Lettres parisiennes/Année 1837/37

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1837

LETTRE TRENTE-SEPTIÈME.

Les mariages. — Les livres et les fleurs.
23 décembre 1837.

Le grand monde est occupé à se marier ; on n’entend parler que de noces, de contrat, de trousseau, de corbeille, et nous ne savons vraiment pas pourquoi l’on se sert encore de ce mot corbeille, puisque l’élégante et gracieuse corbeille de nos mères a été remplacée par un grand vilain coffre en bois. Ô siècle du positif ! ce qui était jadis de satin blanc se fait aujourd’hui en bois de palissandre ; aujourd’hui toutes les œuvres humaines sont solides et durables, excepté les trônes, excepté les ministères et les lois, excepté toutes les choses qui doivent durer ; la légèreté n’est plus dans les plaisirs, elle est dans les affaires : il faut toujours qu’elle soit quelque part. Mais point de réflexions. On se marie, on se remarie, et l’on fait bien. Les mariages se font aujourd’hui avec une grande pompe, et nous approuvons ce retour aux anciennes idées ; toute cérémonie religieuse doit être imposante ; tout enga- gement est solennel ; nous n’avons jamais compris que l’on fût sans gêne avec Dieu. La cérémonie du mariage a besoin de prestige. Il lui faut de la splendeur ou du mystère, car le mystère est le plus grand des prestiges ; mais ce qu’il faut surtout, c’est agir sur l’imagination ; ce sont les beaux spectacles, les vives impressions qui font les puissants souvenirs ; aussi ces mariages bourgeois, ces mariages de charade, dont le mot n’est pas même époux, vente, nous ont-ils toujours paru d’une haute immoralité, parce qu’ils donnent presque le droit d’être indulgent pour les époux qui agissent comme s’ils n’étaient pas mariés.

Dans le monde, on danse peu encore, mais on chante beaucoup ; les concerts déjà sont brillants. Hier un grand concert a eu lieu chez un célèbre avocat qui n’est point Berryer. Le programme annonçait dix-huit morceaux. Il y avait tant de monde, que personne n’a pu entendre. Cette phrase nous rappelle ce mot de madame G… à propos d’un de nos auteurs, bavard des plus sonores : « Il crie si fort, disait-elle, qu’on ne l’entend pas. »

Vous nous reprochez de couvrir nos étagères et les rayons de nos bibliothèques de vases chinois : c’est un tort que nous avons, il est vrai ; mais admirez les belles fleurs que renferment ces vases, et dites-nous si cet ornement, à la fois gracieux et riche, n’est pas plus convenable dans un salon où l’on vient causer et non travailler, que cet amas pédant de livres noirs et tristes que vous regrettez ; et puis, j’ai peut-être très-mauvais goût, mais j’aime mieux le parfum des fleurs que celui des livres. — Je n’exige pas, madame, que vos salons se changent en bibliothèques, je crois qu’on peut aimer à la fois les livres et les fleurs ; mais puisque vous affirmez qu’une de ces deux passions a remplacé l’autre, j’aurai l’honneur de vous dire franchement que je ne vois pas encore assez de fleurs dans votre salon, où je ne vois pas un seul livre. — Chez moi, peut-être. Mais je veux vous mener chez madame de R…, chez madame de F…, chez madame H…, chez madame D… ; là, vous verrez l’escalier, l’antichambre et tous les appartements remplis de fleurs ; je vous mènerai aussi chez ma cousine, qui a des serres admirables ; je vous forcerai enfin à convenir que les folies que l’on fait pour obtenir une rose nouvelle ou un camélia récemment inventé valent bien celles que l’on pourrait faire pour obtenir un Elzévir impayable ! — On pense bien que nous avons accepté avec empressement cette agréable proposition. Nous avons donc fait, la semaine dernière, un cours d’horticulture fashionable sous le plus séduisant patronage ; et, d’abord, nous avons acquis cette conviction que les femmes étaient très-savantes en botanique, beaucoup plus qu’on ne pourrait l’imaginer, et que la passion des fleurs était chez elles aussi violente, aussi impérieuse que celle de la toilette peut-être, et bien plus que celle… mais nous ne voulons faire à ce sujet aucune réflexion. Une femme qui aime les fleurs ne les aime pas au hasard ; elle veut savoir leurs noms, leurs familles. Oh ! elle n’apporte aucune légèreté dans cet amour-là ! Et quel soin ! quelle intelligence ! quelle mémoire ! tous ces mots en a et en us, comme elle les retient facilement ! elle sait le nom latin de tous les parfums qui l’enivrent, car le pédantisme lui est permis à propos de fleurs. L’étude des fleurs est la science des femmes, et nous voyons avec plaisir plusieurs femmes du grand monde se livrer à cette élégante étude avec fureur. En Russie, tous les palais ont des serres, comme en France tous les hôtels ont des écuries ; il n’y a point d’hiver en Russie, malgré la neige et la gelée qui font la gloire et l’éclat de ce beau pays ; l’hiver c’est l’absence des fleurs, et là-bas les fleurs sont toujours fraîches et belles ; le canapé d’une princesse russe est un banc caché dans un bosquet ; des plantes grimpantes fixées sur un treillage d’or forment derrière elle un paravent de verdure ; la Russie est le pays des fleurs ; Saint-Pétersbourg est le rival de Florence ; mais bientôt, dit-on, nous n’aurons plus rien à leur envier. La science de l’horticulture fait ici chaque jour de nouveaux progrès ; la voilà maintenant qui passe à l’état d’industrie, elle ira loin : l’amour de la science uni à l’amour de l’argent doit mener à de grandes découvertes. On faisait déjà de longs voyages, on courait d’affreux dangers, on prenait toutes sortes de peines, on se livrait à des travaux sans nombre pour mériter un peu de gloire en obtenant une plante inconnue ; que sera-ce donc lorsque avec cette même plante on pourra gagner aussi beaucoup d’argent, lorsque l’heureuse trouvaille du savant sera soudain exploitée par l’homme d’affaires, lorsque enfin on aura trouvé le secret de faire de l’or avec des fleurs ! Dans une de nos courses dernièrement, nous avons déjà vu un exemple de cette double manie : nous étions allé avec cette jolie femme qui veut absolument nous faire faire un cours d’horticulture, et à qui nous demandons mille fois pardon de notre fatuité, nous étions allé visiter un nouvel établissement fort à la mode, mais dont le nom, infiniment trop prolongé, nous a fait rire : société d’horticulture française, anglaise et hollandaise. On aurait pu ajouter chinoise, à cause des magnifiques plantes chinoises qui sont l’orgueil de cette collection ; mais chinoise ne rimait pas assez bien avec française, anglaise et hollandaise ; probablement c’est pour cela qu’on a cru devoir l’éviter. C’est là que nous avons vu la science aux prises avec l’industrie ; chacune avait son langage, chacune faisait valoir dans sa propriété les richesses qu’elle appréciait. Le florimane disait : « Ah ! monsieur, si vous voyiez ce lis, ce fameux lis de la Chine, rapporté par Cibolt, quelle fleur admirable ! quelle nuance rosée ! et ces perles d’or qui brodent le calice, quel travail merveilleux ! » Il parlait de cette fleur comme un joaillier parlerait d’un bijou ; pour lui, la valeur de la plante était dans sa beauté et surtout dans sa rareté. Mais aussitôt le jardinier industriel venait l’interrompre. « Ah ! oui, monsieur, on peut dire que c’est une belle fleur ; tout le monde est venu la voir cet été, et maintenant c’est à qui aura des oignons. Nous en vendons, nous en vendons, c’est un plaisir ! dans un an, il y en aura partout… » N’est-ce pas charmant ? Grâce à l’industrie, bientôt il n’y aura plus de plantes rares ; les manufactures, ou plutôt les fabriques de fleurs, mettront les plantes les plus précieuses à la portée de toutes les fortunes ; déjà les dahlias sont la parure de tous les jardins. Il y a trente ans, les dahlias étaient inconnus, les camélias aussi. Autrefois, l’hiver et l’automne n’avaient point de fleurs ; quelques roses du Bengale, quelques reines-marguerites, et voilà tout. Aujourd’hui, nos jardins, au mois d’octobre, rayonnent de dahlias éblouissants ; on attend le mois de janvier pour donner des fêtes, parce que le mois de janvier est la saison des camélias. On peut supprimer le souper et même les demi-potages ; mais les bosquets de camélias, jamais ! Il faut nous rendre justice : depuis quelques années le goût de l’horticulture s’est bien répandu en France ; c’est, dit-on, un symptôme de civilisation. Soit : cependant il nous semble que nous ne méritons pas encore d’aimer autant les fleurs.