Littérature orale de la Haute-Bretagne/Première partie/I/B/2/III

◄   §2 - 2 §2 - 3 §3   ►


Il y avait une fois un homme dont la femme mourut. Quelque temps après il dit à sa fille qui était déjà grande :

— Tu vas te marier avec moi.

— Non, répondit-elle.

— Je t’aurai un habit couleur des étoiles.

— Non, je ne veux pas.

— Je t’aurai un habit couleur du soleil.

— Non, mon père.

— Je t’aurai un habit couleur de lumière.

— Non.

— Je vais t’acheter un coffre garni.

La fille dit alors qu’elle voulait bien ; mais elle ne pensait qu’à s’enfuir. Elle prit ses plus beaux habits et les mit dans son coffre, qui la suivait partout et allait par sur mer comme par sur terre.

En s’éloignant de chez son père, elle trouva un âne écorché dont elle prit la peau qu’elle mit par dessus ses vêtements.

Elle arriva à une ferme et y entra pour demander si on n’avait pas besoin d’une pâtoure pour garder les oies.

— Si, lui répondit-on. Et on lui donna les oies à conduire dans les champs.

À l’endroit où elle menait ses bêtes, il y avait une petite cabane pour loger la pâtoure quand il pleuvait, et elle y mit le coffre où étaient ses beaux habits. Un jour il lui prit fantaisie de s’habiller en demoiselle, et quand le garçon de la maison vint l’appeler pour dîner, il vit la Peau d’Ânette, — c’est ainsi qu’on la nommait, — qui était dans la cabane vêtue de ses beaux habits.

Il tomba amoureux de la pâtoure et déclara à sa mère qu’il voulait se marier avec elle.

— Non, dit sa mère, tu n’épouseras point cette fille qui vient on ne sait d’où ; elle ne sait ni filer, ni broder[1], ni faire les chambres, ni apprêter à manger.

— Si, ma mère, je veux me marier avec elle. D’ailleurs elle est peut-être plus capable que vous ne croyez.

— Nous allons bien voir, dit la mère.

On fit venir la Peau d’Ânette, et on lui dit que si elle pouvait filer la filasse qu’on lui mit dans une chambre, elle se marierait avec le fils de la maison.

Quand elle fut seule, au lieu de travailler, elle pleurait, car jamais elle n’avait appris à filer. Elle vit descendre par la cheminée une grande bonne femme qui avait de gros yeux et qui lui dit :

— Qu’as-tu à faire là, ma belle bergère ?

— À filer, mais je ne sais point.

— Que me donneras-tu, si je fais ton ouvrage ?

— Je vous donnerai l’écuellée de soupe qu’on m’a apportée pour mon dîner, car c’est tout ce j’ai à moi.

— Non, dit la femme aux gros yeux, garde ton écuellée de soupe ; je vais faire ta tâche, si tu veux me promettre de m’inviter le jour de tes noces.

La Peau d’Ânette y consentit ; en peu de temps toute la filasse fut convertie en fil, et quand le garçon de la maison vint pour lui apporter à souper, tout était filé.

Le lendemain, on l’enferma encore dans la même chambre, et on lui donna de la laine et des aiguilles pour tricoter des bas ; mais elle se désola encore plus que la veille, et quand le garçon vint lui apporter à dîner, elle n’avait pas même touché à son ouvrage.

Elle vit encore une grande bonne femme qui descendait par la cheminée et qui avait de longues oreilles. Elle dit à la Peau d’Anette :

— Que me donneras-tu, ma belle enfant, pour tricoter ta laine ?

— Je vous donnerai mon dîner, répondit-elle.

— Non, garde-le pour toi, et promets-moi seulement de me prier pour le jour de tes noces.

— Oui, volontiers, si le garçon m’épouse. La besogne fut promptement achevée, et au soir la maîtresse de Peau d’Ânette trouva un tricot très-bien exécuté.

Le troisième jour, on la mit dans une chambre pour y faire la cuisine ; mais quand le garçon alla lui porter à dîner, elle n’avait pas encore commencé.

Elle vit alors descendre par la cheminée une bonne femme qui avait de grandes dents :

— Que fais-tu là, ma belle bergère ?

— On m’a mise à faire la cuisine ici ; mais je ne sais point.

— Que me donneras-tu si j’accomplis ta tâche ?

— Le pain de mon dîner et toute la nourriture qu’on m’a apportée.

— Je n’ai que faire de cela ; promets-moi seulement de m’inviter à tes noces.

Quand Peau d’Ânette eut assuré à la bonne femme qu’elle se garderait bien de l’oublier, la viande fut apprêtée en peu de temps et très-bien.

Le lendemain, on lui ordonna de balayer leschambres ; mais à midi elle n’avait pas encore commencé. Elle vit descendre par la cheminée un grand bonhomme qui avait un grand balai pendu au derrière.

— Que fais-tu là, ma belle bergère ? demanda-t-il.

— On m’a mise à balayer, mais je ne sais point.

— Que veux-tu me donner ? Je vais balayer tes chambres, moi.

— Voilà mon petit dîner ; prenez-le.

— Non ; promets-moi de m’inviter le jour de tes noces.

— Oui, monsieur, si je me marie.

Quand la maîtresse de la maison et son fils vinrent le soir, ils trouvèrent les chambres balayées et bien nettoyées, et, les épreuves étant accomplies, la mère du garçon dit qu’elle voulait bien que son fils se mariât avec Peau d’Ânette. Le jour de la noce elle mit ses plus beaux habits, et ayant songé à sa promesse, elle cria :

— Madame aux Gros Yeux, venez ici ! Madame la Grande Oreille, arrivez à la noce ! Madame la Grande Dent, venez au mariage !

Et les trois femmes apparurent aussitôt. Au moment de se mettre à table, Peau d’Ânette dit :

— Ah ! je n’ai pas pensé à appeler le bonhomme.

Au même instant, le bonhomme qui avait le balai pendu au derrière arriva en disant :

— Il était temps que tu m’appelles ; sans cela tu ne te serais pas mariée.

(Conté en 1879 par Pierre Ménard, de Saint-Cast, mousse, âgé de treize ans.)


Le commencement de ce conte — que je mets ici surtout à cause de sa ressemblance de titre avec Cuir d’Asnette, que Noël du Fail cite parmi les contes qui de son temps étaient populaires aux environs de Rennes, — semble, mais au début seulement, un abrégé de la Peau d’Âne de Perrault et des récits similaires, au sujet desquels on peut consulter la Mythologie dans les contes de Perrault, p. LXVIII et suiv., dissertation mise par A. Lefèvre en tête de son excellente édition des Contes de Perrault ; Ch. Deulin, les Contes de ma mère l’Oye avant La Fontaine, p. 83 et sqq. ; H. Husson, la Chaîne traditionnelle, p. 50 et suiv.

Les fées difformes qui viennent en aide à la jeune fille se retrouvent dans plusieurs contes en France et ailleurs ; parfois c’est un lutin au lieu d’une fée. (Cf. Mlle Lhéritier, Ric-dindon ; W. Webster, la Jeune fille jolie, mais paresseuse, conte basque qui se trouve aussi dans le recueil de M. Cerquand, tome I, page 41, qui, au tome II, page 9 de ses Légendes du pays basque, consacre une dissertation à la comparaison de ce conte avec ses similaires étrangers ; Laboulaye, la Paresseuse, imité d’un récit dalmate (Nouveaux contes bleus) ; le Lutin Furti-Furton, conte du nord-ouest de la France, Mél., col. 150 ; et parmi les contes étrangers : Griram, les Trois Filandières ; Bus-ching, les Trois petites Fileuses ; les Trois Tantes, conte norvégien d’Abjœrson ; la Comprata, conte italien de Gubernatis ; la Paresseuse et ses tantes, conte irlandais de Kennedy ; Whuppity Story, conte écossais de Chambers (trad. Brueyre) ; Kinkach-Martinko conte slave traduit par M. Chodzko, etc.)

  1. Tricoter.