Lettres sur les affaires municipales de la Cité de Québec/Chapitre II

Imprimerie de « L’Événement » (p. 6-8).

II.


D’abord, notre situation financière est-elle aussi mauvaise qu’on le prétend ? Il suffit, pour se convaincre du contraire, de jeter les yeux sur les cotes de la bourse. Elles nous font connaître le crédit des différents corps publics, et l’on sait que le crédit est un indicateur presqu’infaillible de la situation financière des villes et des individus. Or, malgré tout le mal que, depuis cinq ans, on n’a cessé de dire de notre administration municipale, malgré les cris de gaspillage, de vol, de ruine, de banqueroute, partis d’individus qu’on pouvait supposer bien informés, et qui se sont fait entendre jusque dans le parlement, qu’y voyons-nous ? Nos bons sont encore cotés de 93 à 98, pendant que ceux de Montréal sont cotés à 104, ceux de Toronto à 93, ceux d’Ottawa à 91.

Nous pouvons donc être assurés de ce côté pour le moment. Mais, sommes-nous en danger pour l’avenir, à cause de la manière dont sont administrées nos affaires ? Je n’hésite pas à dire que non.

Examinons la composition du Conseil-de-Ville. À sa tête nous voyons le chef d’une de nos principales maisons de commerce en gros. On pourrait trouver, sans doute, un homme ayant plus de connaissances littéraires que M. Lemesurier. Mais un maire n’a pas pour mission de faire des modèles pour les élèves de rhétorique. C’est un administrateur ; tout ce qu’on peut exiger de lui, c’est la science, le génie et la langue des affaires ; et personne à Québec, n’osera contester ces qualités à M. LeMesurier, pas plus qu’on ne lui contestera l’énergie, le travail et l’esprit d’entreprise.

On a dit bien des fois, que le conseil n’offrait aucune garantie à la propriété foncière, parce qu’on n’y trouvait personne intéressé à cette partie de la fortune publique, Or si nous jetons les yeux sur la liste des échevins et conseillers, nous y voyons les noms d’un J. R. Renaud, d’un W. W. Scott, d’un A. Hamel, trois des plus grands propriétaires fonciers de Québec, trois hommes qui, par leur travail, leur industrie, leurs talents pour leurs affaires, ont acquis des fortunes comme on en rencontre peu en ce pays.

On a laissé entendre que la majeure partie du conseil se compose de va-nu-pieds, de créatures de la populace, d’orateurs de carrefours. Eh bien ! à côté des trois grands propriétaires que je viens de nommer siégent, le Dr. Rinfret, un autre grand propriétaire, l’un des médecins les plus achalandés de la ville ; le Dr. H. Blanchet et M. Henry, deux de nos plus grands capitalistes ; MM. Côté et Mailloux, deux des principaux marchands de St.-Roch ; MM. John Hearn, Hossack, St.-Michel, Hall, Giblin, cinq de nos premiers hommes d’affaires, dont l’un est fondateur du Chronicle et procureur de la Fabrique de St.-Roch, et un autre membre de l’Assemblée Législative de la Province de Québec ; M. Peachy, l’architecte le plus employé de la ville ; MM. M. A. Hearn et Legaré, le premier bâtonnier actuel, le second ancien bâtonnier du barreau de Québec ; enfin, M. Auger, l’un des notaires les plus intelligents et les plus instruits de Québec, et M. Lafrance, secrétaire de la Société St. Jean-Baptiste.

On a prétendu que l’élection ne peut faire arriver au conseil, des hommes aussi distingués que ceux que pourrait nommer le gouvernement. Et, comme pour donner le démenti à cette prétention, le système électif a mis à la tête du comité de la santé publique, le Dr. Roy, c’est-à-dire précisément l’homme que le gouvernement a dû juger le plus capable d’empêcher l’introduction parmi nous des maladies épidémiques et contagieuses, puisqu’il l’a nommé à l’emploi important de médecin-visiteur du port de Québec. Si donc les partisans des commissaires voulaient prétendre que le suffrage populaire s’est égaré ici, il leur faudrait admettre que le gouvernement est, lui aussi, sujet à l’erreur.

Voilà les hommes que nous trouvons, dans un conseil composé en tout de 25 personnes. Je crois donc qu’on pourrait le confronter sans crainte, non seulement avec n’importe quel autre conseil municipal — cela nous ferait la partie trop belle — mais avec les commissions nommées par le gouvernement, comme celle du Hâvre et des chemins à barrières. J’irai même plus loin, et je dirai que j’embarrasserais beaucoup un adversaire des corps électifs, un partisan des nominations par le gouvernement, si je lui offrais de comparer notre conseil municipal, dont on dit tant de mal, avec le Conseil Législatif, dont il doit penser tant de bien, si je lui demandais de me trouver, sur 25 conseillers, 20 hommes de la valeur intellectuelle de ceux que j’ai nommés.

Je désire être bien compris. Je n’entends pas me faire l’apologiste de tous les membres du conseil, ni les mettre tous au même rang. Je suis le premier à admettre qu’il y en a dont l’intelligence et la connaissance des affaires laissent à désirer, dont l’intégrité et le désintéressement sont loin de pouvoir être cités comme modèles. Mais ce que je soutiens, c’est que, pris dans son ensemble, notre Conseil-de-Ville renferme relativement autant d’hommes intelligents, instruits et honnêtes, non seulement que celui de Montréal, mais que n’importe quelle organisation administrative du pays, et que nous n’aurions rien à gagner sur ce point à la nomination de commissaires.