I’AY trouué
les moyens
avec beaucoup de
ſoin & de peine,
de recouurer vne
copie correcte de la
traduction de cinq
Lettres Portugaiſes,
qui ont eſté ecrites à vn Gentilhomme
de qualité,
qui ſeruoit en Portugal.
I’ay veu
tous ceux qui ſe
connoiſſent en ſentimens
ou les loüer,
ou les chercher avec
tant d’empreſſement,
que j’ay crû
que ie leur ferois
vn ſingulier plaiſir
de les imprimer. Ie ne ſçay point le
nom de celuy auquel
on les a écrites,
ny de celuy
qui en a fait la
traduction, mais il
m’a ſemblé que ie
ne deuois pas leur
déplaire en les rendant
publiques. Il
eſt difficile quelles
n’euſſent, enfin, parû
auec des fautes d’impreſſion qui
les euſſent défigurées.
PREMIERE
LETTRE.
CONSIDERE,
mon amour,
juſqu’à quel excèez
tu as manqué de
preuoyance. Ah
mal-heureux ! tu as
eſté trahy, & tu m’as
trahie par des eſperances
trompeuſes. Vne paſſion ſur laquelle
tu auois fait
tant de projets de
plaiſirs, ne te cauſe
preſentement qu’vn
mortel deſeſpoir,
qui ne peut eſtre
comparé qu’à la
cruauté de l’abſence,
qui le cauſe.
Quoi ? cette abſence,
à laquelle ma
douleur, tout ingenieuſe
qu’elle eſt, ne peut donner vn
nom aſſez funeſte,
me priuera donc
pour toûjours de regarder
ces yeux,
dans leſquels je
voyois tãt d’amour,
& qui me faiſoient
connoître des mouuemẽs,
qui me combloient
de joie, qui
me tenoient lieu de
toutes choſes, & qui
enfin me ſuffiſoient ? Helas ! les miens
ſont priuez de la ſeule
lumiere, qui les
animoit, il ne leur
reſte que des larmes
& je ne les ay employez
à aucun vſage,
qu’à pleurer ſans
ceſſe, depuis que
j’appris que vous
eſtiez enfin reſolu à
vn éloignement, qui
m’eſt ſi inſupportable,
qu’il me fera mourir en peu de
temps. Cependant
il me ſemble que j’ay
quelque attachement
pour des malheurs,
dont vous
eſtes la ſeule cauſe :
Ie vous ay deſtiné
ma vie auſſi-toſt
que je vous ay veu ;
& je ſens quelque
plaiſir en vous la ſacrifiant.
I’enuoye
mille fois le jour mes ſoûpirs vers vous,
ils vous cherchent
en tous lieux, & ils
ne me rapportent
pour toute recompenſe
de tant d’inquietudes,
qu’vn aduertiſſement
trop
ſincere, que me dõne
ma mauuaiſe fortune,
qui a la cruauté
de ne ſouffrir pas,
que je me flatte, &
qui me dit à tous momens ; Ceſſe,
ceſſe Mariane infortunée
de te conſumer
vainement : &
de chercher vn Amant
que tu ne verras
jamais ; qui a paſſé
les Mers pour te
fuir, qui eſt en France
au milieu des plaiſirs,
qui ne penſe pas
vn ſeul moment à
tes douleurs, & qui
te diſpenſe de tous ces tranſports, deſquels
il ne te ſçait
aucun gré ? mais non,
je ne puis me reſoudre
à juger ſi injurieuſement
de vous,
& je ſuis trop intereſſée
à vous juſtifier :
Ie ne veux point
m’imaginer que
vous m’auez oubliée.
Ne ſuiſ-je pas
aſſez malheureuſe
ſans me tourmenter par de faux ſoupçons ?
Et pourquoy
feroiſ-je des efforts
pour ne me plus
ſouuenir de tous les
ſoins, que vous auez
pris de me temoigner
de l’amour ?
I’ay eſté ſi charmée
de tous ces ſoins,
que je ſerois bien ingrate,
ſi je ne vous
aymois auec les meſmes
emportemens, que ma Paſſion me
donnoit, quand je
joüiſſois des témoignages
de la voſtre.
Comment ſe peut-il
faire que les ſouuenirs
de momens
ſi agreables, ſoient
deuenus ſi cruels ? &
faut-il que contre
leur nature, ils ne
ſeruent qu’à tyranniſer
mon cœur ? Helas !
voſtre derniere lettre le reduiſit en
un eſtrange état : il
eut des mouuemens
ſi ſenſibles qu’il fit, ce
ſemble, des efforts,
pour ſe ſeparer de
moy, & pour vous
aller trouuer : Ie fus
ſi accablée de toutes
ces émotions violentes,
que je demeuray
plus de trois heures
abandonnée de
tous mes ſens : je me défendis de revenir à une vie que je dois perdre pour vous, puiſque je ne puis la conſerver pour vous. Ie revis enfin, malgré moi, la lumiere ; je me flattois de ſentir que je mourois d’amour ; & d’ailleurs j’étois bien aiſe de n’être plus expoſée à voir mon cœur déchiré par la douleur de votre abſence. Après ces accidens, j’ai eu beaucoup de différentes indiſpoſitions ; mais puiſ-je jamais être ſans maux tant que je ne vous verrai pas ? Ie les ſupporte cependant ſans murmurer, puiſqu’ils viennent de vous. Quoy ? eſt-ce là la récompenſe, que vous me donnez pour vous avoir ſi tendrement aimé ? Mais il n’importe, je ſuis réſolue à vous adorer toute ma vie, & à ne voir jamais perſonne ; & je vous aſſure que vous ferez bien auſſi de n’aimer perſonne. Pourriez-vous être content d’une paſſion moins ardente que la mienne ? Vous trouuerez peut-être plus de beauté (vous m’avez pourtant dit autrefois que j’étois aſſez belle), mais vous ne trouuerez jamais tant d’amour, & tout le reſte n’eſt rien. Ne rempliſſez plus vos lettres de choſes inutiles, & ne m’écriuez plus de me ſouuenir de vous. Ie ne puis vous oublier, & je n’oublie pas auſſi que vous m’avez fait eſpérer que vous viendrez paſſer quelque temps avec moi. Hélas ! pourquoi n’y voulez-vous pas paſſer toute votre vie ? S’il m’étoit poſſible de ſortir de ce malheureux Cloiſtre, je n’attendrois pas en Portugal l’effet de vos promeſſes : j’irois, ſans garder aucune meſure, vous chercher, vous ſuivre, & vous aimer par tout le monde ; je n’oſe me flatter que cela puiſſe être, je ne veux point nourrir une eſpérance qui me donneroit aſſurément quelque plaiſir, & je ne veux plus être ſenſible qu’aux douleurs. I’avoue cependant que l’occaſion que mon frere m’a donnée de vous écrire a ſurpris en moi quelques mouuemens de joie, & qu’elle a ſuſpendu pour un moment le deſeſpoir, où je ſuis. Ie vous conjure de me dire pourquoi vous vous êtes attaché à m’enchanter, comme vous avez fait, puiſque vous ſaviez bien que vous deviez m’abandonner ? Et pourquoi avez-vous eſté ſi acharné à me rendre malheureuſe ? que ne me laiſſiez vous en repos dans mon cloître ? Vous avoiſ-je fait quelque injure ? Mais je vous demande pardon : je ne vous impute rien ; je ne ſuis pas en état de penſer à ma vengeance, & j’accuſe ſeulement la rigueur de mon deſtin. Il me ſemble quen nous ſeparant, il nous a fait tout le mal que nous pouuions craindre. Il ne ſauroit ſéparer nos cœurs : l’amour qui eſt plus puiſſant que lui les a unis pour toute notre vie. Si vous prenez quelque intérêt à la mienne, écrivez-moi ſouuent. Ie merite bien que vous preniez quelque ſoin de m’apprendre l’état de votre cœur & de votre fortune. Surtout venez me voir. Adieu, je ne puis quitter ce papier ; il tombera entre vos mains ; je voudrois bien avoir le même bonheur. Hélas ! inſenſée que je ſuis ! je m’apperçois bien que cela n’eſt pas poſſible.
Adieu, ie n’en puis
plus. Adieu, aymez
moy toûjours ; &
faites moy ſouffrir
encore plus de
maux.
...