Lionel Lincoln/Chapitre III

Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 4p. 31-47).


CHAPITRE III.


Les liqueurs parfumées coulent des flacons d’argent, tandis que la porcelaine de la Chine reçoit l’onde fumante : ils récréent à la fois leur odorat et leur palais : de fréquentes libations prolongent de somptueux repas.
Pope. La Boucle de cheveux enlevée.


Le souvenir des injonctions réitérées de sa mère servit à tenir Job en respect, et il ne songea qu’à remplir son message. Dès que l’officier parut, Job se dirigea vers le pont, le traversa, et, après avoir suivi pendant quelque temps le bord de l’eau, il entra dans une rue large et bien bâtie qui conduisait du quai dans la partie haute de la ville. Une fois dans cette rue, Job se mit à marcher avec une grande vitesse, et il était arrivé au milieu lorsque des cris de joie et des éclats de rire, qui partaient d’une maison voisine, attirèrent son attention et l’engagèrent à s’arrêter.

— Rappelez-vous les recommandations de votre mère, lui dit l’officier ; que regardez-vous dans cette taverne ?

— C’est le café anglais, dit Job en secouant la tête ; oui, il est facile de s’en apercevoir au bruit qu’ils y font un samedi soir ; tenez, il est rempli maintenant des officiers de lord Botte[1] ; les voyez-vous à la fenêtre, avec des uniformes si brillants, qu’on dirait autant de diable rouges ? mais demain, lorsque la cloche d’Old-South sonnera, ils oublieront leur maître et leur créateur, les pécheurs endurcis qu’ils sont[2] !

— Drôle ! s’écria l’officier, c’est par trop abuser de ma patience. Allez droit à Tremont-Street, ou laissez-moi, que je cherche à me procurer un autre guide.

L’idiot jeta un regard de côté sur la physionomie irritée de son compagnon ; puis il détourna la tête, et se remit en marche en murmurant assez haut pour être entendu :

— Tous ceux qui ont été élevés à Boston savent comment on y observe le samedi soir[3], et si c’est à Boston que vous êtes né, vous devriez aimer les usages de Boston.

L’officier ne répondit rien, et comme ils marchaient alors très-rapidement, ils eurent bientôt traverse deux nouvelles rues, King-Street et Queen-Street, et arrivèrent enfin dans celle de Tremont. À peine y étaient-ils entrés que Job s’arrêta, et dit en montrant du doigt un bâtiment qui était près d’eux :

— Vous voyez cette maison avec une cour et des pilastres, et une grande porte cochère ? en bien ! c’est celle de Mrs Lechmere. Tout le monde dit que c’est une grande dame, mais je dis, moi, que c’est dommage que ce ne soit pas une meilleure femme.

— Et qui êtes-vous pour oser parler si hardiment d’une dame qui est si fort au-dessus de vous ?

— Moi ? dit l’idiot en regardant fixement et d’un air de simplicité celui qui l’interrogeait ; je suis Job Prey, c’est le nom qu’on me donne.

— Eh bien ! Job Pray, voici une couronne pour vous. La première fois que vous servirez de guide à quelqu’un, soyez attentif. Je vous dis, mon garçon, de prendre cette couronne.

— Job n’aime pas les couronnes. On dit que le roi porte une couronne, et que cela le rend fier et dédaigneux.

— Il faut en effet que le mécontentement soit bien général, pour qu’un pareil être refuse de l’argent plutôt que de manquer à ses principes, dit l’officier en lui-même. Allons, voilà donc une demi-guinée, si vous préférez l’or.

Job continua à frapper nonchalamment du pied contre une pierre, sans ôter ses mains de ses poches où il les tenait ordinairement, et à cette nouvelle offre il répondit, toujours dans la même posture, en relevant seulement un peu la tête enfoncée sous son chapeau rabattu :

— Vous avez empêché les grenadiers de battre Job, Job ne veut pas prendre votre argent.

— C’est bien, mon ami, c’est montrer plus de reconnaissance qu’on n’en trouverait souvent dans des hommes plus sensés. Allons, Meriton, je reverrai le pauvre garçon, et je n’oublierai pas ce refus. Je vous charge de le faire habiller plus convenablement dans le commencement de la semaine.

— Mon Dieu, Monsieur, dit le valet, si c’est votre bon plaisir, je n’y manquerai pas, je vous assure ; mais, de grâce, examinez un peu le personnage, et dites-moi, avec une pareille tournure, comment vous voulez que je m’y prenne pour en faire jamais quelque chose.


— Monsieur, Monsieur, cria Job en courant après l’officier qui avait déjà fait quelques pas, si vous voulez faire promettre aux grenadiers de ne plus jamais battre Job, Job vous montrera toujours le chemin dans Boston, et il fera aussi vos commissions, voyez-vous.

— Pauvre garçon ! Eh bien, oui, je vous promets que vous ne serez plus maltraité par les soldats. Bonsoir, mon bon ami. Venez me voir.

L’idiot parut satisfait de cette promesse ; car il se retourna aussitôt, descendit la rue en faisant mille gambades, et disparut bientôt au premier tournant. Cependant le jeune officier entra dans la cour de la maison de Mrs Lechmere. Le bâtiment était en briques et d’un extérieur plus imposant que la plupart de ceux qu’il avait vus dans la partie basse de la ville ; les ornements en étaient lourds et en bois, suivant une mode un peu plus ancienne, et il présentait une façade de sept fenêtres dans les deux étages supérieurs, celles sur les côtés étant beaucoup plus étroites que les autres. L’étage du bas offrait le même arrangement, à l’exception de la porte d’entrée.

On voyait une grande quantité de lumières aller et venir dans différentes parties de la maison, ce qui lui donnait un air de vie et de gaieté au milieu des édifices sombres et obscurs qui l’entouraient. L’officier frappa, et un vieux nègre se présenta aussitôt, portant une livrée assez belle et qui était même riche pour les colonies. — Mrs Lechmere est-elle chez elle ? À cette demande le nègre répondit affirmativement, et traversant un corridor assez étendu, il ouvrit la porte d’un appartement qui se trouvait sur l’un des côtés, et dans lequel il fit entrer le jeune homme.

Cet appartement serait regardé aujourd’hui comme beaucoup trop petit pour contenir la société d’une ville de province ; mais s’il lui manquait quelque chose en grandeur, ce désagrément était bien racheté par la richesse et la beauté des décors ; les murs étaient divisés en compartiments par des panneaux de menuiserie sur lesquels étaient peints des paysages et des ruines de toute beauté ; les châssis brillants et vernissés de ces tableaux étaient surchargés d’armoiries destinées à rappeler les différentes alliances de la famille ; au-dessous étaient des divisions de panneaux plus petites, sur lesquelles étaient dessinés différents emblèmes, et de là s’élevaient, entre les compartiments, des pilastres en bois, cannelés, avec des chapiteaux dorés ; une corniche lourde et massive, également en bois et surchargée d’ornements, se prolongeait autour de l’appartement et couronnait les autres ouvrages.

L’usage des tapis était encore, à cette époque, peu répandu dans les colonies, quoique le rang et la fortune de Mrs Lechmere l’eussent probablement engagée à introduire dans sa maison, si son âge et le caractère général de l’édifice ne l’eussent décidée à s’en tenir à l’ancienne méthode. Le plancher, dont la beauté répondait au reste de l’ameublement, était un ouvrage de marqueterie très-remarquable, et se composait de petits carrés alternativement de bois de cèdre rouge et de pin ; au milieu se faisaient remarquer les lions de Lechmere, que l’artiste avait mis tout son talent à faire ressortir avec avantage.

De chaque côté du manteau de la cheminée, ouvrage lourd, mais très-soigné, étaient des compartiments voûtés d’un travail plus simple qui semblaient servir à quelque usage, et en effet l’un des châssis à coulisses qui les fermaient se trouvant levé laissait voir un buffet couvert d’argenterie massive. L’ameublement était riche, et quoique ancien, parfaitement conservé.

Au milieu de cette magnificence coloniale que la présence d’un grand nombre de bougies rendait encore plus imposante, une dame, sur le déclin de la vie, était assise avec dignité sur un sofa. L’officier avait ôté son manteau dans le vestibule, et l’uniforme militaire donnait une nouvelle grâce à son maintien et à sa tournure. Le regard dur et sévère de la dame s’adoucit sensiblement dès qu’elle le vit entrer ; après s’être levée pour recevoir son hôte, elle le regarda quelque temps avec une douce surprise ; le jeune homme rompit le premier le silence en disant :

— Excusez-moi, Madame, si j’entre sans m’être fait annoncer ; mon impatience l’a emporté sur la cérémonie, tant chaque pas que je fais dans cette maison me rappelle les jours de mon enfance et la liberté dont je jouissais autrefois dans cette enceinte.

— Mon cousin Lincoln[4], interrompit la dame, qui était Mrs Lechmere ; ces yeux noirs, ce sourire, votre démarche seule vous annoncent suffisamment ; il faudrait que j’eusse oublié mon pauvre frère, et une personne qui nous est encore si chère, pour ne pas reconnaître en vous un véritable Lincoln.

Il y avait pendant cette entrevue, dans les manières de la dame et du jeune homme, une réserve et une contrainte qui pouvaient être aisément attribuées à l’étiquette minutieuse de l’école de province dont la dame était un membre si distingué, mais qui n’étaient pas suffisantes pour expliquer expression de tristesse qui se manifesta tout à coup sur la figure du jeune homme pendant qu’elle parlait. Ce changement ne fut cependant que momentané, et se remettant aussitôt, il répondit du ton le plus gracieux :

— Depuis longtemps on m’a appris à espérer que je trouverais dans Tremont-Street une seconde maison paternelle, et le souvenir obligeant que vous avez bien voulu conserver de mes parents et de moi, chère Mrs Lechmere, me prouve que mes espérances ne m’ont pas trompé.

La dame entendit cette remarque avec un plaisir sensible, et un sourire dérida son front sévère tandis qu’elle répondait :

— Tout mon désir en effet est que vous vous regardiez ici comme chez vous, quoique cette modeste habitation soit loin d’égaler les somptueuses demeures qu’a dû occuper l’héritier de la riche maison de Lincoln. Il serait étrange qu’une personne qui a l’honneur d’appartenir à cette noble famille ne reçût pas son représentant avec les égards qui lui sont dus.

Le jeune homme, sentant qu’on en avait dit assez sur ce sujet, résolut de donner un autre tour à la conversation, et baisa respectueusement la main de Mrs Lechmere. En relevant la tête, il aperçut une jeune personne que la draperie des rideaux de la croisée l’avait empêché de remarquer d’abord. S’avançant vers elle, il dit avec vivacité, pour empêcher la vieille dame de reprendre l’entretien :

— Je présume que j’ai l’honneur de voir miss Dynevor, dont je suis aussi le cousin.

— Vous vous trompez, major Lincoln ; mais, quoiqu’elle ne soit pas ma petite-fille, Agnès Danforth est votre parente au même degré, puisque c’est la fille de feu ma nièce.

— Mes yeux et non mon cœur m’avaient donc trompé, dit le jeune militaire, et j’espère que miss Danforth me permettra de l’appeler ma cousine.

Une simple inclination de tête fut la seule réponse qu’il obtint, quoique Agnès ne refusât pas la main qu’il lui offrit en la saluant. Après quelques phrases sur le plaisir qu’ils avaient à se trouver ensemble, Mrs Lechmere engagea son jeune parent à s’asseoir, et une conversation plus suivie s’engagea.

— Je suis charmée de voir que vous ne nous ayez pas oubliées, cousin Lionel, dit Mrs Lechmere ; cette province éloignée offre si peu de rapports avec la mère-patrie, que je craignais que vous n’eussiez perdu jusqu’au moindre souvenir des lieux où vous avez reçu la vie.

— Je trouve la ville bien changée, il est vrai ; cependant j’ai traversé divers endroits que je me suis parfaitement rappelés, quoique l’absence, et l’habitude de voir des pays étrangers, aient un peu diminué l’admiration que m’inspiraient dans mon enfance les monuments de Boston.

— Il est certain que la splendeur de la cour britannique a dû singulièrement nous nuire dans votre esprit, et nous avons bien peu de monuments qui puissent attirer l’attention du voyageur étranger. On dit par tradition dans notre famille que votre château, dans le Devonshire, est aussi grand que les douze plus beaux édifices de Boston ; et nous sommes fiers de le dire, le roi n’est aussi bien logé que le chef de la famille Lincoln que dans son palais de Windsor ;

— Ravenscliffe est assurément un domaine assez considérable, reprit le jeune homme d’un air d’indifférence, quoique j’aie été si peu dans le comté, qu’à dire vrai j’en connais à peine les agréments et l’étendue. Du reste, vous devez vous rappeler que Sa Majesté vit très-simplement lorsqu’elle est à Kew[5].

La vieille dame fit une légère inclination de tête avec cet air de satisfaction et de complaisance que ne manquent jamais de prendre les habitants des colonies, lorsqu’on fait allusion aux rapports qu’ils ont eus avec un pays vers lequel tous les yeux sont fixés, comme sur la source de l’illustration et de la grandeur. Puis ensuite, comme si le sujet qui l’occupait alors eût été la suite naturelle de celui qu’on venait de quitter, elle s’écria avec vivacité.

— Certainement Cécile n’est pas instruite de l’arrivée de notre parent, car elle n’a pas l’habitude de tarder autant à venir souhaiter la bienvenue aux hôtes qui nous arrivent.

— Miss Dynevor, dit Lionel, me fait l’honneur de me regarder comme un parent pour la réception duquel on ne doit point faire de cérémonie.

— Vous n’êtes cousins qu’au second degré, répondit Mrs Lechmere un peu gravement, et cela ne peut justifier l’oubli des devoirs qu’imposent la politesse et l’hospitalité. Vous voyez, cousin Lionel, quel prix nous attachons à la parenté, puisqu’elle est un sujet d’orgueil pour les branches même les plus éloignées de la famille.

— Je suis un pauvre généalogiste, Madame ; cependant, s’il m’est resté une idée juste de ce que j’ai quelquefois entendu dire, miss Dynevor est d’un sang trop noble en ligne directe pour attacher beaucoup de prix à l’illustration qu’elle pourrait devoir aux alliances contractées par des membres de sa famille.

— Pardonnez-moi, major Lincoln ; son père, le colonel Dynevor, était, il est vrai, un Anglais d’un nom ancien et honorable ; mais il n’est point de famille dans tout le royaume qui ne tint à honneur d’être alliée à la nôtre. Je dis la nôtre, cousin Lionel, car j’espère que vous n’oublierez pas que je suis Lincoln, et que j’étais la sœur de votre grand-père.

Un peu surpris de l’espèce de contradiction qu’il remarquait dans les paroles de Mrs Lechmere, Lionel se contenta d’incliner la tête en silence, et il essaya d’engager la conversation avec la jeune personne silencieuse et réservée qui était près de lui, tentative bien naturelle de la part d’un jeune homme de son âge. À peine avait-il en le temps de lui faire une ou deux questions et d’en recevoir la réponse, que Mrs Lechmere dit à sa nièce, en montrant quelque mécontentement au sujet de sa petite-fille :

— Allez, Agnès, allez apprendre à Cécile l’heureuse arrivée de son cousin. — Elle n’a pas cessé de s’occuper de vous pendant tout le temps qu’a duré votre voyage. Depuis le jour où nous avons reçu la lettre qui nous annonçait l’intention où vous étiez de vous embarquer, nous avons demandé chaque dimanche les prières de l’Église pour une personne qui était en mer, et j’ai remarqué avec plaisir la ferveur avec laquelle Cécile joignait ses prières aux nôtres.

Lionel murmura quelques mots de remerciement, et se renversant sur sa chaise, il leva les yeux au ciel ; mais nous n’entreprendrons pas de décider si ce fut ou non un mouvement de pieuse gratitude. Dès qu’Agnès avait entendu l’ordre de sa tante, elle s’était levée et avait quitté la chambre. La porte était fermée depuis quelque temps avant que le silence eût été rompu de nouveau ; deux ou trois fois cependant Mrs Lechmere avait essayé de parler. Son teint pâle et flétri, malgré son immobilité habituelle, était devenu plus livide encore, et ses lèvres tremblaient involontairement ; enfin elle réussit à s’exprimer, quoique les premiers mots qu’elle prononça fussent mal articulés.

— Peut-être m’accusez-vous d’indifférence, cousin Lionel, lui dit-elle ; mais il y a des sujets qui ne peuvent être traités convenablement qu’entre proches parents. J’espère que vous avez laissé sir Lionel Lincoln en aussi bonne santé que peut le permettre sa maladie mentale ?

— Du moins on me l’a dit, Madame.

— y a-t-il longtemps que vous ne l’avez vu ?

— Il y a quinze ans ; on m’a dit depuis lors que ma vue redoublait son délire, et le médecin défend qu’il voie personne. Il est toujours dans le même établissement près de Londres, et comme ses moments lucides deviennent de jour en jour plus longs et plus fréquents, je me berce souvent de la douce illusion de voir mon père rendu à ma tendresse. Cet espoir est justifié par son âge, car vous savez qu’il n’a pas encore cinquante ans.

Un long et pénible silence suivit cette intéressante communication ; enfin Mrs Lechmere dit d’une voix tremblante qui toucha profondément Lionel, puisqu’elle prouvait son bon cœur et l’intérêt qu’elile prenait à son père :

— Ayez la bonté de me donner un verre d’eau que vous trouverez dans le buffet ; excusez-moi, cousin Lionel ; mais ce sujet est si pénible que je ne saurais y penser sans que mes forces m’abandonnent. Je vais me retirer quelques instants, si vous le permettez, et je vous enverrai ma petite-fille ; je suis impatiente que vous fassiez connaissance avec elle.

La solitude était en ce moment trop d’accord avec les sentiments de Lionel pour qu’il cherchât à la retenir, et les pas chancelants de Mrs Lechmere, au lieu de suivre Agnès Danforth, qui était également sortie pour aller chercher Cécile, se dirigèrent vers une porte qui communiquait à son appartement particulier.

Pendant quelques minutes le jeune bonne marcha à grands pas sur les lions de Lechmere avec une rapidité qui semblait égaler celle que l’artiste s’était efforcé de leur donner en peinture. Tandis qu’il parcourait dans tous les sens le petit salon, ses yeux se promenaient vaguement sur les riches boiseries où se trouvaient les champs d’argent, d’azur et de pourpre des différents écussons, et avec autant d’indifférence que s’ils n’eussent pas été couverts des emblèmes distinctifs de tant de noms honorables.

Cependant il fut bientôt tirée de sa rêverie par la soudaine apparition d’une personne qui s’était glissée dans l’appartement, et s’était avancée jusqu’au milieu avant qu’il se fût aperçu de sa présence. Une tournure gracieuse, les contours les plus séduisants, les proportions les plus parfaites, et avec cela une physionomie expressive où la grâce s’alliait si heureusement à la modestie, que son air seul commandait le respect, en même temps que ses manières étaient douces et insinuantes ; c’en était bien assez sans doute pour suspendre à l’instant la marche un peu désordonnée d’un jeune homme qui eût été encore plus distrait et moins galant que celui que nous avons essayé de dépeindre.

Le major Lincoln savait que cette jeune personne ne pouvait être que Cécile Dynevor, l’unique fruit du mariage d’un officier anglais, mort depuis longtemps, avec la fille unique de Mrs Lechmere, qui était aussi descendue prématurément au tombeau ; elle le connaissait donc trop bien de réputation, et elle lui était alliée de trop près pour que, accoutumé au monde comme il l’était, Lionel éprouvât l’embarras qu’un jeune novice aurait pu ressentir à sa place, de se voir obligé d’être son propre introducteur. Il s’approcha d’un air assez aisé, et avec une familiarité que la parenté et les circonstances semblaient permettre, quoiqu’elle fût tempérée par un vernis de politesse. Mais la réserve avec laquelle la jeune dame répondit à ses avances était si visible, que, lorsqu’il eut fini son salut, et qu’il l’eut conduite jusqu’à un siège, il éprouva autant de gêne que s’il se fût trouvé seul pour la première fois avec une dame à laquelle il eût brûlé depuis plusieurs mois de faire l’aveu le plus délicat.

Soit que la nature ait donné à l’autre sexe plus de tact et de présence d’esprit pour ces sortes d’occasions, soit que la jeune personne eût senti elle-même que sa conduite n’était pas celle qu’elle se devait à elle-même de tenir à l’égard de l’hôte de sa grand-mère, elle fut la première à rompre le silence pour mettre fin à l’état de gêne et de contrainte où ils étaient tous deux depuis le commencement de l’entrevue.

— Ma grand-mère espérait depuis longtemps le plaisir de vous voir, major Lincoln, dit-elle, et vous ne pouviez arriver plus à propos. La situation de ce pays devient de jour en jour plus alarmante, et je l’engage bien souvent à aller passer quelque temps en Angleterre, jusqu’à ce que ces malheureuses contestations soient terminées.

Ces paroles, proférées du son de voix le plus doux et le plus mélodieux, et avec une prononciation aussi pure que si Cécile eût été élevée à la cour d’Angleterre, charmèrent d’autant plus agréablement Lionel, qu’il ne s’y mêlait aucune trace de ce léger accent du pays qui, dans le peu de mots qu’Agnès Danforth lui avait adressés, avait un peu blessé son oreille délicate.

— Vous qui avez toute la grâce et toute l’amabilité d’une Anglaise, répondit Lionel, vous trouveriez un grand plaisir à ce voyage ; et s’il y a quelque vérité dans ce que m’a dit un de mes compagnons de voyage sur la situation de ce pays, j’appuierai fortement votre demande. Ravenscliffe et notre maison de Soho-Square[6] sont et la disposition de Mrs Lechmere.

— Je désirais qu’elle se rendît aux pressantes invitations d’un parent de mon père, lord Gardonel, qui m’engage depuis longtemps à venir passer quelques années dans sa famille. Il me serait très-pénible de me séparer de ma grand’mère ; mais si les événements la décidaient à aller habiter la résidence de ses ancêtres, il me semble qu’on ne peut trouver à redire que je me retire aussi de préférence dans les domaines de mes pères.

L’œil perçant du major Lincoln se fixa sur elle pendant qu’elle prononçait ces derniers mots, et le léger sourire qui vint animer ses traits était causé par l’idée que la beauté provinciale avait hérité de l’orgueil généalogique de sa grand-mère, et qu’elle n’était pas fâchée de lui faire entendre que la nièce d’un vicomte était d’un rang plus élevé que l’héritier d’un baronnet. Mais la rougeur vive et brûlante qui couvrit un instant la jolie figure de Cécile prouva à Lionel qu’elle cédait à l’impulsion d’un sentiment plus profond et plus digne d’elle que le petit mouvement d’amour-propre dont il l’avait soupçonnée. Quoi qu’il en soit, il fut charmé de voir rentrer Mrs Lechmere, appuyée sur le bras de sa nièce.

— Je m’aperçois, mon cousin, dit la vieille dame en se dirigeant d’un pas débile vers le sofa, que je n’ai pas besoin de vous présenter Cécile : vous vous êtes reconnus aisément l’un l’autre, et il n’a point fallu pour cela d’autre indice que l’affinité qui existe entre vous. Par affinité je n’entends pas la force du sang, car ce n’est pas à des degrés aussi éloignés qu’on peut en sentir l’influence ; mais je suis sûre qu’il existe dans les familles des ressemblances morales plus frappantes encore que celles que peuvent offrir les traits.

— Si je pouvais me flatter de posséder le moindre rapport avec miss Dynevor, soit au physique, soit au moral, je serais doublement fier de notre parenté, dit Lionel d’un air distrait, en aidant la vieille dame il se placer sur le sofa.

— Mais je ne suis pas du tout disposée à me voir contester les liens du sang qui m’unissent à mon cousin Lionel, s’écria Cécile en s’animant tout à coup ; il a plu à nos ancêtres de décider…

— Allons, allons, mon enfant, interrompit sa grand-mère, vous oubliez que le terme de cousin ne saurait être employé que dans des cas de très-proche parenté, ou lorsqu’une longue connaissance peut excuser cette familiarité. Mais le major Lincoln sait que nous autres habitants des colonies, nous sommes portés à prendre les mots dans leur plus grande extension, et à compter nos cousins jusqu’à des degrés presque aussi éloignés que si nous étions membres de quelque clan écossais. À propos de clans, cela me rappelle la rébellion de 1745. Ne pense-t-on pas en Angleterre que nos fous de colons seront assez hardis pour prendre sérieusement les armes ?

— Les opinions varient sur ce point, dit Lionel. La plupart des militaires rejettent dédaigneusement cette idée, quoiqu’il se trouve des officiers qui ont servi sur le continent, et qui pensent que non seulement l’appel sera fait, mais que la lutte sera sanglante.

— Et pourquoi ne le feraient-ils pas ? s’écria tout à coup Agnès Danforth ; ils sont hommes, et les Anglais ne sont rien de plus.

Lionel tourna les yeux avec quelque surprise sur la jeune enthousiaste, qui avait dans ce moment même un air de douceur et en même temps de finesse qui ne semblait pas d’accord avec ces paroles, et il sourit en répétant ses propres expressions.

— Pourquoi ne le feraient-ils pas, demandez-vous ? Mais je n’en vois d’autre raison que parce que ce serait un acte de folie et en même temps de rébellion. Je puis vous assurer que je ne suis pas de ceux qui affectent de déprécier mes compatriotes, car vous vous rappellerez que je suis aussi Américain.

— J’ai entendu dire pourtant, reprit Agnès, que ceux de nos volontaires qui portent un uniforme le portent bleu, et non pas d’écarlate.

— Sa Majesté désire que son 47e régiment d’infanterie porte cette couleur éclatante, reprit Lionel en riant ; quant à moi, je consentirais volontiers à l’abandonner aux dames pour en adopter une plus modeste, si cela était possible.

— Cela est très-possible, Monsieur.

— Et comment donc, s’il vous plaît ?

— En donnant votre démission.

Il était évident que Mrs Lechmere avait eu quelque motif pour permettre à sa nièce de s’expliquer si librement ; mais voyant que son hôte ne montrait pas cet air piqué que les officiers anglais sont souvent assez faibles pour ne pas dissimuler lorsque les femmes prennent la défense de l’honneur de leur pays, elle tira le cordon de la sonnette en disant :

— Voilà un langage bien hardi pour une jeune personne qui n’a pas encore vingt ans, n’est-ce pas, major Lincoln ? mais miss Danforth a le privilège de tout dire librement ; car plusieurs de ses parents, du côté de son père, ne sont que trop impliqués dans les scènes de désordre qui signalent ces temps malheureux ; mais nous avons pris soin que Cécile restât plus fidèle à son devoir.

— Et cependant Cécile elle-même a toujours refusé d’embellir de sa présence les fêtes données par les officiers anglais, dit Agnès d’un ton un peu piqué.

— Cécile Dynevor aurait-elle pu fréquenter les bals et les fêtes sans être accompagnée d’un chaperon convenable ? reprit Mrs Lechmere, et pouvait-on espérer qu’à soixante-dix ans je rentrerais dans le monde pour soutenir l’honneur de ma famille ? Mais, avec nos discussions puériles, nous empêchons le major Lincoln de prendre les rafraîchissements dont il doit avoir besoin.

— Caton, vous pouvez servir.

Mrs Lechmere dit ces derniers mots d’un air presque mystérieux[7] au nègre qui venait d’entrer. Le vieux domestique, qui probablement, d’après une longue pratique, comprenait les désirs de sa maîtresse plus par l’expression de ses yeux que par les ordres qu’elle lui donnait, commença par fermer les volets extérieurs et par tirer les rideau avec le plus grand soin. Après ces préliminaires indispensables, il prit une petite table ovale qui était cachée sous les draperies des rideaux, et la plaça devant miss Dynevor ; bientôt après, la surface polie du petit meuble d’acajou fut couverte d’abord d’une fontaine d’argent massif remplie d’eau bouillante, ensuite d’un plateau du même métal, sur lequel était étalé un déjeuner de la plus belle porcelaine de Dresde.

Pendant ces préparatifs, Mrs Lechmere avait tâché de captiver l’attention de son hôte en lui faisant différentes questions sur quelques parents qu’il avait laissés en Angleterre ; mais malgré tous ses soins elle ne put empêcher Lionel de s’apercevoir du mystère et des précautions avec lesquelles le nègre faisait ces arrangements. Miss Dynevor laissa tranquillement placer devant elle la table à thé ; mais sa cousine, Agnès Danforth, détourne la tête d’un air de froideur et de mécontentement. Après avoir fait le thé, Caton en versa dans deux tasses cannelées, sur lesquelles étaient peintes de petites branches rouges et vertes fort bien imitées, et présenta l’une à sa maîtresse, et l’autre au jeune officier.

— Mille pardons, miss Danforth, s’écria Lionel dès qu’il eut pris la tasse, les mauvaises habitudes que l’on contracte pendant une longue traversée m’ont empêché de voir que vous n’étiez pas servie.

— Profitez de votre distraction, Monsieur, dit Agnès, si vous pouvez trouver quelque plaisir dans la jouissance dont elle a hâté le moment.

— Mais j’en jouirais bien davantage si je vous voyais partager avec nous ce raffinement de luxe.

— Oui, vous vous êtes servi du terme propre ; ce n’est en effet qu’un raffinement de luxe dont on peut aisément se passer : je vous remercie, Monsieur, je ne prends pas de thé.

— Vous êtes femme, et vous n’aimez pas le thé ? s’écria Lionel en riant.

— J’ignore l’effet que ce poison subtil peut produire chez vos dames anglaises, major Lincoln ; mais il n’est pas difficile à une fille de l’Amérique de s’interdire l’usage d’une herbe détestable, qui est une des causes des commotions qui vont peut-être bouleverser sa patrie et mettre ses parents en danger.

Lionel, qui n’avait voulu que s’excuser d’avoir pu manquer aux égards que tout homme bien né doit aux femmes, inclina la tête en silence, et se tournant d’un autre côté, il ne put s’empêcher de jeter les yeux vers la table à thé, pour voir si les principes de l’autre jeune Américaine étaient aussi rigides que ceux de sa cousine. Cécile, penchée sur le plateau, jouait d’un air de négligence avec une cuillère d’un travail très-curieux, sur laquelle on avait voulu imiter une branche de l’arbuste dont les feuilles odorantes parfumaient le petit salon, tandis que la vapeur qui s’échappait de la théière placée devant elle formait un léger nuage autour de sa jolie tête, et lui donnait un air vraiment aérien.

— Vous au moins, miss Dynevor, dit Lionel, vous ne paraissez pas avoir d’aversion pour la plante dont vous respirez le parfum avec tant de plaisir.

L’air froid et presque fier qu’avait eu Cécile jusqu’alors avait entièrement disparu lorsqu’elle jeta les yeux sur lui, et elle lui répondit avec un ton de gaieté et de bonne humeur qui lui semblait beaucoup plus naturel :

— Je suis femme, et j’avoue ma faiblesse ; je crois que ce fut du thé qui tenta notre mère commune dans le paradis terrestre.

— Si ce que vous dites était prouvé, dit Agnès, il semblerait que l’artifice du serpent a récemment trouvé des imitateurs, quoique l’instrument de tentation ait un peu perdu de sa vertu.

— Comment le savez-vous ? reprit Lionel en riant, pour prolonger un badinage qui pouvait du moins servir à établir entre eux un peu de familiarité ; si Ève eût fermé l’oreille aux offres du serpent avec autant de soin que vous fermez la bouche lorsque je cherche à faire usage des mêmes armes, nous jouirions encore du bonheur promis à nos premiers parents.

— Oh ! Monsieur, ce breuvage tant vanté ne m’est pas aussi étranger que vous pourriez le supposer, car le port de Boston, comme dit Job Pray, n’est qu’une grosse théière[8].

— Vous connaissez donc Job Pray, mise Danforth ? dit Lionel qui s’amusait beaucoup de sa vivacité.

— Certainement. Boston est si petit, et Job si utile, que tout le monde connaît l’idiot.

— Il appartient donc à une famille très-connue, car il m’a assuré lui-même qu’il n’y avait personne à Boston qui ne connût la vieille et bizarre Abigail sa mère.

— Vous ! s’écria Cécile de la voix douce et mélodieuse qui avait déjà frappé Lionel ; que pouvez-vous savoir du pauvre Job et de sa mère presque aussi malheureuse que lui ?

— Maintenant, Mesdames, je vous y prends, s’écria Lionel ; vous savez résister à la tentation que vous offre ce thé délicieux : mais quelle femme peut résister à l’impulsion de sa curiosité ! Cependant, comme je ne veux pas me montrer cruel avec deux jolies cousines que je connais depuis si peu de temps, je leur avouerai que j’ai eu déjà une entrevue avec Mrs Pray.

Agnès allait répondre lorsqu’elle en fut empêchée par le bruit de quelque chose qui venait de tomber derrière elle ; elle se tourna et vit à terre les morceaux de la belle tasse de porcelaine que Mrs Lechmere venait de laisser tomber.

— Ma chère grand-maman se trouve mal ! s’écria Cécile en volant à son secours. Vite, Caton… Major Lincoln, hâtez-vous ; pour l’amour du ciel, avancez nous un verre d’eau… Agnès, donnez-moi, vos sels.

Les aimables soins de la petite-fille de Mrs Lechmere n’étaient cependant pas aussi nécessaires qu’on aurait pu le croire d’abord à la vieille dame, qui repoussa doucement les sels, quoiqu’elle ne refusât pas le verre d’eau que Lionel lui offrait pour la seconde fois.

— Je crains que vous ne me preniez pour une vieille bien infirme et bien maussade, dit Mrs Lechmere dès qu’elle se trouva un peu mieux, mais je crois que c’est ce thé dont on a tant parlé ce soir et dont je bois beaucoup, par excès de loyauté[9], qui m’attaque les nerfs ; il faudra vraiment que je m’en prive comme mes filles, mais par un autre motif. Nous sommes habituées à nous retirer de bonne heure, major Lincoln ; mais vous êtes ici chez vous, et vous pouvez agir en toute liberté. Je réclame un peu d’indulgence pour mes soixante-dix ans, et je souhaite qu’une bonne nuit vous fasse oublier les fatigues du voyage. Caton aura soin qu’il ne vous manque rien.

Appuyée sur ses deux pupilles, la vieille dame se retira, laissant à Lionel l’entière jouissance du petit salon. Comme l’heure était assez avancée, et qu’il n’espérait pas voir revenir ses jeunes parentes, il demanda une lumière, et se fit conduire à l’appartement qui lui était destiné. Aussitôt que Meriton lui eut rendu les services qui, à cette époque, faisaient qu’un valet de chambre était indispensable à un gentilhomme, il le renvoya, et jouit du plaisir de s’étendre dans un bon lit.

Cependant tous les incidents de la journée le jetèrent dans une foule de pensées, qui pendant longtemps l’empêchèrent de trouver le repos qu’il cherchait. Après avoir fait de longues et tristes réflexions sur certains événements qui touchaient de trop près aux sentiments de son cœur, pour ne lui offrir qu’un souvenir passager, le jeune homme pensa à l’accueil qu’il avait reçu, et aux trois femmes qu’il venait de voir, pour ainsi dire, pour la première fois.

Il était évident que Mrs Lechmere et sa petite-fille jouaient chacune leur rôle ; était-ce de concert ou non ? c’est ce qui restait à découvrir. Mais pour Agnès Danforth, Lionel, malgré toute sa subtilité, ne put découvrir en elle que des manières simples, franches, et même quelquefois un peu brusques, qu’elle devait à la nature et à l’éducation. Comme presque tous les jeunes gens qui viennent de faire connaissance avec deux femmes d’une beauté remarquable, il s’endormit en pensant à elles, et on ne sera pas étonné si nous ajoutons qu’avant le matin il avait rêvé qu’il se trouvait sur l’Avon de Bristol, qui l’avait conduit sur les bancs de Terre-Neuve, où il savourait un bol de punch préparé par Les jolies mains de miss Danforth, et auquel se mêlait le doux parfum du thé, tandis que Cécile Dynevor, debout derrière lui, avec toute la grâce d’une Héhé, le regardait en riant, et s’abandonnait à toute la gaieté folâtre de son âge.



  1. Job veut parler du comte de Bute, et prononce son nom Boot, Botte : la prononciation américaine de l’u se rapproche naturellement du son ou figuré par oo. D’ailleurs le peuple aimait à exprimer sa haine pour lord Bute en suspendent une botte à une potence.
  2. L’observation du sabbat est encore rigoureuse en Amérique ; elle l’était encore davantage à cette époque, surtout dans les villes où le presbytérianisme était le culte dominant.
  3. Le sabbat presbytérien, ainsi que cela a déjà été dit, commence le samedi soir pour finir le dimanche après le coucher du soleil.
  4. Mrs Lechmere appelle toujours Lionel Lincoln son cousin, quoique, à strictement parler, ce fût son petit-neveu. Le mot cousin se prend en Amérique, comme en Angleterre, dans une acception beaucoup plus générale que chez nous.
  5. Château royal à quelques milles de Londres.
  6. L’une des pmlus belles places (squares) de Londres.
  7. Cet air mystérieux cachait une opinion. Déjà en 1771, les habitants de Boston avaient prescrit le thé en haine de la Grande-Bretagne, qui avait maintenu l’impôt sur cette denrée de première nécessité pour les Américains comme pour les Anglais. Il n’y avait plus que les loyalistes ou plutôt les ministériels qui osassent en continuer l’usage, et il fallut presque le triomphe de la révolution pour l’amnistier. En 1774, plusieurs cargaisons de thé arrivèrent à Boston : elles furent toutes jetées à la mer par des hommes du peuple déguisés en Indiens. L’auteur mentionnera ci-après cet évènement ; mais il est nécessaire d’en parler ici pour l’intelligence de ce passage.
  8. Cette comparaison de Job Pray se trouve expliquée par la note précédente.
  9. Loyauté est pris ici, comme dans le reste du roman, dans le sens politique du mot : fidélité au roi et au gouvernement. Aussi le traducteur a-t-il traduit quelquefois plus littéralement loyalty par loyalisme.