grande-Bretagne, p. 27, et R. Kœlher, Zeitschrift für Romanische Philologie, t. III, p. 312.

Il était une fois une bonne femme qui avait trois garçons. Avant de mourir, elle leur donna à chacun un balai en leur disant :

— Conservez bien chacun votre balai ; c’est tout ce que je peux vous donner pour vous souvenir de moi. Allez chacun de votre côté, et quand vous aurez fait fortune et que vous vous retrouverez, vous brûlerez les balais.

Quand leur mère fut morte, les trois garçons partirent pour se placer comme domestiques.

L’aîné alla offrir ses services à un seigneur qui habitait un beau château ; on convint du prix, et le maître mit dans les conditions que le premier qui se fâcherait serait obligé de se laisser couper sur la cuisse une rouelle de peau.

— Ne faites rien aujourd’hui, dit le maître, et reposez-vous ; demain vous aurez assez de besogne.

Quand arriva le lendemain, le seigneur indiqua à son serviteur un champ où il devait travailler, et lui dit de revenir à neuf heures pour le déjeûner.

À l’heure fixée, le domestique était de retour au château.

— Te voilà revenu pour déjeûner, mon garçon ? lui dit son maître.

— Oui, monsieur, répondit-il.

— Tu te passeras bien de déjeûner, n’est-ce pas ?

— Comment voulez-vous que je travaille, si je ne mange pas ? dit le garçon d’un air contrarié.

— Ah ! tu répliques et tu te fâches ! Viens ici ; je vais te découper une rouelle sur les fesses, et tu t’en iras après.

Le garçon partit, bien marri, car sa fesse lui cuisait ; il alla trouver son second frère, et il lui dit :

— Je n’ai pas voulu rester dans cette place-là ; on ne veut rien donner à manger aux domestiques.

— Je vais aller m’y gager à mon tour, répondit son frère, et je parie bien qu’on ne me refusera pas ma nourriture.

Il alla se présenter au château et dit au seigneur :

— Avez-vous besoin d’un domestique ?

— Oui, répondit-il ; le mien s’en est allé ce matin ; combien demandes-tu pour tes gages ?

— Trois cents francs par an.

— Trois cents francs, soit ; mais tu ne sais pas mes conditions ; je vais te les expliquer : le premier de nous deux qui se fâchera devra se laisser couper une rouelle de peau.

— J’accepte, dit le garçon, qui pensa en lui-même qu’il se garderait bien de se fâcher.

Le lendemain, son maître lui ordonna d’aller bêcher dans le jardin, en lui disant de revenir déjeûner à neuf heures.

À l’heure fixée, le domestique était de retour, et il avait déjà grand faim.

— Te voilà revenu pour déjeûner ? lui demanda son maître.

— Oui, monsieur.

— Tu te passeras bien de déjeûner.

— Non, par tous les diables ! s’écria le garçon.

— Tu te fâches ? Tu vas quitter ma maison ; mais auparavant je vais te découper sur la fesse une rouelle de peau.

Le garçon s’en alla bien ennuyé, lui aussi, et vint trouver le plus jeune de ses frères, auquel il raconta qu’il avait quitté le château parce qu’on ne voulait pas lui donner à manger, et que pareille chose était arrivée aussi à l’aîné.

— Je vais aller au château à mon tour, dit le plus jeune.

— N’y vas pas, mon frère, lui dirent les autres ; pense que chacun de nous a eu une rouelle de peau coupée sur sa fesse.

— Si, j’irai ; c’est bien décidé.

Il se mit en route pour aller trouver le seigneur, auquel il offrit ses services.

— Combien demandes-tu ? lui dit son maître.

— Quatre cents francs par an.

— Soit ; mais tu sais que le premier de nous deux qui se fâchera sera obligé de se laisser couper une rouelle de peau sur la fesse.

— C’est bien, répondit le garçon.

Le lendemain, son maître l’envoya faucher dans une prairie, et lui dit de revenir à neuf heures pour déjeûner.

Chacun sait que le métier de faucheur est très-pénible ; aussi le garçon avait bien faim quand à neuf heures il arriva au château.

— Te voilà sans doute revenu pour déjeûner ? lui demanda le seigneur.

— Oui, monsieur.

— Mais tu te passeras bien de déjeûner.

— Et vous, dit le garçon, vous fâcherez-vous de me donner à manger ?

— Non, se hâta de répondre le seigneur, qui lui fit servir à déjeûner.

En mangeant, le domestique prenait les meilleurs morceaux, et il disait :

— Vous ne serez pas fâché de me les donner, n’est-ce pas ?

Mais le seigneur pensait : « En voici un petit qui est plus fin que les autres, et c’est lui qui m’attrapera, si je ne me donne garde. » Il dit à son domestique :

— Nous allons faire un autre arrangement : tu resteras chez moi jusqu’à ce que tu entendes chanter le coucou ; et dès qu’il aura chanté, tu t’en iras.

On était alors en automne, et comme le seigneur voulait renvoyer son domestique, il dit à sa femme de monter dans un arbre pour chanter comme le coucou.

— Entends-tu le coucou ? dit son maître.

— Oui ; mais jamais je ne l’avais entendu si tôt chanter.

Il prit son fusil, tira sur l’arbre d’où partait le chant, et la femme tomba morte.

— Comment ! s’écria le seigneur, tu as tué ma femme ?

— Êtes-vous fâché maintenant ?

— Non, dit-il, mais va-t’en de chez moi.

Et il lui compta ses gages.

Le garçon alla retrouver ses frères, et tous les trois essayèrent de brûler les balais que leur mère leur avait donnés ; mais les balais ne brûlaient point.

(Conté à Saint-Cast en 1879 par Scolastique Durand, de Plévenon.)

Dans deux autres contes que j’ai recueillis en Haute-Bretagne, il est aussi question de la punition que doit subir le premier qui se fâche : dans l’un, le premier qui sera lassé doit recevoir de l’autre un coup de poing ; le domestique entré en service vend les vaches qu’il gardait, et met deux queues dans le haut d’un arbre pour faire accroire à son maître que le vent les a enlevées ; il vend un troupeau de cochons, et plante les queues dans une fondrière, comme s’ils s’y étaient embourbés ; il vend le grain d’une grange, et prétend que les rats et les souris l’ont mangé ; il vend des arbres, et dit que les loups les ont dévorés ; il descend dans un puits pour chercher un seau, et ayant heurté son maître avec une grosse pierre, celui-ci finit par se fâcher, et le domestique le tue d’un coup de poing. Voici le second conte que je donne in extenso à cause de son peu d’étendue.

XI.

Le Fermier et son domestique.


Il était une fois un ouvrier qui cherchait de l’ouvrage : il se présenta à une ferme où il fut gagé, et on mit dans les conditions du marché que le premier, soit le maître, soit le domestique, qui ne serait pas bien aise, aurait le nez coupé.

Le fermier envoya son domestique découvrir une maison sans lui désigner laquelle ; il alla à l’endroit désigné et enleva la toiture d’une étable, puis celle de la maison principale. Son maître survint et s’écria :

— Ah ! malheureux ! je ne t’avais pas dit cela.

— Quand je n’ai plus eu d’ouvrage à la petite, je suis monté sur l’autre ; est-ce que vous n’êtes pas bien aise ?

— Si, si, se hâta de répondre le fermier.

Il lui dit ensuite :

— Tu vas faire la soupe, et tu ne manqueras pas d’y mettre oignon, carottes, persil, et tout ce qu’il faut.

Le domestique prit un petit chien nommé Persil, auquel son maître tenait beaucoup, et le fourra dans la marmite.

À l’heure du repas, le fermier revint :

— As-tu bien fait la soupe ? demanda-t-il.

— Oui, oui, j’ai mis dans la marmite persil et tout.

— Malheureux ! s’écria le maître quand il eut soulevé le couvercle, tu as fourré dans la soupe mon petit chien que tout le monde aimait à la maison !

— Est-ce que vous n’êtes pas bien aise ? dit le domestique.

— Si, si, répondit son maître.

Le domestique fit encore plusieurs tours, et le fermier lui dit :

— Quand le coucou chantera, tu partiras.

Et il ordonna à sa fille de monter dans un poirier et de chanter : Coucou ! coucou !

— Je n’ai jamais vu cet oiseau-là, dit le domestique.

Il secoua le poirier, et la fille tomba par terre.

— Je l’ai vu, le coucou, dit-il à son maître, qui se mit à jurer comme un charretier embourbé.

— Vous n’êtes pas bien aise ? demanda-t-il.

— Si, si, se hâta de répondre le fermier, qui fut encore plus aise quand, peu après, le domestique partit de son plein gré.

(Conté en 1880 par Jean Le Tanneur, d’Ercé.)


Dans le conte précédent, qui par plus d’un point ressemble à celui-ci, se trouve l’épisode du morceau de chair que le premier fâché doit se laisser enlever et qui figure dans plusieurs récits de pays très-différents.


En France, on le retrouve dans Fanch Scouarnec, conte breton de Luzel (Mélusine, col. 465), où il est suivi d’observations de M. Reinhold Kœhler, qui cite un grand nombre de similaires étrangers ; Janvier et Février, autre conte de Luzel (cinquième rapport, p. 29) ; Les trois Frères, le Maître cruel et le Tartaro, conte basque recueilli par Webster ; Jean et Pierre, conte lorrain de M. Cosquin, qui le fait suivre d’une intéressante dissertation. On peut aussi consulter les notes mises par M. Loys Brueyre à la suite du conte anglais Jack et les Géants, p. 25 des Contes populaires de la Grande-Bretagne, et la Mythologie zoologique de M. de Gubernatis, t. I, p. 499, qui vise surtout les coups de poing à recevoir. (Cf. aussi sur cet épisode le Jeune géant, de Grimm.)

III.

Les diableries, sorcelleries et histoires de revenants.

§ I. — Les Diableries.


Le diable joue un grand rôle dans la littérature légendaire de la Haute-Bretagne ; comme dans les fabliaux du moyen âge et dans les histoires de la Légende dorée, il finit toujours par être dupé, soit par la finesse des hommes et surtout des femmes, soit par les prêtres, qui l’exorcisent au bon moment et lui arrachent sa proie.

Le diable, que les paysans gallots mettent en scène dans des récits nombreux, mais peu variés, est généralement un bonhomme de diable qui vient quand on l’appelle, et qui, moyennant un pacte signé, parfois sur une simple promesse, accorde ce qu’on lui demande. Il n’est guère de pays où l’on n’entende parler des apparitions contemporaines du diable ; on cite les endroits, le nom des personnes qui l’ont vu, et la plupart de mes conteurs semblaient y croire fermement.

Le diable est fidèle observateur des conventions, qu’il exécute à la lettre et avec une entière bonne foi ; si l’assistance ne le considérait pas comme le grand ennemi, elle éprouverait à coup sûr une sorte de sympathie pour celui qui se fait si souvent tromper.

Dans une autre série de légendes, qui sont d’origine chrétienne et même cléricale, le diable joue le rôle d’un croquemitaine, qui vient se mêler aux danses pour emporter ceux qui se livrent à ces amusements contre lesquels l’Église a, surtout en ces dernières années, dirigé une sorte de persécution.

Outre les légendes diaboliques qui suivent et celles que j’ai publiées dans mes Contes populaires, on pourra consulter, au sujet du rôle qui est attribué au diable dans la Haute-Bretagne, les Légendes du Morbihan, du docteur Fouquet, et principalement celles intitulées : la Jument du diable, et le Douanier emporté par le diable.

Dans les Veillées de l’Armor, de M. du Laurens de la Barre, se trouvent deux récits de diableries : le Pêcheur de Konkored et le Diable boiteux, dont l’un a été recueilli en pays gallot ; le volume des Fantômes Bretons, du même auteur, contient aussi deux autres contes diaboliques : Une chaise en enfer et le Garde-Chasse du diable, et dans l’important volume de M. Luzel : Contes chrétiens de la Basse-Bretagne, actuellement sous presse, figurent des aventures diaboliques du plus haut intérêt.

I.

La Coquette et le Diable.


Il y avait une fois à Erquy, il y a bien longtemps de cela, une fille qui s’appelait Adèle Hourdin. Comme elle était pauvre, elle ne pouvait avoir de beaux habits comme les jeunes filles de son âge, et elle était humiliée de ses cotillons tout rapiécés, de ses coiffes de gros fil roux et de ses sabots usés.

Un jour, plus dépitée que de coutume, elle s’écria :

— Je ne peux aller à aucune assemblée, parce que je n’ai pas d’habits ; je me donnerais bien au diable pour en avoir d’aussi beaux que les autres !

Adèle, qui demeurait seule dans une petite maison, avait oublié son souhait : quelques jours après, elle vit arriver chez elle, à.la nuit close, un beau monsieur qui lui demanda si elle était à son aise et si elle avait quelque chose à désirer. Elle, qui n’était point des plus fines, lui raconta toutes ses affaires et lui dit qu’elle était humiliée de n’avoir que de vilains habits.

— Je vais, lui dit le monsieur, vous donner de l’argent, et rien ne vous manquera ; j’y mets pour seule condition que vous vous engagerez par écrit à être à moi dans trois ans, si vous ne pouvez me rendre ce que je vous aurai prêté.

Elle qui pensait que le monsieur entendait qu’au bout de trois ans il l’aurait épousée, consentit très-volontiers à l’engagement.

Rien ne manquait chez elle : elle avait à souhait des bêches pour travailler son jardin, des tonneaux de cidre, des pièces de toile, de beaux cotillons de rayé. Quand elle désirait quelque chose, il lui suffisait de le demander au monsieur, qui venait tous les soirs chez elle, lorsque la nuit était close.

Ses voisines, qui l’avaient connue si pauvre, s’étonnaient de voir que tout d’un coup elle était dans l’abondance, et elles se demandaient comment elle avait bien pu s’y prendre pour cela.

L’une d’elles vint un jour la voir et lui dit :

— Prête-nous des outils, Adèle ?

— Non, dit-elle, je ne peux.

— Est-ce qu’ils ne sont pas à toi ?

— Si, ils sont à moi ; mais je ne peux les prêter.

— Qui te les a donnés ?

— Écoute, je vais te conter cela à toi ; mais il ne faut rien en dire à personne. J’ai un galant qui est un bel homme et qui me donne tout ce que je veux.

Elle lui montra son armoire qui était bien garnie et un coffre où il y avait du vin de toutes les couleurs.

— Mais, lui dit sa voisine, on ne le voit point, ton monsieur.

— C’est, répondit-elle, qu’il ne vient que la nuit.

La voisine avait promis le secret ; mais la langue lui démangeait de raconter ce qu’elle avait entendu et vu, et en peu d’instants tout le village en fut informé. Les gars dirent qu’ils iraient le soir chez la Hourdine, et à la brune ils entrèrent chez elle ; mais ils n’y restèrent pas longtemps. Ils entendaient dans le grenier un tapage si fort qu’il semblait que la maison allait tomber par terre. Ils eurent peur et se hâtèrent de retourner chez eux.

Le lendemain, ils racontèrent leur aventure à d’autres garçons qui se moquèrent d’eux et leur dirent :

— Vous êtes de bons diots, vous autres ; vous avez eu peur d’un chat qui jouait dans le grenier. Il nous faut inviter la Hourdine à venir avec nous dimanche prochain, à l’assemblée de Saint-Sébastien, et le soir nous irons tous ensemble la ramener chez elle.

Ils la conduisirent à l’assemblée, lui achetèrent des amandes et lui payèrent du cidre et du café, puis ils vinrent au soir dans sa maison.

— Donne-nous un petit coup de vin à boire, Adèle, nous qui t’avons promenée et défrayée toute la journée.

— Mon galant m’a bien défendu d’en donner à personne ; mais vous avez été si gentils pour moi que je vais aller vous en chercher une bouteille.

À peine l’eut-elle atteinte, que la porte de l’escalier qui menait au grenier s’ouvrit, et le monsieur descendait les marches. Avec le doigt, il montrait la porte aux garçons sans rien leur dire, mais avec des yeux si terribles qu’ils se hâtèrent de sortir.

Quand ils furent au milieu de l’aire, ils enten- dirent Adèle qui jetait des cris comme si on la tuait. Ils pensèrent que le monsieur n’était autre que le diable, et ils allèrent chercher le recteur d’Erquy. Mais celui-ci ne voulut pas aller tout seul combattre le démon, et il recommanda aux garçons de dire à la fille de venir lui parler le lendemain.

— Que me voulez-vous, monsieur le recteur ? dit-elle quand elle fut arrivée.

— Qu’est-ce que le galant que vous avez ?

— Je n’en sais rien et ne le lui ai pas demandé, répondit Adèle. C’est un homme qui est venu me voir. Il me donne tout ce que je veux, et il m’a dit qu’il me prendrait au bout de trois ans.

— Vous avez fait un engagement avec lui ?

— Oui, et il arrive tous les soirs par le grenier.

— Ah ! il vient par le grenier ?

— Oui, il n’entre jamais par la porte qui donne sur l’aire.

— Qu’est-ce qu’il fait avec vous tous les jours ?

— Il se couche avec moi ; mais cela ne me plaît guère, car il a des griffes pointues, et il m’égratigne.

— Malheureuse! s’écria le recteur, vous vous êtes donnée au diable !

— Ah ! non, monsieur le recteur.

— Si ; vous avez dit un jour que vous vous donneriez bien au diable pour avoir de beaux habits ; il vous a prise au mot, et vous êtes perdue. Comment ferai-je pour vous tirer de ses griffes ?

— Ah ! s’écria-t-elle, je n’irai pas coucher chez moi ce soir.

— Si, il faut y aller, car il ne viendrait pas ici. Ce ne sera pas encore aujourd’hui que je vous délivrerai ; mais ayez soin de regarder comment ses pieds sont faits.

— Je n’y ai jamais pris garde ; mais je sais bien qu’il a aux mains des griffes pointues.

Quand la Hourdine vit son galant arriver le soir, elle ne manqua pas d’aller lui regarder les pieds ; elle les toucha même de ses doigts et vit qu’ils étaient difformes.

Le monsieur lui dit :

— C’est Lechien — ainsi se nommait le recteur — qui t’a ordonné de me regarder les pieds ?

Et il se mit à la battre, et lui jura que si elle laissait encore quelqu’un venir dans sa maison, ce serait pour elle un malheur.

La Hourdine alla dès le matin raconter tout au recteur, et, le soir arrivé, il vint à la maison de la fille avec deux autres prêtres, et passa son étole au cou du diable ; mais celui-ci mit en pièces toutes les étoles de la paroisse et battit les deux prêtres. Il ne restait plus qu’une étole : c’était celle d’un jeune vicaire qui était un petit saint homme ; le diable ne put la déchirer, et la fille fut délivrée ; mais le diable, en s’en allant, emporta plus de la moitié de la maison. Depuis ce temps on a essayé de la rebâtir ; mais les pierres ne tenaient pas l’une sur l’autre.

Le recteur dit à la Hourdine, quand elle fut délivrée :

— Tâche de ne pas recommencer : si tu te donnais au diable une seconde fois, tu resterais entre ses griffes, car cela donne trop de mal aux prêtres de chasser le démon.

(Conté par Rose Renaud, de Saint-Cast, qui l’a appris de la veuve Chauvel, d’Erquy.)


Il est souvent question de pactes dans les contes gallots. (Cf. le Pacte, n° XLII ; Rodomont, n° XLVIII ; les Femmes et le Diable, n° XLIV des Contes populaires.)

Dans ces contes, le diable s’en va en vent, et abat le pignon de la maison, ou des arbres ; dans le récit qui suit, ce sont des pommiers qu’il déracine en s’en allant. J’ai entendu raconter sérieusement dans l’Ille-et-Vilaine qu’une trombe qui dévasta un grand espace de pays, avait commencé à une ferme d’où le diable, après avoir été exorcisé, s’en était allé en vent. Cf. aussi, sur la manière dont le diable exorcisé s’en va, E. Cordier, Légendes

des Hautes-Pyrénées, p. 47.

II.

Le Diable danseur.

Un jour, dans une noce de campagne, une jeune fille qui, depuis longtemps, était « au hâle, » c’est-à-dire que personne n’avait invitée à danser, s’écria :

— Toutes les autres ont trouvé des danseurs ; j’en veux un aussi, moi, serait-ce le diable !

Peu après qu’elle eut dit ces paroles, un monsieur que personne ne connaissait entra dans la maison, salua la compagnie, et vint inviter la jeune fille. Elle accepta volontiers et n’eut pas à se plaindre de son cavalier, car il dansait mieux qu’aucun des gens de la noce, et, à la fin des figures, il enlevait sa danseuse dans ses bras comme si elle n’avait pas plus pesé qu’un enfant.

Un des assistants remarqua que l’étranger avait les pieds faits comme ceux d’un poulain, et il se hâta d’aller avertir le prêtre. Celui-ci n’était pas fort aise de venir (car, paraît-il, les combats avec le diable sont pénibles pour les exorcistes). Il consentit pourtant à se déranger, et il arriva dans l’aire de la ferme à un moment où l’on finissait une danse, et où chacun allait boire : le diable prenait sa moque de cidre comme les autres. Le recteur fit avertir la danseuse de venir lui parler, et il lui recommanda, quand son cavalier reviendrait la prendre, de laisser, comme par mégarde, tomber à terre son mouchoir.

La fille rentra et fit ce qui lui avait été ordonné, et comme son danseur se baissait pour ramasser le mouchoir, le prêtre, qui était aux aguets, lui passa vivement une étole autour du cou.

Quand le diable se vit pris, il dit :

— Voilà une chose qui me fait bien du tort : si la fille avait encore dansé quatre contredanses avec moi, je l’aurais emmenée danser ailleurs.

Le recteur lui commanda de s’en aller en fumée ou en vent.

— En fumée, dit le diable, j’étoufferais tous ces gens-ci qui m’ont donné du cidre à boire et qui ont été bien honnêtes avec moi ; j’aime mieux m’en aller en vent.

Il ne fit pas grand mal à la maison ; mais dans un verger qui y touchait, il abattit vingt pommiers.

(Conté par Aimé Pierre, de Liffré.)


On raconte un peu partout, en Haute-Bretagne, des histoires analogues qui ont vraisemblablement leur origine dans la persécution que le clergé a dirigée contre les danses.

Parfois même le diable se permet de paraître dans les villes. On racontait autrefois à Dinan qu’il était venu assister à un bal public, sous la Restauration. Un soir, qu’on dansait à la Fontaine-des-Eaux, un monsieur, vêtu de noir, vint se mêler aux danseurs. Bientôt on s’aperçut qu’il avait un pied fourchu : on alla chercher M. Bertier, alors supérieur du petit Séminaire ; il exorcisa le danseur qui se dissipa en fumée, non sans laisser après lui, comme tous les diables qui se respectent, une forte odeur de soufre. (Cf. sur le danger d’invoquer le diable : les Femmes et le Diable, n° XLIV des Contes populaires de la Haute-Bretagne ; la Coquette et le Diable dans le présent volume ; et sur l’intervention du diable dans les danses : le Pacte, n° XLII ; le Diable ménétrier,

n° L.)

III.

Misère.

Un petit bonhomme qui s’appelait Misère avait une maison sur le haut d’une montagne. Il se dit :

— Je ne puis pas rester ici, car je n’ai pas d’argent ni de pain, et je ne veux pas vivre de mes rentes. Je vais aller trouver un forgeron et me placer chez lui comme apprenti.

Il ne resta pas huit jours chez son patron sans avoir envie de s’en aller.

— Je suis bien bête, dit-il, de rester ici. Je sais maisonner ; je vais me construire une petite cabane, et j’y porterai tout ce qu’il faut pour forger.

La maison faite, il arrangea derrière elle un jardin où il planta toutes sortes d’arbres, puis il se mit à réfléchir.

— Je suis bien bête, dit-il, de me crever à travailler, tandis que Satan a de l’argent en enfer.

Il monta sur le haut de sa cheminée pour appeler le diable :

— Satan, cria-t-il, apporte-moi de l’argent ; si tu veux, je vais me donner à toi, et au bout de dix ans tu m’emporteras.

Ils s’arrangèrent ensemble moyennant cent mille francs, avec lesquels le petit bonhomme pouvait, disait-il, vivre de ses rentes.

Il travaillait pourtant quelquefois, mais à ses heures. Un an se passe, puis deux, puis trois, et bientôt les dix années furent écoulées, et il ne pensait plus que le temps était bientôt arrivé.

Voilà le diable qui vient à la maison du bonhomme :

— Je viens te chercher, Misère.

— Tu vas bien me donner le temps de boire une moque, dit Misère, et tu vas venir avec moi.

Misère avait eu la malice de construire un four, et le diable et lui allèrent s’amuser dedans à faire des tours de force ; quand le bonhomme vit que Satan était plus malin que lui, il dit :

— Faisons un autre jeu, si tu veux. Tu es puissant, puisqu’avec ta fourche tu remues comme braise les gens en enfer. Voici une petite boîte dans laquelle je mets mes clous ; nous allons les tirer, et quand ils seront ôtés, je parie ce que tu voudras que tu n’es pas capable de te fourrer dedans.

— Ce n’est pas grand’chose à faire, dit le diable.

Il se mit dans la boîte, et quand il y fut, Misère replaça le couvercle si doucement que le diable ne s’en aperçut pas, et il le cloua avec des clous bénits, de sorte que Satan ne pouvait sortir.

— Misère, dit le diable, tire-moi d’ici, et je te donne encore dix ans à vivre.

— Je veux bien ; mais il faut que de plus tu me fournisses autant d’argent que la première fois.

— Je t’en apporterai demain, dit le diable.

— Non, tout de suite, ou je te laisse où tu es.

Le diable lui jura qu’il lui donnerait encore cent mille francs ; Misère le lâcha, et le lendemain l’argent fut apporté.

Misère se dit alors :

— Le diable sait bien que je demeure ici ; il faut que je m’en aille bien loin, pour qu’il ne puisse me retrouver.

Misère abandonna sa cabane, et bien loin de là il construisit une maisonnette ; dans son jardin, il avait toutes sortes de fruits, et il exerçait toujours son métier de forgeron.

Les dix ans s’écoulèrent encore, et Misère ne songeait plus au diable. Un jour qu’il était monté dans son noyer pour ramasser des noix, il le vit arriver et lui dit :

— Viens m’aider à cueillir des noix pour manger en enfer, ou bien je ne t’en donnerai pas.

Quand le diable fut grimpé dans le noyer, Misère alla à sa forge faire rougir trois barres de fer qu’il arrosa d’eau bénite, et les mit sous les pieds du diable :

— Que tu me brûles dur, Misère! s’écriait Satan.

— Tu brûles bien tes diablotins, répondit Misère ; pourquoi ne te brûlerais-je pas aussi, moi ?

— Si tu veux me laisser, je te donne encore dix ans à vivre.

— Oui, dit Misère, mais à la condition que tu emplisses ma cheminée d’argent, depuis le haut jusqu’en bas.

Le diable y consentit, et il vint avec des sacs pour accomplir sa promesse. Mais Misère avait averti des femmes qui étaient dans la maison, et à mesure que le diable mettait de l’argent dans la cheminée, elles le retiraient, de sorte que Satan ne pouvait la remplir ; à la fin il dit :

— Tu m’as ruiné, tu as ruiné l’enfer ; mes diablotins m’accablent de reproches et sont sans cesse à me dire qu’ils n’ont plus d’argent. Je ne veux plus de toi, et je te laisse aller, si tu ne veux plus de moi.

Peu après, Misère mourut, et il monta au paradis, où il dit à saint Pierre de lui ouvrir la porte.

— Comment t’appelles-tu ? demanda saint Pierre.

— Misère.

— Je ne connais pas de misère ici ; va plus loin ; tu trouveras ton affaire.

Misère alla à la porte du purgatoire, frappa à l’huis, et on vint lui ouvrir.

— Comment vous appelez-vous, bonhomme ?

— Misère.

— Allez plus loin ; il n’y a pas de place ici pour vous.

Misère prit tout penaud le chemin de l’enfer en disant :

— Il paraît que c’est là que le bon Dieu veut que j’aille.

Il frappa à la porte, et le premier commis du diable vint lui ouvrir.

— Comment t’appelles-tu ?

— Misère.

— Ah ! j’ai entendu parler de toi.

— Y a-t-il une place pour moi par ici ?

Le diable et les diablotins vinrent, et quand Satan aperçut le bonhomme, il s’écria :

— Je ne veux pas de toi, Misère. Je sais ce que tu m’as fait ; va-t’en hors d’ici.

Et Misère revint sur la terre, et il n’est pas mort.

(Conté en 1879 par Étienne Pluet, de Saint-Cast.)


Le conte de Misère présente des ressemblances avec le Diable attrapé, n° XLI des Contes populaires de la Haute-Bretagne, où se retrouvent les pérégrinations à la porte du paradis, du purgatoire et de l’enfer. (Cf. Webster, Quatorze ; Cénac-Moncaut, le Sac de la Ramée ; Deulin, le Grand Choleur ; H. Carnoy, Bras d’acier.) La cheminée, que le diable ne peut emplir, a son similaire dans la botte percée du conte de Grimm, intitulé : la Tombe.

§ II. — Les lutins et les sorciers.

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La croyance aux lutins existe encore sur beaucoup de points de la Haute-Bretagne : les lutins qui, d’après la nature de leurs fonctions, portent des noms différents, sont une race espiègle, généralement malfaisante, mais susceptible néanmoins de s’attacher à des personnes ou à des maisons et d’y faire tout prospérer, à la condition que rien ne vienne les troubler et qu’on ne contrarie pas leurs habitudes.

Les histoires de lutins sont en général fort courtes. J’en donne ici une comme spécimen. Dans ses Légendes du Morbihan, le docteur Fouquet en cite un assez grand nombre, et il semblerait, d’après la place qu’ils occupent dans ses récits, que les Gallots du Morbihan y croient plus fermement que ceux du versant de la Manche. Voici, quelque peu abrégé, celui qui m’a semblé le plus joli ; il est intitulé : Les Follets et les vieilles Filles.

Les follets tourmentaient toute la nuit deux vieilles filles qui avaient essayé vainement de les repousser à grand renfort de médailles et de chapelets : un soir elles aspergèrent d’eau bénite toute la maison, y compris les portes, les fenêtres et le foyer, puis elles se couchèrent ; la nuit venue, les follets arrivèrent comme de petits fous, mais l’eau bénite les brûla. Alors ils grimpèrent jusqu’aux gazons du toit qu’ils jetèrent un à un dans le foyer par la cheminée, et, marchant avec précaution sur ces gazons étendus, ils arrivèrent au lit des vieilles filles, qu’ils se mirent à fouetter en chantant en chœur : « Tout n’est pas béni ! tout n’est pas béni ! »

Certains animaux passent pour lutins : on les désigne sous le nom d’animaux lutins ou d’animaux sorciers. Dans mon Essai sur les traditions, superstitions et légendes de la Haute-Bretagne, j’ai cité quelques récits où ils figurent, et l’on trouvera ci-après le Mouton sorcier. Madame de Cerny, p. 26-30 de son curieux ouvrage déjà cité, raconte aussi l’histoire du Lièvre à Campion, qui se plaisait à faire courir les gens, et qui joua à Campion le mauvais tour de lui arracher des mains une trique qu’il portait et de faire pleuvoir sur son dos une grêle de coups.


Je n’ai recueilli sur la sorcellerie qu’un petit nombre de contes, tous très-courts ; il y en a trois dans les Contes populaires de la Haute-Bretagne : le Sorcier, n° XLV, qui possédait le livre mystérieux du Petit Albert ; le Loup-garou, n° XLVII, et les Chats sorciers, n° LI. J’en mets un plus loin, qui me semble une réminiscence du sabbat. Mais il est probable qu’il existe des légendes de sorcellerie et de mauvais œil, car on croit encore en beaucoup de pays que certaines gens peuvent fainer (fascinare, le dérivé est régulier), c’est-à-dire ensorceler les maisons, qui ne peuvent être débarrassées que moyennant certains exorcismes.

Dans les Légendes du Morbihan du docteur Fouquet, se trouve, sous le titre du Meunier qui jette des sorts, un curieux récit qui diffère de ceux que j’ai moi-même recueillis. Un meunier qu’un homme avait refusé de prendre dans sa carriole lui annonce que, quand il repassera par là, son cheval ne pourra avancer d’un pas. C’est ce qui arrive en effet ; mais un mendiant qui se trouve sur la route demande à l’homme sa veste et son fouet, puis « fait un signe de croix de la main gauche et à rebours, et se met à fouetter la veste en criant à chaque coup : Passe ça à l’aut’e. » Quand la veste eut été bien battue, le cheval marcha. Le lendemain, le reboutous de Pluherlin passa par l’auberge où l’homme s’était arrêté, et dit qu’il venait de voir le meunier qui avait les yeux gros comme le poing et le corps tout marbré. Au jour il avait, disait sa femme, crié comme si on l’écorchait, et il avait ensuite été forcé de se mettre au lit.

Dans un autre conte, intitulé : Clémence de Cancoët, il est parlé d’un homme qui tous les vendredis va au sabbat monté sur son bâton de genêt, et murmurant certaines paroles magiques.

I. Le Faudeur ou le lutin des Senâs.
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Il y avait une ferme où un homme qui couchait dans le grenier à foin était faudé, ou, si vous aimez mieux, foulé toutes les nuits par le Faudeur, qui est le lutin des senâs[56] ; il souffrait d’être ainsi malmené pendant les nuits, et il maigrissait à vue d’œil. Il s’en plaignit à la fermière, qui mit sur le bord d’une petite fenêtre par où passait le Faudeur un godet plein de petits pois.

Quand le lutin arriva comme d’habitude, il entra étourdiment et renversa le godet, et il passa toute la nuit à ramasser les pois ; mais il ne fauda pas le garçon.

Un autre gars qui couchait aussi dans le grenier à foin fut faudé à son tour ; il descendit à l’écurie et fut encore faudé.

Il se dit : « Je vais tâcher d’attraper le lutin ». Et il mit à côté de lui des déchets de trèfle battu, puis il resta sans remuer, comme s’il dormait.

À la clarté de la lune, qui était dans son plein, il vit venir le lutin qui montait par l’échelle et qui ressemblait à un chat. Quand il fut à portée du garçon, celui-ci se releva et le saisit brusquement dans son ballin ou couverture de lit, et il lui semblait qu’il tenait à la main un morceau de laine. Alors le garçon prit du déchet de trèfle et en jeta à la figure du lutin, qui lui en jeta à son tour. À la fin, le Faudeur s’en alla et descendit l’échelle en poussant des éclats de rire ; mais il ne revint plus.

(Conté en 1879 par Rose Renaud, de Saint-Cast, qui le tient de son père.)


Dans les Follets du château de Callac, le docteur Fouquet parle de mil que les follets sont obligés de ramasser : cette manière de se débarrasser des lutins est connue dans presque tous les pays d’Europe. Les Veillées bretonnes de Luzel contiennent aussi de curieux détails sur les lutins du pays breton.

Outre le Faudeur ou Faudoux, les Gallots connaissent un grand nombre de lutins que parfois ils désignent sous le nom générique de Maît’ Jean (Cf. le Maistr’ Yan des Bretons bretonnants) ; les principaux sont l’Éclairous ou feu follet ; le Houpoux, qui s’amuse à appeler les gens le soir, et les bat quand ils répondent ; Mourioche, lutin qui a des formes variées et qui se contente en général de faire peur ; Nicole, le lutin-poisson, qui s’amuse à brouiller les amarres des bateaux, à déchirer les filets, etc.

II. Le Mouton sorcier.
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Une jeune fille de Bourseul alla un jour à l’auberge, où elle resta à boire avec les cheminiaux — ce sont les terrassiers employés sur les routes. — Elle se fit dire la bonne aventure et tirer le grand jeu.

Il était tard quand elle sortit de l’auberge, et elle vit qu’elle était suivie par un mouton qui ne la quittait pas plus que son ombre. Elle se retourna vers lui pour le chasser ; mais loin de prendre la fuite, le mouton se mit à frapper des coups de tête dans son tablier.

La jeune fille vint à passer près d’une ferme dont elle connaissait les habitants ; elle résolut d’y aller pour demander du secours ; le mouton la suivit et ne s’arrêta qu’à la barrière de l’aire. Elle pria le fermier de venir la reconduire jusque chez elle, parce qu’elle avait peur d’un mouton qui la suivait avec obstination. Le maître du logis refusa ; mais un garçon qui était là proposa de l’accompagner, et il se mit en route avec elle. Le mouton les suivit, et il frappait des coups de tête dans les cotillons de la jeune fille. Le garçon essayait de l’atteindre avec son bâton ; mais l’animal esquivait les coups et trouvait moyen de venir heurter avec ses cornes le tablier, qui bientôt fut en lambeaux. Le chien de la ferme, loin de vouloir mordre le mouton, avait la queue entre les jambes et hurlait de frayeur.

— Puisque le chien a peur, dit le garçon à la fille, je m’en vais ; arrangez-vous comme vous pourrez.

Il prit son chapelet et s’en alla en disant ses patenôtres.

Le mouton accompagna la jeune fille jusqu’à la porte de sa maison. Elle eut si peur de cette aventure que, se croyant damnée, elle se fit religieuse, et le garçon qui l’avait accompagnée devint prêtre.


Cette légende est populaire dans les environs de Plélan-le-Petit (Côtes-du-Nord), et l’on cite les noms de ceux à qui elle est arrivée.

Les lutins et les sorciers peuvent prendre la forme de presque tous les animaux domestiques. (Cf. Traditions, superstitions et légendes de la Haute-Bretagne, p. 9, 21 et sqq.) Mais la forme qu’ils affectionnent est celle du chat ; les chats eux-mêmes sont sorciers quand on ne leur a pas coupé le bout de la queue. (Cf. Contes populaires de la Haute-Bretagne, n° LI et LII.)

III. Le Sorcier.
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Un soir un domestique que ses maîtres avaient envoyé chercher du cidre trouva des sorciers qui l’emmenèrent avec eux. Il fut contraint de les suivre, et il leur dit :

— Où allons-nous comme cela ?

— En Espagne boire du vin.

Pendant la route, un des sorciers dit au domestique :

— Mon garçon, quand tu auras bu du vin, on va dire : « Où allons-nous aller à cette heure ? » Tu auras soin de répondre : « D’où nous venons, » ou sans cela tu serais contraint de rester avec nous.

Le domestique arriva en Espagne et goûta du vin qu’il trouva excellent, et les sorciers en burent pareillement, puis ils dirent :

— Où allons-nous maintenant ?

— À l’endroit d’où nous venons, répondit le domestique.

À l’instant, il se retrouva à la porte du cellier ; et comme son pot était plein, il rentra chez ses maîtres.

— Tu as été bien longtemps au cellier, dirent-ils.

Quand ils versèrent le contenu du pot, au lieu de cidre, ils trouvèrent du vin.

(Conté en 1879 par Pierre Derou, de Collinée, âgé de cinquante-huit ans.)


M. Jollivet, dans sa Géographie des Côtes-du-Nord, Guingamp, 1854, t. I, p. 61, à l’article Saint-Donan, cite un petit conte assez semblable : « Le soir d’une noce, le cidre venant à manquer, le jeune marié se munit de deux énormes pots à cidre, et alla en chercher lui-même. Arrivé aux Croix-Rio, il se trouva au milieu d’une ronde de lutins qui l’emmenèrent aux Canaries : « Remplis vite tes pots de vin, lui dit l’un d’eux, et dis-nous où tu veux aller. — À l’endroit d’où nous venons, » répondit-il, et le voilà de retour aux Croix-Rio. Il courut bien vite près de ses convives, raconta ce qui venait de lui arriver et versa à tout le monde des rasades qui dissipèrent les doutes qu’avait pu faire naître son récit. »

C’est auprès des croix que les sorciers passent pour s’assembler, et il n’est guère de commune où l’on ne cite quelques carrefours ornés de croix qui leur servent de lieu de rendez-vous.

§ III. — Les revenants.

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Les histoires de revenants et d’apparitions sont innombrables, et leur récit, où souvent les conteurs assurent avoir figuré ou dont ils citent les héros qui sont parfois des gens connus dans le pays, excitent la terreur parmi les auditeurs, qui y croient presque toujours fermement.

L’apparition des revenants est en général motivée par une demande qu’ils ont à faire à des vivants : ils viennent réclamer l’accomplissement d’un vœu, les messes qui leur sont nécessaires pour sortir du purgatoire, le paiement d’une dette qu’ils ont jadis contractée. D’autres, ayant pendant leur vie fait une promesse à quelqu’un, reviennent pour l’accomplir.

Certains revenants semblent avoir pour but d’avertir ceux qu’ils ont aimés de changer de conduite ou de faire pénitence. Il en est qui sont condamnés à revenir sur terre pendant un temps déterminé pour expier leurs fautes par une pénitence posthume. Il y a enfin les revenants du cimetière, qui viennent s’agenouiller la nuit sur les tombes, et qu’on doit bien se garder de troubler, car la punition serait terrible. (Cf. Madame de Cerny : les Trois mortes, la Jeune fille du cimetière.)

Aux apparitions nocturnes, on peut rattacher les avènements et les avisions, signes avant-coureurs d’une chose qui doit arriver ; j’en ai cité plusieurs exemples dans ma brochure sur les traditions, superstitions et légendes de la Haute-Bretagne, p. 28 et sqq. Voici deux exemples de ces récits, fort courts en général :


Une femme, dont le frère était malade, revenait du marché le soir : elle vit son frère qui dansait devant elle sur la route. Elle l’appela, mais sans recevoir de réponse : elle fit une prière, et il disparut.

À la porte de sa maison, elle le revit encore qui dansait : elle pria, et il disparut de nouveau. En entrant dans la maison, elle trouva son frère mort.


Un soir, un homme sentit qu’on lui donnait un coup de poing sur la figure : il eut beau regarder autour de lui ; il ne vit personne. Il comprit alors que c’était un avènement, et remarqua l’heure et le jour où cela lui était arrivé. Peu après, il apprit qu’à cette heure même un de ses amis était mort.

I. La Messe du Fantôme.
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Une nuit de la Toussaint, une femme resta endormie dans l’église de Plévenon, et le bedeau, qui ne l’avait pas vue, ferma les portes à clé.

Quand elle se réveilla, elle fut bien surprise de se trouver à pareille heure dans l’église. Mais elle n’était pas au bout de ses étonnements. À minuit, elle vit s’avancer vers l’autel, dont les cierges s’allumèrent d’eux-mêmes, un prêtre vêtu comme pour dire la messe.

Après s’être incliné devant l’autel, il se retourna du côté de la nef et dit par trois fois :

— Y a-t-il quelqu’un qui veuille répondre ma messe ?

La femme avait trop peur pour oser souffler mot, et le prêtre se retira dans la sacristie pendant que les cierges s’éteignaient.

Dès que l’église fut ouverte, la femme courut au presbytère et raconta au recteur ce qu’elle avait vu et entendu.

— Êtes-vous bien sûre de cela ? dit le recteur. Si ce que vous affirmez est vrai, vous pouvez rendre à une âme en peine un service signalé. Retournez à l’église avec votre enfant qui n’a pas encore dix ans ; ce sera lui qui répondra la messe, et, quand elle sera terminée, l’officiant lui demandera ce qu’il désire pour sa peine. Vous lui recommanderez de dire : « Je demande le ciel. »

La nuit suivante, la femme fut enfermée dans l’église, ainsi que son enfant.

À minuit, le prêtre revint comme la veille, et il dit d’une voix lente et grave :

— Y a-t-il quelqu’un qui veuille répondre ma messe ?

— Ce sera moi, dit l’enfant en s’avançant.

— C’est toi, mon enfant ; viens ici.

Le petit garçon répondit la messe, et quand elle fut terminée, le prêtre se retourna vers lui :

— Tu m’as rendu un grand service, car il y a vingt-cinq ans que je viens ici toutes les nuits, et grâce à toi, je suis maintenant débarrassé. Que demandes-tu pour ta récompense, mon enfant ?

— Le paradis, répondit-il.

— Dans trois jours tu y seras.

Et le troisième jour, l’enfant mourut.

(Conté en 1879 par Scolastique Durand, de Plévenon.)


On raconte souvent des histoires de prêtres qui reviennent demander un répondant pour leur messe (Cf. Contes populaires de la Haute-Bretagne, n° XLIII ; Luzel, Veillées bretonnes, p. 3, le Mort confesseur ; Fouquet, Légendes du Morbihan, p. 107, la Messe du Fantôme).

Dans le conte de Bladé, intitulé : Le Bâtard, le héros, qui ne doit montrer sa langue à aucune personne vivante avant que son père l’ait vue, reçoit la communion des mains d’un prêtre-squelette.

Il y a d’autres récits où les prêtres se montrent sur les routes, tantôt glissant comme des ombres, tantôt venant demander l’aumône, et condamnés à errer jusqu’à ce qu’on leur ait donné l’argent de messes qui leur ont été payées et qu’ils n’ont pas dites.

II. Le Linceul promis.
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Deux jeunes filles s’étaient promis que celle qui survivrait à l’autre lui fournirait le drap pour l’ensevelir. Peu après, une des jeunes filles mourut, et son amie ne songea pas à accomplir sa promesse.

Un soir que celle qui était vivante passait par le cimetière, elle vit un drap et le ramassa ; mais quand elle fut rentrée chez elle, elle entendit une voix qui répétait :

— Rends-moi mon drap ! rends-moi mon drap !

Pendant toute la nuit, ces mots résonnèrent à son oreille, et elle ne put s’endormir. Mais quand le jour arriva, elle n’entendit plus rien et retourna à son ouvrage, sans penser davantage à ce qui était arrivé. La nuit d’après, dès qu’elle fut couchée, la voix répéta :

— Rends-moi mon drap ! rends-moi mon drap !

Elle alla dès le matin se confesser au recteur, qui lui dit :

— N’avez-vous fait aucune promesse ?

— Si, répondit-elle ; j’ai promis à une de mes amies, qui est morte, de lui fournir le linceul pour l’ensevelir, et je n’ai pas songé à cela quand elle est trépassée.

— Eh bien ! il faut aller au cimetière ; vous reporterez le drap, et vous l’ensevelirez ; je ne serai pas loin, et je veillerai sur vous.

La nuit venue, la jeune fille porta le drap au cimetière, et elle le posa à terre ; son amie vint se placer dedans, et il disparut aussi bien que la défunte.

(Conté en décembre 1879 par Françoise Dumont, d’Ercé.)


Les principaux épisodes de ce petit conte se retrouvent dans le Drap mortuaire (Contes populaires de la Haute-Bretagne, n° XLIX), que j’ai entendu conter maintes fois.

La voix qui crie pour redemander la chose volée s’y retrouve, ainsi que dans Alice de Quinipilly, conte morbihannais du docteur Fouquet, dans la Jeune fille du cimetière, conte recueilli par Madame de Cerny (il s’agit d’une fille qui va enlever la coiffe d’une personne qui priait dans le cimetière ; or, c’était une morte qui était sortie de sa tombe pour prier, et qui réclame sa coiffe) ; dans la Goulue, conte agenais de J. F. Bladé (c’est un mort qui réclame sa jambe qu’on a déterrée pour la donner à la Goulue) ; dans la Jambe d’or, du même recueil ; — ces deux contes sont suivis de commentaires de M. R. Kœhler qui cite plusieurs similaires, — et dans les Contes populaires lorrains, de Cosquin, p. 212.

III. Les deux Fiancés.
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Un garçon et une jeune fille qui se faisaient la cour depuis longtemps avaient promis de se marier ensemble, et de s’être fidèles même après leur mort.

Quelque temps après cette promesse, le jeune homme, qui était marin, partit en voyage, et il mourut sans que sa bonne amie fût informée de sa mort.

Un soir, il sortit de sa tombe, prit dans l’écurie des parents de la jeune fille une jument blanche, et monta dessus pour aller la nuit chercher sa fiancée, qui était dans une ferme à quelque distance de là.

Le mort arriva à la porte de la maison et y frappa :

— Qui est là ?

— C’est un jeune homme qui est venu chercher la fille d’ici de la part de ses parents.

— Ah ! dit la fille qui reconnut la voix, c’est maman qui l’envoie.

— Oui, répondit le mort, ce sera demain nos fiançailles.

Elle monta en croupe derrière lui sur la jument, et ils partirent.

Pendant la route, le jeune homme lui disait :

— La lune t’éclaire ; la mort t’accompagne ; n’as-tu pas peur ?

— Non, dit-elle, je n’ai pas peur avec toi.

Il se plaignit d’avoir mal à la tête.

— Noue, dit-elle, ton mouchoir autour de ton front.

Il répondit qu’il n’en avait pas, et la jeune fille lui prêta le sien qu’il s’attacha autour de la tête.

Ils arrivèrent à la porte de la maison de la fille, qui descendit de cheval et frappa pour se faire ouvrir.

— Qui est là ?

— C’est moi, votre fille, que vous avez envoyé chercher.

— Et par qui ?

— Par mon futur époux. Je suis montée en croupe derrière lui ; pendant la route, il m’a dit qu’il n’avait pas de mouchoir de poche, et je lui ai prêté le mien. Il est, j’en suis sûre, dans l’écurie à ôter la bride à notre jument blanche.

Ils allèrent dans l’écurie et ne trouvèrent point le fiancé ; mais la jument était baignée de sueur.

Quand la fille vit que son amant avait disparu, elle comprit qu’il était mort, et elle mourut aussi, elle.

On déterra le corps de son fiancé pour les enterrer ensemble, et il avait sur la tête le mouchoir blanc que lui avait donné la jeune fille.

(Conté en 1879 par J. M. Pluet, de Saint-Cast.)


Cf. sur le mythe du fiancé qui revient, outre la célèbre ballade de Lénore, la Souris de terre et le Corbeau gris, de Souvestre.

IV. Le Revenant de la Garaye.
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On sait que M. de la Garaye se rendit célèbre au siècle dernier par sa bienfaisance : l’humanité et la charité n’ont pas paru aux gens de la campagne des mobiles suffisants pour déterminer le noble seigneur et sa femme à consacrer leur vie à des œuvres charitables, et ils ont fait intervenir des avertissements de l’autre monde. Voici une histoire que beaucoup de personnes de Dinan se souviennent d’avoir entendue dans leur jeunesse :

Monsieur de la Garaye, en son jeune temps, menait joyeuse vie dans son château ; il avait avec lui sa femme et son beau-frère, et tous les jours ils allaient à la chasse, passant par dessus les clôtures, foulant les moissons et les prés ; et de tout le voisinage s’élevait un cri de malédictions contre les seigneurs de la Garaye.

Le frère de Madame fut tué à la chasse, et peu après ses funérailles, auxquelles assistèrent plus de cent prêtres, et qui furent magnifiques, il se présenta tout à coup devant sa sœur, qui se promenait dans une des avenues qui conduisent au château. Il lui dit qu’il était en enfer, et qu’elle et son mari y iraient aussi, s’ils ne se hâtaient de changer de conduite. Après avoir achevé ces recommandations, il sembla tout en feu et disparut.


D’après une autre légende, le beau-frère de M. de la Garaye lui apparut un jour qu’il se promenait dans son avenue ; il était tout en sueur, et une des gouttes qui perlaient sur son front, étant tombée sur la main de M. de la Garaye, elle le brûla comme de l’eau bouillante. D’autres disent qu’elle tomba sur l’herbe et que l’herbe jaunit aussitôt. M. de la Garaye. averti par cette apparition, se convertit, et, à l’endroit où il l’avait vue, il fit bâtir la chapelle qui existe encore.

V. La Lavandière des Noes Gourdais[57].
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Il y avait autrefois une lavandière de nuit qui lavait dans le doué des Noes Gourdais, à côté de Dinan. Plusieurs personnes affirmaient l’avoir vue, et parmi elles une femme de journée, morte il y a quelques années, et qui racontait à peu près en ces termes son entrevue avec cette laveuse de l’autre monde :

« Un matin, je m’étais levée avant le jour pour aller laver mon linge, et j’arrivai avec mon paquet au haut de la prairie des Noes Gourdais. Sur une des pierres du doué, une femme lavait.

« — Bon, que je me dis, en voilà encore une qui est plus matinale que moi.

« Et je continuai à descendre la pente de la prairie pour aller prendre ma place ; mais au moment où je n’étais plus guère éloignée, la lavandière se retourna et étendit de mon côté le bras qui tenait son battoir, comme pour me faire signe de ne pas avancer davantage, et je vous assure que je n’en fus guère tentée, car je vis, aussi vrai que je vous vois, que la lavandière avait une tête de mort. »


La croyance aux lavandières de nuit est répandue dans toute la Bretagne. (Cf. Souvestre, les Lavandières de nuit, et Dulaurens de la Barre, le Diable boiteux) ; mais généralement il ne s’agit pas, comme dans le petit conte ci-dessus, de lavandières-squelettes. Je connais en pays gallot nombre de doués qui passent pour être fréquentés par les lavandières de nuit : elles sont condamnées à revenir laver un drap — c’est généralement un suaire — en expiation d’une faute commise pendant leur vie. Les unes ont lavé le dimanche ; d’autres sont des mères qui ont tué leurs enfants. Elles essaient, mais en vain, de faire disparaître la trace de leur crime en lavant le linge. La même croyance existe en Basse-Bretagne, et, d’après M. Luzel, on dit que le linge qu’elles offrent à tordre aux passants contient lui-même un enfant nouveau-né qui crie et dont le sang coule. == IV. Contes divers ==

§ I. — Contes de saints et contes de l’autre monde.

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Jusqu’ici j’ai recueilli peu de légendes relatives à des saints locaux, et parmi elles, celles qui seules présentent quelque intérêt sont la légende de saint Mauron et surtout celle de saint Lénard (Cf. Contes populaires de la Haute-Bretagne, n° LIV et LXIII) ; cette dernière présente la particularité assez curieuse d’un saint canonisé par le peuple, malgré le clergé, et qui finit par être honoré comme bienheureux, en dépit de l’opposition de l’Église officielle.

En d’autres parties du pays gallot existent certainement des légendes de saints : Madame de Cerny en cite deux (Saint Suliac et ses traditions). La première est celle des Ânes de Rigourdaine qui, partant de la métairie de ce nom, traversaient la Rance, alors simple ruisseau, pour venir brouter les vignes que saint Suliac avait plantées autour de son monastère. Un matin saint Suliac les frappa de sa crosse en les maudissant, et les ânes restèrent immobiles près de l’enclos, la tête retournée sur le dos. Ils demeurèrent en cet état jusqu’au moment où le saint les délivra de cette position, et en s’en allant ils firent un tel bruit que, pour ne plus en être incommodé, saint Suliac élargit la Rance et lui donna la largeur qu’elle a aujourd’hui.

La seconde légende, intitulée : la Guivre, raconte qu’un moine de la suite de saint Samson, étant venu visiter saint Suliac, se trouva offusqué de la simplicité des mets qui lui furent offerts ; et ayant caché une partie de son pain dans sa robe, il fut pris de convulsions : c’était un serpent qui déchirait la poitrine du moine, et dont saint Suliac le délivra.

Habasque (Not. historiques, t. III, p. 91) raconte ainsi qu’il suit une légende qui lui fut dite au Chemin-Chaussée, canton de Matignon : « Guillaume Pinchon (saint Guillaume, évêque de Saint-Brieuc) venait de voir des parents qu’il avait dans les environs. Il faisait chaud, et se trouvant altéré, il entra dans un cabaret pour s’y rafraîchir, après quoi il donna sa bénédiction à l’hôte et se disposa à sortir. « De l’argent, » lui dit l’hôte. Guillaume n’en ayant pas, on saisit son bréviaire. Le saint continua sa route et alla coucher à l’hôtellerie de l’Abraham, où on eut pour lui toutes sortes d’égards. Avant son départ, on lui remit son bréviaire, et saint Guillaume dit : « Quiconque habitera l’Abraham y vivra à l’aise, pourvu qu’il soit sobre et laborieux. Quant au Chemin-Chaussée, jamais il ne prendra d’accroissement, et à mesure qu’on y bâtira une maison, il en tombera une autre. » Cette prédiction du saint rappelle la Légende de Rieux (Fouquet, Légendes du Morbihan, p. 19-20.) Les lavandières de Rieux refusent tout secours à un enfant qui était dans une barque ; la marée la porte à Redon, où des laveuses compatissantes le soignent. L’enfant grandit aussitôt ; c’était Jésus-Christ qui dit : « Rieux s’appauvrira tous les jours d’un sou, et Redon s’enrichira chaque jour d’un sou. »

Les légendes du Morbihan contiennent plusieurs récits relatifs à la vie des saints bretons (Cf. Saint Jugon, les Sept saints, Saint Gobrien, Le plus grand saint du paradis) ; je pense qu’en cherchant bien, on finirait par recueillir en Haute-Bretagne une foule de traditions sur les saints locaux.

Sur les voyages de Jésus-Christ en Bretagne, qui se retrouvent fréquemment dans les récits des Bretons bretonnants, j’ai deux légendes qui sont dans les Contes populaires de la Haute-Bretagne (le Mariage de Jean le Diot, n° XX, et Saint Pierre en voyage, n° LIII).

Il est assez fréquemment question, dans les légendes de la Haute-Bretagne, de ce qui se passe à la porte du paradis, voire même à celles de l’enfer et du purgatoire (Cf. Le Diable attrapé, n° XLI ; la Fève, n° XII, des Contes populaires, et plus loin, la Fève et Saint Antoine, portier du paradis), et plusieurs récits ont pour théâtre l’enfer lui-même (Cf. le Diable attrapé) ou le paradis (Cf. les Trois violoneux en paradis, n° LXV, les deux contes de la Fève, et celui de Saint Antoine).

Dans mon enfance, j’ai entendu raconter à Matignon le conte du Meunier en paradis ; le voici en substance : « Un meunier, avant de mourir, avait recommandé à ses enfants d’avoir bien soin de l’enterrer avec son quart (mesure à blé). Son désir fut accompli, et quand le bonhomme se trouva dans l’autre monde, il prit son quart sous son bras et arriva à la porte du paradis. Saint Pierre lui dit : « Que venez-vous chercher ici ? Vous savez bien qu’il n’y a pas céans de place pour les meuniers. — Je le sais bien, répondit le bonhomme ; mais je viens seulement pour regarder un petit peu. » Pendant qu’il était à la porte, un autre mort arrive, et au moment où saint Pierre est occupé avec lui, le meunier, comme par inadvertance, met son quart à rouler, et entre à sa suite dans le paradis, où il s’assied dessus. Saint Pierre arrive pour le faire déguerpir : « Je suis sur mon bien, » répond le bonhomme. Saint Pierre se dispute avec lui et veut l’expulser. Le meunier tient bon et fait tant de bruit, que Dieu le Père entend la dispute, et veut en savoir la cause. Le meunier, toujours assis sur son quart, répète qu’il est sur son bien, et demande que saint Yves soit son avocat. Saint Yves plaide et gagne sa cause. Voilà comment il y a un meunier en paradis. » On peut comparer a cette légende le fabliau bien connu du Vilain qui conquist le paradis par plaid.

I. Saint Antoine portier du paradis.
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Au temps jadis, le bon Dieu, mécontent de saint Pierre, lui ôta les clés du paradis et le mit pour quelques mois en pénitence. Il investit saint Antoine des fonctions de portier ; mais il exigea que le saint se séparât de son petit cochon.

Saint Antoine alla prendre son poste en grommelant, et il était de fort mauvaise humeur, car il n’avait jamais été nulle part sans être accompagné de son fidèle pourceau. Aussi, il recevait fort mal les gens qui se présentaient pour entrer au paradis, leur fermait la porte au nez et les repoussait avec de dures paroles.

Un vieux recteur qui venait de mourir se présenta, croyant être sûr d’entrer.

— Qui êtes-vous ? demanda saint Antoine d’un ton bourru.

— Recteur de Chantepie.

— On n’entre pas.

— Comment ! la porte du paradis serait fermée pour un vieux serviteur comme moi ?

— On n’entre pas, et plus de réplique, cria saint Antoine.

Le vieux curé s’assit fort mécontent sur une borne qui était à l’entrée du paradis, songeant au passe-droit qui lui était fait.

Il vit venir une religieuse qui frappa aussi à la porte.

— Qui est là ? dit saint Antoine d’une voix rude.

— Une sœur de charité.

— On n’entre pas.

— Je suis une sœur de charité, répéta-t-elle, croyant que le portier avait mal entendu.

— On n’entre pas.

La sœur vint s’asseoir sur la borne qui était de l’autre côté de la porte, en face de celle où était le vieux reaeur, et se mit à pleurer ; puis, comme deux personnes assises à une porte en attendant qu’elle s’ouvre sont portées à causer, ils se racontèrent leurs mésaventures, tout en cherchant le moyen d’entrer au séjour des élus.

Pendant qu’ils étaient à deviser, voici qu’ils entendent un bruit de cheval au galop et de ferraille, et un cavalier s’arrête à la porte, qu’il heurte violemment avec le pommeau de son épée.

— Qui est là ? demande saint Antoine d’une voix douce, car il avait peur.

— Artilleur ! crie une grosse voix,

— Entrez, dit saint Antoine qui ouvre la porte à deux battants. Et l’artilleur entre à cheval dans le paradis, en faisant jaillir des étincelles sous les pieds de sa monture.

Cependant le recteur, qui avait tout vu et tout entendu, dit à la religieuse :

— Ma sœur, vous désirez vivement entrer en paradis ?

— Oui, certes, monsieur le recteur.

— Hé bien ! voici ce qu’il faut faire : mettez-vous à quatre pattes ; je vais monter sur votre dos ; vous soufflerez et vous direz : brum ! quand je vous éperonnerai, et par ce moyen nous pénétrerons au séjour des élus.

La bonne sœur se met à quatre pattes ; le recteur monte dessus, faisant du bruit, criant, frappant du pied et éperonnant la sœur avec ses talons, et il heurte avec violence la porte du paradis.

— Qui est là ? demande saint Antoine.

— Artilleur, mille bombes ! s’écrie le curé.

— Entrez, dit saint Antoine.

Le curé, toujours à cheval sur la nonne, pénétra dans le paradis en faisant un bruit à rendre sourd, et saint Antoine murmurait :

— Est-ce qu’il va en arriver un escadron ?


Cette légende m’a été contée par un de mes amis qui la tenait de sa bonne, originaire des environs de Rennes.

II. La Fève.
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Il était une fois un petit bonhomme qui avait autant d’enfants qu’il y a de pertuis dans un crible.

Comme il s’en allait chercher son pain, il rencontra un mendiant qui lui donna une fève et lui dit de la planter dans son jardin, lui assurant qu’elle croîtrait si vite qu’en peu de temps elle arriverait jusqu’au ciel.

L’homme sema la fève, qui crût très-promptement, et bientôt elle cacha sa tête dans les nuages ; alors il grimpa tout au long et alla frapper à la porte du paradis.

— Qui est là ? demanda le bon Dieu qui vint lui ouvrir.

— C’est un petit bonhomme qui a autant d’enfants qu’il y a de pertuis dans un crible.

— Tiens, lui dit le bon Dieu, voici une serviette ; quand tu auras besoin de manger, tu la

poseras sur la table en disant :
Qu’il me vienne du pain, du vin, du rôti
Tout ce que je demande ici ;
Qu’il me vienne du pain, du vin, du rôti,
Pour rassasier tout mon monde ici.

Le petit bonhomme descendit chez lui bien joyeux ; il donna à manger à tout son monde, puis, comme il était tout fier de ce qu’il avait fait, il alla à l’auberge où il resta à coucher. Avant de se mettre au lit, il ne put s’empêcher de parler :

— J’ai une serviette ; il ne faut pas qu’on le sache, ni lui dire :

Du pain, du vin, du rôti
Pour tout le monde qui est ici.

Pendant la nuit, l’aubergiste mit à la place de la serviette-fée une autre serviette toute pareille que le bonhomme emporta ; mais il avait beau dire en l’étendant sur la table :

Du pain, du vin, du rôti
Pour rassasier tout mon monde ici ;

il ne voyait rien venir.

Il remonta encore le long de sa fève, et frappa à la porte du paradis :

— Qui est là ? demanda le bon Dieu.

— C’est un petit bonhomme qui a autant d’enfants qu’il y a de pertuis dans un crible.

— Vous venez bien souvent, mon ami ; mais je ne veux pas vous refuser pour cette fois. Voici un âne ; vous lui mettrez un drap sous les quatre pieds en disant :

Ânon, fais de l’or et de l’argent,

et vous serez servi à souhait ; mais tâchez d’être plus fin que la première fois.

Le petit bonhomme, après avoir essayé la vertu de son âne, ne put s’empêcher d’aller à l’auberge avec sa monture, et il parla encore :

— Gardez-vous de dire à mon âne : « Ânon, fais de l’or et de l’argent. »

— Non, non, répondit l’aubergiste, on ne le lui dira pas ; vous pouvez être tranquille.

Pendant la nuit, il substitua un autre âne à celui qui venait du ciel, et le pauvre bonhomme ne pouvait plus avoir d’écus.

Il alla voir si la fève était encore là, et il grimpa tout au long, et frappa pour la troisième fois à la porte du paradis.

— Qui est là ? demanda le bon Dieu.

— C’est un petit bonhomme qui a autant d’enfants qu’il y a de pertuis dans un crible.

— Ah ! c’est encore vous, bonhomme ; vous venez trop souvent ; vous serez, j’en suis sûr, retourné à l’auberge.

— Donnez-moi quelque chose, dit le bonhomme.

— Voici un bâton ; quand tu voudras t’en servir, tu diras :

Bâton, déplie-toi,
Mais pas sur moi.

C’est la dernière chose que je te donnerai. Le bonhomme descendit et alla encore à l’auberge ; avant de se coucher, il dit :

— Gardez-vous bien de dire à mon bâton : « Bâton, déplie-toi. »

— Dormez tranquille, répondit l’aubergiste.

Mais dès que le bonhomme fut au lit, l’aubergiste se hâta de prendre le bâton et de lui dire : « Bâton, déplie-toi. »

Aussitôt qu’il eut parlé, le bâton se mit à le frapper, et il criait au secours.

Le petit bonhomme vint, et l’aubergiste disait :

— Petit bonhomme, ramasse ton bâton !

— Rends-moi ma serviette et mon ânon.

L’aubergiste y consentit, et quand le petit bonhomme eut la serviette et l’âne, il délivra l’aubergiste en lui faisant dire :

Bâton, déplie-toi,
Pas sur moi.

(Conté en 1879 au château de la Saudraie en Penguilly, par Pierre Derou, de Collinée.)


J’ai recueilli quatre autres versions de ce conte, dont l’une a été publiée dans les Contes populaires de la Haute-Bretagne (n° XII) ; dans un autre de mes contes, encore inédit, c’est un lys rouge qui grimpe jusqu’au ciel, et le long duquel monte aussi un pauvre homme qui veut arriver en paradis.

En France, la plante qui grimpe jusqu’au ciel se retrouve dans Jean à la tige de haricots et dans la Tige de haricots, contes picards de H. Carnoy (Romania) ; M. Cosquin, dans le savant commentaire qu’il a consacré à son conte lorrain similaire : Tapalapautau, où le bon Dieu donne a un pauvre homme « qui avait autant d’enfants qu’il y a de trous dans un tamis, » renvoie pour les comparaisons aux remarques du no 36 de la collection Grimm, et à celles de M. R. Kœhler sur le conte sicilien no 52 de la collection Gonzenbach. Il cite encore d’autres contes siciliens, un conte catalan, un conte grec moderne et deux contes russes. Il analyse un conte du Dekkan où se trouvent des dons analogues, et renvoie à des contes ashanties.

La serviette magique se retrouve dans les Trois souhaits, dans le Corps sans âme, contes bretons de Luzel, ainsi que dans le Tailleur et l’Ouragan, autre conte de Luzel, où figurent le mulet qui fait de l’or, et le bâton magique

L’expression « qui avait autant d’enfants qu’il y a de trous dans un tamis, » qui figure dans le conte de M. Cosquin, se retrouve, dit-il, dans un conte hongrois de la collection Gaal-Stier, publiée à Pesth en 1857. Elle se trouve également au début du Bénitier d’or, conte XXVIII, p. 200, de Richedeau, conte XX, p. 109, des Contes populaires lorrains.

Sur les contes étrangers où il est question de plantes qui grimpent jusqu’au ciel, on peut consulter les notes de M. Loys Brueyre, à la suite de Jack et la tige de haricots (Contes populaires de la Grande-Bretagne). M. Husson, p. 141 de la Chaîne traditionnelle, consacre tout un chapitre aux plantes qui montent au ciel, et il cite à ce sujet plusieurs légendes américaines et polynésiennes. Cf. aussi Gubernatis, Mythologie des plantes et Mythologie zoologique, t. I, p. 177 et 145.

§ II. — Contes d’enfants.

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Les contes que j’ai compris sous ce titre sont ceux qui ont trait à des aventures d’enfants, parfois mélangées de merveilleux. Ce sont aussi ceux que les mères et les nourrices racontent le plus volontiers aux petits garçons et aux petites filles, en raison de leur forme simple et de leur trame peu compliquée. Ils sont aussi pour la plupart très-courts. J’en ai publié quelques-uns dans les Contes populaires de la Haute-Bretagne (la Petite Brebriette blanche, n° LVIII ; les Souliers rouges, n° LX ; Élisabotte, n° LXI ; la Petite fille dans le puits, n° LXVI).

I. Les trois Frères.
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Il y avait une fois trois frères qui étaient fils de roi. Leur père leur dit un jour :

— Vous allez partir chacun de votre côté, et celui qui rapportera le plus beau bouquet aura la couronne.

Ce fut le plus petit qui trouva le plus beau bouquet, et quand ils se rencontrèrent tous les trois, l’aîné dit à son jeune frère :

— Il faut que tu me cèdes ton bouquet ; si tu ne consens pas à me le donner, je vais te tuer.

— Non, répondit l’enfant, je le garde pour moi, puisque je l’ai trouvé.

L’aîné dit à son cadet :

— Va chercher une bêche pour creuser la fosse à ce petit entêté.

— Non, répondit le cadet, je n’irai pas ; je ne veux pas enterrer mon frère.

— Si tu ne veux pas, je vais te tuer.

Le second garçon se décida à faire ce que voulait l’aîné, qui creusa la fosse et y enterra tout vivant son petit frère ; puis il alla porter le bouquet à son père en disant que c’était lui qui avait trouvé les plus belles fleurs.

— Il faut, dit le roi, attendre tes deux frères pour le savoir.

— C’est inutile, répondait le garçon ; c’est moi qui ai le plus beau bouquet.

— Va, dit le roi, à la recherche de tes frères.

Le roi, de son côté, se mit en route pour retrouver ses enfants, et il rencontra le cadet qui pleurait.

— Qu’as-tu, lui demanda-t-il, pour pleurer ainsi ?

— C’est que mon frère aîné a tué mon petit frère.

— Où l’a-t-il tué ?

— Dans la forêt d’Ardennes.

Il mena son père dans la forêt, et ils trouvèrent un petit os creux qui était en forme de sifflet. Le roi l’approcha de sa bouche, et l’os disait :

Mon frère m’a tué
Dans la forêt d’Ardennes.

Un prêtre passa par là, et le roi lui dit :

— Écoutez donc ce que dit ce petit os-là.

L’os disait :

O mon curé,
C’est mon frère aîné
Qui m’a tué dans la forêt d’Ardennes.

Le père s’en alla chercher des fagots, et il fit un bûcher sur lequel il brûla son fils aîné.

(Conté en 1879 par Pierre Ménard de Saint-Cast, mousse, âgé de treize ans.)


L’os qui en sifflant révèle le nom de l’assassin se retrouve assez fréquemment dans les récits populaires.

On en verra deux autres exemples dans les contes qui sui- vent.

II. Les petits Souliers rouges.
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Il était une fois une femme qui avait deux enfants : un petit garçon et une petite fille.

Elle avait une paire de petits souliers rouges que chacun des enfants voulait avoir.

La mère leur dit :

— Allez tous les deux dans la forêt faire des fagots, et celui qui reviendra le premier aura les souliers rouges.

Quand ils furent arrivés dans la forêt, le petit garçon, qui était déjà grand, attacha sa sœur au pied d’un arbre et se mit à faire ses fagots ; quand il eut fini, il la détacha et arriva le premier à la maison.

Il demanda les souliers à sa mère, qui lui dit :

— Prends-les ; ils sont dans la huche.

Comme il se baissait pour les prendre, elle laissa tomber le couvercle sur sa tête et lui coupa le cou ; puis elle le mit dans la marmite avec des choux pour faire de la soupe.

Quand la petite fille rentra, elle dit :

— Où est mon petit frère, que je le voie avec ses souliers rouges ?

— Il est dans le jardin, répondit la mère.

La petite fille y alla et revint sans avoir trouvé son frère.

Sa mère lui ordonna alors de souffler le feu pour faire bouillir la soupe.

Pendant que la petite fille soufflait, elle entendit sortir de la marmite une voix qui disait :

Petit feu, ma petite sœur ;
Petit feu, ma petite sœur.

À la porte, un oiseau perché sur une branche de pommier chantait :

Tu cuis ton petit frère ;
Tu cuis ton petit frère.

Elle demanda à sa mère ce que cela voulait dire.

— Donne un coup de balai à l’oiseau, répondit-elle, et il va se taire.

L’oiseau s’enfuit ; et quand la soupe fut faite, la mère envoya la petite fille dans la forêt porter à manger à son père.

Elle rencontra sur son chemin la sainte Vierge qui lui dit :

— Ramasse tous les os que ton père jettera autour de lui en mangeant, et apporte-les-moi. S’il en jette dans la rivière, tu iras aussi les chercher.

La petite fille recueillit précieusement tous les os que son père jetait, et ceux qui étaient dans la rivière, elle alla les chercher sans se noyer. Alors la sainte Vierge rassembla les os et refit le petit frère.

(Conté par Jeanne Bazul, de Trélivan.)


C’est un des contes d’enfants les plus connus ; j’en ai publié une version dans les Contes populaires de la Haute-Bretagne : les Souliers rouges, n° LX ; j’en connais encore trois autres versions. (Cf. Husson, Chaîne traditionnelle, p. 19, pour les os recueillis par la sœur, et le pigeon qui se retrouve dans le conte LX, intitulé : Le Pigeon blanc, conte écossais recueilli par Chambers et traduit par M. Loys Brueyre.) Les similaires allemands sont connus, surtout le Genevrier de Grimm, et c’est à l’un d’eux qu’est empruntée la chanson mise par Goethe dans la bouche de Marguerite devenue folle.

III. Le Sifflet qui parle.
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Il y avait une fois un homme qui avait trois filles ; il s’en fut en voyage et leur dit au moment de partir :

— Que voulez-vous que je vous rapporte ?

— Moi, répondit l’aînée, je voudrais une robe couleur du soleil.

— Moi, une belle rose, dit la seconde.

— Ce que tu me donneras me fera plaisir, répondit la plus jeune.

— Mais enfin, que souhaiterais-tu ?

— Un peu de réséda dans une petite boîte en bois.

À son retour, le père apporta à ses filles ce qu’elles lui avaient demandé. L’aînée mit sa belle robe couleur du soleil, mais elle ne pouvait faire un pas sans la tacher ; la rose de la seconde se fana en un jour, tandis que la troisième conserva bien son réséda qu’elle avait soin d’arroser.

L’aînée devint jalouse de sa cadette et résolut de s’emparer de sa boîte de réséda. Elle dit à sa sœur :

— Je vais aller me promener dans le bois avec ma petite sœur.

Elle y alla avec elle, et quand elle fut au milieu des arbres, elle la tua avec un couteau qu’elle avait apporté, et elle l’enterra au pied d’un chêne.

Quand sa mère la vit revenir seule, elle lui dit :

— Où donc est ta sœur ?

— Ah ! maman, les loups l’ont mangée.

Et la jeune fille s’empara du pot de réséda qu’elle porta dans sa chambre.

Quelque temps après, un marchand qui passait par le bois vit au pied du chêne un objet étrange qu’il ramassa et qui avait la forme d’un sifflet. Il l’approcha de ses lèvres, et le sifflet disait :

Sifflez, sifflez, marchand ;
Ce n’est pas vous qui m’avez tuée céans.

Il y avait sur la lisière du bois un château, — c’était celui des parents de la petite fille ; — le marchand s’y rendit et montra au maître du logis le petit sifflet qu’il avait trouvé. Le seigneur l’approcha de ses lèvres, et le sifflet disait :

Sifflez, sifflez, papa ;
Ce n’est pas vous qui m’avez tuée là-bas.

Il le passa à sa mère, qui l’approcha de ses lèvres, et le sifflet disait :

Sifflez, sifflez, ma mère,
Ce n’est pas vous qui m’avez tuée naguère.

La cadette l’approcha de ses lèvres, et le sifflet disait :

Sifflez, sifflez, ma sœur ;
Ce n’est pas vous qui m’avez tuée.

Mais l’aînée ne voulut pas toucher au sifflet. Son père l’y força en la menaçant de la battre, et dès qu’elle l’eut approché de ses lèvres, le sifflet dit :

Sifflez, sifflez, ma sœur ;
C’est vous qui m’avez tuée.

Quand les parents entendirent cela, ils la chassèrent de la maison paternelle, et je ne sais ce qu’elle est devenue.

(Conté en 1880, par Mademoiselle Mathilde Delasalle, de Matignon, qui l’a appris d’une de ses bonnes, Marie Onen, de Plancoët.)


Cf. La Flauto (la Flûte), conte agenais recueilli par J.-F. Bladé (ce sont deux frères qui vont à la recherche d’une orange ; l’aîné tue son cadet qui l’avait trouvée ; le fils aîné devient héritier, et se marie ; quand son fils a sept ans, il va dans la forêt et rapporte un dont il se fait une flûte qui chante comme le sifflet de notre conte) ; le Roi et ses trois fils, conte recueilli par M. V. Smith dans le département de la Loire (Mélusine, col. 423) ; les remarques de M. Husson, Chaîne traditionnelle, p. 59 et sqq., où sont cités des analogues allemands, Scandinaves et écossais, et Gubernatis, Mythologie zoologique, t. I, p. 211, et t. II, p. 342.

IV. La Robe de beurre.
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Il était une fois une petite fille qui avait une robe de beurre. Un jour qu’elle se promenait avec son frère, à peu près du même âge qu’elle, ils virent venir une pâtissière qui portait un panier de petits pâtés si bien faits, si jolis et si dorés, que rien qu’à les voir on avait envie de les manger.

Elle dit à la petite fille :

— Si tu veux me céder ta robe de beurre, je te donnerai en échange cent petits pâtés.

— J’y consens, répondit l’enfant, qui oublia que ses parents lui avaient recommandé de bien conserver sa robe.

Son petit frère la pria de lui faire cadeau de la moitié des petits pâtés.

— Non, dit-elle, pas la moitié ; mais si tu en veux vingt-cinq, les voici ; tu peux les prendre.

Le petit garçon se hâta de rentrer à la maison. Il raconta à ses parents que sa sœur avait vendu sa robe de beurre, et ils en furent très-irrités.

— Va, lui dit sa mère, frapper à la porte de nos voisins, et demande un sou de clous et un sou de mailles pour clouer ta sœur qui a désobéi.

Il alla à toutes les portes ; mais partout on lui dit qu’on ne vendait ni clous ni mailles. Il revint les mains vides, et sa mère lui dit :

— Je parie, mon pauvre Jean le Diot, que tu eur as dit que c’était pour clouer ta sœur ?

— Ne m’aviez-vous pas dit que c’était pour cela ?

— Eh bien ! puisque tu as été si sot, c’est toi que je vais mettre à bouillir à la place de ta sœur.

Elle fit entrer de force le petit garçon dans une grande marmite sous laquelle était allumé un feu très-vif, et tout en bouillant, le petit gars disait :

Jamais, ma mère, je vous le dis,
Jamais n’irez en paradis.

Peu après la mère mourut ; mais elle revint sur la terre pour chercher la robe de beurre que sa fille avait vendue. Elle se présenta à la pâtissière qui, en voyant cette morte apparaître, mourut de peur.

(Conté par Constance Delahaye, d’Ercé, âgée de treize ans.)


L’épisode de l’enfant tué par ses parents se retrouve dans les Souliers rouges, n° LX des Contes populaires, et dans les Petits Souliers rouges du présent volume.

V. Le Rat et la Râtesse.
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Le Rat et la Râtesse se marièrent, et le lendemain de leurs noces, le Rat dit à sa femme :

— Iras-tu dehors ou resteras-tu à la maison ?

— Je resterai à la maison pour faire la cuisine pendant que tu travailleras dehors.

— Bien, dit-il ; quand il sera midi, tu m’appelleras.

En faisant de la bouillie de blé noir, la Râtesse tomba dans la casserole, et se brûla si fort qu’elle en mourut.

Le Rat entendit sonner midi, puis une heure, puis deux ; enfin, à trois heures, il rentra, à la maison, fort inquiet, et quand il vit que la Râtesse était morte, il se mit à pleurer.

Une bonne femme qui le rencontra lui demanda le sujet de son chagrin.

— C’est, répondit-il, que la Râtesse est morte.

— Je vais, dit la femme, me mettre à chanter.

Et elle entonna à haute voix une chanson.

En apprenant cette nouvelle, la table se mit à danser, la place à se balayer, la porte à sortir de ses gonds et à y rentrer[58] ; la charrette courut les chemins, et elle rencontra un bonhomme qui chauffait son four et qui lui demanda pourquoi elle était si joyeuse.

— C’est, dit-elle, que la Râtesse est morte ; la bonne femme s’est mise à chanter, la table à danser, la place à se balayer, la porte à sortir et à rentrer dans ses gonds, et moi à courir les chemins.

— Puisque c’est ainsi, dit le bonhomme, je vais jeter la pelle dans le four.

— Et moi, ajouta sa bonne femme, je jetterai la pâte aux chiens.

— Qu’avez-vous ? demanda une petite fille qui passait par là.

— Tu ne sais pas la nouvelle ? La Râtesse est morte ; la vieille femme chante, la table danse, la place se balaie, la porte sort de ses gonds et y rentre, la charrette court les chemins, le bonhomme a jeté la pelle dans le four, et moi ma pâte aux chiens.

— Ah ! dit la petite fille, vous devriez me donner un petit tourterin tourterette pour ma grand’mère Jeaunette qui n’en a point mangé depuis sept ans.

Elle prit son tourterin tourterette, et rencontra un lièvre qui lui en demanda à manger ; elle refusa en disant qu’elle allait le porter à sa grand’mère Jeannette qui n’en avait pas mangé depuis sept ans.

Plus loin elle vit venir un loup qui lui demanda aussi la permission d’y goûter ; la petite fille ne voulut pas, et dit au loup qu’elle gardait son tourterin tourterette pour sa grand’mère Jeannette qui n’en avait pas mangé depuis sept ans.

— Où demeure-t-elle ? dit-il.

— Au village, là-bas, répondit l’enfant.

— Iras-tu par les sentiers ou par le grand chemin ?

— Par les sentiers, car les routes sont trop crottées.

Le loup arriva en toute hâte à la maison et croqua la bonne femme dont il prit les hardes, et se coucha dans le lit.

Quand la petite fille fut entrée dans la maison, elle dit :

— Ma grand’mère Jeannette, je suis venue vous apporter un petit tourterin tourterette.

— C’est bien, répondit le loup.

— Ma grand’mère, on m’a dit de vous faire de la soupe.

— C’est bien.

— Ma grand’mère, mes parents m’ont recommandé de voir si vous aviez des poux dans la tête. Ah ! s’écria-t-elle, comme vous avez les cheveux rudes !

— C’est l’âge, mon enfant.

— Comme vous avez de grandes dents !

— C’est pour te manger, dit le loup, qui, en disant ces mots, se mit à la croquer.

(Conté en 1878 par Constant Joulaud, de Gosné.)


La première partie de ce récit, qui se compose de deux contes soudés, se trouve sous une forme plus vive dans la Mort du Rat, Contes populaires de la Haute-Bretagne, n° LV. On peut comparer à ces deux contes : Ce qu’il faut pour coudre la peau d’un rat, conte recueilli dans l’Ardèche par M. V. Smith, et publié en patois dans Mélusine, col. 426, et un conte italien d’Imbriani, analysé par M. Marc Monnier, Contes populaires en Italie, p. 96.

La seconde n’est autre qu’une version campagnarde du Petit Chaperon Rouge.

§ III. — Fables et contes d’animaux.

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Il est un certain nombre de fables qui ont cours à la campagne, et les conteurs mettent parfois en scène des animaux qui parlent et qui agissent comme des personnes. On raconte aussi des épisodes qui vraisemblablement sont un écho lointain du Roman du Renard, et où le renard et son compère le loup se jouent mutuellement des tours (Cf. le Loup et le Renard, n° LVI des Contes populaires.) Noël du Fail, dans l’énumération qu’il fait des contes qui de son temps étaient populaires dans les environs de Rennes, parle du « conte de la Cigogne du temps que les bestes parloient, ou comme le renard desroboit le poisson, comme il fit battre le loup aux lavandières lorsqu’il l’apprenoit à pescher. » On retrouverait probablement, en cherchant bien, la trace de tous les récits qu’il cite. Il est bon de remarquer que chez les paysans gallots le renard est parfois dupé (Cf. ci-après le Colimaçon et le Renard, et le Merle et le Renard, n° LIX des Contes populaires. Cf. aussi Gubernatis, Mythologie zoologique, t. II, p. 138 et 144.) C’est le contraire qui a lieu dans la plupart des récits d’autres pays et dans un grand nombre de fables.

I. Le Colimaçon et le Renard.
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Le Renard rencontra un jour le Colimaçon :

— Tire-toi de mon chemin, lui dit-il ; je fais plus de route en un quart d’heure que toi en une année.

— Peut-être, répondit le Colimaçon ; prenons un rendez-vous, et nous verrons qui de nous deux arrivera le plus vite au but.

Ils convinrent de se retrouver le lendemain à la même place, à la tête d’un sillon, et de voir lequel serait le plus vite rendu au bout.

— Pauvre petite bête, disait le Renard, tu seras bientôt lassée !

Mais le Colimaçon alla chercher un de ses compères et lui dit :

— Va te mettre à l’un des bouts du sillon, et moi à l’autre ; quand tu verras le Renard près d’atteindre le but, tu crieras : « À bout, Renard, » et nous le ferons crever.

Voilà le Renard arrivé : — Y sommes-nous ? demanda-t-il.

— Oui, répondit le Colimaçon.

Et le Renard de courir. L’autre Colimaçon, qui était au bout du sillon, lui cria quand il fut près d’arriver :

— À bout, Renard.

— Recommençons, dit le Renard, qui se mit à courir si vite que la queue lui traînait sur le sillon ; à l’autre bout, il rencontra encore l’autre Colimaçon, qui lui cria : « À bout, Renard, » et tous deux s’y prirent si bien qu’ils le firent crever.

(Conté en 1880 par Marie Durand, de Saint-Cast, âgée de quatre-vingts ans.)


C’est une version de la fable du Lièvre et la Tortue que l’on trouve sous toutes les latitudes, chez les blancs et chez les nègres, chez les Peaux-Rouges et les races jaunes : le nom seul des animaux est changé. Cf. sur ce mythe Gubernatis, t. II, p. 391.

II. Les Loups.
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Il y avait une fois une bonne femme qui était à faire de la galette de blé noir ; le chat voulait prendre le graisset[59] à la bonne femme, pour lécher la graisse qui était dessus, et elle lui donnait des coups de tournette[60] pour l’en empêcher. Le chat la grafigna[61] ; elle se mit à appeler son bonhomme, et le chat s’enfuit.

Il trouva une oie, puis un jars, puis une chèvre, et enfin un cheval, et ils se mirent à faire route ensemble. Ils allèrent bien loin, et entrèrent dans un bois. Le chat grimpa au haut d’un arbre pour voir s’il apercevrait une lumière, et il aperçut au loin une lueur ; il s’en approcha et vit des loups qui étaient dans une cabane en train de faire des peux[62].

Le chat songea à part lui : « Quelle singerie leur ferai-je bien ? » Il prit une pierre dans sa patte et la jeta par la cheminée au milieu des peux qui étaient brûlants ; ils éclaboussèrent le nez des loups, qui s’enfuirent en criant comme si on les écorchait.

Alors le chat descendit, et voyant qu’il n’y avait plus personne dans la maison, il cria à ses compagnons d’entrer, puis il dit :

— Qu’est-ce qu’il y a à manger ici ? Le blé noir est pour les oies, le foin pour le cheval et la chèvre, et le lard sera pour le chat.

Ils allèrent se coucher. Le chat se mit dans les cendres, la chèvre devant le foyer, l’oie et le jars sous la table, et le cheval derrière la porte.

Les loups eurent envie de voir ce qu’étaient devenus leurs peux ; en apercevant les deux yeux du chat qui brillaient, ils dirent : « Nous avons encore du feu ; » mais ils n’osaient rentrer.

Un vieux loup plus hardi que les autres entra et souffla sur les charbons du foyer ; quand il soufflait il voyait le feu s’éteindre, et il se rallumait quand il cessait : c’était le chat qui ouvrait et fermait les yeux.

Un autre loup vint ; le chat lui égratigna le nez ; le loup cria ; la chèvre se réveilla et lui donna des coups de cornes ; les oies lui mordirent la queue, et le cheval la lui coupa tout ras d’un coup de pied.

Et le pauvre loup disait :

— La vieille bête prétendait qu’il n’y avait rien, et il y avait des griffes pour me griffer le nez, des cornes pour me corner, des maçons qui me donnaient des coups de pic dans le derrière et un couturier qui m’a coupé la queue avec ses ciseaux.

(Conté en 1879 par J. M. Hervé, de Pluduno, âgé de treize ans.)


Ce petit conte présente quelques analogies avec le Chat, n° LVII des Contes populaires de la Haute-Bretagne (Cf. Grimm, les Musiciens de la ville de Brême ; le Blanc mouton, conte écossais de Campbell, traduit par L. Brueyre, et Gubernatis, Mythologie, t. I, p. 201 et 429).

III. La Chèvre.
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Il y avait une fois une chèvre qui allait au marché ; elle avait des petits biquetons dans sa cabane, et elle leur dit :

— Il ne faudra pas ouvrir la porte au loup, parce qu’il vous mangerait. Vous ouvrirez quand je vous montrerai ma patte blanche.

Le loup, qui avait vu la chèvre aller au marché, arriva à la cabane, et dit en adoucissant sa voix qu’il était la mère des biquetons ; les petits demandèrent à voir la patte, et comme elle était noire, ils n’ouvrirent pas.

Le loup alla chez un meunier et lui demanda de la farine ; il se mouilla la patte et la mit dedans, de sorte qu’elle paraissait toute blanche ; mais en se rendant à la cabane, il secoua sa patte, et quand il la montra aux biquetons elle était toute grise, parce qu’il ne restait plus qu’un peu de farine, et les biquetons ne voulurent pas encore lui ouvrir.

La mère arriva, montra sa patte blanche et dit :

Ouvrez la porte, mes petits bichets,
J’ai du lait-lait dans mes tétés,
Du brou-brou[63] dans mes caunés (cornes),
Débarrez, mes petits, petits.

Quand les biquetons eurent ouvert, l’un se cacha dans un sabot derrière la porte, l’autre dans l’âtre du foyer, et le troisième derrière une manne.

Le loup revint à la cabane de la chèvre, et lui demanda si elle voulait s’amuser avec lui. La chèvre dit qu’elle voulait bien.

— Eh bien ! dit le loup, mets à chauffer une bassine d’eau, et nous nous amuserons à sauter par dessus.

Quand l’eau fut chaude, on la descendit du feu, et la chèvre dit :

— Saute, compère le loup.

— Non, saute, toi, commère la chèvre.

La chèvre sauta et ne tomba pas dans l’eau.

Quand ce fut le tour du loup, il prit mal son élan et tomba au milieu de l’eau, et il disait :

— Ah ! que je me brûle dur !

— Tourne-toi, répondit la chèvre, cela te brûlera moins.

— Ah ! je me brûle encore plus, dit le loup qui s’était retourné.

Quand le loup fut mort, on le jeta dehors. Et une vieille bonne femme qui était à sa fouée trouva le loup qui était racorni et tout noir ; elle crut que c’était une bûche à moitié brûlée, et elle le ramassa. Elle le mit derrière son feu, et le loup disait :

Chauffe ton cu,
Ma bonne femme ; il est tout cru.

(Conté en 1879 par J. M. Pluet, de Saint-Cast, mousse.)


Cf. E. Rolland, Faune populaire de la France, t. I, p. 131, où se trouve un conte, probablement lorrain, qui a de l’analogie avec celui-ci.

Les marins et les pêcheurs ont aussi une sorte de littérature orale particulière : elle se manifeste surtout pendant les longues traversées que font les Terre-Neuvats qui s’embarquent comme passagers pour aller pêcher sur les goélettes de Saint-Pierre-Miquelon. Entassés dans des cales qui ne sont point aménagées d’une façon confortable, les matelots cherchent à tuer le temps par tous les moyens possibles, et les conteurs sont bien accueillis. Les histoires les plus goûtées sont celles que les narrateurs font parfois durer plusieurs jours, à force de les charger d’incidents, de descriptions prolixes et de plaisanteries qui parfois n’ont aucun rapport avec le sujet du conte. J’ai quelques récits de ce genre ; mais ils sont trop longs pour pouvoir trouver place ici, et je les publierai dans mes Contes des Marins et des Pêcheurs. Souvent les narrateurs, au lieu de paraître s’intéresser à leur récit et de varier l’intonation, suivant qu’ils décrivent ou que les héros parlent, récitent l’histoire comme on débite le catéchisme, sur le ton monotone d’une chose apprise par coeur et non comprise. Il en est d’autres toutefois qui, comme les conteurs terriens, racontent avec verve, soit des histoires héroïques, soit des aventures grasses.

Les aventures purement maritimes sont, à ma connaissance du moins, peu nombreuses dans les récits des marins. J’en ai mis quelques-unes dans mon volume des Contes populaires (Cf. le Capitaine Pierre, la Princesse Dangobert, le Capitaine chien) ; la plupart du temps, les récits qu’ils font sont des histoires terrestres auxquelles sont soudés quelques épisodes où figurent des marins. On pourra juger de leur procédé par le conte de Jean de l’Ours, qu’on trouvera ci-après, et dont le thème originel se retrouve à peu près partout.

Les pêcheurs qui font la petite pêche racontent aussi ; mais dans leurs récits, le facétieux est plus fréquent que le merveilleux ; et ils forgent des histoires parfois très-cocasses sur leurs rivaux du petit port voisin ; en passant de bouche en bouche, elles grossissent, et finissent parfois par former, comme la série des Jaguens, dont on trouvera ci-après un court exemple, de

véritables épopées burlesques.

I.

Jean de l’Ours.

Il était une fois trois frères ; il y en avait un qui s’appelait Jean de l’Ours, et qui ne se plaisait qu’à rester dans le coin du foyer.

L’aîné dit à sa mère qu’il avait envie de faire un navire qui aurait marché sur terre comme sur mer.

— C’est bien, mon garçon, répondit-elle ; pars quand tu voudras.

— Alors je me mettrai en route demain,

Le lendemain, l’aîné des fils coupa un gros morceau de pain qu’il mit dans un mouchoir, prit sa hache pour construire son navire et quitta la maison.

Sur son chemin il rencontra une fée déguisée en mendiante qui lui demanda la charité.

— J’aimerais mieux, répondit-il brutalement, te voir crever de faim que de te donner un morceau de mon pain.

— Où vas-tu ? dit la vieille.

— Construire un navire qui marche sur terre comme sur mer.

— Et bien ! répondit-elle, à tous les coups de hache que tu frapperas dans l’arbre, tu feras des cuillers et des fourchettes de bois.

— Ne viens pas me jeter des sorts, vieille sorcière, s’écria le marin, ou je t’en ferai repentir.

Quand il arriva au pied des arbres, il tira sa hache de son sac, et le premier coup qu’il frappa fit tomber, au lieu de copeaux, des fourchettes et des cuillers, et pareille chose lui arriva à la seconde fois et aux suivantes. Il pensait en lui-même :

— Elle me l’avait bien dit, la mauvaise vieille, que je n’aurais fait que des cuillers de bois.

Il se dépita et partit pour revenir à la maison.

Le second de ses frères lui dit :

— Tu n’as pas réussi ; je vais prendre ta place et voir si je serai plus heureux que toi.

Le lendemain, le second fils partit après avoir coupé un gros morceau de pain et pris sa hache. Il rencontra aussi la vieille bonne femme, qui lui demanda la charité.

— Non, dit-il, j’aimerais mieux te voir mourir que te donner un morceau de pain ou un sou.

— Où vas-tu comme cela ?

— Construire un navire qui marche sur terre comme sur mer.

— À tous les coups de hache que tu frapperas dans l’arbre, tu feras des pelles de bois.

Il frappa, en effet, dans un arbre, et il ne fit que des pelles de bois.

— Elle me l’avait bien dit, la vieille sorcière, murmurait-il en colère, que je n’aurais fait que des pelles.

Il se dépita et revint chez sa mère.

Quand il fut arrivé, Jean de l’Ours lui dit :

— Tu n’as pas réussi, toi ; je vais voir si j’aurai plus de succès.

— Non, repartit la mère, je ne veux pas que tu t’en ailles ; tu es trop mal vêtu.

— Cela ne fait rien, je veux essayer.

— Essaie, si cela te plaît, disaient ses frères ; tu ne réussiras pas plus que nous.

Le lendemain, il coupa aussi un gros morceau de pain, prit sa hache et se mit en route. Il rencontra encore la vieille bonne femme qui lui demanda la charité.

— Tenez, voilà mon pain, ma pauvre vieille, dit-il.

— Où vas-tu, Jean de l’Ours ?

— Je vais tâcher de faire un navire qui marche sur terre comme sur mer.

— Eh bien ! au premier coup de hache que tu frapperas, le navire sera construit.

Quand Jean de l’Ours eut son navire qui marchait sur terre comme sur mer, il monta à bord, et se mit à voyager.

Il rencontra un homme qui était à lécher les meules d’un moulin, et il lui demanda ce qu’il faisait là.

— Je suis à lécher les meules de ce moulin qui n’a pas moulu depuis cent ans, et je sens encore le goût de la farine.

— Eh bien ! tu sens de loin, dit Jean de l’Ours ; veux-tu venir avec moi ?

— Très-volontiers.

Il monta à bord, et voilà le navire parti.

À quelque distance de là, ils virent un homme qui léchait les tuiles d’un vieux four.

— Que fais-tu là ? dit Jean de l’Ours.

— Je lèche les tuiles d’un four qui n’a pas été chauffé depuis plus de cent ans, et je sens encore le goût du pain.

— Tu sens de loin, toi ; veux-tu venir avec moi ?

— Volontiers.

Et les voilà tous les trois dans le navire qui marchait sur terre comme sur mer.

Un peu plus loin, ils virent un homme qui était à bouleverser une montagne.

— Tu es bien fort, toi, dit Jean de l’Ours.

— Un peu, répondit l’homme.

— Veux-tu venir avec moi ?

— Je le veux bien.

Un peu plus loin encore, il rencontra un homme qui étayait un château pour l’empêcher de tomber.

— Tu as les épaules solides, dit Jean de l’Ours ; veux-tu venir avec moi ?

— Très-volontiers.

Et il monta à bord.

— Je suis content, disait Jean de l’Ours ; voilà mon équipage fait, et nous sommes capables de naviguer.

Et voilà le navire qui marchait sur terre comme sur mer qui commence à naviguer sur l’Océan.

Ils firent la rencontre d’un autre navire qui demandait du monde pour compléter son équipage, et ceux qui étaient à bord de Jean de l’Ours le quittèrent en pleine mer pour aller dans l’autre vaisseau.

Mais Jean de l’Ours aborda à Marseille, où il rencontra les matelots qui l’avaient abandonné ; il les tua tous les quatre. On le mit en prison, et je ne sais pas ce qu’il est devenu.

(Conté en 1879 par Louis Pluet, de Saint-Cast, matelot, âgé de vingt-cinq ans.)


Les trois frères, qui partent successivement pour tenter une entreprise et dont le dernier réussit, se retrouvent dans un grand nombre de contes (Cf. le Petit Roi Jeannot, n° I, la Princesse aux pêches, n° XIII des Contes populaires de la Haute-Bretagne, et dans le présent volume le Merle d’Or et le commentaire qui le suit).

Sur les compagnons qui ont un sens très-développé, voir le commentaire de Jean de l’Ours, autre conte différent de celui-ci,

page 81 du présent volume.

II.

Les Jaguens à l’auberge.

Il y avait une fois deux gars de Flétang[64] qui étaient de Saint-Jacut ; ils avaient entendu dire que la mer était verte et bleue, et un jour qu’ils passaient devant un champ de lin fleuri, ils se dirent :

Dieu me danse, mon fu, v’là la gran mé salée ; allons nous bangner.

Ils se mirent à se rouler dedans ; mais l’un des gars se heurta à une grosse pierre.

Dieu me danse, mon fu, la mer est-à monvaise !

L’autre, en se plongeant dans le lin, vit un gros crapaud.

Par ma fa, v’là du païsson ; si je le mangeas ?

Il avala le crapaud ; mais il ne tarda pas à se sentir malade, et il alla avec son camarade à une auberge où ils demandèrent à coucher. On leur montra une chambre, mais ils se dirent :

Dieu me danse, mon fu, i’ n’en coûterait trop chier ; vous n’ez point eun endrait qui n’coûterait pas tant ; je n’sommes pas riches.

La servante, en les entendant, se dit : « Ce sont des Jaguens ; i’ faut les mettre dans nos chiottes. »

Elle les conduisit dans un cabinet où il n’y avait point de lit, et elle leur donna un glon de feurre[65] pour se coucher dessus.

Vous n’ariez point eune petite presse pour mett’ nos effets ? demandèrent-ils.

— Si fait ; vous pourrez les mettre sur le coffre.

Les Jaguens se déshabillèrent, et, voyant au milieu du coffre une planche ronde qui recouvrait un trou, ils se dirent :

Par ma fa, mon fu, v’là un joli petit coff’e ; faut y mett’e nos effets.

Le lendemain, quand ils se réveillèrent, ils se dirent :

Faurait reprenre nos habits. Il a la mine ben fond, le coff’e.

Par ma fa, mon fu, faut que tu descenges dedans ; je vas te teni’ par les mains, et tu rattrapperas nos draps.

L’un des compagnons se laissa descendre, mais bientôt il s’écria :

Je les touche bien de mes pieds ; mais la main me dépoigne.

Dieu me danse, mon fu, lui répondit l’autre, crache dedans, tu païsseras mieux après.

Le Jaguen cracha dans sa main, et il tomba dans le fond du prétendu coffre. Il parvint à en sortir à l’aide de son compagnon ; mais il sentait bien mauvais et ses habits aussi.

Quand ils se furent habillés, ils voulurent se compter, et ils dirent à la mode des Jaguens :

Ta et ma, ça fait iun ; i’ y en a iun de perdu ; eioù qu’il est ?

Ils restèrent quelques minutes à réfléchir, et ils avaient l’air si absorbé, que la servante, qui venait les voir, s’écria :

— Qu’est-ce que vous faites là tous les deux ?

Dieu me gagne, mon fu, s’écrièrent-ils, n’y a personne de perdu.

(Conté en 1880 par Joseph Macé, de Saint-Cast, mousse, âgé de quatorze ans.)


Ce récit invraisemblable, que mon conteur appelait une « couyonnade de Jaguen, » ressemble à une partie du Voyage des Jaguens à Paris, n° XXXVII des Contes populaires de la Haute-Bretagne, et au petit conte qui le suit. L’épisode du champ de lin pris pour la mer, qui figure dans les deux contes, n’est point particulier aux Jaguens. Vers Ercé oh attribue cette aventure aux Normands ; elle se retrouve dans plusieurs contes allemands (Cf. les notes de M. R. Kœhler.dans Zeitschrift für Romanische philologie, t. III, p. 312, et l’étude de M. Nyrop dans Romania, t. IX, p. 138 et sq.). En France, il a son similaire dans un conte picard de H. Carnoy, les Six compagnons, qui se baignent dans un champ de blé. L’épisode de la descente se trouve aussi dans le conte étudié par M. Nyrop.

Ce conte et ceux que j’ai publiés ne sont pas les seuls où les Jaguens soient mis en scène : j’en ai toute une série qui paraîtra dans mes Contes de marins. On prétend que ce sont les Jaguens qui se sont amusés à les faire. Pour celui-ci du moins, ils auraient employé des éléments qui leur sont communs avec d’autres pays.

Les Jaguens sont les habitants de Saint-Jacut-de-la-Mer, arrondissement de Dinan ; ils sont presque tous marins, et sur tout le littoral, les contes où les Jaguens jouent un rôle sont nombreux et très-populaires. Mais il ne faudrait pas conclure, des diverses aventures dont ils sont les héros, qu’ils soient les Béotiens de la Haute-Bretagne : c’était peut-être vrai pour les Jaguens d’il y a cent ans. Actuellement, il n’est guère de pays où l’instruction soit plus répandue, et où depuis vingt ans on

ait réalisé plus de progrès de toute sorte.
DEUXIÈME PARTIE




LES CHANSONS
LES DEVINETTES ― LES FORMULETTES
LES PROVERBES ET LES DICTONS
L’ESPRIT À LA CAMPAGNE

I

LES CHANSONS

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Si l’on en juge par ce qui a lieu dans le pays gallot, les chansons populaires d’autrefois sont en train de disparaître, et il est grand temps de recueillir celles qui restent encore et qui, dans un avenir prochain, seront remplacées par des romances sentimentales empruntées au répertoire des cafés-concerts, ou par des rhapsodies parisiennes de la force du Beau Nicolas et de celles qui ont eu le bonheur d’être répétées à satiété par le peuple le plus spirituel de l’univers.

Bien que, dans mes recherches sur la littérature populaire, je n’aie pas négligé les chansons, jusqu’à présent j’en ai recueilli à peine une centaine, dont plusieurs ne présentent qu’un intérêt médiocre. J’espère être plus heureux par la suite, et rencontrer des chanteurs populaires possédant un répertoire curieux et varié. Les quelques chansons que je donne ci-après pourront faire juger de l’esprit qui règne parmi celles que chantent les paysans et les marins gallots.

Jusqu’à présent, je n’ai rien recueilli qui eût un caractère héroïque ou qui fit clairement allusion à un trait d’histoire locale.

Les noëls qui se chantaient autrefois en grand nombre ont aujourd’hui à peu près disparu, et je n’ai pu en retrouver que des fragments. Cependant il y a quelques pays où l’usage de chanter des noëls n’est pas tout à fait passé ; naguère encore, à Dinan, des jeunes gens allaient réciter la vie d’Hérode, sorte de tragédie en alexandrins incorrects qui se vendait autrefois dans les foires : c’était une plaquette à couverture bleue, imprimée à Dol sur papier à chandelle. Un jeune garçon représentait les enfants juifs, et on faisait mine de lui couper la tête avec un sabre de bois.

L’usage de chanter la Passion a persisté davantage, et en beaucoup de communes les jeunes garçons vont de ferme en ferme psalmodier sur un air traînant une pièce de vers en alexandrins approximatifs qui est un résumé de la Passion et ressemble à un prologue.

Jadis, au lieu de cette sorte de cantique, on chantait parfois une complainte héroï-comique dialoguée dont je n’ai retrouvé qu’un fragment, assez plaisant du reste ; le voici :

Quand saint Pierre coupit
À Malchus l’oraïlle,
L’bon Jésus li dit
Tout bas dans l’oraïlle :
— Pierrot ! — Quaï ! mon bon Dieu ?
— Rengaîne ton queuté (couteau),
Mon boudé (chéri, ami),
Rengaine ton queuté.

Pendant les derniers jours de la semaine sainte, surtout dans la nuit du samedi au dimanche, les jeunes garçons vont dans la cour des fermes, et ils disent : « Chanterons-je ? » Si on leur répond oui, ils chantent sur l’air d’Alleluia une longue complainte qui commence par ces mots :

Réjouissez-vous, peuple affligé ;
Jésus-Christ est ressuscité :
En peu de temps on le voira,
Alleluia !

Quand ils ont fini, on leur donne des œufs[66].

Dans le canton de Matignon, les chanteurs terminent leur chanson par ce couplet, qui se chante sur l’air d’Alleluia :

Si vous n’ez ren à nous donner,
Baillez-nous la fille de l’hôté[67] ;
Chacun de nous l’embrassera :
Alleluia !

Dans les communes voisines de Saint-Glen, quand le récitatif est terminé, on chante :

Si vous n’voulez ren nous donner,
Ne nous faites pas attendre :
Donnez-nos la servante ;
Le portous de panier
Est tout prêt de la prendre.

Dans le canton de Liffré, on termine par le couplet suivant, qui se chante surtout quand les gens ne se pressent pas de donner des œufs :

Réveillez-vous, cœurs endurcis ;
Vot’ cu païssera o les linceux,
Si vous n’v’lez pas nous donner d’s œu’s.

Si, malgré cette pressante admonestation, on ne donne rien aux chanteurs, avant de s’en aller, ils chantent ceci :

Le coucou est monté dans sa chambre,
Il a les caunes dans l’tripied,'
Et la tête dans les cendres.
Si vous ne voulez rien donner,
Ne nous faites pas attenre.
Mon camarade a fret ès pieds,
Et moi la cuisse m’y tremble !

Ceux qui ne veulent point donner d’œufs chantent le couplet suivant :

Mes pauv’s gas, v’êtes ben mal venus :
Nos chienn’s de poul’s n’ont point ponnu ;
Venez demain matin : not’ chien ponra ;
Ah ! mes pauv’ gas !

Alors les chanteurs répondent :

Si vous n’vouliez rien nous donner,
N’fallait pas nous laisser chanter ;
Un jour le cu vous pèlera.
Alleluia !

Je ne crois pas que l’on fasse actuellement beaucoup de nouvelles chansons à la campagne. On m’en a signalé cinq ou six qui passent pour avoir été composées par les gens du pays ; elles sont en général assez plates.

Cependant, il est d’usage en certaines communes, Ercé et Gahard entre autres, que les conscrits qui, avant le tirage, et entre le tirage et le conseil de révision, se réunissent le dimanche, fassent chaque année une nouvelle chanson. C’est peut-être d’une de ces réunions de conscrits qu’est venue la chanson de marche que les mobiles et les mobilisés gallots chantaient pendant la guerre de 1870-1871, et qui, si elle n’était pas d’une haute poésie, était singulièrement marchante :

Depuis près d’un an,
Marchons sur les rangs,
Marchons sans gêne,
Ne craignons rien ;
Faisons la guerre
À ces Prussiens.

À la campagne, on compose aussi des chansons satiriques sur des événements locaux, où les personnes sont désignées par leur nom avec des libertés aristophanesques. Plusieurs maires du Seize-Mai ont été chansonnés de la sorte. L’idée de ces chants est parfois drôle, et le début est plaisant ; mais le poète s’essouffle vite, et presque toujours, au milieu et à la fin, il glisse dans la platitude.

En général, — et c’est une remarque que Bujeaud et M. G. Paris ont faite avant moi — toutes les fois qu’on rencontre une chanson populaire vraiment jolie et bien conduite, on peut dire, à coup sûr, qu’elle est l’œuvre d’un lettré ou d’un quasi-lettré. Et si on peut remonter a la source, on trouve que l’auteur est un notaire, un maître d’école ou quelqu’un qui a étudié pour être prêtre.

Les chansons en patois sont loin de former exception à cette règle : un paysan qui voudrait faire une chanson essaierait de la composer en français, en employant les termes les plus relevés, et parfois même ceux dont il ne connaîtrait pas bien la signification exacte.

Les rapprochements que j’ai faits sont en petit nombre ; c’est le regretté Bujeaud qui m’a fourni le plus de similaires, ce qui n’a rien de surprenant, son recueil ayant été fait dans des pays très-voisins de la Bretagne française.

Les chansons galaises ressemblent fort peu à celles des Bretons bretonnants : elles sont d’une inspiration exclusivement française. Aussi, dans mes notes, on ne trouvera aucun rapprochement entre elles et le Barzar-Breiz ; elles n’ont même rien de commun avec les chants plus populaires recueillis par M. Luzel.

Quant à la musique, celle de quelques-unes des rondes et des chansons de marche a une parenté évidente avec les airs bretons.

Je n’ai pu, à mon grand regret, et à cause des limites étroites de ce volume, donner les airs de toutes les chansons. J’en ai choisi quelques-unes, et M. P. Guyot, qui les connaissait pour la plupart, a bien voulu se charger de noter la musique. Si, ce que j’espère, je puis trouver, en Haute-Bretagne, assez de chansons intéressantes pour faire un volume à part, j’aurai soin de noter la musique de toutes.

Pour la classification, j’ai été assez embarrassé, et je crois que la classification-type des chansons populaires est encore à trouver ; bien qu’imparfaite, celle que j’ai adoptée m’a semblé, plus que celle de mes devanciers, convenir aux chansons que je donne ici comme spécimen.

§ I. — Chansons enfantines.

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I. — Ronde.
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La plus belle fille qu’il y ait au monde,
Fleur de lilas comme fleur de rose,
La voici à mon côté droit,
Fleur de rose comme fleur de lilas.
Mademoiselle[68], entrez en danse,
Fleur de lilas comme fleur de rose,
Et embrassez qui vous plaira,
Fleur de rose comme fleur de lilas.

(Ercé près Liffré.)

II. — L’Ivrogne et sa femme.
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Quand je suis en ribotte, (bis)
Ma petite femme, douce comme un mouton,
M’apporte une soupe à l’oignon :
— Mange ça, mon p’tit homme. (bis)
Quand je suis en ribotte, (bis)
Ma petite femme vient vite et, sans gronder,
Vient bien vite me déshabiller :
— Couche-toi, mon petit homme, (bis)

Ce sont les bonnes ou les mères qui chantent cette chanson en faisant sauter les enfants ; il en est de même des suivantes.

III. — Ma tante Perrine.
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Bonjour, ma tante Perrine,
Comment vous portez-vous ?
Vendez-vous d’la farine ?
Combien la vendez-vous ?
— Deux sous la bonne galette,
Trois sous le beurre otout.
Je n’ai pas vu mon amant ce matin,
C’est cela qui me fait de la peine ;
Je n’ai pas vu mon amant ce matin,
C’est cela qui me fait du chagrin.

(Dinant, Ercé.)

IV. — Tout le long du bois.
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Tout le long du bois
J’embrassis Jeannette,
J’embrassis Jeannette
Tout le long du bois.
Et si le bois
Avait été plus long,
J’aurais embrassé
Jeannette tout du long.
Tout le long, etc.

(Ercé.)

Cela se répète indéfiniment.

§ II. — Chansons à marcher ou à danser.

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I. — Le petit Couturier. (dérobée)
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Voulez-vous savoir l’histoire d’un petit couturier, (bis)
Qui s’en va voir les filles bien tard après souper ?
Ri tinton, tinton la lirette,
Ri tinton, tinton la liré.
Qui s’en va voir les filles bien tard après souper, (bis)
Il en a trouvé une sur son lit qui pleurait.
Ri tinton, etc.
Il en a trouvé une sur son lit qui pleurait, (bis)
Lui a demandé : Belle, qu’avez-vous à pleurer ?
Ri tinton, etc.
Lui a demandé : Belle, qu’avez-vous à pleurer ? (bis)
— Comment ne pas pleurer ? on dit qu’vous nous quitté[69].
Ri tonton, etc.
Comment ne pas pleurer ? on dit qu’vous nous quitté, (bis)
— Ceux qui vous l’ont dit, belle, ont dit la vérité.
Ri tinton, etc.
Ceux qui vous l’ont dit, belle, ont dit la vérité ; (bis)
Les chevaux sont aux portes, tout sellés, tout bridés.
Ri tinton, etc.
Les chevaux sont aux portes, tout sellés, tout bridés ; (bis)
Faut plus que la houssine pour les faire avancer.
Ri tinton, etc.
Faut plus que la houssine pour les faire avancer, (bis)
Sourd’ous, sourd’ous, mes gars, sourd’ous à vous chauffer.
Ri tinton, etc.
Sourd’ous[70], sourd’ous, mes gars, sourd’ous à vous chauffer, (bis)
J’n’ai plus qu’mes lits à faire et mes vach’s à tirer.
Ri tinton, tinton, la lirette.
Ri tinton, tinton, la liré.

La dérobée est la plus originale des danses encore en usage dans le pays gallot. Elle se danse vers Saint-Brieuc, et surtout vers Loudéac, où elle est en quelque sorte la danse nationale.

Voici, à ce sujet, une très-curieuse note que je dois à l’obligeance de Madame veuve Louis Texier, originaire de Loudéac, et qui expliquera mieux que je ne pourrais le faire les différentes manières de danser la dérobée :


« Très-ancienne manière de danser la dérobée, qui est encore en usage dans les communes de Plémy, de Plessala et de Plouguenast.

« Pendant qu’on chante le couplet, le danseur donne le bras à sa danseuse, et on fait une marche en mesure autour de la salle de bal, en se suivant tous les uns les autres.

« À la première mesure du refrain, le danseur et la danseuse, l’un vis-à-vis de l’autre, font un balancé.

« En suivant la mesure de la chanson, quand il y a plus de danseurs que de danseuses, ces premiers dérobent les danseuses des autres. À la dernière mesure du refrain, étant placé derrière un couple, le dérobeur, donnant un coup d’épaule au danseur et le poussant légèrement, prend le bras de la danseuse et continue la danse avec elle. »


« Autre manière. — Marche pendant le couplet, ainsi que pour la première manière. Au refrain, le danseur prend les deux mains de sa danseuse, et ils dansent ainsi l’un devant l’autre, sautant deux fois sur le même pied alternativement, et toujours avec la plus grande mesure. Au moment où le danseur va prendre la main de sa danseuse pour la poser sur son bras, le dérobeur doit le devancer dans ce mouvement, et continue à danser avec la danseuse qu’il a ainsi dérobée.

« On remplace maintenant les deux premières manières par la chaîne, que l’on peut danser à quatre, à six, à huit, etc. Le dérobeur doit se tenir au bout de la chaîne et présente la main à la danseuse qu’il veut dérober. »

II. — L’Âne changé.
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Quand Marion va au moulin, (bis)
Elle va dessus son âne,
La saberdondon,
Elle va dessus son âne,
La belle Marion[71].
Quand le meunier la voit venir, (bis)
S’en va au-devant d’elle.
— La belle, entrez dans mon moulin ; (bis)
Attachez là votre âne.
Quand Marion fut au moulin, (bis)
Le loup a mangé l’âne.
— Que dira mon bon père Martin (bis)
D’avoir perdu son âne.
Le meunier dit à Marion : (bis)
— Tenez, prenez la mienne.
Quand son père la voit venir : (bis)
— Ce n’est point là mon âne.
Mon âne avait les quat’ pieds blancs
Les deux oreilles en rabattant,
Le bout de la queue noire.
— Mon père a bu du vin nouveau,
Qui lui a troublé le cerveau,
Ne connaît plus son âne.
Nous sommes dans le mois d’avri,
Où tous les moin’s changent d’habit.
C’est ce qu’a fait votre âne.
La saberdondon,
C’est ce qu’a fait votre âne,
La belle Marion.

(Matignon.)

Les trois derniers couplets sont irréguliers, puisqu’ils se composent de trois vers au lieu de deux ; mais on ne répète point le premier vers comme dans les premiers couplets, de sorte qu’ils se chantent exactement de même.

Cf. Bujeaud, t. I, p. 107, l’Âne de Marion, dont le thème est sensiblement le même, mais qui se rapproche davantage d’une autre chanson, que j’ai entendue dans les environs de Dinan.

Cf. aussi Romancero de Champagne, 2e partie, p. 255, et les Noëls et chansons populaires de la Franche-Comté, no 29, p. 89.

III. — Les Galants.
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C’est point l’usage des filles
D’aller voir les garçons,
La destinée, la rose au vent,
D’aller voir les garçons.
C’est bien l’usage des filles,
D’rester à leur maison,
La destinée, etc.
Quand leur maison est propre,
Les amoureux y vont,
La destinée, etc.
Ils y vont quatre à quatre,
En frappant du talon,
La destinée, etc.
Ils s’assoyent sur la table,
En disant leurs raisons,
La destinée, etc.
Quand leurs raisons sont dites,
Les amoureux s’en vont,
La destinée, etc.
Ils s’en vont quatre à quatre,
En frappant du talon,
La destinée, etc.
Ils s’en vont à l’école,
À l’école du roi,
La destinée, la rose au vent,
À l’école du roi.

(Liffré.)

IV. — Chanson de conscrit.
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Trois navires sont à Toulon,
Pour emporter Marion.
Je n’verrons plus Marion,
Ma lonlanla,
Je n’verrons plus Marion,
Car olle s’en va.
Marion s’en est allée,
Je n’la verrons plus jamais.
Je n’verrons plus Marion,
Ma lonlanla,
Je n’verrons plus Marion,
Car olle s’en va.

(Matignon.)

§ III. — Chansons d’amour et de mariage.

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I. — L’Avis du mariage.
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Entre vous, les jeunes filles,
Qui voulez vous marier, (bis)
Prenez garde à ce passage
Avant de vous engager.
On est (ter) lié ;
On ne peut se délier.
Prenez garde à ce passage
Avant de vous engager, (bis)
Car les garçons sont honnêtes
Avant de se marier.
On est, etc.
Car les garçons sont honnêtes
Ouand ils sont à marier ; (bis)
Mais quand ils sont mariés,
C’sont des diables déchaînés.
On est, etc.
Mais quand ils sont mariés,
C’sont des diables déchaînés. (bis)
Il n’y a ni bois ni bûche
Qui ne saute par l’hôté[72].
On est, etc.
Il n’y a ni bois ni bûche
Qui ne saute par l’hôté. (bis)
Les dam’s sont à leur fenêtre,
Regrettant leur temps passé.
On est, etc.
Les dam’s sont à la fenêtre,
Regrettant leur temps passé. (bis)
Se disant les unes aux autres :
Si j’étais à marier !
On est (ter) lié,
On ne peut se délier.

(Dinan.)

Cf. Bujeaud, t. I, p. 129, Là-haut dessus ces rochettes, chanson du Poitou et de l’Aunis ; t. II, p. 37, C’est un lien si fort (Bas-Poitou et Aunis), et Romancero de Champagne, 2e partie, p. 86.

II. — La Servante du meunier.
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J’étions cinq à six bons gas, (bis)
Qui naviguions sur mer,
Lon la,
Qui naviguions sur mer.
Là le vent nous tenait bon, (bis)
La mer était contraire.
Le vent nous a jetés (bis)
Sur les côtes d’Angleterre.
Proche d’un moulin à vent, (bis)
Moulin qui moulait l’orge.
La servante du meunier (bis)
M’a fait la révérence.
Et moi bien étonné, (bis)
D’où vient la connaissance.
Ne te souviens-tu pas (bis)
Que nous étions ensemble ?
Je l’ai menée au marché (bis)
Pour lui choisir des bagues.
Elle a bien su garder (bis)
La foi du mariage.
Si ton cœur et le mien (bis)
Étaient dans la balance,
Si ton cœur emporte le mien, (bis)
Nous coucherons ensemble,
Dans un biau lit carré (bis)
Garni de roses blanches,
Et aux quat’ coins du lit (bis)
Quatre belles pommes d’orange.
Et au milieu du lit (bis)
Le rossignol y chante.
Chante, beau rossignol, (bis)
Chante la réjouissance
De ces beaux jeunes gens (bis)
Qui vont coucher ensemble,
Lon la,
Qui vont coucher ensemble.

(Matignon.)

Cf. Bujeaud, t. II, p. 330, Enfants de la ville de Nantes (Saintonge, Bas-Poitou, Aunis).

III. — La Fille pressée.
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Il est pourtant temps,
Pourtant temps, ma mère,
Il est pourtant temps de me marier.
— Ma fille, nous n’avons point d’argent, (bis)
— Ma mère, il y a du froment :
Que ne le vend-on ?
Que ne me marie-t-on ?
Il est pourtant temps, etc.
— Ma fille, nous n’avons point d’habit. (bis)
— Ma mère, nous avons du lin gris :
Que ne le file-t-on ?
Que ne me marie-t-on ?
Il est pourtant temps, etc.
— Ma fille, nous n’avons point d’maison. (bis)
— Ma mère, il y a des maçons :
Que ne les demande-t-on ?
Que ne me marie-t-on ?
Il est pourtant temps, etc.
— Ma fille, nous n’avons point de vin. (bis)
— Ma mère nous avons du raisin ;
Que n’en fait-on ?
Que ne me marie-t-on ?
Il est pourtant temps, etc.
— Ma fille, nous n’avons point d’amant. (bis)
— Ma mère, il y a le gros Jean :
Que ne me le donne-t-on ?
Que ne me marie-t-on ?
Il est pourtant temps,
Pourtant temps, ma mère,
Il est pourtant temps de me marier.

(Dinan, Matignon, etc.)

Cf. Bujeaud, t. I, p. 99, Marie-me donc, chanson angoumoise.

IV. — Le Ménage.
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Sur le haut d’la montagne,
J’entends les petits oiseaux,
Qui se disent les uns les autres,
Dans leur joli langage :
Malheur aux pauvres fillettes
Qui se mettent en ménage !
Pour s’y mettre en ménage,
Faut avoir de l’argent,
Et lorsqu’on a homme et enfant,
Il faut embrasser l’ouvrage,
Et puis toujours recommencer
L’embarras du ménage.
Huit jours avant ses noces,
S’en fut chez ses amis :
Ah ! venez tous, petits et grands,
Pour vous réunir au balle ; (sic)
Munissez-vous d’un mouchoir blanc
Pour essuyer mes larmes.
Le joure de ses noces,
Le joure le plus beau,
Elle est couverte de roses blanches,
De roses pénitentes,
Et le ruban de trois couleurs,
Le ruban de souffrance.
Huit jours après ses noces,
S’en fut chez son papa :
Papa, vous m’avez mariée,
Mariée avec un homme
Qui est toujours au cabaret,
Ça n’fait pas not’ besogne.
— Ma fille, prenez courage,
I’aura du changement ;
Chérissez-le, caressez-le ;
Prenez-le toute à la douce,
Et vous verrez en peu de temps
La paix dans vot’ ménage.

(Ercé.)

V. — Le Mariage.
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C’était par un dimanche,
Et non par un lundi, (bis)
Que j’ouvre la fenêtre,
Du pié de mon lit :
Ton ton,
Ton p’tit cœur mignonne,
Ton p’tit cœur joli.
Que j’ouvre la fenêtre,
Du pié de mon lit. (bis)
J’entends le rossignol,
Qui par son chant nous dit :
Ton ton, etc.
J’entends le rossignol,
Qui par son chant nous dit : (bis)
Les filles qui se marient
Ne sont point sans souci.
Ton ton, etc.
Les filles qui se marient
Ne sont point sans souci. (bis)
Le joure de leurs noces,
Mettent leurs plus beaux habits.
Ton ton, etc.
Le joure de leurs noces,
Mettent leurs plus beaux habits. (bis)
Le lendemain des noces,
Un bouquet de souci.
Ton ton, etc.
Le lendemain des noces,
Un bouquet de souci, (bis)
Et le troisième jour,
Tout est déjà fini.
Ton ton, etc.
Et le troisième jour,
Tout est déjà fini. (bis)
Adieu, père et mère,
Parents et amis,
Ton ton, etc.
Adieu, père et mère,
Parents et amis. (bis)
Me voici en ménage,
Avec mon cher mari.
Ton ton, etc.
Me voici en ménage,
Avec mon cher mari : (bis)
Ce n’est point pour un an
Ni une année et demie.
Ton, ton, etc.
Ce n’est point pour un an
Ni une année et demie. (bis)
C’est pour toute ma vie,
Et la sienne aussi.
Ton ton, etc.

(Matignon.)

Cf. Bujeaud, t. I, p. 68, la chanson saintongeoise : J’ai ouvert ma fenêtre, et le Romancero de Champagne, 2e part., p. 233.

VI. — La bonne amie morte.
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Par un dimanche au soir,
J’m’en fus voir ma maîtresse :
C’était pour la fiancer ;
Elle était prête à trépasser.
— Si tu es mon ami,
Va-t’en chercher un cierge.
L’ami n’avait pas fait trois pas,
Que sa mère le rappelle.
— Mon bel ami, vot’ belle est morte.
— Ah ! si j’avais bien su
Que ma mie serait morte,
J’aurais resté près de son lit,
Pour voir ma bonne amie mouri.

(Ercé.)

Cf. Bujeaud, t. I, p. 282, La mort de la brune, la préface de Champfleury, « Ce matin je me suis levé plus matin que la lune, » p. X, et Mélusine, col. 390, chanson recueillie à Lorient par E. Rolland.

§ IV. — Chansons satiriques ou gouailleuses.

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I. — Chanson de mensonges.
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Qu’as-tu vu,
Compère,
Qu’as-tu vu ? (bis)
J’ai vu une anguille
Qui peignait sa fille
Pour aller danser,
Compère, commère,
Pour aller danser.
— Compère, vous mentez.
Qu’as-tu vu ? etc.
J’ai vu un crapaud
Qu’aiguisait sa faux
Pour aller faucher,
Compère, commère,
Pour aller faucher.
— Compère, vous mentez.
Qu’as-tu vu ? etc.
J’ai vu un lieuve
Qui tremblait la fieuve
Cont’ un échalier,
Compère, commère,
Cont’ un échalier.
— Compère, vous mentez.
Qu’as-tu vu ? etc.
J’ai vu une guernouille,
Qui filait sa quenouille
Au coin d’un fossé,
Compère, commère,
Au coin d’un fossé.
— Compère, vous mentez.
Qu’as-tu vu ? etc.
J’ai vu un cochon
Qui jouait du violon
Et savait valser,
Compère, commère,
Et savait valser.
— Compère, vous mentez.
Qu’as-tu vu ? etc.
J’ai vu un renard
Qui cuisait du lard
Dans un pot percé,
Compère, commère,
Dans un pot percé.
— Compère, vous mentez.
Qu’as-tu vu ? etc.
J’ai vu une cônille
Qui coiffait sa fille
Pour aller s’marier,
Compère, commère,
Pour aller s’marier.
— Compère, vous mentez.

(Matignon.)

Comparez une « chanson de mensonges d’Eure-et-Loir, » publiée dans Mélusine, col. 314.

II. — La bique à Jacques André.
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Chansonnette paisante[73],
Voul’ous la ouï chanter :
C’est d’une bique blanche,
La bique à Jacques André.
Depès qu’olle est chez nous,
La pauvre bique blanche,
Depès qu’olle est sez nous,
O n’a point zeu de chance.
Le pâtous qui la mène
Se nomme Nicolas,
La mène et la ramène
Tout à l’entour du bois :
Tout à l’entour du bois,
La pauvre bique blanche,
Depès qu’olle est sez nous,
O n’a point zeu de chance.
Quand c’fut au matin jour,
Not’ femme o s’y leva ;
O mit son cotillon,
À l’étab’e elle s’en va.
La pirouitte pirouinnée
Est morte entre deux vaches ;
Elle s’en va tout dret
Conter ça à son Jacque.
— T’en souvient-i’, mon Jacque,
T’en souvient-i’, qu’un saï,
Not’ chieuve était malade,
Tu t’y moquis de maï ?
Olle est morte à matin
Sur une poignée de fieurre :
Te v’la bien couyonné
Ta qu’aimas tant son bieurre.
— Va-t’en, ma pauvre femme,
Va-t’en chez l’écorchous ;
Dis-li : Not’ pauvre chieuve
Est morte par malhoû,
Est morte par malhoû,
La pauvre bique blanche ;
Depès qu’olle est sez nous,
O n’a point zeu de chance.
I tirit de ses hannes[74]
Un grand vilain coutiau,
Li dit : Ma pauvre chieuve,
Il faut que j’aie ta piau.
Il faut que j’aie ta piau,
Ma pauvre bique blanche,
Pour en faire un mantiau,
À ma grand’tante Jeanne.
La chieuve dont je vous parle
Avait de bons parents ;
C’est la cousine germaine
Du bouc à Trémaudan[75].
Le d’funt Biquet
Était son feu grand-père ;
La chieuve Margot
Était sa d’funte grand’mère.

(Dinan, Combourg.)

III. — La bonne femme aux prunes.
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J’passi par un champ
Où qu’n’gniavait des preunes ; (bis)
J’monti dans l’preunier
Pour en cueillir eune.
V’là l’biau temps,
Tire lire lire,
V’là l’biau temps, pourvu qu’ça dure,
V’là l’biau temps revenu.
J’monti dans l’preunier
Pour en cueillir eune ; (bis)
Mais v’là qu’arrivit
La bonne femme ès preunes.
V’là l’biau temps, etc.
Mais v’là qu’arrivit
La bonne femme ès preunes. (bis)
— Ah ! j’t’y happe, mon gars,
À m’baiser mes preunes.
V’là l’biau temps, etc.
Ah ! j’t’y happe, mon gars,
À m’baiser mes preunes. (bis)
J’débraisi mes hannes ;
J’l’y montri ma leune.
V’là l’biau temps, etc.
J’débraisi mes hannes,
J’l’y montri ma leune : (bis)
— V’là par ioù, bonne femme,
J’vous renrai vos preunes.
V’là l’biau temps,
Tire lire lire,
V’là l’biau temps, pourvu qu’ça dure,
V’là l’biau temps revenu.

(Saint-Jouan-de-l’Isle.)

IV. — La chieuve de Trémaudan.
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O vous tous qu’ez des chieuves,
S’ous m’créyez, gardez-les ;
Car si le leu arrive,
O s’ront bentôt mangées.
Car Malau là (bis)
En avait eune vieille naïre,
Qui jour et net (bis)
Ne beugeait de dommaïge.
Un jou’ qu’enter les aut’es,
Oll’ ’tait dans du froment,
Compère Quette Grise
La salue galamment,
En li disant : (bis)
Commère la biquette,
Vous faite’ ici (bis)
Bien de la mignonnette !
Il la print par la barbe,
L’entraînit dans un bois ;
C’était, la pauvre chieuve,
La conduire aux abois.
...
Puisqu’il faut que je meure,
J’veux faire mon testament ;
À tous les chiens de Bertangne,
Ès petits comme ès grands,
Principalement (bis)
À s’ti de la Gueutrie,
Qui tant de faïs (bis)
M’avait sauvé la vie.
La chieuve dont je vous parle
Avait de biaux parents ;
Oll’ ’tait cousine germaine
Au bouc de Trémaudan ;
Le vieux biqueton (bis)
Était son d’funt grand’père ;
La chieuve Margot (bis)
Était sa d’funte grand’mère.

(Collinée.)

V. — Le Gas faraud.
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Je sommes vantiez le plus mal gas
Que n’y ait dans la parouâsse,
Et je n’sommes jamais le dernier
À sortir de la mâsse.
Toujours le keuté dans l’chantiau :
Pour té, Margot, qu’j’endure de miaux, (bis)
Pour té, Margot, que j’endure !
J’ons cor un ben pus biau chapé,
Qu’stulà qu’est su ma tête,
Mais c’est pour mett’ o les dimanches
Et pais les jours de fêtes,
Pour aller va mon Isabiau.
Pour té, etc.
Quand c’est que j’chanton au lutrin,
Je somme emmêle les prêtes,
Et si j’savions queuque brin d’latin,
J’serions teurtous leux maît’es,
Pour chanter un Tantum ergo.
Pour té, etc.
L’autre jou je prin mon fusi,
Et j’m’en fus zà la chasse,
Et je tiris su n’un crapé gris,
Crayant qu’c’tai une bégasse,
C’était cor pour mon Isabiau.
Pour té, etc.
C’est o les filles de d’sez nous
Que je jeue ben mon rôle,
J’te les happe par dessus l’chignon,
Et pais j’te les ramône,
J’te leux boute un tour de musiau,
Pour té, etc.
J’ voudras ben qu’tous les procurous
N’mangerient qu’des punâses ;
Les pauv’ p’tits labourious comme ma
N’en seraint qu’pû à lous âses,
Je sauterions comme des toriaux.
Pour té, Margot, qu’j’endure de miaux, (bis)
Pour té, Margot, qu’j’endure !

(Évran.)


Je l’ai aussi entendue vers 1860 dans le canton de Matignon»


Cf. Bujeaud, t. II, p. 255. « Pre ta, Nichau, qu’i endure daux mouex, » connue en Vendée sous le nom de la Sablaise, et surtout la variante des environs de Marans et de La Rochelle, dont le refrain est : « Peur tè, Margot, qu’i’cndure daux maux. »

II. Les devinettes.

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Les Devinettes ou — pour employer le mot dont se servent les paysans gallots — les devinailles, sont un des amusements favoris des soirées d’hiver à la campagne ; il y a des gens qui en possèdent un vaste répertoire, et parfois ils se plaisent à l’augmenter en improvisant de nouvelles devinettes, J’ai été plusieurs fois témoin de ce jeu d’esprit, dont parfois les faiseurs de devinailles nouvelles ne se tiraient point trop mal.

Pour l’ordre dans lequel j’ai placé les devinettes, j’ai suivi la classification de M. Rolland, qui est fondée sur les affinités que présentent entre elles les énigmes. C’est en effet de cette manière que procèdent les paysans, et quand ils sont ensemble, les devinettes leur arrivent par associations d’idées. Si j’avais eu un plus grand nombre d’énigmes dont le texte est obscène ou grossier, et la réponse anodine, peut-être aurais-je fait pour elles une troisième division, qui aurait été justifiée par le goût que les paysans ont pour les mots a double sens. J’ai mis à leur rang celles qui appartiennent à ce genre.

Sur les devinettes, en général, on pourra consulter la préface que M. Paris a écrite en tête du livre de M. Rolland, ainsi que l’introduction que M. J.-F. Bladé a placée au commencement de celles qu’il a recueillies. Ces deux auteurs indiquent aussi une abondante bibliographie des recueils de devinettes, qu’on peut compléter encore à l’aide de celle faite par M. H. Gaidoz (Mélusine, col. 174-175).

Quant à moi, je me suis borné à indiquer les sources auxquelles j’ai puisé mes comparaisons ; elles sont presque toujours françaises. Quand j’ai trouvé une série de références dans M. Rolland ou dans un autre auteur, je n’ai pas refait son travail, et le lecteur curieux pourra s’y reporter. Mais j’ai indiqué entre parenthèses les noms des pays dont les auteurs auxquels je renvoie ont cité les énigmes similaires.

Voici les principaux ouvrages consultés :

Bladé. Proverbes et devinettes populaires recueillis dans l’Armagnac et l’Agenais. Paris, Champion, 1880.

Cerquand. Légendes et récits populaires du pays basque. Pau, Ribaut, 1876. (Il y a des énigmes p. 21 et sqq., p. 71 et sqq. du tome II.)

Lespy. Proverbes du Béarn, énigmes (p. 89-97) et contes populaires. Maisonneuve, 1876.

Mélusine (passim). Forez et Velay, col. 253 et sqq. ; Poitou, col. 245 ; diverses, col. 292, 485, 511, 556.

Rolland (E.). Devinettes et énigmes populaires de la France. Paris, Wieweg, 1877.

Roques-Ferrier. Énigmes populaires en Languedoc. Montpellier, 1876, 24 p. in-8o, et Revue des langues romanes, 1875, p. 313-340.

Sauvé. Devinettes bretonnes. Revue celtique, 1879, t. IV, p. 61-104. (Quelques-unes de ces énigmes ont été recueillies par

M. Ernault.)
Devinettes.
1.
Devine, devinaille[76] :
J’ai perdu mes mailles.
Je ne peux les retrouver
Que quand le soleil est couché.

— Les étoiles.

Cf. Mélusine, col. 259, D. 72 (Velay et Forez) ; Rolland, D. 115 (Ardèche).

2.
Gros comme une pomme qui n’est pas pomme,
Que cent mille hommes ne mettraient pas dans une tonne.

— Une étoile.

3.

Qu’est-ce qui a plus de cent dabons (pièces) et pas une seule couture ? (M.)

— Les nuages.

Cf. Mélusine, col. 259, D. 69 (Velay et Forez) ; Rolland, D. 11 (Cantal, Dordogne, Languedoc, Catalogne) ; Sauvé, Revue celtique, D. 5 (Basse-Bretagne) ; Bladé, D. 83 (Armagnac et Agenais).

4.
Qui va de branche en branche,
Et de Paris en France ? (E.)

— Le vent.

Cf. Bladé, D. 38, 41 (Agenais et Armagnac).

5.
Qui est-ce qui couvère (couvre) ben la ville de Paris,
Et qui ne sarait couvri’ le haut d’un puits ?

(Trélivan.)

— La neige.

Cf. Rolland, D. 12 (Haute-Saône) ; Sauvé, D. 19 (Basse-Bretagne).

6.

Je suis ici et toi à Paris : on peut se laver avec la même ève (eau) et s’essuer (s’essuyer) o la même serviette. (E.)

— La rosée et le soleil.

7.

Qui porterait ben un faix et ne porterait pas une maille (un clou) ?

— L’eau.

Cf. Rolland, D. 23 (Nancy, Languedoc) ; Sauvé, D. 11

(Basse-Bretagne) ; Bladé, D. 43 (Agenais, Armagnac).
8.

Qui passe sur l’eau et ne fait pas d’ombre ?

— Le son des cloches.

Cf. Rolland, D. 21 (Dordogne, Lorraine, Languedoc, etc.) ; Mélusine, col. 254, D. 2 (Velay et Forez) ; Sauvé, D. 15 (Basse-Bretagne) ; Bladé, D. 81 (Armagnac, Agenais).

9.

Qui tend la goule sus l’ève (eau) et qui ne peut baïre ? (E.)

— La campane ou clochette d’une vache.

10.

— I’ou qu’tu vas teurtin, teurtant ?

— Que qu’ça t’fait, touzé tous l’zans ! (M., E.)

— Dialogue d’un ruisseau et d’un pré.

Cf. Rolland, D. 25 et 101 (Sarthe, Dordogne, Lithuanie, Allemagne) ; Mélusine, col. 556, D. 2 (Châtillon-sur-Loire) ; Lespy, E. XXV (Béarn), p. 94 ; Cerquand (Basque), t. II, p. 76, E. 52 ; Sauvé, D. 16-17 (Basse-Bretagne) ; Bladé, D. 110 (Armagnac et Agenais).

11.

Tant que c’est p’us grand, ça fait moins de peur.

Tant que c’est p’us petit, ça fait plus de peur. (M.)

— Un pont sur une rivière.

Cf. Rolland, D. 27 (devinette ancienne).
12.
En vie du devant,
Mort du mitan,
Baptisé du dère. (E).

— Une charrue qui est traînée par des chevaux et dont un homme tient la queue.

Cf. Mélusine, col. 251, D. 97 (Forez et Velay) ; Sauvé, D. 51 (Basse-Bretagne).

13.

— Bonjour, madame, o vot’ tire lire qui danse.

— Bonjour, monsieur, avec vot’ grand tire li bande.

— Auriez-vous où mettre un grand tire li bande dans un poussoir ?

— Oui, monsieur ; il est touzé de frais, et revenez à la maison : il y a deux journées de cu pour vous.

— Un homme monté sur un cheval s’adresse à une femme qui dévide ; le poussoir est un pré fauché, et la femme offre au cavalier deux œufs à manger.

Cf. Rolland, D. 37 (Paris, Ardèche, pays Messin, Allemagne) ; Sauvé, D. 39 (Basse-Bretagne).

14.

Quatre pattes sur quatre pattes ; quatre pattes attend quatre pattes ; quatre pattes ne vient point ; quatre pattes s’en va, et quatre pattes restent.

— Un chat sur une chaise qui guette une souris, et qui quitte la chaise après l’avoir vainement attendue.

Cf. Rolland, D. 39 (pays Messin, Vosges, Haute-Saône, Morbihan, Alsace, Angleterre, Allemagne, Hollande, Frise).

15.

Qui a sept pieds, quatre oraïlles et une quoue ?

— Un chat dans une marmite.

Cf. Rolland, D. 42 (Ardèche) ; Sauvé, D. 69 (Basse-Bretagne).

16.
Quatre allants, quatre tirants,
Fouet au cu et bros devant. (E.)

— Une vache.

Cf. Mélusine, col. 24 ; (devinaille poitevine) ; Rolland, D. 43 (pays Messin, Vosges, Angleterre, Allemagne).

17.
Qui n’a ni os ni chai,
À qui li faut un p’tit drapé ? (E.)

— Le lait.

Cf. Rolland, D. 47 (pays Messin).

18.
Veni, venez,
Pendi, pendez,
Sinon pendi veni
Aura mangé dormi. (E.)

— Un cochon qui dort sous un chêne, et qui aurait été mangé par le loup, si, en tombant, le gland ne l’eût réveillé.

Cf. Mélusine, col. 261, D. 90 (Forez et Velay) ; col. 557, Châtillon-sur-Loing, D. 6 ; Rolland, D. 48 (Auvergne, Ardèche, Béarn, Languedoc, Italie, Allemagne, etc.) ; Lespy, E. 10 ; Bladé, D. 88 (Agenais et Armagnac).

19.
En m’en revenant du bourg d’Ercé,
J’ai trouvé un cu renversé
Qu’avait un peigne sur la tête.
Devinez quelle bête. (E.)

— Un coq.

20.

Qui a plus de mille pièces sur le dos sans une seule couture ?

— Une poule.

21.
a) Qui n’a ni chai ni os et qu’a une petite chemise blanche,
Qui n’a ni couture ni manche ?

— Un œuf.

Cf. Rolland, D. 66 (Dordogne).

b) Une petite maison qui n’est ni liée ni chevronnée, et qu’est pleine diqu’au faîte. (E.)

— Un œuf.

Cf. Rolland, D. 64 (pays Messin, Béarn, Allemagne, Alsace, Lithuanie, Moravie), D. 65 (Paris, Cantal, Alsace) ; Cerquand, t. II, p. 75, E. 43 ; Sauvé, D. 44 (Basse-Bretagne) ; Bladé, D. 97, Z20 (Armagnac et Agenais).

c) Qui est-ce qui entre blanc et qui sort jaune ?

— Un œuf.

Cf. Thuriault, Énigmes créoles de la Martinique, p. 215 ; Rolland, D. 61 (Paris, Lorraine, Hongrie, Moravie).

22.
J’ai vu blanc, j’ai vu na,
J’ai vu châ (tomber) dans mon géneta (jeannaie).

— Une pie.

Cf. Cerquand, t. II, p. 72, E. 10 (Pays basque).

23.

Qui est fait comme un fou’ (four), qui n’est pas fou’, où il y a cent mille habitants qui volent comme le vent ? (E.)

— Une ruche d’abeilles.

Cf. Bladé, D. 80 (Agenais et Armagnac).

24.

Qui est du matin au soir dans la prée, et qui n’en est pas plus content au soir ?

— Une faux.
25.

Qui est-ce qui est fait avant sa mère ? (E.)

— Un bulot de foin, parce qu’on fait le bulot ou petit tas avant le grand tas appelé veille ; or vieille se prononce veille.

26.

Quelle est la sorte d’arbres dont il y a le plus ? (E.)

— Plus de tors que de bien droits.

Cf. Sauvé, D. 135 (Basse-Bretagne).

27.

Qui est-ce qui est piqué autour d’un pré ? Ses habits y tombent, et lui ne peut pas y aller. (E.)

— Un arbre.

28.

Qui est autour du bois et ne peut rentrer dedans ?

— L’écorce.

Cf. Rolland, D. 86 (pays Messin, Paris, Lorraine, Bretagne, etc.) ; Sauvé, D. 129 (Basse-Bretagne).

29.

Haut comme une maison qui n’est pas maison ; vert comme une cive qui n’est pas cive ; dur comme une roche qui n’est pas roche ; blanc comme lait qui n’est pas lait.

— Un noyer et les noix.

Cf. Rolland, D. 107 (Lozère, pays Messin, Ardèche, Angleterre, Alsace).

30.
Une petite potée,
Qui n’est ni pévrée ni salée,
Et qu’est ben goûtée.

— Une noisette.

Cf. Rolland, D. 109 (Paris, Languedoc).

31.

Haut père, rude mère, bon enfant qui est dedans. (E.)

— Un châtaignier, l’enveloppe de la châtaigne et la châtaigne.

Cf. Mélusine, col. 255, D. 18 (Forez et Velay) ; Rolland, D. 112 (Seine-et-Oise, Isère, Ardèche) ; Sauvé, D. 61 (Basse-Bretagne) ; Bladé, D. 50 (Armagnac et Agenais).

32.

Galène, galènas, que j’ai rencontré dans le fond d’un bois ; il m’a présenté sa barbe à faire, son cu à lécher ; je n’ai pu m’y refuser. (M.)

— Une mêle ou nèfle.

Cf. Une devinette poitevine, Mélusine, col. 246.
33.

Pointu comme une aigüye qui n’est pas aigüye, gros comme un fou’ qui n’est pas fou’ (four). (E.)

— Un houx.

34.

Qui est mort et qui mord core ?

— Les ronces.

35.

Vert comme cive qui n’est pas cive ; blanc comme naïge qui n’est pas naïge ; rouge comme sang qui n’est pas sang, et noir comme de l’encre qui n’est pas de l’encre.

Et on est cor ben aise de l’porter ès dents. (E.)

— Des cerises.

Cf. Rolland, D. 106 (Paris).

36.

Haut monté, petit bonnet rouge.

— Une badie ou cerise.

Cf. Bladé, D. 53 (Agenais et Armagnac).

37.
a) Quand je suis petit, je suis vert ;
À veilli’, je jaunis ;
N’on m’arrache, n’on me lie,
N’on me délie, n’on me casse les os,
N’on me met dans l’eau.
Je sers à table
Les gens les plus respectables,
Et je les sers jusqu’au tombeau. (S.-C.)

— Le lin.

Cf. Mélusine, col. 256, D. 23 (Vélay et Forez) ; Rolland, D. 93 (pays Messin, Dordogne).

b) Vert à la terre, bleu au ciel, blanc à l’autel. (M.)

— Le lin.

38.

a) Qui a de la barbe aux pieds ?

— Un poireau.

Cf. Rolland, D. 115 (Paris, 5 variantes).

b) Blanc comme lait qui n’est pas lait, vert comme cive qui n’est pas cive, et qui a de la barbe aux pieds.

— Un poireau.

Cf. Rolland, D. 114 (Paris) ; Cerquand, t. II, p. 75, E. 45 ; Sauvé, D. 56 (Basse-Bretagne).

39.

On m’enterre, je me déterre ; je ne suis pas Dieu, mais je puis l’être.

— Du froment.

Cf. Mélusine, col. 256, D. 25 (Velay et Forez).
40.
Blanc guérêt, noire semence ;
Celui qui sème pense.

— Le papier, l’encre et celui qui écrit.

Cf. Bladé, D. 27 ; Mélusine, col. 255, Dev. du Forez, no 13, et Rolland, D. 250 (Dordogne, Sicile, Angleterre, Lithuanie).

41.

Je suis un arbre, et je ne porte pas de fruits ; je ne dis rien, et je porte conseil ; je suis couvert de peaux de bêtes. Devinez ce que je peux être.

— Un livre.

Cf. Bladé, D. 28 (Armagnac, Agenais).

42.

J’ai tué sans voir, j’ai mangé ce qui n’était pas né, et je l’ai fait cuire dans des paroles. (E.)

— Tuer sans y prendre garde une liévresse pleine, et faire cuire ses petits avec des livres.

Cf. Sauvé, D. 36 (Basse-Bretagne).

43.

Je suis au bas d’un champ ; je vois venir vers moi un tranchant qui m’ôte la vie ; je meurs, et tout le monde admire la beauté de ma voix. (M.)

— Un instrument de musique.

Cf. Devinaille du Forez et du Velay, Mélusine, col. 254.
44.

a) Deux petits bonshommes qui s’entergardent par sus le feussé et qui ne peuvent s’ent’voir. (E.)

— Les yeux.

b) Qui est-ce qui court l’un après l’autre sans pouvoir se voir ?

— Les yeux.

45.

a) Tout plein de petites vaches blanches, et une grande rouge dans le mitan.

— La bouche, les dents et la langue.

Cf. Rolland, D. 123 (pays Messin, Paris, etc.).

b) Deux rangées de petites juments blanches à l’entour d’une jument rouge.

— Les dents autour de la langue.

Cf. Rolland, D. 123 (Pays Messin, Paris, Dordogne, Béarn, Sicile, Angleterre, etc.) ; Sauvé, D. 116 (Basse-Bretagne) ; Bladé, D. 116, 118 (Armagnac, Agenais).

46.

a) Cinq poussous, dix tirous, qui montent la ruette des hannes (culottes) pétouses. (E.)

— Les dix doigts qui tirent les bas, et les cinq doigts de pied qui poussent pour entrer dans le bas.

Cf. Sauvé, D. 90 (Basse-Bretagne) ; Bladé, D. 3 (Armagnac, Agenais).

b) Qu’est-ce que cinq qui poussent et dix qui tirent ?

— Le pied et les mains quand on met ses bas.

c) Peillu dessus, peillu dedans,
Hausse la quette pour mett’ dedans. (E.)

— Le bas de laine.

C. Rolland, D. 135 (Pays Messin, Languedoc, Italie, Catalogne) ; Lespy, E. XIII (Béarn), p. 92 ; et Revue des langues romanes, t. VII, p. 337-338 ; Bladé, D. 23 (Agenais, Armagnac).

47.

a) Qui est mort l’année dernière et qui saute les fossés cette année ? (D.)

— Des souliers en peau de veau.

Cf. Sauvé, D. 87 (Basse-Bretagne).

b) Qui est mort et écorché, et qui saute cor ben les feussés ? (E.)

— Les souliers.

Cf. Lespy, E. XI (Béarn), p. 92 ; Bladé, D. 83 (Armagnac et Agenais).

c) Vide la nuit et plein le jour, plein le jour et vide la nuit.

— Le soulier.

Cf. Rolland, D. 136 (Paris, Seine-et-Marne, Sarthe, Ardèche, Languedoc, Béarn, Hollande, Lithuanie, Alsace).

48.

Qui est-ce qui va sus la tête à la messe ?

— Les clous des souliers.

Cf. Rolland, D. 139 (Paris, Angleterre, Hongrie) ; Sauvé, D. 78 (Basse-Bretagne).

49.

a) Qui est-ce qui entère (entre) avant l’homme dans l’église ? (E.)

— Son chapeau.

b) Qui entère le cu le premier dans l’église ?

— Un chapeau. (E.)

50.

a) Quel est le plus secret de la maison ? (E.)

— Le seuil de la porte.

b) Qui est le plus bête de la maison ? (E.)

— Le seuil, parce qu’on marche dessus et qu’il ne dit rien.

51.
Pié à pié, ventre à ventre,
J’attire mon affaire et la li fourre dans l’ventre.

— Un homme qui met une clé dans la serrure d’une armoire.

Cf. Rolland, D. 144 (Morbihan, Ardèche) ; Sauvé, D. 101, trois variantes (Basse-Bretagne).

52.

Qui tend les bras à son maître quand il entre ?

— Le banc du foyer. (E.)

Cf. Rolland, D. 169 (Paris, Seine-et-Oise).

53.

Qui est-ce qui s’ couche dans son framba (fumier) ?

— Le feu.

Cf. Mélusine, col. 257, D. 37 (Velay et Forez) ; Rolland, D. 152 (Morbihan, Ardèche) ; Bladé, D. 64 (Armagnac, Agenais).

54.
Greû (gros) comme deux bœufs,
Qui ne pèse pas deux œufs. (E.)

— La fumée.

Cf. avec une devinaille poitevine (Mélusine, col. 292).

55.

a) Qui rechigne des crocs quand on entère dans la maison ?

— La crémaillère.

b) Qui est-ce qui grince des dents sus son maît’e ?

— Une crémaillère.

Cf. Rolland, D. 150 (Seine-et-Oise, Haute-Saône, Paris,

Béarn) ; Sauvé, D. 85 (Basse-Bretagne).
56.

a) Qui a l’œil dans le mitan ? (E.)

— Un trépied.

b) Haut monté, court habillé,
Chausse naire et cu percé.

— Un trépied.

57.

Quand on les étreint, i’ s’entr’approchent, et quand on les laisse aller, i’ se secouent.

— Les pincettes.

58.
a) Qui a un nez pointu
Et deux cônes dans l’eu ? (E.)

— Un soufflet.

M. Ernault (Mélusine, col. 292) cite une devinette analogue de Saint-Brieuc. Cf. Sauvé, D. 74 (Basse-Bretagne).

b) Qui a deux cônes au cu, une à la tête et trois pertus sous l’ventre ?

— Un soufflet.

c) Qui a trois yeux et ren qu’un nez ?

— Un soufflet.

d) Qui est-ce qui respire et qui ne vit pas ?

— Un soufflet. (M.)

Identique chez les Wolofs de Sénégambie, Rolland, p. 168.
59.

Qui a l’œil dans l’bout de la quoue ? (E.)

— Une casserole.

Cf. Mélusine, col. 258, D. 49 (Velay et Forez).

60.
a) Qui est gros comme une amande,
Et qu’emplit toute une chamb’e ? (E.)

— Une chandelle.

Cf. Mélusine, col. 259, D. 65 (Velay et Forez) ; Rolland, D. 167 (Paris, Italie, Argovie) ; Thuriault, Énigmes créoles, p. 217.

b) Monsieur et madame lisent dans leur lit ; qu’est-ce qui fond ?

— La chandelle.

Cf. Sauvé, D. 113 (Basse-Bretagne).

c) Qu’est-ce qui fond pendant que les prêtres disent la messe ?

— Les cierges.

61.

Quelle est la bienfaitrice à laquelle on tourne le dos ? (E.)

— Une chaise.

62.

Qui est plein la nuit et vide le jour ?

— Un lit.

Cf. Mélusine, col. 258, D. 40 (Velay et Forez) ; Rolland, D. 136 (Paris, Sarthe, Ardèche, etc.)

63.

Qui laisse son ventre pour aller boire ? (E.)

— Une taie d’oreiller.

Cf. Mélusine, col. 258, D. 52 (Velay et Forez) ; Sauvé, D. 96 (Basse-Bretagne) ; Bladé, D. 63 (Armagnac et Agenais).

64.

Qui passe par une petite ruette et n’en trouve jamais la fin ?

— La corde d’un rouet.

65.

Quatre petites bonnes femmes qui s’ent’ coussent, et qui ne peuvent s’attraper. (M.)

— Les branches d’un dévidoir.

Cf. Rolland, D. 218 (Paris, Bretagne, Lorraine, Venise, Alsace) ; Lespy, E. 21, p. 93 (Béarn) ; Cerquand, t. II, p. 73, E. 16 ; p. 74, E. 34-41 ; Sauvé, D. 105-106 (Basse-Bretagne) ; Bladé, D. 95 (Armagnac et Agenais).

66.

Quel est le plus sot dans une maison ? (E.)

— Le sas, parce qu’il jette la farine et qu’il garde le bran (son).

Cf. Rolland, D. 99.
67.

a) Qui a l’œil au milieu du ventre ?

— Une tonne.

b) Sav’ous ce qui bouet sans feu ?

— Une tonne.

Cf. Sauvé, D. 114 (Basse-Bretagne).

c) Qui est-ce qui a les os sur la peau ?

— Une barrique.

d) Qui a les côtes sur le cuir ?

— Un tonneau.

Cf. Rolland, D. 94 (Seine-et-Oise, Seine-et-Marne).

e) Qui a deux cus et point de tête ? (E.)

— Un tonneau.

68.

a) Qui passe par un petit trou et y laisse un bout d’sa quoue ?

— Une aiguillée de fil.

Cf. Mélusine, col. 259, D. 61 (Velay et Forez) ; Rolland, D. 189 (Sarthe, Cantal, Ardèche, Angleterre, Flandre) ; Sauvé, D. 94, 95 (Basse-Bretagne).

b) Qui traîne ses bouyeaux après soi ?

— Une aiguille.
69.

Je vous ai vu dans un endroit où vous n’êtes jamais allé, et je vous ai vu là. (E.)

— Dans une glace.

Cf. Rolland, D. 190 (Angleterre).

70.

Pus i’ en a, moins ça pèse. (E.)

— Des trous dans une planche.

Cf. Mélusine, col. 262, D. 54 (Velay et Forez), et E. Rolland ; Sauvé, D. 111 (Basse-Bretagne) ; Bladé, D. 71 (Armagnac et Agenais).

71.

Qui s’emplit par le cu et se vide par la goule ?

— Un puits.

72.
Haut monté, bas descendu,
Cloque du cu quand il y fut.

— Un seau.

Cf. Rolland, D. 222, 223 (Morbihan, Paris, Seine-et-Marne).

73.

Un rondin, bondain, plein de p’tits rondiniaux.

— Un four rempli de pain.
74.

a) Qui lève dans un bois sans racines ?

— La pâte.

Cf. Mélusine, col. 485, D. 3 (Pithiviers).

b) Qui lève dans le milieu d’un bois sans y être semé ?

— La pâte.

75.

Quel est le plus recherché de la maison ? (E.)

— Le pain.

76.

Un corps mort qui porte les vivants dans son corps. (S.-C.)

— Un navire.

77.

a) Qui est au mitan d’un bois, qui dispute tout le monde et à qui personne ne dit ren ? (E.)

— Un prêtre dans la chaire.

Cf. Rolland, D. 269 (pays Messin, Argovie, Allemagne, Lithuanie).

b) Blanc et noir dans le creux d’un bois. (M.)

— Un prêtre dans sa chaire ou dans son confessionnal.

c) Qui est-ce qui est blanc quand il est dedans et noir quand il est dehors ? (Trélivan.)

— Un prêtre.

Cf. Rolland, D. 270 (Paris, Lorraine) ; Bladé, D. 79 (Armagnac, Agenais).

78.
a) Un corps à mi-mort
S’éveille si fort
Qu’il éveille un corps mort
Qui passe sur un corps à mi-mort ;
L’autre corps à mi-mort
Passe sur des corps morts
Et tire sur des corps sans âme,
Et le corps sans âme s’écrie si fort
Qu’il éveille l’autre corps à mi-mort,
Qui entre et ne sort pas à moins d’avoir mangé son père,
Et l’autre corps à mi-mort ne sort pas.

— Le coq éveille le bedeau qui passe sur sa femme à moitié endormie, va sonner les cloches et éveille le prêtre qui mange l’hostie.

Cf. Mélusine, col. 256, D. 26 (Velay et Forez) ; Rolland, D. 52 (Écosse, Allemagne, Angleterre) ; Sauvé, D. 118 (Basse-Bretagne) ; Bladé, D. 65 (Armagnac, Agenais).

b) Qui entère dans sa mère pour manger son père ?

— Une personne qui entre à l’église pour

communier.
79.

a) Fait d’os et de chair, passe par sus les morts, entre dans le sein de sa mère pour manger son père et faire parler deux corps nommés sans âme.

— Un bedeau.

Cf. Rolland, D. 272 (pays Messin, Hérault).

b) Un enfant va dans le sein de sa mère, prend une poignée d’herbes sèches, fait parler un corps sans âme et mange son père.

— Le bedeau qui entre à l’église, sonne les cloches et communie.

80.

a) Haut monté, court habillé, qui fait courir les petites bonnes femmes.

— Une cloche.

Cf. Rolland, D. 274 (Seine-et-Oise, Paris, Ardèche, Catalogne) ; Sauvé, D. 66 (Basse-Bretagne).

b) Qui fait trotter les veilles et couri’ les jeunes ?

— Les cloches : baise le cu à celui qui les hoble.

81.

Je suis sur le temple. ; j’ai une jolie gorge, et jamais je ne chante ; je suis sur la croix, et la croix me porte. (E.)

— Un coq de clocher.
82.

Qui n’a ni père ni mère, et qui a père, mère et enfants ? (E.)

— Le cimetière.

83.

Une fille s’en va à confesse et dit : Mon père, je m’accuse d’avoir fait mouri’ ma mère, empoisonné mon père, et laissé mon corsage aller aux jeunes garçons. Devinez ce qu’olle a fait. (E.)

— Sa mère est morte en couche ; en pétant elle a empoisonné son père et laissé son corset à deux garçons.

84.

Le bonhomme a le long, la bonne femme a le rond, i’ mettent tout ça dans le même pertus, et ça fait du bien ès deux.

— Un homme qui met au four des pains que lui donne la femme.

Cf. Sauvé, D. 65 (Basse-Bretagne).

85.

Qui manie toute la journée cinq barres de fer sans se lasser ?

— Une femme qui tricote.
Demandes facétieuses.
86.

Aimez-vous mieux tras petites démâselles à coucher o vous ou un grand pendu à vot’ porte ?

— Trois couleuvres dans un lit ou un cochon tué.

87.

Pourquoi fait-on bouillir l’ève ? (E.)

— Parce qu’on ne peut pas la faire rôtir.

Cf. Rolland, D. 311.

88.

Pourquoi le beu (bœuf) va-t-i’ à la haie ?

— Parce qu’elle ne peut aller à lui.

89.

Pourqua les monniers portent-i’ des bonnets blancs ? (M.)

— Pour se couvrir la tête.

Cf. Bladé, D. 128 (Armagnac et Agenais).

90.

Qui entère dans la prée avant l’beu ? (M.)

— Son haleine.
91.

Quel est le manteau l’pus chaud en hiver ?

— Celui de la cheminée.

92.

Qu’est-ce que l’bon Dieu n’a jamais pu faire et jamais ne fera ?

— Un bâton sans deux bouts.

Cf. Sauvé, D. 138 (Basse-Bretagne).

93.

Qu’est-ce que Dieu ne peut faire ?

— Une montée sans dévalée.

94.

De queu côté s’ouvèrent les portes à Paris ?

— Du côté des gonds.

95.

Quelle sorte de pierres y a-t-il le plus dans la rivière ? (E.)

— Plus de mouillées que de sèches.

Cf. Rolland, D. 347 (Argovie, Alsace) ; Sauvé, D. 133 (Basse-Bretagne).

96.

Qu’est-ce que dit une bue (buire) quand on la vêsse ?

— Elle diminue.
97.

Qu’est-ce qui ressemble le plus à la moitié de la lune ?

— L’autre moitié.

Cf. Rolland, D. 384 (Dordogne).

98.

Queue différence y a-t-i’ entre un curé et un bout de boudin ? (E.)

— C’est que le curé est lié par le milieu et le boudin par les deux bouts.

99.

Quelle est la différence entre un juge de paix et un escalier ? (M.)

— L’un fait lever la main et l’autre le pied.

Cf. Sauvé, D. 158 (Basse-Bretagne).

100.

La chaussure de mille chiens, à un liard le soulier, combien la chaussure ?

— Mille sous.

101.

Une compagnie de perdrix est dans un champ, et l’autre dans l’autre. L’une dit à l’autre : « Venez deux o nous, et je serons autant que vous. » Et les autres disent : « Venez deux o nous, j’allons être moitié pus que vous. » Cambien dans chaque ?

— Dix dans l’une et quatorze dans l’autre.

102.

Un bonhomme allait à la foire do son gars ; il avait neuf ans de pus que son père.

— Neuf vans.

103.
Bonjour, cent houas !
— Un cent nous n’somm’s pas.
Si j’étions autant que j’sommes,
Et la moitié d’autant, et l’quart d’autant,
Et celle qui nous a couvés,
Nous ferions juste un cent. (E.)

— Trente-six.

Cf. Sauvé, D. 160.

104.

Cinquante et deux chênes placés dans sept caves, cambien (sic) ça fait-i’ par cave ?

— Cinq entes (pommiers) et deux chênes : un arbre par cave.

105.

Cambien est-i’ prins de chemises à Paris par dimanches (dix manches) ?

— Cinq.
106.

Une jument qui avait cinq ans, et son poulain sept ans de plus était le fils de la jument.

— Sept taons.

107.

Une barrique pleine d’œufs jusqu’à la bonde, à un sou l’œuf, combien la douzaine ? (E.)

— Douze sous.

108.

Vincent mit l’âne dans le pré, et cent vingt dans l’autre. (M.)

— Et s’en vint dans l’autre.

Se retrouve identique à un mot près dans Bladé, Chansons françaises recueillies en Armagnac, p. 100. Voy. aussi Bladé, D. 125.

109.

Beurre a-t-i’ d’z os, rate a-t-i’ ailes ?

110.

Diversitas, litcencié, rougata, brûla patara, latte ôtée, trou s’y fit, rat s’y mit. (E.)

111.
Coq entrit, pie n’osit, papier au lit.
112.

Ja, pie, trâ. (Cela se dit vite et veut dire un geai, une pie et une trâ ou grive).

113.

L’habit se coud i’ ? Le grain se mout i’ ? Si l’habit se coud, Le grain se mout.

— Un tailleur et un meunier.

Cf. Bladé, D. 49 (Agenais, Armagnac) ; et Sauvé (Basse-Bretagne), p. 103-104, où sont des devinettes analogues aux n° 109-114.

114.

Je sé allée sez ma vaisine ; je li ai demandé son tiré, son miré et son galopiné ; o me dit qu’o mirait, qu’o tirait et qu’o galopinait.

— La tournette, la cuiller à verser et la tuile à galette ; la voisine était occupée à faire de la galette.

115.

J’ai été sez ma vaisine ; je li ai dit que si elle l’avait, i’ ne fallait pas me l’prêter, que si elle ne l’avait pas, i’ fallait me l’prêter. (E.)

— La boîte en bois appelée carrosse sur laquelle les femmes s’agenouillent pour laver.

Cf. Sauvé, D. 122 (Basse-Bretagne) ; Bladé, D. 92 (Armagnac, Agenais).

116.

La grande contière, pignière, pivaudière, qui dit à ses petits contiaux, pigniaux, pivaudiaux : N’allez point au bois contant, pignant, pivaudant, tandis que vous ne soyez grands comme la grande contière, pignière, pivaudière. (Evran.)

— Cest une couleuvre qui dit à ses petits de ne point aller au bois avant qu’ils soient grands

comme elle.
INDEX
(Le numéro est celui de l’énigme et non celui de la page.)


Aiguille, 68. Cochon, 18 ; tué, 86.
Arbre, 26,27. Communion, 78, 79.
Armoire, 51. Confession, 83.
Banc de foyer, 52. Coq, 19, 111.
Bas, 46. Coq de clocher, 81.
Bâton, 92. Couleuvre, 86, 116.
Bedeau, 78, 79. Crémaillère, 55.
Bœuf, 88, 90. Curé, 98.
Bonnet blanc, 89. Demoiselles, 136.
Bouche, 45. Dents, 45.
Boudin, 98. Dévidoir, 13, 65.
Bue ou buire, 96. Dieu, 92, 93.
Calculs, 100, 101, 103, 104. Diversitas, 106.
Casserole, 59. Doigts, 46.
Cavalier, 13. Eau, 6, 7, 87.
Cerise, 35, 36. Écorce, 28.
Chaise, 61. Écriture, 53.
Chandelle, 60. Église, 78, 79.
Chapeau, 49. Encre, 40.
Charrue, 12. Escalier, 99.
Chat, 14, 15. Étoiles, 1, 2.
Châtaignier, 31. Faux, 24.
Chemise, 105. Femme, 13.
Cheval, 12, 14. Feu, 53.
Cierge, 61. Foin, 25.
Cimetière, 82. Four, 73, 84.
Clé, 51. Froment, 39.
Cloche, 78, 79, 80. Fumée, 54.
Clochette, 9. Galetier, 114.
Clou, 48. Gland, 18.
Haie, 88. Pierres, 95.
Haleine, 90. Pincettes, 57.
Houx, 33 Poireau, 38.
Ja, pie, trâ, 112 Pont, 11.
Jeux de mots, 102, 104, 105, Porte, 94.
Jeux106, 108, 109, 113, 115. Poule, 20.
Juge de paix, 99. Pré, 10, 15.
Lait, 17. Prêtre, 77, 78.
Langue, 45. Puits, 71.
Lièvre, 42. Ronce, 34.
Lin, 37. Rosée, 6.
Lit, 62. Rouet (corde de), 64.
Livre, 41, 42. Ruisseau, 10.
Loup, 18. Ruche, 23.
Lune, 98. Sas, 66.
Manteau, 91. Seau, 72.
Marmite, 15. Seuil, 50.
Meunier, 89, 113. Soleil, 6.
Miroir, 69. Sou, 8.
Musique (instrument de), 43. Soufflet, 58.
Navire, 76. Soulier, 47, 48.
Nèfle, 32. Taie d’oreiller, 63.
Neige, 5. Tailleur, 113.
Noisette, 30. Tamis, 100.
Noyer, 29. Tonne, 67.
Nuage, 3. Trépied, 56.
Œufs, 13, 21, 107. Tricoteuse, 85.
Pain, 75, 84. Trous, 70.
Papier, 40. Vache, 16.
Pâte, 74. Van, 102.
Pie, 22. Vent, 4.
Pied, 46. Yeux (les), 44.

III. Les formulettes

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Bien que les formulettes aient pour l’étude du langage et celle des croyances et des traditions une importance égale à celle des proverbes et des devinettes, on s’en est jusqu’à présent peu occupé en France, et je ne crois pas qu’il ait été publié sur ce sujet de livre spécial. On trouve quelques formulettes dans l’excellent recueil intitulé Mélusine, auquel j’ai été si redevable dans tout le cours de ce livre, dans la Faune populaire, de E. Rolland ; dans Bladé, les Chansons populaires recueillies en Agenais et Proverbes ; dans Lespy, Proverbes de Béarn ; Perron, Proverbes de la Franche-Comté, p. 123 sqq. Souché, Croyances, présages et traditions diverses, Niort, Clouzot, 1880, in-8o de 32 p. ; mais dans aucun de ces ouvrages elles ne sont assez nombreuses pour former un ensemble de quelque importance.

La classification des formulettes n’a point été tentée jusqu’ici. J’ai divisé celles que j’ai reueillies en trois sections : la première comprend les formulettes enfantines à l’aide desquelles on amuse les enfants, qui servent à leur apprendre des mots ou des gestes, grâce a une sorte de mnémotechnie.

Dans la seconde, j’ai donné quelques exemples de l’interprétation du chant des oiseaux, du cri des animaux, et aussi des formulettes relatives aux poissons et aux insectes. Enfin, sous le titre de formulettes diverses, j’ai compris celles qui ne rentraient point sous ces deux classifications.

Les formulettes sont très-nombreuses, et j’en ai plusieurs centaines ; mais, à cause des limites de ce petit livre, j’ai dû me

borner à en citer quelques-unes de chaque genre.
Formulettes.
1.

On dit aux enfants, en touchant avec le doigt chacun des points que l’on désigne :

Mes deux croisées.

On met ses deux doigts sur ses yeux.

Ma dégoutière.

On met ses deux doigts dans ses narines.

Mon four.

On met son poing dans sa bouche.

V’là par où j’pète !

On se donne un coup sur la fesse. (E.)[77].

Cf. Mélusine, col. 264.

2.

Quand on donne une friandise à un enfant, on prend délicatement le bonbon entre le pouce et l’index de la main droite, et on touche le front en disant :

Voilà l’bon Dieu.

Puis le menton :

Voilà ses pieds.

En touchant le nez :

Voilà Christophe.

L’enfant ouvre la bouche :

Qui fourre dans son coffre. (D.)

Cf. Mélusine, col. 318.

3.

On dit aux tout petits enfants dont on touche avec la main les différentes parties de la figure, en commençant par le menton et en finissant par le front :

a) Menton fourchu,
Bouche d’argent,
Nez cancan,
Joue rôtie,
Joue bouillie,
Petit œil,
Grand œil,
Petit souci (sourcil),
Grand souci,
Toc, toc, toc,
La mailloche. (D.)
b) Voilà le bon Dieu, voilà ses pieds,
Voilà Marion qui joue du violon (D.)
4.

On prend les enfants par le menton, et on leur dit :

Par la barbe, Ruben,
Je te tiens.
— Si tu m’y tiens,
Je t’y tiens.
— Le premier qui rira
Sur la barbe il aura. (D.)
5.

Jeu de : Berlin, peste :

a) Pirette, Pirette. »
Cent écus (bis) dans la ménette. (D.)
b) Berlin, berlin peste ;
Madame est au feu
Qui cuit des petits œufs ;
Le petit chat qu’en veut,
Qui dit, qui dit... Miaô ! (D.)
4) Berlin, berlin, peste,
Combien l’aiguillette ?
— Cinq sous la demie ;
Petit bonhomme (bis), t’es pris. (D.)
d) Pirette, Pirette,
Cent écus :
Ma vache est vendue. (D.)
6.
Turlututu, chapeau pointu :
As-tu vu Brucaille,
Qui fricassait des œufs pourris
Dans son chapeau de paille ? (D.)
7.

On met les enfants sur ses genoux en leur disant de venir scier du blé ; on les prend par les deux mains qu’on soulève en l’air, puis qu’on laisse retomber en disant :

Scions d’en haut !
Scions d’en bas ! (D.)
8.
En chatouillant l’enfant, on dit :
La bibite, la bibite ;

et quand on arrive au cou, on dit :

Couic !

en fourrant les doigts dans son cou. (D.)

9.
Quand les enfants pissent au lit, on leur chante :
Pissenlit à la bataille ;
On lui fera un lit de paille,
Et la verge au pied du lit
Pour fouetter le pissenlit. (D.)
10.
Montez l’échelette ;
Montez-la bien.
La petite souris a-t-elle passé par là ?
— Ah ! elle est descendue. (D.)
11.
Sabre de bois,
Pistolet de paille :
Si je me mets en colère,
]e te baterai. (D.)

On apprend cela aux petits enfants en leur faisant fermer le poing.

12.

On prend la main de l’enfant en lui touchant chaque doigt l’un après l’autre, et en disant :

Poucette,
Beurrette,
Maître doigt,
Capitaine
Et petit doigt.

Et on secoue le petit doigt en répétant vite : « Petit doigt, petit doigt. » (D.)

13.
En allant au bois,
J’ai perdu mon soulier,
Mon sabot :
Tourne, larigot. (D.)

On se tient par les bras, et à la fin on tourne brusquement.

14.

Même mouvement pour la suivante :

La violette en double,
Double, double, double.
Tourne-toi, vire-toi,

Ton sabot est derrière toi. (D.)

15.
Sassons berlutons,
La farine, la farine,
Sassons berlutons,
La farine au p’tit poupon.

Et on secoue le petit poupon qu’on a assis sur ses genoux. (D.)

16.

En faisant remuer ses mains devant l’enfant, on chante :

Ménette à papa,
Ménette à maman,
Ménette à l’enfant.

Ah ! la belle mènette à l’enfant,

Ah ! la belle ménettel (D.)
17.

On tient l’enfant sûr ses genoux, et lui touchant successivement le pied d’une jambe, puis la jambe, et ensuite l’autre pied et l’autre jambe, on lui chante :

Voilà mon pied ;
Voilà ma jambe.
Voilà le pied de mon autre jambe,
Voilà la jambe de mon pied. (D.) ==== § II. — Formulettes animales ====

Les interprétations du langage des bêtes, les incantations qu’on leur adresse sont en grand nombre. J’en ai recueilli plus de cent cinquante ; je me contente d’en citer ici quelques-unes ; plus tard, je publierai les autres. On pourra consulter sur ce sujet la Faune populaire de M. Eugène Rolland (Paris, Maisonneuve), dont le premier volume traite des Animaux sauvages ; le deuxième des Oiseaux sauvages ; le troisième des Reptiles, des Poissons, des Mollusques, des Crustacées et des Insectes, et sur les Oiseaux sauvages de la Haute-Bretagne en particulier, un article que j’ai publié dans la Revue de linguistique, t. XIV, p. 1.

Voici un petit conte où le langage des animaux domestiques est mis en scène d’une façon assez plaisante :


Une bonne femme qui avait une vache, un cochon, un poulain, un coq et une cane, alla à des noces, où elle s’amusa tellement qu’elle y resta trois jours.

Comme personne ne soignait ses bêtes, elles avaient faim, et la vache disait :

— Jeanne, Jeanne.

Le cochon :

— Hé bien ! hé bien !

Le poulain :

— La vois-tu veni’, veni’, veni’

Le coq :

— O s’en viendra tantôt.

Et la cane répétait :

— Quand ! quand ! quand !

(Conté par Constant Joulaud, de Gosné.)


La nuit les gros chiens disent en aboyant :

Ah ! si je me leuve, leuve,
J’vas mord’e dans tes hannes, hannes, hannes.
(E.)
I. — Oiseaux
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Alouettes. Les alouettes disent quand elles volent bien haut :

Ouvrez-moi la porte du paradis.
Je ne pécherai plus. (ter)

Quand elles sont descendues, elles disent :

Mille diables, que j’étas haut !

Var. Quand elles sont en haut :

— Je ne jurerai p’us. (ter)
— Je jurerai cor. (ter)

disent-elles quand elles sont revenues sur terre. (E.)

Cf. Rolland, les Oiseaux sauvages, p. 209.

Les pâtours disent aux alouettes :

Alouette, alouette,
Monte en haut,
Pour attirer le temps chaud
Su’ les p’tits pâtouriaux
Qui n’ont ni cotte ni mantiaux. (E.)

Coqs. Deux coqs qui se répondent :

— J’embrasse quand j’veux !
— Tu es bien heureux !

Trois :

— Ah ! que l’hiver est long !
— Nous le passerons.
— En ahanant ! (E.)

Cf. Sauvé, Proverbes bretons, no 264.

Trois coqs sont chacun dans l’aire de fermes différentes :

Ah ! que l’hiver est long !

S’écrie le coq d’une moyenne ferme.

Nous le passerons,

Répond d’une grosse voix le coq d’un fermier cossu.

Ben en ahanant,

Dit d’une voix grêle le coq d’un petit fermier. (E.)

Coucou. On dit au coucou :

Méfie-toi de ma faux,
Coucou ;
Je te coupe le cou.

Ou bien :

Va-t’en aller, coucou,

Ou gare ma faux ; je t’ coupe le cou. (S.-C.)

On prétend que le coucou s’en va dés qu’il entend battre les faux, parce qu’il a été blessé d’un coup de faux la première fois qu’il vint en Bretagne. (S.-C.) Vers Ercé, on dit qu’ils ont peur d’être sanés (châtrés) par les faucheurs.

Quand le coucou étend ses ailes pour s’envoler, on lui crie :

José,

Mets tes voiles au sé (sec). (S.-C.).

Ceci m’a l’air d’une allusion irrévérencieuse à Saint-joseph.

Gorge-rouge (rouge-gorge) ; on dit qu’il répète :

Glorieux d’ chouan ! Glorieux de chouan !

Lorsque le gorge-rouge alla chercher le feu, ses plumes furent toutes brûlées ; les oiseaux en eurent pitié et résolurent de lui donner chacun une plume pour le rhabiller ; seul le chouan, oiseau orgueilleux et peu compatissant, refusa. C’est pour cela que, dés qu’il se montre au jour, tous les petits oiseaux crient après lui, et surtout le gorge-rouge qui, par son cri, lui reproche son orgueil et son mauvais cœur. (E.)

Cf. Rolland, les Oiseaux sauvages, p. 263-264, et Luzel, Quatrième rapport, p. 203.

Lavandière. On lui dit :

Lavandière, ma jolie lavandière,

Va me chercher un poisson dans la rivière.

Quand tu arriveras,

Tu auras des pois ;

Si tu n’y vas pas,

]e t’assommerai avec un fusil d’ bois. (S.-C.)

Mauve, sorte de mouette.

Quand une mauve a pris un brin de lançon (ammonites tobianus), les autres lui crient :

Goulue, goulue, goulue !

Suivant que les pécheurs voient un équéré (hirondelle de mer) ou une mauve, ils disent :

C’est un équéré :

Prends ta ligne et va au macré (maquereau) ;

’Est une mauve ;

Serre ta fouée et te chauffe. (S.-C.)

Petit-duc. Le petit-duc dit à sa femelle :

Coucher do ta ?

Elle répond :

Ah ! que nenni ! (E.)

Rossignol. Le rossignol dit :

Tire, tire, tire,

Tiens bon. (E.)

On lui dit :

Rossignol, rossignol,

Va-t’en à Rome chercher du pétrole,

Pour mettre le feu

Dans la ville de Saint-Brieuc. (S.-C.) II. — Reptiles.

Grenouilles. Les grenouilles disent :

Le roi est kué : qui qui l’a kué (tué) ?

— Ce n’est pas ma.

— Ni ma, ni ma, ni ma (très-vite).

— Qui qui f’ra la cuisine ?

— Ce ne s’ra pas ma.

— Ni ma (plusieurs fois et très-vite). si

— Qui est-ce qui ira ès noces ?

— Ce sera ma (plusieurs fois et très-vite).

— Qui lavera l’ : écuelles ?

— Ce n’sera pas ma.

— Ni ma, etc. (ut supra).

— Qui a cassé la baratte ?

— Ce n’est pas ma.

— Ni ma, ni ma, ni ma, etc. (très-vite).

III. - Insectes.

Bouziers. En crachant sur les bouziers, qu’on appelle aussi Sangvinsangs ou Marguerites, on leur dit :

Sangvinsang,

Donne-moi de ton sang rouge ;

]’ te donnerai du sang blanc. (E.)

Marguerite, marguerite,

Donne-moi du sang rouge,

Et je te donnerai du sang blanc. (M.).

Esccargots. On dit aux colimaçons ou escargots :

Calimaçon, montère tes cônes,

Ou bien ton père et ta mère s’en vont veni’,

Do un grand coutiau d’ bois pour te cou lekeu En).

(Saint-Briac.)

Calimaçon borgne,

Montère tes comes. (M.)

Calimaçon (bis) montère tes cônes.

]e te dirai où sont ton père et ta mère ;

I’ sont dans le bois des Fosses. (S.-C.)

Coccinelle (bête à bon Dieu, parvole ou pervole). On dit à la coccinelle :

Parvole, parvole,

Si tu m’aimes, que tu t’envoles. (E.)

Parvole, parvole,

Si l’ bon Dieu m’aime, t’envoles. (D.)

Petit ange du bon Dieu,

Envoie-toi ;

Si le bon Dieu n’veut pas d’toi,

Tu viendras à moi. (S.-C.)

Bête à bon Dieu, monte au ciel

Et m’apporte du miel ;

Si tu vas en enfer,

Tu m’apporteras de la bière ; Si tu vas en purgatoire, Tu m’apporteras des poires. (S.-C.)

Cf. Souché, p. 16.

Papillons. Quand les pâtours les aperçoivent, ils disent :

Papillon jaune, Fais du feu et te chauffe ; Papillon blanc, Prends ta quenouille et va en champs. (E.)

Papillons, papillons, Allez à Broons Nous chercher du son ; Quand vous serez arrivés chez nous, On vous donnera des choux ; Si vous n’y allez pas, On vous écrasera à grands coups de bois. (S.-C.)

IV. — POISSONS.

Brême. On dit à la brême :

Brême, brême, Mords sur l’hameçon, Ou tu auras des coups de bâton. (S.-C.)

Grondin. Quand on le prend, on prétend qu’il grogne entres ses dents et répète :

Ma femme est grosse, Ma femme est grosse ! (S.-C.) Huîtres. Quand on jette la drague pour les huîtres, on dit :

Va au bon Dieu. Prends garde de t’perd’e, Et reviens-t’en pleine.

Lançon (ammonites tobianus, équille). On dit au lançon :

Lançon, petit lançon tout rond, Fais-moi prendre du poisson. Si tu n’ veux pas me faire prendre du poisson, Je te pilerai à grands coups de bâton. (S.-C.)

Quand on n’en trouve pas, on dit : Lançon, petit lançon, Fais bondir le sable que je te prenne, Ou déserte à Compiègne. (S.—C.)

Morue. On dit à la morue :

Mors, morue, mors. Cent ans après ma mort, jé crierai cor : Mors, morue, mors. (S.—C.)

Oursins. On dit aux oursins :

Petit oursin, deviens gros ; Tu asserviras à m’faire un pot. (S.-C.) ==== § III. — FORMULETTES DIVERSES. ====


JEUX.

Paroles d’élimination au jeu

Belle pomme d’or à la révérence,
N’y a plus qu’un roi qui reste en France.
Adieu, mes amis,
La guerre est finie :
Belle pomme d’or,
Sors dehors. (M.)

Cela se chante sur un air qui est une sorte de récitatif.

Dans Melusine, col. 170, on trouve plusieurs formulettes du Bessin, de Seine-et—Oise, de Chartres, de Liége, de Genève et de Quimper, qui se rapprochent de celle-ci, surtout celle de Quimper, qui n’en diffère que par trois ou quatre mots. On peut aussi comparer une fox-molette du paye Messin (Mélusine, col. 78).

Petit ciseau d’or et d’argent,
Ton père t’appelle,
Ta mère t’attend
Au bas du champ,
Pour y manger Page:Paul Sébillot - Littérature orale de la Haute-Bretagne.djvu/373 Page:Paul Sébillot - Littérature orale de la Haute-Bretagne.djvu/374 Page:Paul Sébillot - Littérature orale de la Haute-Bretagne.djvu/375 Page:Paul Sébillot - Littérature orale de la Haute-Bretagne.djvu/376 == IV. Proverbes et dictons. ==

On a depuis longtemps fait ressortir l’importance que les proverbes et les dictons présentent au point de vue philologique et pour l’étude des traditions et des croyances. Je me garderai bien de m’étendre sur ce sujet qui a été traité, plusieurs fois, de main de maître, et je me borne à donner ci-après une partie de ce que j’ai recueilli. J’ai comparé ces proverbes à ceux qui, colligés dans les diverses provinces de France, ont avec eux des analogies, et j’ai consulté à ce sujet les recueils dont on trouvera plus loin la bibliographie.

J’ai pendant quelque temps hésité pour savoir si je classerais mes proverbes gallots par ordre de matière ; après réflexion, j’ai pensé qu’il valait mieux prendre simplement l’ordre alphabétique, et faire suivre ce petit recueil d’un index. L’ordre alphabétique adopté est celui de la première lettre qui commence le proverbe : chacun sait que la formule en est presque toujours invariable.

En Ille-et-Vilaine, pays assez proverbieux, ceux qui énoncent une sentence se servent presque toujours, avant de la formuler, d’une sorte d’avertissement : « À la mode qu’on dit : qui refuse muse ; — c’est à la mode qu’on dit : abattre un chêne pour faire une cuiller. » J’ai fait suivre chaque proverbe, autant que possible, d’une lettre indiquant l’endroit précis où je l’ai entendu : D. c’est Dinan et les environs ; E. Ercé près Liffré ; M. Matignon ; P. Penguilly ; S.-C. Saint-Cast.

Voici les principaux ouvrages que j’ai consultés pour mes références :

Bladé (F.). Proverbes et devinettes populaires recueillis en Amenais et en Armagnac. Paris, Champion, 1880. In-8° de XV-235 p.

Espagne (A.). Proverbes et dictons recueillis à Aspiran. Montpellier, Coulet, 1874. In-8° de 46 p.

Fourtier (A.). Les Dictons de Seine-et-Marne. Paris, Dumoulin, 1873. In-8° de 116 p.

Lespy (V.). Proverbes du pays de Béarn. Montpellier et Paris, Maisonneuve, 1876. In-8° de XI et 109 p.

Perron (Dr). Proverbes de la Franche-Comté. Besançon et Paris, Champion, 1876. In-8° de XII et 152 p.

Mélusine (passim).

Rolland (E.). Faune populaire de la France. Paris, Maisonneuve. In-8°. T. I, 1877 ; t. II, 1878 ; t. III, 1881.

Sauvé. Lavarou-Koz : Proverbes et dictons de la Basse-Bretagne.

Paris, Champion, 1878. Et Revue celtique, 1874-1876.
Proverbes et dictons.


1.
Abattre un chêne pour faire une cuiller. (E.)
2.
À la Madeleine,
La faucille à l’aveine.
3.
À la Saint-Hubert,
Qui quitte sa place la perd ;
À la Saint-Laurent,
Qui quitte sa place la reprend. (M.)

Identique a deux mots près en Seine-et-Oise, Mélusine, col. 29. Voyez aussi quatre autres variantes : Mélusine, col. 52 et 53, et col. 366. (Niort.)

4.
À la Saint-Jean
Qui voit une pomme en voit cent. (M.)
5.
Après les voleurs, malheur ;
Après le feu, bonheur.
6.
À qui mal veut, mal arrive. (S.-C.)
7.
Au p’us fort la pouche (le sac). (M.)
Cf. Bladé, p. 50 (Agenais et Armagnac).
8.

Avec lui, il n’y a ni petite vache ni petit veau. (E.) — Se dit de celui qui exagère tout.

9.
Bon Dieu d’en haut,
Prends ma femme ; laisse mes chevaux.

C’est un dicton qu’on attribue aux laboureurs.

10.

Ça allit d’une langue dans l’aut’e. (S.-C.) — Cela se répandit un peu partout.

11.

Ça arrivit dans l’temps jadis où les poules pissaint dans n’un bassin. — C’est un conte.

(S.-C.)

12.

Ça y’ est-i’ un biau gars ? — Comme l’s aut’es : il a deux yeux, le nez au mitan du visage et une goule ; il est ben. (E.)

13.

Ça n’est pas la graisse de cochon qui l’empôse (empêche) de couri’.

14.

Cela li est défense (défendu) comme le Pater es ânes. (M.) — Il n’est pas capable de le faire.

15.

Ce que les houas (oies) n’entendent pas, les murs le répètent. — Les murs ont des oreilles.

16.

C’est Césembre à mettre à la voile. (S.-C., D.) — C’est une chose difficile à faire.

Césembre est une des îles de la rade de Saint-Malo.

17.

Chacun connaît midi à sa porte. (S.-C.)

Cf. Mélusine, col. 291 (Bessin).
18.

Chacun sera pendu par son jarret. (E.) — C’est-à-dire traité selon son mérite.

19.

Comme les lièv’es, je perds ma mémoire en courant. (S.-C.)

20.

Comme les vieilles filles qui vont en paradis sur un séran. (E.)

Le séran ou instrument à carder garni de pointes est une monture peu commode.

21.

Comme disait ma grand’mère d’aut’ faïs :

V’là la pitié, v’là janvier qu’arrive, qui fera cherre la veille dans l’ fouyer ;

Févérier qui fait cherre dans le râtelier et remplit ses feûssés, et Mar’ qui les essarde (essuie) ;

Et Avri qu’arrive do ses coutiaus et ses martiaus. (E.)

On appelle marteaux les gros grêlons.

22.

Couper comme les genoux d’une nonne. — Se dit d’un mauvais couteau.

23.

Dans tout déménagement, il y a une charretée d’barrassiaux. (E.) — De choses inutiles et de rebut.

24.
De Noël à Sainte-Cateline
Tout prend racine.
Cf. Perron, p. 45 (Franche-Comté).
25.

Donner son âme au bon Dieu et son cu ès puces. (E.) — Aller se coucher.

26.

Du cite qui fait tomber le paï (poil) des dents. (M.) — Du cidre fort.

27.

Elle est belle au coffre ; elle est belle dans l’armoire. (E.) — Se dit en parlant d’une personne laide, mais riche.

28.

Embêtant comme les vêp’s de Laucaleu, (D.) ou comme les vêpres de Bobita.

Les vêpres de Laucaleu consistent à répéter sur l’air de Dixit Dominus : Un bâton, deux bâtons ; si j’avais cor un bâton, ça frait tras bâtons, etc. Sur les géographies officielles, Laucaleu est orthographié Aucaleuc ; mais les paysans disent toujours Laucaleu, et ils ont raison, Laucaleu étant vraisemblablement une forme un peu altérée de Loc-Allek, pays des saules. Bobita ou Bobital est une commune voisine d’Aucaleuc. Vers Moncontour, au lieu de Laucaleu, on dit : Les vêpres de Trégenestre, ancienne trêve de Meslin.

29.

En s’entr’aidant ’n’y a que demi-peine. (E.)

Cf. Perron, p. 80 (Franche-Comté).

30.

Faire l’amour comme les gâs de Plêré, qui frappent sur le genou aux filles en leur disant : « En av’ous cor un comme héla ? » — En avez-vous un pareil ?

Plêré est une prononciation contractée de Pléhérel,

commune de l’arrondissement de Dinan.
31.

Faire le renard : faire l’école buissonnière.

(M.)

Cf. Rolland, Les Mammifères sauvages, p. 165.

32.

Faire la Saint-Jean sus l’année. (E). — Changer souvent de place.

La Saint-Jean est l’époque où se louent les domestiques.

33.

Faire un su à ses brées : rétrécir ses culottes. — C’est-à-dire se serrer le ventre. (Calorguen.)

34.

Fait comme un loup de brousse (broussaille). — Ce qui peut se traduire par « fait comme un voleur. »

Cf. Rolland, Les Mammifères sauvages, p. 255.

35.

Faut point appeler sa mère jambe de berbis. (P.) — Il ne faut pas avoir honte de ses parents,

36.

Feuvrier emplit les feûssés (fossés), et Mar’ les essarde (les essuie). (H.)

Cf. Mélusine, col. 291 (Bessin) ; Dr Perron, p. 6 (Franche-Comté) ; Espagne, p. 20, prov. XI (Languedoc) ; Sauvé, n0 691, 692 (Basse-Bretagne).

37.

Garder une vannée (plein un van) de puces au soleil. (D.) — Faire un ouvrage difficile.

Cf. Lespy, prov. XXIII, p. 32 (Béarn).

38.
Gras comme un recteur. (E., M.)
39.

Gros comme deux liards de beurre. (E., M.)

40.

Gros comme un pourcé (porc) de cinq sous. (E., M.)

41.

Heureux comme un homme qui a brûlé sa maison. (Evran.)

Il y a plusieurs proverbes sur le bonheur des gens qui ont été incendiés. Cela vient peut-être de ce que jadis on allait quêter « pour la fortune du feu, » ce qui, à des pauvres gens, pouvait rapporter beaucoup. Cela se fait encore aujourd’hui, mais plus rarement.

42.

I’ chante, respé d’ vous, comme un pourcé qu’a la quoue prise sous n’eune porte. (E.)

43.

I’ faut que je le passe, comme disait la bonne femme à son viau. (S.-C.)

44.

I’ fait d’z yeux comme une poule qui perce un sas. (E.)

45.

Il a des bourriers dans ses flûtes. (E., D.) — Il y a bien à redire sur son compte.

Ce proverbe se trouve déjà au xvie siècle dans Noël du Fail, Breton, comme l’on sait.

46.

Il a le beurre devers la langue. (E.). — Il tâche de se donner le beau rôle.

47.

Il a marché su de l’obli. (M.)

L’obli ou l’herbe d’oubli est une plante mystérieuse qui fait perdre la mémoire.

Cf. Mélusine, col. 13.
48.

Il a les joes (joues) grosses comme les fesses d’un pauvre homme. (D.)

49.

Il avait la bride belle. (E.) — Il avait le beau rôle.

50.

Il est sur les berchets (tréteaux). (M.) — Il est mort.

51.

Il est tenant (beaucoup) cu terrous (propriétaire foncier). (M.)

Cf. Lespy, prov. XXVIII (Béarn).

52.

Il est de la race des pouées (poux) qui ne kervent (crèvent) que quand on les tue. (S.-C.)

53.

Il est, à la mode qu’on dit, entré par la route et sorti, par les clos. (E.) — Il s’est ruiné.

54.

Il est comme not’ recteur, qui s’en va de tab’e quand il est saû (rassasié). (M.)

55.

Il est comme un sourd (salamandre) : i’ n’ démord pas. (M.)

56.

Il est sorcier comme une vache qui bouze un genêt. (E.)

57.

Il est comme les anguilles du Mené qui crient avant qu’on les écorche. (P.)

C’est un proverbe dont j’ignore l’origine, et qui semble calqué sur un dicton bien connu, qui attribue aux anguilles de Melun la même sensibilité. M. Fourtier, dans ses curieux Dictons de Seine-et-Marne, p. 48, conte, au sujet de l’origine de ce proverbe, l’histoire suivante :

« Le 25 août 1480, jour de la feste du très-doulx et redoubté Louis onziesme, » un mystère intitulé : la Dolente mort de Monsieur saint Barthélémy, était représenté à Melun sur la place du Martroy, en présence d’un populaire immense. Les scènes se déroulaient pour la plus grande édification de tous, quand un nommé l’Anguille, qui remplissait le rôle de saint Barthélémy, pris de frayeur à la vue du bourreau qui s’avançait sur lui les mains armées de tenailles énormes, rassembla ce qui lui restait de forces pour s’écrier : « Grâce! grâce ! monsieur le bourrel. — Eh ! l’Anguille crie avant qu’on ne l’escorche, » proférèrent les assistants au milieu d’un tonnerre d’applaudissements. C’en était fait et de l’Anguille et du mystère : un nouveau proverbe était créé. »

58.

I’ li a fait des crêpes o sa farine. (M.) — Il lui a fait une politesse avec son bien.

59.

I’ met tout en avalouère et ren en surdos. (Ploubalay.) — Image empruntée au harnachement des chevaux : il met tout à manger, rien à s’habiller.

La réplique existe :

60.

I’ met tout en surdos et ren en avalouère.

— Il dépense tout à s’habiller et rien à manger.
61.

I’ m’avait promis de la filasse ; i’ ne m’a donné que du reparon (déchet de chanvre). (M.)

62.

I’ ne l’a pas fait pour des blosses (prunes sauvages). (M.) — Il l’a fait avec l’espoir d’en tirer parti.

63.

I’ ne frappent point ès contr’ hus de genêt. (Ploubalay).

Se dit en parlant des prêtres qui ne vont point dîner dans les maisons pauvres qui ont une contre-porte en genêt.

64.

I’ ne rit que quand le diab’e pète. (E.) — C’est-à-dire rarement.

65.

I’ oït dû comme un sourd. (M.) — Le sourd (salamandre) passe pour ne pas entendre.

66.

I’ sont environ li (autour de lui) comme la pie après le chouhan (chat-huant). (E.)

67.

I’ touche les houâs. — Il est ivre, et va en zig-zag comme ceux qui conduisent les oies.

68.

I’ va trouver la marée debout. (S.-C.)

69.

I’ y a de vieux marins comme de vieux terriens. (Saint-Briac.)

70.

I’ y a une léieue (lieue), mesure de Lamballe. (M., D.)

Les mesures de Lamballe, ancienne capitale du duché

de Penthièvre, étaient de forte capacité.
71.

I’ y a trée (trois) métiers d’fainiants : les chassous, les pêchoux et les oësillous (les oiseleurs). (Plénée-Jugon.)

Cf. Dr Perron, p. 42 (Franche-Comté) ; prov. languedocien et niçois, ap. Rolland, Les Oiseaux sauvages, p. 190.

72.
Jamais cerne (cercle) à la lune
N’abattit mât de hune ;
Mais quand il est au soula (soleil),
Il abat le mât et l’éta’. (Plévenon).
73.

Jamais chat ganté n’a fait bonne prise. (M.)

Cf. Sauvé, p. 7, no 24.

74.

Jamais grand nez n’a diffamé (abîmé, gâté) beau visage. (M.)

75.

Jamais lessive n’est restée à sécher. (E.)

76.

J’en aime autant le oui comme le non. — Je n’ai pas grande confiance en lui. (S.-C.)

77.

Je t’avas ben dit que t’en licheras ton keûté (couteau). (M.)

Cf. Lespy, pr. XLV, p. 51 (Béarn).

78.

J’étiens comme les chats : je parliens toutes les langues. (S.-C.)

79.

J’étions comme les mauvais chiens : je houamions (aboyions), et je n’avancions point. (S.-C.) Page:Paul Sébillot - Littérature orale de la Haute-Bretagne.djvu/389 Page:Paul Sébillot - Littérature orale de la Haute-Bretagne.djvu/390 Page:Paul Sébillot - Littérature orale de la Haute-Bretagne.djvu/391 Page:Paul Sébillot - Littérature orale de la Haute-Bretagne.djvu/392 Page:Paul Sébillot - Littérature orale de la Haute-Bretagne.djvu/393 Page:Paul Sébillot - Littérature orale de la Haute-Bretagne.djvu/394 Page:Paul Sébillot - Littérature orale de la Haute-Bretagne.djvu/395 Page:Paul Sébillot - Littérature orale de la Haute-Bretagne.djvu/396 Page:Paul Sébillot - Littérature orale de la Haute-Bretagne.djvu/397 Page:Paul Sébillot - Littérature orale de la Haute-Bretagne.djvu/398 Page:Paul Sébillot - Littérature orale de la Haute-Bretagne.djvu/399 Page:Paul Sébillot - Littérature orale de la Haute-Bretagne.djvu/400

V. L’esprit à la campagne

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Outre les contes et les légendes, les paysans racontent de courtes histoires, analogues à nos Nouvelles à la main, et qui parfois, comme elles, se terminent par un mot de la fin, qui souvent est le motif qui a amené toute l’historiette. Il m’a semblé curieux d’en montrer quelques spécimens, pour faire voir quel était le genre d’esprit qui leur plaît et la nature du comique qu’ils goûtent. ==== § I. Propos sur les prêtres et propos de catéchisme. ====

Les Gallots, bien que presque tous catholiques pratiquants, ne sont point cléricaux, surtout ceux de l’Ille-et-Vilaine, et ils n’aiment pas l’immixtion du clergé dans le temporel. Les prêtres qui se renferment dans leur ministère y sont bien vus, et ont en somme une existence heureuse. On verra, par les quelques nouvelles à la main qui suivent, que parfois les paysans sont un peu irrévérencieux à leur égard, sans que toutefois cela aille au-delà de la plaisanterie,


Propos sur les prêtres.

Un prêtre prêchait sur l’évangile de la multiplication des pains.

Il y avait en face de la chaire un adlézi qui faisait à chaque instant : « Hum ! hum ! » en secouant la tête.

— Tu ne veux pas croire cela, Jean ? demanda le prédicateur.

— Non, répondit-il ; je voudrais voir le four dans lequel ils ont été cuits.

— Mettez-le dehors.

— Je vais bien y aller tout seul.

Un héritier était allé au presbytère pour savoir combien lui coûteraient les messes qu’il voulait faire dire pour le défunt.

— Combien les messes ? demanda-t-il.

— Trente sous.

— Et les vêpres ?

— Les vêpres sont pour rien.

— Alors, dites des vêpres.

Une femme riche perdit son mari ; elle allait souvent prier pour lui et demandait au recteur s’il était en paradis ou en purgatoire.

— Je sais bien où il est, dit le prêtre, et je vous le dirai si vous voulez me payer.

On convint de la somme de six cents francs que le prêtre reçut et compta.

— Où est mon homme ? demanda la femme.

— À la porte du paradis, où on est à lui scier

les cornes pour qu’il puisse y entrer. (Ercé.)

Le recteur de Marpiré alla avec sa servante à la foire de Vitré, où il acheta deux cochons — en vous respectant : l’un avait le cu noir, et l’autre la queue écourtée.

En revenant de la foire, je ne sais par quelle aventure les cochons se perdirent, et la servante s’enquérait de tous côtés si on n’avait pas vu ses bêtes. « Nous les conduisions, dit-elle, il n’y a pas encore longtemps ; M. le recteur avait la queue écourtée, et moi le cu noir. »

Je ne sais pas si ceux qui l’écoutèrent eurent beau jeu. (Ercé.)

La femme d’un braconnier alla à confesse et s’accusa d’avoir mangé du lièvre à son repas du midi (on était au vendredi).

— Votre mari est chasseur, lui dit son confesseur. Apportez-moi un lièvre au presbytère, et revenez demain ; je vous donnerai l’absolution.

Le lendemain elle porta un lièvre à la servante du curé, puis elle alla au confessionnal, où elle reçut l’absolution.

Mais quand la cuisinière écorcha le lièvre, elle vit que ce n’était qu’une peau bourrée de son, et elle se plaignit à son maître d’avoir été trompée par la femme du chasseur.

— C’est bien, dit le prêtre ; je rattraperai aussi.

Le lendemain quand la femme se présenta pour communier, le recteur, au lieu de lui donner une hostie, lui mit dans la bouche un bouton en os qu’il avait arraché à son caleçon.

Sentant dans sa bouche cet objet dur, la vieille dit à sa voisine :

— As-tu mangé ton bon Dieu ?

— Oui.

— Il paraît, répondit-elle, qu’ils m’ont donné Dieu le Père, car il est si dur que je ne peux l’avaler. (Gosné, Ercé.)

Il y avait une fois une femme dont le mari était malade ; elle envoya son petit garçon chercher le prêtre :

— Tu le prieras, dit-elle, d’apporter la sacristie à ton père.

Arrivé au presbytère, le petit garçon dit :

— Bonjour, monsieur le recteur. Mon père est bien malade ; il faut lui apporter la sacristie.

— La sacristie ? Il faudrait pour cela plus d’un harnois (attelage).

Le prêtre prit le pochon à extrême-onction, et il se mit en route pour porter le sacrement au malade.

Quand ils furent arrivés à la maison, le prêtre exhorta le malade, qui était un peu sourd, puis il alla au lit et lui dit par trois fois :

— Ouvrez la bouche.

Le bonhomme n’ouvrait pas la bouche, et le prêtre dit à la femme de tâcher de se faire entendre de son mari.

Vère, dit-elle ; mais c’est qu’il ne sait pas ce que c’est que la bouche. Thuraud, cria-t-elle, ouvère la goule pour que monsieur le recteur mette la sacristie dedans.

Quand le bonhomme eut communié :

Clos ta goule, Thuraud, dit la bonne femme ; la sacristie est dedans. (Plouër.)

Propos du catéchisme.

— Le Père est-il Dieu ?

— Oui.

— Le Fils est-il Dieu ?

— Vère, quand son père sera mort. (E.)


— Combien y a-t-il de Dieux ?

— Il y en a trois.

— Trois ?

— Vère, celui de Liffré, celui de Gosné et celui d’Ercé.

C’étaient les trois bourgs que l’enfant connaissait.

— Êtes-vous chrétien ?

— Vère, je sommes tous chrétiens à la maison ; i’ n’y a que ma mère qu’est une Jagueu. (M.)

Aimerais-tu mieux, demandait un prêtre à un enfant du catéchisme, être en paradis qu’en enfer ?

— J’aimerais mieux être en enfer, parce qu’on s’y chauffe, répondit l’enfant qui avait très-froid.

Un prêtre faisait le catéchisme.

— Combien y a-t-il de Dieux ? demanda-t-il à un enfant.

— Il n’y en a pas tant comme de prêtres ; ils ne s’entre-dureraient pas, répondit-il.

— Quel âge as-tu, petit gars, qui parles si bien ?

— L’âge d’un bon veau : tous l’s ans douze mois. (E.)

§ II. — Propos rustiques.

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Jean Duchêne était un bon buveur de cidre, qui, non content de celui de son cellier, allait volontiers en ville pour établir des comparaisons entre les différents pommages.

Un jour que, vers le soir, il sortait de l’auberge de Dubois, il fut rencontré par un de ses compères qui lui dit :

— Eh bien, Duchêne, le cidre de Dubois est-il bon ?

— Ma foi, mon gars, je n’en sais rien.

— Comment, tu n’en sais rien ?

— Vère, je suis allé à l’auberge de Cousin, et le cidre y était de bonne qualité ; chez Lemercier, j’ai bu deux bolées qui m’ont fait plaisir ; chez Ange Lorant, le piot était ben cœuru, et j’en ai bu trois bolées ; chez Jacques Ma Tante, il n’était pas mauvais. Je suis entré chez Dubois ; mais là le goût des divers cidres s’est mêlé à celui du sien, de sorte que je ne peux vous dire

s’il est vraiment bon ou mauvais. (Matignon.)

Une fille avait deux galants : un jour qu’elle était enfermée avec l’un d’eux, l’autre passa par là en portant à la forge un soc qui avait besoin d’être raccommodé.

En arrivant à la porte de sa bonne amie, il lui demanda à entrer pour causer ; elle refusa.

— Puisque tu ne veux pas, mets ta joue à côté du trou au chat ; je vais t’embrasser.

La fille fit ôter les culottes à l’autre galant, et le fit présenter au trou du chat ses fesses bien charnues et bien dodues.

— Comme tu as de bonnes joues, dit le galant : tu voudras encore bien que je t’embrasse en revenant.

— Oui, répondit la fille.

Arrivé à la forge, le garçon fit chauffer son soc jusqu’à ce qu’il fût rouge, et comme l’autre amoureux lui présentait encore ses prétendues joues, il le brûla avec son soc. (E.)

Jean Ménar monta un jour sur son âne, et il tenait à la main un fagot. L’âne se trouvait chargé et se plaignait à sa façon :

— Comment! lui dit son maître, tu geins,

bougresse, et c’est moi qui porte tout !
Les souhaits.

Il y avait une fois quatre gas de Langueux qui voyageaient ensemble.

— Si tu étas roué (roi), dit l’un d’eux, qu’est-ce que tu désireras ?

— Des feuves o du lard fumé, qui seraint grosses comme les peuces des pieds.

— Et ta ?

— J’aras de la saucisse longue comme de Lamballe à Saint-Brieuc.

— Et ta ?

— Je voudras que la mer serait toute en graisse, et ma dans le mitan à l’écumer do une écuelle de bois. Mais ta, gars, que’que tu feras ?

— Que’que tu voudras que je feras ? V’avez pris pour vous tout ce qu’i’ n’y a de bon.

(Penguilly.) ==== § III. — Les mentiries. ====

Les mentiries ou jeux de mensonges sont une sorte d’amusement qui consiste à raconter des histoires sans queue ni tête, ou des aventures invraisemblables : ceux qui ont le plus de succès sont ceux qui forgent les choses les plus impossibles. C’est, comme le disait un de mes conteurs, « à qui mentira le plus ».

Michel Morin envoya ses trois fils à la chasse : l’un n’avait pas d’yeux ; l’autre était sans bras ; le troisième n’avait pas de jambes, et le quatrième n’avait pas d’habit.

Celui qui n’avait pas d’yeux aperçut un lièvre à cinq cents pas ; celui qui n’avait pas de bras tira dessus et le tua ; celui qui n’avait pas de jambes courut le ramasser, et celui qui n’avait pas d’habit le mit dans sa poche.

Ils étaient sur le bas du sommet d’une montagne, et ils montèrent dans le fond d’un vallon : arrivés là, ils aperçurent une maison qui n’avait ni portes ni fenêtres. Celui qui n’avait pas de bras frappa un coup de poing dans la porte, et demanda avec quoi faire cuire un lièvre qui n’était pas pris. Un grand homme, qui n’était pas là, leur a répondu :

— Nous avons tout ce qu’il faut pour cela : nous avons trois marmites dont deux sont défoncées, la troisième n’a que les côtés, et quand on met quelque chose dedans, la graisse monte par dessus les bords.

Devinez s’il y a là-dedans un mot de vrai.

(Récité par Jean Bouchery, de Dourdain, 1878.)

Une fille disait : J’ai vu un chien enraigé là-bas qui mordait dans la terre et regardait en haut ; il avait la quoue aussi longue que mon bras et l’avait écourtée au ras du cu. (E.)

En Coulinée, la p’us veille ville de Bretangne, les pavés étaint usés, et le gouvernement du temps-là ne donnait ren pour les ramarrer. Iz étaint tous chargés de vermine en Coulinée ; iz en avaint tous leux crublée. Les anciens s’assemblitent et déciditent qu’i’ fallait mett’e les pouées (poux) à paver les rues, surtout la principale qu’est la rue ès Chieuves. I’ les ramassitent de loux mieux, petits et gros, jeunes et vieux : il y en avait des vieux qu’avaint diqu’à sept ans. I’ les regarditent à la dent et ès cônes ; autant d’années, autant d’branches, et la raile de mulet tout olva (en descendant) le dos. I’ pavitent la rue de loux mieux et bien pavée ; mais sus la fin n’y avait pas de pouées assez. Les anciens tintent cor conseil et ditent : « Comment faire ? i’ faut pourtant que la rue se pave ». On print la mieure (meilleure) charrette et les cin’ mieurs chevaux, et les v’là en train d’aller sur le Gourâ. Iz arrivitent au village de Térué, et fitent leux chargement sus place, et leux ditent bien ceux de Térué de prenre do qua paver loux rues et que s’il’ en voulaint, i’ n’en araint point manqué ; car au Gourâ i’ n’en manquent point ; iz’ ont tous la réputation d’en avoir chacun un godet. Mais asteure les temps sont changés ; i’ les ont mis en métârie et en cheptel ; iz en mettent douze et le hourd[78], et vingt-quatre heures après i’ sont grands-pères.

Mais ’était au Gourâ qu’était le p’us vieux poué d’Europe ; il était comme un moyen cocochon. Quand i’ se mettait à jouer et à gambader, do sa quoue il faisait sonner la cloche dans la tour.


Cette facétie se récite dans les communes voisines du Gouray, canton de Collinée, pays jadis riche en pouilleux, avant que les landes eussent été défrichées.

Additions et corrections.

P. 13. Les Lamignac basques (cf. Cerquand) ont aussi du pain ; mais il est interdit aux hommes de l’emporter.

P. 14, note. Poul veut dire plus habituellement marais que grotte ou trou ; cependant à Loguivy-Ploubazlance, j’ai entendu nommer couramment Poul-ar-Groac’h une véritable houle, dont le voisinage était jadis très-redouté.

P. 23, ligne 6, lire : s’ébériit, au lieu de s’éberit.

P. 27, ligne dernière, lire : Lamignac, au lieu de Lamigna.

P. 31, ligne 11, lire : attribuées, au lieu de attribuée.

P. 52. Ajouter après le deuxième paragraphe des notes : L’épisode du sel se trouve aussi dans la variante de Webster a la suite du Cordonnier et sa trois filles.

P. 54, ligne 8, lire : le Petit Poucet et la Grande Ourse, Paris, Franck.

P. 72. Ajouter : Cf. aussi le Cordonnier et ses trois filles, conte basque de Webster.

P. 86. Aux contes similaires cités, ajouter : Estienne l’habile homme, conte de Bladé (pour les compagnons au sens développé.)

P. 90, ligne 9, au lieu de : « Il est à la connaissance, » lire : « Il est à ma connaissance populaire dans l’Yonne. » — Aux Jean le Diot cités, il faut ajouter : Deulin, les Trente-six rencontres de Jean du Gogué, et Jean Bête, no 57 des Contes lorrains, dont la septième et dernière partie a paru depuis que le présent livre est sous presse.

P. 161, ligne 10 de la note, ajouter : Errua le Fou, conte de Webster.

P. 171. Ajouter à la dernière ligne : et Webster, le Changeling, p. 75.

P. 217. Aux similaires cités, ajouter : l’Homme aux pois, conte lorrain de Cosquin (septième partie, Franck, 1880), et le Pois de Rome, du même recueil.

P. 255. Ajouter à la note : et le Pou et la Puce, conte messin

recueilli par M. Naquépat, col. 424.
TABLE


PREMIÈRE PARTIE
LES CONTES POPULAIRES EN HAUTE-BRETAGNE



I

LES FÉERIES ET LES AVENTURES MERVEILLEUSES.

A. − Contes à apparences locales.


I. 
La Houle de la Corbière 
 5
II. 
La Houle de Poulifée 
 16
III. 
La Goule-ès-Fées 
 19
IV. 
La Houle Cosseu 
 24
V. 
La Fée du Bec-du-Puy 
 28


§ II. Autres contes de fées qui se passent dans un lieu déterminé du pays 
 30


§ III. Gargantua en Haute-Bretagne 
 33
I. 
La Dent de Gargantua 
 35

B. − Contes de féeries qui ne se passent pas dans un lieu déterminé.


§ I. Contes qui présentent des analogies avec ceux de Perrault 
 40
I. 
Barbe-Rouge 
 41
II. 
La Pouilleuse 
 44
III. 
Contes analysés 
 52


§ II. Contes divers de fées et d’enchantements 
 55
I. 
Le Merle d’Or 
 56
II. 
Jean le Laid 
 67
III. 
Peau d’Ânette 
 73


§ III. Contes de géants et des hommes forts 
 80
I. 
Jean de l’Ours 
 81
II. 
Variantes analysées 
 85


II

LES FACÉTIES ET LES BON TOURS.


I. 
Les Jean le Diot 
 89
I. 
Le Garçon sans idée 
 91
II. 
Jean le Fou 
 96
III. 
Les Boutons d’or 
 106
IV. 
C’est nous autres, messieurs 
 110
V. 
Le Fin Voleur 
 112
VI. 
Le Navet 
 135
VII. 
Le prêtre qui n’a pas de chance 
 137
VIII. 
La Coquette et ses bons amis 
 142
IX. 
Les Trois dons 
 147
X. 
Les Trois balais 
 153
XI. 
Le Fermier et son domestique 
 159

III

LES DIABLERIES, SORCELLERIES ET HISTOIRES DE REVENANTS.


§ I. Les diableries 
 163
I. 
La Coquette et le Diable 
 165
II. 
La Diable danseur 
 172
III. 
Misère 
 175


§ II. Les lutins et les sorciers 
 181
I. 
Le Faudeur ou le lutin des Senâs 
 184
II. 
Le Mouton sorcier 
 186
III. 
Les Sorciers 
 188


§ III. Les revenants 
 190
I. 
La Messe du Fantôme 
 192
II. 
Le Linceul promus 
 195
III. 
Les deux Fiancés 
 197
IV. 
Le Revenant de la Garaye 
 200
V. 
La Lavandière des Noës Gourdais 
 202


IV

CONTES DIVERS.


§ I. Contes de saints et contes de l’autre monde 
 205
I. 
Saint Antoine portier du paradis 
 209
II. 
La Fève 
 213


§ II. Contes d’enfants 
 219
I. 
Les trois Frères 
 220
II. 
Les petits Souliers rouges 
 223
III. 
Le Sifflet qui parle 
 226
IV. 
La Robe de beurre 
 230
V. 
Le Rat et la Râtesse 
 232


§ III. Fables et contes d’animaux 
 236
I. 
Le Colimaçon et le Renard 
 237
II. 
Les Loups 
 239
III. 
La Chèvre 
 242

V

CONTES DES MARINS ET DES PÊCHEURS.

I. 
Jean de l’Ours 
 247
II. 
Les Jaguens à l’auberge 
 253


DEUXIÈME PARTIE
LES CHANSONS, LES DEVINETTES, LES FORMULETTES, LES PROVERBES ET LES DICTONS, L’ESPRIT À LA CAMPAGNE.

I

LES CHANSONS.


§ I. Chansons enfantines 
 265
I. 
Ronde : la plus belle Fille 
 265
II. 
L’Ivrogne et sa femme 
 266
III. 
Ma tante Perrine 
 266
IV. 
Jeannette 
 267


§ II. Chansons à marcher ou à danser 
 268
I. 
Le petit Couturier (dérobée) 
 268
II. 
L’Âne changé 
 271
III. 
Les Galants 
 272
IV. 
Chanson de conscrit 
 274


§ III. Chansons d’amour et de mariage 
 275
I. 
L’Avis du mariage 
 275
II. 
La Servante du meunier 
 277
III. 
La Fille pressée 
 279
IV. 
Le ménage 
 280
V. 
Le mariage 
 282
VI. 
La bonne amie morte 
 284


§ IV. Chansons satiriques ou gouailleuses 
 286
I. 
Chansons de mensonges 
 286
II. 
La Bique à Jacques André 
 288
III. 
La bonne Femme aux prunes 
 291
IV. 
La Chieuve de Trémaudan 
 292
V. 
Le Gas faraud 
 294


II

LES DEVINETTES.


I. 
Devinettes 
 299
II. 
Demandes facétieuses 
 324
III. 
Index 
 331


III

LES FORMULETTES.


I. 
Formulettes enfantines 
 335
II. 
Formulettes animales 
 341
III. 
Formulettes diverses 
 350

IV

LES PROVERBES.


I. 
Proverbes et Dictons 
 357
II. 
Index 
 375


V

L’ESPRIT À LA CAMPAGNE.


I. 
Propos sur les prêtres et Propos de catéchisme 
 380
II. 
Propos rustiques 
 386
III. 
Les mentiries 
 389
IV 
Additions et corrections 
 393
  1. La Houle de la Corbière, qui s’appelle aussi le Nitou Corbin ou le Nid aux Corbeaux, est située dans la commune de Saint-Cast, canton de Matignon (Côtes-du-Nord).
  2. La Houle de la Corbière, qui s’appelle aussi le Nitou Corbin ou le Nid aux Corbeaux, est située dans la commune de Saint-Cast, canton de Matignon (Côtes-du-Nord).
  3. Ammodites tobianus.
  4. Dans le pays gallot, on appelle nâche (du breton nask) la corde qui attache les vaches, et tiers la corde qui sert à mener deux moutons au lieu où ils doivent pâturer.
  5. Poulifée est un nom dont la première moitié, poul (trou, grotte), est bretonne, et la seconde française.
  6. Poulifée est un nom dont la première moitié, poul (trou, grotte), est bretonne, et la seconde française.
  7. Soir.
  8. Émilie.
  9. Sage-femme.
  10. Escabeau.
  11. Elle entendit quelqu’un.
  12. À la porte de sa maison.
  13. Elle vit entrer chez elle.
  14. En mal d’enfant.
  15. Elle prit ses souliers.
  16. À cause du froid.
  17. Cacha.
  18. Déjà.
  19. Où me menez-vous ? dit-elle.
  20. Jusqu’à.
  21. Les fées d’autrefois.
  22. Oui.
  23. Peur.
  24. Te jeter en bas de la falaise.
  25. Escarable, énorme.
  26. Dodu.
  27. Porc.
  28. S’essuyer.
  29. Ou qu’il lui en arriverait peut-être du deuil, du mal.
  30. Un œil.
  31. La mi-août.
  32. Ploubalay, Pleurtuit, Saint-Briac.
  33. Pouce.
  34. Épingles à attacher la partie supérieure du tablier.
  35. Beaucoup.
  36. À la foire de Saint-Briac.
  37. Les marchands de cochons de Tréméreuc et de Pluduno.
  38. Leurs petits cochons et leurs cochons à moitié engraissés.
  39. Attraper, voler.
  40. Dans l’après-midi.
  41. Beaucoup de monde.
  42. Sorte d’échaudés.
  43. La main dans la poche du tablier d’une femme coiffée du Coq.
  44. Elle s’écria.
  45. Elle lui arracha un œil si vivement.
  46. À propos de la Roche aux fées de la Brousse, voici une curieuse note que je trouve dans les Anciens évêchés de Bretagne, de MM. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélémy, Diocèse de Saint-Brieuc, t. III, p. 219 : « Un des plus beaux et des mieux conservés de ces monuments se voit a une petite distance de la Brousse, à un demi-kilomètre de la route, près du petit chemin qui conduit de la Moussaye à Boquen. Il mesure 13 mètres sur 1 m 80 de largeur ; il ouvre à l’est. On le nomme dans le pays la Grotte aux fées. Ces campagnes sont remplies de fées, qui, la nuit, au dire des paysans, jouent avec les rochers entassés sur la lande, et vont les baigner dans les ruisseaux du voisinage. »
  47. Ne serait-ce pas une allusion au menhir de la Tiemblaye, qui aurait été planté par des géants ?
  48. Cf. la fable hellénique de Saturne dévorant ses enfants.
  49. Répugnance, du breton donger.
  50. Tricoter.
  51. En patois gallot, bro signifie à la fois broc et fourche à deux dents, le c final disparaissant dans la prononciation paysanne.
  52. Petit morceau de bois qui bouche le trou fait au tonneau pour goûter le cidre.
  53. Perdu la tête.
  54. Conté en 1879 par Marie-Louise Le Bossé, d’Ercé-près-Liffré (Ille-et-Vilaine), âgée de vingt ans environ, fille d’un cultivateur-propriétaire. Ce qui suit, et qui forme la suite du Fin voleur, m’a été conté par d’autres personnes dont on trouvera le nom à la fin du conte.
  55. Les conteurs qui aiment les détails scatologiques ne manquent pas de faire boire la bouteille de vin ou de cognac par le Fin voleur, qui pisse dedans pour que le seigneur la croie encore pleine.
  56. Senâs, grenier à foin, du vieux français : sanail.
  57. Noes, prononcez nau ; les noes sont des prairies basses et marécageuses.
  58. Mon conteur disait : « à se gonter et à se dégonter. »
  59. C’est un chiffon qui sert à essuyer le galetier.
  60. C’est l’instrument qui sert à retourner la galette de sarrasin.
  61. L’égratigna.
  62. Bouillie de blé noir.
  63. Brou, lierre ; c’est un des noms qu’on lui donne en Haute-Bretagne.
  64. Marins de Terre-Neuve.
  65. Gerbe de paille.
  66. Le même usage existe en Seine-et-Oise et probablement ailleurs. Cf. Mélusine, col. 143.
  67. De la maison.
  68. Ou monsieur ; la personne ainsi désignée entre dans le rond et va embrasser qui lui plait.
  69. Sic ; c’est la prononciation ordinaire vers Loudéac.
  70. Forme contractée de : sourdez-vous, montez.
  71. Le refrain se répète après chaque couplet.
  72. La maison.
  73. Paisante n’a que trois syllabes ; plusieurs poètes du seizième siècle ne comptaient que deux syllabes dans paysan.
  74. Culottes.
  75. Il est plusieurs fois parlé dans les chansons galaises du bouc à Trémaudan. Cf. ci-après la Chieuve de Trémaudan. Je ne sais à quel fait local attribuer cette allusion : il y a aux environs de Lamballe une famille de Trémaudan.
  76. C’est la formule par laquelle on les commence presque toujours. — M. veut dire Matignon, E. Ercé, D. Dinan, S.-C. Saint-Cast.
  77. E. veut dire Ercé près Liffré, D. Dinan, M. Matignon, S.-C. Saint-Cast.
  78. Le mâle. Cf. le gallois howrd, bélier.