Lettres sur les affaires municipales de la Cité de Québec/Chapitre V

Imprimerie de « L’Événement » (p. 11-13).

V.


Une bonne administration doit faciliter le commerce et les approvisionnements, en établissant des marchés où le producteur puisse venir rencontrer le consommateur, en ouvrant et maintenant de bonnes voies de communication. Tout le monde admettra que nos marchés laissent peu de chose à désirer, sinon du côté de l’élégance, au moins du côté du nombre, du site et de l’aménagement intérieur. Et je ne sache pas qu’on ait fait de reproches au conseil, à l’égard des clercs qui en ont la surveillance.

Quant aux voies de communication, j’admettrai facilement qu’elles auraient besoin d’être améliorées. Plusieurs de nos rues ne sont pas éclairées du tout, ou le sont d’une manière imparfaite. Le plus grand nombre sont dans un bien mauvais état d’entretien. Pour nier cela, il faudrait fermer les yeux à l’évidence. Mais la question n’est pas de savoir si nos rues sont en bon ou en mauvais état ; il s’agit de savoir si des commissaires pourraient, avec les ressources dont dispose le conseil, les tenir en meilleur ordre.

Or, il est facile de prouver que, à commencer par l’éclairage, des commissaires ne feraient pas mieux que le conseil. Tout le monde admettra, qu’on ne peut de nos jours considérer une ville bien éclairée, que si elle est éclairée au gaz ; l’huile de pétrole nous ramènerait au temps des quinquets et des lanternes. Nous ne pouvons obtenir du gaz que d’une compagnie, et elle profite de son monopole, pour faire payer des prix absurdes, afin de donner à ses actionnaires des dividendes scandaleux. Tout le monde se plaint de cet abus, mais, en attendant, tout le monde en souffre, la municipalité comme les individus. Jusqu’à ce jour, le conseil a payé les prix ruineux que paient les particuliers. Mais à la fin, il s’est fatigué de se faire exploiter. Son contrat avec la compagnie devait expirer le premier novembre. Dès le commencement d’octobre, à la suggestion du maire, il donne avis qu’il ne le renouvellera pas, et charge son premier magistrat d’offrir $20 par bec de gaz pour l’année. Au premier novembre, la compagnie, qui n’avait pas encore pris de décision à ce sujet, cesse de fournir du gaz, laissant la ville dans l’obscurité. Pour jeter sur le conseil l’odieux de sa conduite, elle avait offert de continuer l’éclairage pendant un mois, aux conditions de l’année dernière. C’était profiter de la position du conseil, pour exploiter le public encore un mois, et précisément dans le moment où, d’après l’ancien contrat, cette exploitation est le plus profitable.

Qu’est-il arrivé ? La compagnie, pour amener le conseil à nous laisser voler par elle, avait eu l’audace de laisser la ville dans l’obscurité au moment où l’éclairage était le plus nécessaire ; on n’a pas eu un mot de blâme pour elle. Le conseil avait voulu défendre notre bourse ; on n’a pas eu de termes assez sévères pour censurer sa conduite ; on lui a reproché amèrement les efforts qu’il avait faits pour que nous ne fussions plus volés. Si l’opinion publique l’avait soutenu, il aurait pu réussir à amener la compagnie à la raison, la forcer à accepter des conditions moins onéreuses pour nos finances. Mais, pressé d’un côté par les exigences de la compagnie, en butte de l’autre, aux injustes attaques de ceux qu’il voulait défendre, il a dû céder et en passer par ce qu’on voulait. Qu’en va-t-il résulter ? C’est que nous aurons encore à payer pour l’éclairage de nos rues un prix exorbitant. Mais, je le demande, est-ce que des commissaires auraient fait mieux dans les mêmes circonstances ?