Lettres parisiennes/Année 1837/26

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1837

LETTRE VINGT-SIXIÈME.

Imprécations à l’automne. — À vendre séparément deux inséparables.
8 septembre 1837.

C’en est donc fait ! voici l’automne ! en vain nous avons annoncé son retour, elle est venue. Hélas ! il y a huit jours, quand nous avons dit : Elle est là ! nous comptions sur un heureux démenti ; nous espérions que le lendemain un soleil d’été viendrait encore nous confondre et changer en erreur nos vérités de la veille ; mais non, le destin sans pitié nous a laissé avoir raison. La voilà, cette triste automne, cette femme de quarante ans, la seule que M. de Balzac n’ait point célébrée, cette femme d’esprit qui paraît belle encore le soir en grande parure les jours de fête, avec du rouge, avec une robe de velours vert et un turban d’Alger, mais qui les jours de deuil, en négligé, le matin, n’est plus qu’une beauté pâle et fanée ; cette pauvre femme encore séduisante, qui a la vieillesse pour espérance ; cette noble femme encore aimée, qui a l’abandon pour avenir. Automne, fidèle amante du peintre et du chasseur, qu’ils vous chantent, qu’ils vous bénissent, vous n’avez pour eux que des bienfaits ; toutes vos parures sont pour leur plaire ; pour le peintre… vous avez des arbres jaunis, des pampres rouges et des prés verts ; vous avez un petit soleil qu’il peut étudier sans perdre la vue, et dont il peut donner une idée dans ses paysages ; vous avez un ciel triste, et d’un bleu probable, qui sera compris de tous les bourgeois du Salon de 1838 ; grâce à vous, toute la nature semble poser pour un tableau moderne, et se draper pour être admirée de la foule à la prochaine exposition. Pour le chasseur… vous avez mille attraits ; toutes vos prévenances pour lui sont pleines de délicatesse ; votre souffle, ni chaud ni froid, lui permet de marcher pendant des journées entières sans fatigue ; votre soleil Locatelli le réjouit sans l’échauffer ; votre demi-mystère l’aide à se cacher, en lui laissant apercevoir sa proie. La moisson est faite, les granges sont remplies, et la terre qui se repose lui appartient, et ses pas s’impriment sans remords dans les sillons désœuvrés ; la vigne seule garde encore sa richesse, et tous ses trésors sont pour lui, et la grappe lourde et noire le désaltère, pendant que son chien attentif court ramasser sur le sable sanglant la perdrix qui vient de tomber. Oh ! pour eux, vous êtes aimable, vous avez d’enivrantes faveurs, vous avez même des promesses ; pour le poëte… vous n’avez rien. Pas un plaisir, pas une fête ; vous n’avez rien pour lui, cruelle ! Il vit de lumière, et vous êtes pâle ; il vit de chaleur, et vous êtes froide ; il vit d’avenir, et vous n’en avez plus ; il vit de parfums, et toutes vos fleurs sont fanées. Au printemps, du moins, il s’enivre de la senteur des roses et de l’éclat du jour ; l’été, la chaleur du soleil l’embrase ; l’hiver, la flamme du foyer l’inspire ; l’été, il rêve à l’ombre d’un chêne, il rêve auprès de l’âtre : le feu et le soleil sont les compagnons indispensables de sa vie ; sans eux, il mourrait, et dans leur attente il languit. L’automne, c’est pour lui une saison d’adieux, et les adieux sont encore plus tristes que l’absence ; car les adieux ne sont déjà plus la présence et pas encore le souvenir ; on se voit mal et l’on ne s’écrit pas encore. L’avenir, c’est se quitter ; dans l’absence, du moins, l’avenir c’est se revoir. Ainsi l’automne, qui n’a plus de soleil, n’a pas encore de feu ; il ne fait plus assez chaud pour les vêtements d’été, il ne fait pas encore assez froid pour les vêtements d’hiver ; il ne fait pas jour, il ne fait pas nuit ; la fenêtre n’est pas ouverte, la cheminée n’est pas habitée ; les appartements n’ont pas encore de tapis, et le vent souffle déjà sous la porte. Ô fatale automne ! saison de passage et d’ennui, de vagues désirs et de vains regrets ! Femme qu’on chérit encore et qu’on n’aime plus, tu n’auras jamais nos hommages ; tout rêveur est poëte, et nous sommes poëte par l’oisiveté ; et nous maudissons ta venue. Ne cherche pas à séduire le poëte avec tes grands airs de mélancolie ; s’il est sincère, il n’aura pas de chants pour toi, son luth se détendrait sur tes autels humides ; contente-toi de joindre à tes classiques attributs la palette du peintre et le fusil-Robert du chasseur.

Si nous sommes parfois déconcerté dans nos prédictions, nous sommes en revanche très-bien compris dans nos reproches, ce qui nous rend très-fier. Il est glorieux d’avoir de l’influence, même en riant, même lorsqu’on n’y prétend pas. Depuis que nous avons dénoncé la négligence des employés du chemin de fer, ils sont d’une exactitude exemplaire. Chez nous, pour bien agir, on a besoin de se savoir regardé : du jour où l’on se pique de bien faire son métier, on le fait bien ; l’important est de faire arriver le devoir à l’état de prétention. Alors vous pouvez être tranquille, on n’y manquera plus. Naguère le départ était en retard de trois quarts d’heure ; aujourd’hui on doit partir à midi, à midi précis on s’embarque, et huit cents personnes se placent en même temps dans les wagons, ce qui est prodigieux ; pourquoi ? parce que maintenant les employés comprennent l’importance de leur besogne, parce qu’ils se sont dit, comme les députés à la tribune : « Messieurs, la France entière nous contemple ! » et cela est vrai, car le chemin de fer est la grande pensée du moment. Il occupe tous les esprits, il éveille toutes les curiosités. Quelqu’un disait hier que depuis l’arrivée de la girafe rien n’avait fait tant de sensation à Paris. Pauvre girafe ! que de gens ont prédit sa mort ! On disait qu’elle ne s’acclimaterait jamais en France, comme on dit encore que les chemins de fer ne prendront jamais chez nous ; parce que nous, qui sommes un peuple léger, nous sommes malveillants pour ce qui est nouveau ; nous sommes curieux, mais nous restons incrédules. On disait aussi, le jour de son élévation, que l’obélisque tomberait et se briserait en morceaux ; et pourtant l’obélisque est debout sur sa hase, la girafe est en vie au jardin des Plantes, et, malgré les esprits fâcheux, vous verrez bientôt les chemins de fer parcourir tout le pays.

À propos du jardin des Plantes, on parle d’une belle collection d’oiseaux dont il vient de s’enrichir. Cela nous fait songer que nous avons vu hier chez un marchand d’oiseaux cette affiche : « À vendre séparément deux inséparables. » — « Mais ils mourront, si vous les séparez. — Non, monsieur ; quand on s’y prend adroitement, reprit le marchand, ces petits oiseaux supportent très-bien l’absence : on les laisse ensemble dans la même cage tout l’hiver, et puis au printemps, on les sépare, et ils ne disent rien. » N’est-ce pas là un mot ravissant ? Des oiseaux qu’on sépare au printemps !… ô civilisation !

Nous avons entendu hier aussi une bonne parole d’un cornac de sauvage. « Entrez, messieurs ! criait-il. ; vous verrez un sauvage comme vous n’en avez jamais vu, vous l’entendrez parler ; et la preuve de son existence, c’est qu’il fait lui-même son explication ! » Vous figurez-vous cet homme de la nature expliquant lui-même au public comme quoi il est sauvage ! c’est bien aimable de sa part.

Les théâtres s’agitent, leur saison est venue ; le soir on ne se promène plus ; le matin on va aux courses, ou bien au bois de Boulogne, et le soir on va au spectacle.

Cependant l’aspect de la ville est triste ; il n’y a plus ici que ceux qu’une contrariété y retient, ou ceux qu’une fâcheuse affaire y ramène. Les passants marchent vite, et tous portent quelque paquet à la main ; chacun semble craindre de manquer la diligence ; c’est de l’activité, mais une activité finale qui annonce un très-long repos. Quand donc irons-nous à notre tour demander au Midi un peu de soleil pour nous aider à attendre que ce bon hiver vienne avec son bon feu ? Ah ! si nous pouvions inventer un moyen de supprimer l’automne !… Les oiseaux de passage savent trouver en tous lieux la saison qui les fait vivre, pourquoi les hommes ne seraient-ils pas aussi spirituels que les oiseaux ? Hélas ! c’est qu’il leur manque des ailes.