VII.
Le prêtre qui n’a pas de chance.
Il y avait une fois un prêtre qui était gourmand. Un jour, il donna à sa cuisinière trois perdrix, en lui disant de les préparer pour le dîner. Quand elles furent cuites, elle voulut les goûter, et lorsqu’elle en eut avalé un morceau, elle trouva la perdrix si exquise qu’elle la mangea toute. Elle en entama une autre en pensant qu’une aile de plus lui ferait du bien ; mais elle finit par dévorer aussi la seconde. Quand il n’en resta plus qu’une, elle se dit :
— Ma foi, qu’est-ce que monsieur le recteur ferait d’une perdrix toute seule ? Je vais manger aussi la troisième.
Le recteur était sorti, et, suivant son habitude, il avait laissé son couteau à la maison. Il arriva un homme qui demanda à parler au prêtre.
— Monsieur le recteur est à l’église, dit la cuisinière, et il ne va pas tarder à rentrer ; mais il a une mauvaise habitude : toutes les fois que quel-qu’un vient ici, il lui coupe une oreille. Il ne faudra pas vous effrayer : il vous en fera autant.
— Croyez-vous, répondit l’homme, me faire peur avec cette bourde ?
Le recteur rentra, et, comme c’était l’heure de son dîner, il demanda où était son couteau.
Quand l’homme entendit cela, il se sauva à toutes jambes, croyant déjà sentir le couteau trancher dans son oreille.
— Qui fait cet homme-là s’enfuir de la sorte ? demanda le prêtre.
— C’est qu’il a enlevé vos trois perdrix, monsieur, répondit la bonne pièce de cuisinière.
Le recteur se mit à poursuivre le prétendu voleur, et il criait :
— Donne-m’en au moins une !
— Non, non, vous n’aurez ni l’une ni l’autre, répondait l’homme en courant encore plus fort.
Un autre homme vint un jour le trouver et lui dit :
— Ah ! monsieur le recteur, c’est moi qui suis dans l’embarras !
— Qu’avez-vous donc, mon ami ?
— J’ai un procès avec deux personnes, et pour la même chose.
— Qu’est-ce ? Dites-moi votre cas.
— C’est que j’ai vendu le même veau à deux marchands.
— Eh bien ! si vous voulez me donner le veau, je vous tirerai d’affaire. Quand allez-vous à l’audience ?
— Jeudi, monsieur.
— Bien. Voici la manière de vous sauver de ce mauvais pas : quand on vous interrogera au sujet du veau, vous ne répondrez rien, mais vous sifflerez au nez de celui qui vous questionnera. Il est bien entendu, n’est-ce pas, que vous me donnerez le veau ?
— Oui, monsieur ; il sera pour vous.
Quand arriva l’audience, l’homme sifflait à chaque fois qu’on lui demandait quelque chose, et le juge, croyant avoir affaire à un fou, ne le condamna point.
Le recteur alla pour chercher le veau ; mais l’homme se mit à siffler comme à l’audience, et c’est tout ce que le recteur put obtenir de lui.
Le recteur s’en alla à la quête, et il entra dans une maison où il n’y avait qu’une petite fille.
— Où est ta mère ? lui demanda-t-il.
— Elle est à cuire une fournée de pain mangé.
— Et ton père ?
— Il est à la chasse.
— À quelle chasse ?
— Tous ceux qu’il ne peut tuer, il les rapporte, et tous ceux qu’il peut tuer, il les laisse là.
— Et toi, que fais-tu ici ?
— Moi, je cuis les allants et les venants.
— Ah ! dame, s’écria le prêtre, explique-moi un peu toutes tes drôleries : ta mère est à cuire une fournée de pain mangé, ton père à la chasse d’où il rapporte ceux qu’il ne peut tuer et laisse ceux qu’il tue, et toi qui cuis les allants et les venants ; qu’est-ce que tout cela veut dire ?
— Ma mère, répondit la petite fille, est à cuire une fournée de pain,pour rendre celui qu’elle avait emprunté et qui est mangé d’avance ; mon père est à chercher ses poux derrière un fossé : il laisse là tous ceux qu’il tue et rapporte ceux qu’il ne peut tuer.
— Et toi, comment cuis-tu les allants et les venants ?
— Voyez, dit-elle, en ôtant le couvercle de sa marmite ; je cuis des pois qui vont et viennent dans l’eau.
— Veux-tu me donner quelque chose ? dit le prêtre.
— Prendriez-vous bien un lièvre ?
— Oui, volontiers.
— Ah ! vous êtes plus malin que notre chien ; voilà quatre jours qu’il court après celui qui a son gîte dans notre verger, et il n’a pas encore pu l’attraper !
Le second épisode de ce conte présente une singulière ressemblance avec la scène de l’avocat et du berger dans Maistre Pathelin. Quant aux énigmes de la dernière partie, elles se retrouvent, avec des formes presque semblables, en d’autres contes. Cf. Mélusine, col. 279 ; les Aventures d’un petit garçon, conte de l’Amiénois recueilli par H. Carnoy ; Fanch Scouarnec, conte breton de Luzel (Ibid., col. 465) ; Cénac-Moncaut, Juan le Fainéant ; Bladé, Joan lou pigre, conte recueilli en Armagnac ; M. Reinhold Kœhler, qui a fait suivre le conte de Fanch Scouarnec d’un savant commentaire, cite encore (Mél., col. 476) des variantes allemandes et suisses.
Les mêmes énigmes se retrouvent aussi dans deux contes gallots que j’ai en portefeuille : le Fermier et son domestique et le Fermier rusé ; et dans Blancpied, conte lorrain de M. Cosquin. (Cf. les citations à la suite, p. 252.)
L’équivoque sur les oreilles et les perdrix figure dans les Deux Predrix, p. 15 des Contes balzatois de J. Chapelot, publiés à Angoulême en 1871 ; seulement les rôles sont intervertis : c’est le curé qui a peur pour ses oreilles.