II
La Houle de Poulifée[1].
La Houle de Poulifée[2] est, comme le savent tous ceux qui ont visité le cap Fréhel, une grotte haute à l’entrée comme une cathédrale, et qui s’étend si loin sous la terre qu’on prétend dans le pays que personne n’a pu encore pénétrer jusqu’au fond.
Autrefois, il y a bien longtemps de cela, deux jeunes gens de Plévenon voulurent essayer de savoir jusqu’où la houle s’étendait ; ils y pénétrèrent avec une chandelle qui, à un certain endroit, s’éteignit brusquement. Ils s’en retournèrent effrayés. Mais quand ils furent sortis, ils se dirent :
— Que nous sommes sots d’avoir eu peur ! C’est l’air qui a éteint notre lumière ; aujourd’hui la mer monte, mais demain nous reviendrons.
Le lendemain, ils prirent mieux leurs précautions et allèrent plus loin, et comme ils continuaient à avancer, ils crurent entendre parler.
— Écoute, dit l’un d’eux à son camarade ; on dirait qu’on appelle des enfants.
Ils se hâtèrent encore de sortir de la grotte, et comme la veille, dès qu’ils eurent revu le ciel, leur frayeur cessa.
Le lendemain qui était un vendredi, ils portèrent un coq dans la houle, et le laissèrent à une bonne distance de l’entrée. Le samedi, ils n’allèrent pas à la grotte ; mais le dimanche, on leur dit qu’on avait entendu un coq qui chantait sous le porche de l’église, et dont la voix semblait venir de sous terre.
— Il paraît, dirent les jeunes gens, que la houle s’étend bien loin ; il y a plus d’une lieue de son entrée à l’église de Plévenon ; elle est peut-être habitée par quelqu’un ; il faudra voir au juste ce qui en est.
Dans l’après-midi du dimanche, ils retournèrent à la houle, et cette fois d’autres garçons de leur âge les acompagnèrent ; ils allèrent plus profondément que de coutume, et à mesure qu’ils s’avançaient, il leur semblait reconnaître à certaines marques que la grotte était habitée. Cependant, quand ils entendirent une voix qui criait :
— « Il faut mettre la pâte dans le four » ; ilss’enfuirent effrayés, sans oser regarder derrière eux.
Le bruit de ces choses surprenantes se répandit dans le pays, et d’autres personnes se joignirent à ceux qui les premiers s’étaient aventurés dans la grotte. Tous ensemble allèrent jusqu’à un endroit où personne n’avait pénétré, et sur une table en pierre il virent un repas servi :
— Voici du nouveau, dirent-ils ; il faut savoir ce que c’est ; rien ne nous presse, car la mer ne vient pas jusqu’ici.
Au même instant deux dames se présentèrent devant eux, qui les invitèrent à dîner ; ils se mirent à table et mangèrent toutes sortes de mets. Le repas fini, les dames leur dirent de revenir une autre fois, et qu’elles leur apprendraient des choses qui leur seraient utiles plus tard.
Les gens de Plévenon pensèrent que sûrement c’étaient des fées ; mais ils n’eurent pas peur de retourner, et quand ils furent à l’endroit où le repas était servi, ils virent les deux dames, et l’une d’elle les interrogeait chacun à son tour, leur demandant s’ils étaient cultivateurs ou marins, garçons ou mariés. Elles leur racontaient des choses utiles, et leur donnaient du pain et de la viande.
L’un des gens de Plévenon dit qu’il était père de famille, et que souvent il avait bien du mal à gagner du pain pour lui et ses enfants.
— Quand ta femme sera de nouveau enceinte, dit la dame, reviens ici ; j’aurai à te parler,
Elle lui donna de l’argent avec lequel il se mit à l’aise. Quand sa femme fut enceinte, l’homme retourna à la houle, où la dame lui demanda à être la marraine de l’enfant.
Le mari, de retour à la maison, raconta à sa femme ce que les fées lui avaient dit. Mais elle répondit :
— Ce sont des fées ; je ne veux pas donner mon enfant aux fées.
Alors les dames de la grotte, irritées de ce refus, leur ôtèrent tous les présents qu’elles avaient faits, et ils redevinrent pauvres comme auparavant.
(Conté par Scolastique Durand, de Plévenon, âgée de soixante-douze ans, 1879.)
Habasque, au t. III, p. 127 de ses Notions historiques sur les Côtes-du-Nord, raconte que l’on prétend à Erquy que la Goule de Galimoux s’étend jusque sous le village de Thieuroc, et pour le prouver on affirme que, de ce village, on y a entendu un coq chanter. Dans Roch-Toul, p. 103 des Fantômes bretons de M. Dulaurens de la Barre, il est aussi question d’un coq qui a été porté dans une grotte, et qu’on entend chanter sous le maître-autel de Guimiliau.
Cf. Pour le pain des fées le commentaire du conte précédent.
Les fées qui demandent à être marraines d’un enfant se trouvent dans plusieurs contes français : on connaît ceux de Perrault où il est souvent question de fées marraines. Dans les légendes basques de M. Webster, il y a un conte intitulé : La reine des fées marraine, p. 59 de l’édition anglaise.