Littérature orale de la Haute-Bretagne/Première partie/V

Contes des marins et des pêcheurs
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Les marins et les pêcheurs ont aussi une sorte de littérature orale particulière : elle se manifeste surtout pendant les longues traversées que font les Terre-Neuvats qui s’embarquent comme passagers pour aller pêcher sur les goélettes de Saint-Pierre-Miquelon. Entassés dans des cales qui ne sont point aménagées d’une façon confortable, les matelots cherchent à tuer le temps par tous les moyens possibles, et les conteurs sont bien accueillis. Les histoires les plus goûtées sont celles que les narrateurs font parfois durer plusieurs jours, à force de les charger d’incidents, de descriptions prolixes et de plaisanteries qui parfois n’ont aucun rapport avec le sujet du conte. J’ai quelques récits de ce genre ; mais ilssont trop longs pour pouvoir trouver place ici, et je les publierai dans mes Contes des Marins et des Pêcheurs. Souvent les narrateurs, au lieu de paraître s’intéresser à leur récit et de varier l’intonation, suivant qu’ils décrivent ou que les héros parlent, récitent l’histoire comme on débite le catéchisme, sur le ton monotone d’une chose apprise par coeur et non comprise. Il en est d’autres toutefois qui, comme les conteurs terriens, racontent avec verve, soit des histoires héroïques, soit des aventures grasses.

Les aventures purement maritimes sont, à ma connaissance du moins, peu nombreuses dans les récits des marins. J’en ai mis quelques-unes dans mon volume des Contes populaires (Cf. le Capitaine Pierre, la Princesse Dangobert, le Capitaine chien) ; la plupart du temps, les récits qu’ils font sont des histoires terrestres auxquelles sont soudés quelques épisodes où figurent des marins. On pourra juger de leur procédé par le conte de Jean de l’Ours, qu’on trouvera ci-après, et dont le thème originel se retrouve à peu près partout.

Les pêcheurs qui font la petite pêche racontent aussi ; mais dans leurs récits, le facétieux est plus fréquent que le merveilleux ; et ils forgent des histoires parfois très-cocasses sur leurs rivaux du petit port voisin ; en passant de bouche en bouche, elles grossissent, et finissent parfois par former, comme la série des Jaguens, dont on trouvera ci-après un court exemple, de véritables épopées burlesques.