Lettres galantes et philosophiques de deux nones/05

À Rouen, de l’imprimerie de Christine (p. 60-97).
Réponse



RÉPONSE.


Est-ce un songe, ma chère Christine ? ou si j’en dois croire mes yeux ? Ils ne peuvent suffire à voir tant d’holocaustes, ni mon imagination à les concevoir. Quoi ! tu n’avais pas encore deux lustres, et tu étais si bien instruite ? Ah ! permets-moi de te dire que je ne compte voir qu’en idée les quatre scènes lubriques dont tu viens de me régaler.

Je te vois venir, ma sœur Christine. La vanité nous tend quelquefois des pièges qu’il est presque impossible d’éviter. Le langage de la galanterie est aujourd’hui un langage à la mode. Tu as voulu te mettre sur les rangs, pour te donner sans doute un ton ; ou (je crois l’avoir deviné) pour ne pas souffrir qu’on t’humilie. Non, non, je ne rabattrai rien, sois en sûre, de ma petite arrogance. Tu es caustique par fois ; mais si jamais tu l’emportais sur une carmélite, je me donnerais presque au diable, pour m’élever au-dessus d’une ursuline.

Ne vas pas, ma sœur Christine, te piquer au jeu. Ni ta métaphysique, ni les réflexions qu’elle te fait naître, n’ont rien de révoltant. Je n’ai fait semblant de briser l’humeur, que pour un peu me divertir, et si tu te persuades que j’aie voulu rire à tes dépens, tu as la balle en main : il t’est loisible d’en user de même à mon égard : venons au point essentiel.

Tu me recommandes de ne point oublier le confessionnal : je t’entends. Tu soupires après quelques unes de ces scènes galantes qu’inspire la volupté, et tu voudrais savoir si nous n’aurions pas trouvé le secret, monsieur l’abbé et moi, d’en imaginer des nouvelles. Tu sens bien qu’une pareille découverte ne demande pas beaucoup de tems pour y réfléchir. Il n’est rien (qui d’entre nous l’ignore) de plus ingénieux que l’amour. Il lève toutes les difficultés ; il court, il va, il vient ; il franchit tous les obstacles. Enfin, monsieur l’abbé de L… est un prodige au-dessus de l’expression : oui, un prodige.

C’est peu de se représenter l’amour le plus tendre et le plus passionné, qui jette sur sa maîtresse les regards les plus lascifs ; qui, enchanté de lui faire goûter le bonheur brûle de ce feu charmant qui ne s’éteint que dans le réduit des sensations, dans ce temple délectable, où l’on fait volontiers des sacrifices à Vénus. C’est peu de se représenter le héros le plus galant, en habit de combat qu’une idée d’extase ravit à lui-même, et qui n’y revient bientôt, que pour doubler et tripler la victoire. Juge, ma bonne amie, juge des brillantes vertus de notre directeur.

Ah ! ma chère, qu’il est doux de pouvoir jouir des plaisirs dérobés ! qu’ils sont piquans ! S’ils n’offrent pas un chemin aisé, est-il au moins semé de fleurs, et la jouissance n’en est que plus parfaite. Ô ! que tu avais bien raison de dire que monsieur l’abbé de L…, n’était pas hérissé de scrupules, et qu’il n’avait rien des solitaires de la Thébaïde. Autant il aime les plaisirs, autant il narre avec noblesse, il embellit tous les sujets qu’il traite.

Après avoir soutenu avec moi les attaques les plus vives, sans avoir pourtant succombé, je le priai de vouloir bien m’éclairer sur la religion et la nature, en alléguant que, quelque effort que je fisse, il ne m’était guère possible de concilier l’un avec l’autre, parce que ces deux points essentiels me paraissaient inconciliables.

Volontiers, me répondit mon docteur ; et quoique j’en aie pour une bonne heure à parler, je trouve néanmoins que c’est exiger bien peu, pour vous tenir compte des sacrifices que vous venez de me faire. Souffrez que je vous fasse encore un baiser… Encore un… Ah ! qu’ils sont doux ! et qu’ils vont me rendre éloquent ! je commence. Nous naissons tous bons, et nos facilités intellectuelles ne se développent qu’avec l’âge ; encore est-il certains individus qui semblent être condamnés à rester toute leur vie au maillot. Vrais automates, ils ne savent pas démêler le mensonge de l’erreur ; ils vivent et meurent dans l’ignorance la plus crasse.

C’est le plus souvent des instructions que nous recevons dans le cours de notre jeunesse, que dépendent le bonheur ou le malheur de nos jours.

Êtes-vous garçon, on ne vous retire des mains de votre nourrice, que pour vous livrer, avec confiance, entre celles d’un pédagogue, qui ne manque pas de vous distribuer ses portions d’intelligence, et qui force quelquefois votre petit babil de se proportionner à la mesure de ses idées.

Êtes-vous une fille, on vous confine dans un cloître ; pourquoi faire ? pour bégayer le sentiment ; pour être, tout-à-la-fois, voluptueuse et libertine avec décence, pour vous apprendre, enfin, à joindre la pudeur aux grâces théâtrales.

Ne voilà-t-il pas, ma sœur, de beaux préceptes d’éducation ? Et ne conviendrez-vous pas qu’on ne saurait payer trop cher de semblables moralistes ? Poursuivons.

À peine le garçon a-t-il deux lustres complets, qu’on ne cesse de lui dire que son premier devoir est d’observer les lois, et de ne jamais les violer, sans s’embarrasser si elles sont humaines ou barbares. Dans le second on lui fait sentir qu’il faut aimer Dieu, la religion et ses ministres. On n’oublie pas sur-tout de lui déployer toute la légende des martyres ; de ces saints entêtés, qui ont mieux aimé périr par le fer ou par le feu, que de renoncer à des erreurs qu’ils ont sucées avec le lait. Il en est de même des filles : on calque dans leur esprit les mêmes principes, il en résulte les mêmes conséquences. Souvent la supérieure, dans le tems de la conférence (et vous le savez mieux que moi-même), ne manque pas de dire à ses jeunes pénitentes, qu’elles doivent être jalouses de leur virginité, tandis qu’elle ne rougit point de souiller la sienne par des accès luxurieux ; que pour attiédir les désirs de l’amour, il faut qu’elles jeûnent, prient et se macèrent, tandis qu’elle boit, mange et se divertit, enfin, que la religion est le point le plus important, et que quand il s’agit des intérêts du ciel, il faut absolument céder à la voix de Dieu, tandis qu’elle-même cède à celle du diable.

Voilà, ma sœur, quels sont, en abrégé, les documens qu’on grave dans nos cœurs ; et c’est à des pareilles institutions, qu’on nous force, en dépit du bon sens, de devoir nos idées : venons au chapitre de la religion.

Tout l’attirail de la religion, ma sœur, ne saurait avoir rien d’imposant pour les personnes éclairées : c’est un préjugé favorable à l’erreur, et il est nécessaire que le levain de la superstition subsiste. Quoique la plupart la regardent comme la boîte de Pandore ; quoiqu’un grand homme ait dit que, de toutes les erreurs la plus dangereuse, c’est l’erreur divinisée, son systême est néanmoins utile, en ce qu’il règle la multitude, et qu’il contient dans le respect la boue de la canaille.

Un homme érudit, par exemple, s’il est obligé de plier sous le joug du sacerdoce, il ne se soumettra que politiquement. Il sait que ses principes n’ont pour base que l’intérêt, et qu’ils sont destructifs, par conséquent, de la saine morale ; il sait que la tyrannie religieuse et politique, n’est visiblement entée que sur la superstition, et que quelque effort qu’on fasse pour abattre les têtes renaissantes de cette hydre cruelle, on n’en viendra jamais à bout ; il sait qu’il est des circonstances où il faut nécessairement révérer le mensonge ; que souvent la violence est inséparable de l’imposture, et que l’empire des prêtres, de ces dieux despotes et subalternes, ne serait pas de longue durée, si l’on sentait une fois le prix de la vérité.

Il sait, enfin, et la preuve en est convainquante, qu’il n’appartient qu’au sacerdoce de faire varier comme un thermomètre le dieu puissant qui les soutient. Ici c’est un tyran redoutable ; là c’est un père tendre. Tantôt on le peint armé de son foudre vengeur, devant qui tout l’univers doit trembler, et prêt à exterminer ses faibles créatures. Tantôt on le représente sous des traits plus radoucis, toujours animé du désir de nous secourir, aimant et chérissant ses pauvres enfans.

Quelle dissonance dans les opinions ! vous voyez, ma sœur, qu’on attribue à la divinité des vertus et des vices, ce qui est pourtant incompatible avec son essence ; et que ce mêlange périodique de variations, décèle l’ineptie et la stupidité de l’homme.

Chaque secte a sa religion à part. Les Mahomet, les Omar, les Ali, n’ont été que d’heureux imposteurs qui n’ont dû leur gloire qu’à la faiblesse et à l’imbécillité des peuples.

« Je suis, dit Jéhovah, un dieu jaloux, vindicatif, impitoyable. Hébreux ! je ne vous ai tirés des fers que pour servir à ma jalouse fureur.

» J’abandonne à votre rage, la personne et les biens de l’impie Cananéen. Dépouillez, exterminez des nations qui m’irritent par leur culte ; périsse tout mortel qui ne me connaît point ; que l’enfant à la mamelle, que la femme éplorée, que le vieillard débile, que la brute elle-même soient impitoyablement égorgée. Ne craignez rien, je marche à votre tête ; je dirige vos coups, j’applaudis et je récompense votre inhumanité ; je suis le dieu des armées. C’est moi qui crée le juste et l’injuste ; la vie et la mort sont à moi ; toute la terre est mon domaine : Obéissez et tremblez, car je suis le seigneur ; je venge la désobéissance des pères sur leurs enfans inconnus. Écoutez, s’écrie Molooch, Tyriens et Carthaginois ! je suis un dieu sanguinaire ; faites nager mes autels dans le sang. Pour me rendre favorable, que la flamme dévore vos enfans ; que la mère endurcie me présente d’un œil sec son fils palpitant. Mon oreille est charmée des cris de l’innocence ; mon odorat est flatté de La fumée des chairs brûlées : c’est en étouffant la nature, que l’on réussit à me plaire.

» Romains ! combattez avec fureur, (leur disent des dieux injustes, qui leur abandonnent la terre pour la ravager) ; que le guerrier se dévoue et périsse avec courage ; que la férocité soit pour vous la première des vertus ; vos dieux approuvent la rapine et le meurtre ; accomplissez leurs ordres cruels ; que vos bras victorieux fassent du monde entier le séjour du carnage ; que le genre humain soit égorgé sur l’autel de la patrie ; que la nature lui soit immolée sans pitié.

» Mexicains ! (dit un dieu sauvage) volez à la conquête ; attaquez vos paisibles voisins ; saisissez des captifs pour les égorger devant moi ; que leurs cœurs fumans me soient offerts. Je suis affamé de chair humaine ; songez à me rassasier, ou craignez mon courroux.

» Mortels, engendrés dans la colère ! (dit le dieu des chrétiens), prosternez vos fronts dans la poussière ; immolez votre raison ; sacrifiez-moi vos penchans les plus doux ; fuyez les plaisirs de la vie ; détachez-vous de vous-même et des objets que la nature vous rend chers : laissez un monde pervers ; je suis jaloux de votre cœur ; rendez-vous misérables ; que l’amertume et la tristesse empoisonnent vos jours : je ne vous ai donné l’être, que pour me repaître de vos douleurs ; ce monde n’est qu’un passage ou je prétends vous éprouver : souffrez, priez, gémissez ; affligez vous dans cette vallée de larmes ; j’aime à voir couler vos pleurs ; j’entends, avec plaisir les accens plaintifs de vos gémissemens : vos hurlemens suspendront peut-être mon tonnerre. Quel bonheur pour vous de me connaître ! Sachez que je réserve des tourmens éternels à quiconque ignorera mes volontés énigmatiques. La raison m’est en horreur, je vous en défends l’usage ; vivez dans les alarmes ; nourrissez-vous dans les frayeurs ; méditez mes jugemens : le tems ne mettra point de borne à ma vengeance, aussi cruelle que durable ».

Que faut-il conclure, ma sœur, de toutes ces brillantes hypothèses ? Qu’elles sont autant d’extrêmes de la démence humaine ; que toute la théologie n’est qu’un pur jeu de mots ; que les vérités du papisme n’ont pas plus de forces que celles du koran ; qu’on n’a fabriqué les deux et sous leurs cultes, sous le voile du mystère et de l’allégorie, que pour mieux en imposer à l’écume de la populace.

Les Marc-Aurelle, les Antonin, les Trajan, les Titus ne se sont montrés véritablement hommes, que parce qu’ils étaient armés d’une juste défiance contre tout culte, contre toute superstition. Les a-t-on jamais vu se soulever pour des opinions, s’égorger, se haïr, se déchirer mutuellement comme des bêtes féroces ?

Je vais déclamer ici, ma sœur, contre mes propres intérêts. Il n’en est pas de même des ministres de notre religion. Les plus intolérans sont presque toujours les plus révérés, et notez que ce sont ordinairement les plus stupides.

Ces vils instrumens de la rage papale, ne cessent de flétrir la mémoire des grands hommes, et de la condamner à l’oubli. Il semble que la supériorité des talens offusque ces idiots ; elle leur sert de prétexte, pour ne commettre l’injustice humaine, que pour plaire, disent-ils, à la justice divine.

Prenons pour exemple un Arouet de Voltaire, un Jean-Jacques Rousseau. On accuse ces deux flambeaux de la philosophie, de blasphême et d’athéisme. Pourquoi ? Parce qu’il s’expriment l’un et l’autre par la bouche de la vérité ; parce qu’ils ne croient pas plus au mahométisme qu’au catholicisme, et que la religion n’est, selon leur systême, qu’une opinion philosophique. Enfin, parce que les Juifs, les Guebres, les Arabes, les Lapons, sont des hommes comme eux, et qu’en cette qualité ils ont droit à leur estime et à leur bienveillance.

Ô, ma patrie ! ne rougiras-tu jamais des excès honteux où te plongent le fanatisme et la superstition ! Jusqu’à quand souffriras-tu qu’on substitue le masque de l’hypocrisie à celui de la vertu, et qu’on couvre les plus grands crimes du manteau sacré de la religion ?

Je vous le demande, ma sœur, est-on en droit de persécuter les hommes, parce qu’ils n’auront pas la même croyance, et qu’ils ne penseront pas comme le clergé ?

L’hommage du cœur doit être sincère, et au lieu d’ordonner, la foi se persuade. Tel est, ma sœur, tel est le sentiment des plus grands philosophes de l’antiquité, et en particulier de Cassiodore, qui soutient qu’il y a toujours de l’injustice à tyranniser les consciences, et que la force attire plutôt des hypocrites que des croyans.

Adorons Dieu, ma sœur, dans le fond de nos cœurs ; suivons pas à pas la nature, soyons justes ; aimons notre prochain comme nous-mêmes, voilà la religion primitive ; c’est celle qu’il faut adopter : mais de croire qu’un morceau de pain est l’Être suprême, et que l’ânesse de Balaam a parlé, c’est véritablement le comble de la turpitude.

Ici j’interrompis monsieur l’abbé, pour lui dérober une caresse, et pour lui dire qu’étant un enfant de la raison, il s’exprimait comme elle.

Je suis, ajoutai-je, on ne peut pas plus satisfaite de vos observations sur tous les cultes ; il ne vous reste actuellement qu’à disserter la nature, et je ne doute point que vous ne vous en tiriez avec le même honneur.

Pour vous bien définir, ma sœur, ce qu’on entend par le mot de nature, ajouta mon abbé, je ne pourrais tout au plus vous donner qu’un rechauffé sur cette matière ; mais écoutez un de mes confrères, plus spirituel que moi, et plus voluptueux peut-être. C’est monsieur l’abbé T… qui parle à madame C…

« La nature, dit-il, est un être imaginaire, un mot vuide de sens. Les premiers politiques, embarassés sur l’idée qu’ils devaient donner au public du bien et du mal moral, ont imaginé un être entre Dieu et nous, qu’ils ont rendu l’auteur de nos passions, de nos maladies, de nos crimes. Comment, en effet sans ce secours eussent-ils concilié leur systême avec la bonté infinie de Dieu ? D’où eussent-ils dit que nous venaient ces envies de voler, de calomnier, de violer, d’assassiner ? Pourquoi tant de maladies, tant d’infirmités ? Qu’avait fait à Dieu ce malheureux cul-de-jatte, né pour ramper sur la terre pendant toute sa vie ? Un théologien nous dit à cela : ce sont des effets de la nature. Mais qu’est-ce que c’est que la nature ? Est-ce un autre dieu que nous ne connaissons pas ? Agit-elle par elle-même et indépendamment de la volonté de Dieu ? Non, dit encore sèchement le théologien. Comme Dieu ne peut pas être l’auteur du mal, le mal ne peut exister que par le moyen de la nature. Quelle absurdité ? Est-ce du bâton qui me frappe dont je dois me plaindre ? n’est-ce pas de celui qui a dirigé le coup ? n’est-ce pas lui qui est l’auteur du mal que je ressens ? Pourquoi ne pas convenir une bonne fois, que la nature est un être de raison, un mot vuide de sens ; que tout est Dieu, que le mal physique qui nuit aux uns sert au bonheur des autres ; que tout est bien ; qu’il n’y a rien de mal dans le monde, eu égard à la divinité ; que tout ce qui s’appelle bien ou mal moral, n’est que relatif à l’intérêt des sociétés établies par les hommes, mais indifférent à Dieu par la volonté duquel nous agissons nécessairement d’après les premiers principes du mouvement qu’il a établi dans tout ce qui existe ? Un homme vole, il fait du bien par rapport à lui, du mal par son infraction à l’établissement de la société, mais rien par rapport à Dieu. Cependant je conviens que cet homme doit être puni, quoiqu’il ait agi nécessairement, quoique je sois convaincu qu’il n’a pas été libre de commettre son crime ; mais il doit l’être parce que la punition d’un homme qui trouble l’ordre établi, fait méchaniquement par la voie des sens, des impressions sur l’âme, qui empêchent les méchans de risquer ce qui pourrait leur faire mériter la même punition, et que la peine que subit ce malheureux pour son infraction, doit contribuer au bonheur général, qui est préférable, dans tous les cas, au bien particulier. J’ajoute encore que l’on ne peut même trop noter d’infamie les parens, les amis et tous ceux qui ont eu des habitudes avec un criminel, pour engager, par ce trait de politique, tous les humains à inspirer mutuellement entr’eux de l’horreur pour les actions et pour les crimes qui peuvent troubler la tranquillité publique : tranquillité que notre disposition naturelle, que nos besoins, que notre bien-être particulier, nous portent sans cesse à enfreindre ; disposition qui ne peut être absorbée dans l’homme que par éducation ; qu’au moyen des impressions qu’il reçoit dans l’ame, par la voie des autres hommes qu’il fréquente ou qu’il voit habituellement, soit par le bon exemple, soit par les discours ; en un mot par les sensations externes qui, jointes aux dispositions intérieures, dirigent toutes les actions de notre vie. Il faut donc éguillonner, il faut nécessiter les hommes à s’exciter entr’eux à ces sensations utiles au bonheur général ».

Voilà, ma sœur, ce qu’on peut dire de mieux sur dame nature, et ce qui est avoué par tous les êtres pensans. En se conduisant d’après ces principes, il n’y a pas de risque qu’on s’égare ; on ne peut que marcher dans un chemin battu.

C’est à cette mère sage que nous sommes redevables, ma sœur, des plaisirs sensuels que nous avons goûtés il n’y a qu’une heure. Pour lui en témoigner notre entière reconnaissance, êtes-vous d’avis, ma sœur, que nous recommencions nos travaux spirituels ? Prononcez.

Sollicitée par l’appétit, et avec le tempérament que tu me connais, ma chère Christine, tu sens bien que je ne demandais pas mieux, et qu’une religieuse ne renonce à une telle partie, que lorsque sa partie l’abandonne.

Puisque vous voulez, dis-je à monsieur l’abbé, que nous tâtions encore, avant de nous quitter, du fruit défendu, à Dieu ne plaise de vous désobéir. Vous parlez à mon cœur un langage plus intime que celui de l’amitié. Montez sur cette chaise ; vous cueillerez plus facilement, au milieu des branches, la pomme fatale qui séduisit Adam.

Volontiers, me répliqua notre homme au bonnet quarré ; et après m’avoir glissé dans la main ce serpent séducteur qui tenta jadis notre mère commune, placez-le, me dit-il, dans le quartier de réserve, et placez-le de manière qu’il puisse prendre son essor ; sur-tout, dirigez bien la tête dans son intromission.

Mais l’abbé, repris-je… Je vous entends, continua-t-il, n’apprehendez pas que la piqûre du serpent vous cause le moindre danger ; il y a long-tems que je suis initié dans le genre du mystère, et j’aurai soin de… de lui faire darder son venin ailleurs que dans votre mat…

Excitée déjà par le précurseur de la jouissance, je ne tardai pas, chère Christine, à savourer le plaisir physique occasionné par cette liqueur divine qui plonge notre âme dans le ravissement.

Ah, l’abbé ! m’écriai-je dans le fort de mon extase, quels frémissemens de volupté ! qu’ils sont enchanteurs ! Ô que ton serpent est une bête aimable… Poursuis, vilain abbé… Ah !… Poursuis… Mais non… Achève pourtant… Vierge sainte,… je… je… je me fonds.

M. l’abbé, qui avait promis de me ménager, fut l’esclave de sa parole. Son docteur s’était échauffé dans le fort de la mêlée. Il était brillant et fier comme un champion qui dispute dans l’arêne le prix du vainqueur. Je le saisis tout écumant ; et après l’avoir colleté au milieu du corps, ma main força ce rebelle à la capitulation. Bientôt il rendit les armes, comme tu peux te l’imaginer. Quelques gouttes répandues de cet esprit divin, furent le signal de sa retraite. Fière de ma conquête, je demeurai maîtresse de la place, et je me retirai avec tous les honneurs de la guerre.

En entrant chez moi, j’y trouvai sœur Marianne qui était on ne peut pas moins disposée à observer les vœux de chasteté qu’elle et moi nous avions promis de suivre en endossant la guimpe, et en jurant involontairement aux pieds des autels, que nous renoncions au monde et à toutes ses pompes.

Ah ! qu’il fait chaud, ma chère Agathe, me dit la sœur Marianne, en me voyant entrer, et en m’embrassant de tout son cœur. Je suis aujourd’hui d’une langueur, ajouta-t-elle, qu’il n’est pas en mon pouvoir de définir.

Et moi, lui dis-je, je suis d’une joie, mais d’une joie qu’il est presque impossible de comprendre.

Je t’en félicite, répondit ma camarade : tu viens, peut-être, d’ébaucher une scène de galanterie avec le nouveau directeur ?

J’ai fait plus, ajoutai-je, car je l’ai terminée par une ample libation du baume de vie ; et je t’assure qu’un pareil acte vaut bien une kirielle de morale.

Ah ! ma chère Marianne, continuai-je, on ne peut connaître la valeur des plaisirs de l’amour, que dans les bras d’un homme. Quoique nos confidences rendent nos sensations communes, et que tu t’en tiennes ordinairement au jeu de la petite oye ; quoique nous mettions souvent en usage les différentes attitudes que la volupté nous fait varier, pour assouvir nos passions, toutes ces ressources, tous ces rafinemens ne présentent rien, en comparaison de l’hallebarde masculine ; ils n’en sont qu’une ombre très-faible.

Ici sœur Marianne m’arrêta pour me prier de lui dire ce que j’entendais par une hallebarde masculine. J’avais encore l’imagination pleine du trait vigoureux de mon abbé, et je n’eus pas besoin de penser creux pour répondre.

Je lui dis de se figurer une lance qu’un amant tient toujours en arrêt lorsqu’il veut percer sa maîtresse. J’ajoutai, par interim, qu’il y en avait de courtes, de longues, de grosses, de moyennes, et qu’elles étaient ordinairement proportionnées, soit pour la longueur, soit pour la grosseur, à l’arbre sur lequel elles étaient entées.

Enfin, je conclus par l’assurer que quoique toutes les lances fussent des instrumens aigus, celles dont je voulais parler ne piquaient agréablement que lorsqu’elles faisaient brèche.

Satisfaite de ma définition, elle me saute au cou, me serre étroitement, et me renverse sur le lit. Que veux-tu donc faire, lui dis-je, ma chère Marianne ?… Ah ! j’ai allumé ton imagination par la vivacité de mon langage, et tu veux que nous exécutions ponctuellement une scène mystique. Hé bien ! soit, range-toi comme il faut ; voyons ta mon… ; elle n’est pas encore bien ombragée, mais cela viendra.

Tiens, regarde la mienne, je la trouve charmante. Si je ne me trompe, elle peut amplement fournir la matière d’un éloge libertin. Vois, ma chère amie, vois comme elle est hupée ; c’est une espèce de pagote, qui, dans la rigueur de l’hiver, peut me servir de fourrure.

Plaçons nous comme il faut, ma chère Marianne, que rien ici ne nous incommode ; mais avant que d’entrer en lice, ne serait-il pas de la prudence et de la sagesse de tirer le rideau de la fenêtre ? qu’en penses-tu, ma bonne ? attends. La lumière du soleil est, à ce qu’on assure, plus préjudiciable aux tendres jeux de l’amour, que l’ombre de la nuit.

Déjà nous soupirions l’une pour l’autre, et bientôt nous nous appareillons, pour commencer notre joute. La main officieuse de Marianne se place avec nonchalance sur ma crinière velue ; elle essaie de me transporter violemment par l’ardeur du plaisir. Non moins officieuse que la sienne, la mienne ne se refuse point à l’agréable badinage qui doit la conduite au faîte de la volupté.

Mais, ma chère Christine que je trouvai Marianne susceptible ce jour-là ! Son jeune pucelage n’était qu’une fleur à peine éclose ; on eût imaginé sans peine que la rose était encore dans son bouton. À peine eut-elle éprouvé le plus léger chatouillement, qu’un délire enchanteur l’anime et la transporte. Revenue de cette première jouissance, elle perd tout-à-coup la parole ; et sa voix expirant sur ses lèvres, je la crus anéantie.

Marianne, ma chère Marianne, m’écriai-je pendant quelques minutes, où es-tu ? que fais-tu ? comment te trouves-tu ? Eh quoi ! tu sommeilles ?

Oui, je sommeille, me dit alors la friponne en souriant. Es-tu fâchée que le plaisir m’endorme ? Ah ! ma chère Agathe, que ta main est divine ! tout devient parfait sous tes doigts. Quel art ou plutôt quel magie emploies-tu pour épurer le plaisir, et pour élever l’âme jusqu’au troisième ciel ? Lorsque sœur Marianne fut devenue tranquille, et qu’elle eut recouvré l’usage de ses sens, je la félicitai sur son heureux naturel, et je ne manquai pas de lui faire observer qu’elle était en reste avec moi, et qu’il fallait au moins que je tirasse mon épingle du jeu. Auſſi-tôt sa main lâronesse ne poursuivit sa découverte, que pour contribuer à mes plaisirs. Oui, me dit-elle ingénûment, ton temple de l’amour a trop d’appas, pour ne pas lui rendre des hommages. Plus je l’examine, plus je le trouve digne du sacrifice. Approche, ma chère Agathe. Il ne sera pas dit que tu auras été spectatrice bénévole de mes jouissances. Mais, dieux ! quelle énorme toison ! c’est une épaisse forêt… ma main s’y perd.

Fais-je bien, ma chère Agathe ? sens-tu déjà quelque émotion ? mes doigts, ces doigts libertins, te payent-ils d’un tendre retour ? Parle, réponds. Sont-ils aussi ingénieux que les tiens à provoquer au plaisir ? Mais quoi ! tu ne dis mot. Ah ! je te comprends ; tu veux user de représailles ; tu ne veux devoir de réponse qu’aux élans de la volupté.

Ah, Marianne ! lui dis-je alors ; ma chère Marianne, que tu me rends heureuse ! Dans ce moment je te dois mon bonheur. Achève, ma bonne, de rassasier mon appétit. Douce volupté, qui peut jamais oublier tes bienfaits ! Dieux puissans !… Quelles délices !… En goûtez-vous de pareilles ?… C’en est fait… Marianne !… Je… Je suc… combe.

Satisfaites l’une de l’autre, nous abandonnâmes, ma chère Christine, la couche sacrée où nous venions de sacrifier, et nous continuâmes de nous entretenir sur la nature des plaisirs que j’avais largement goûtés avec monsieur l’abbé de L…

Comment as-tu pu faire, me disait la chère sœur Marianne pour te prêter aux caresses enflammés de monsieur le directeur ? La grille, ce me semble, est un obstacle insurmontable, et je croirais qu’il est presque impossible de s’y voir couronner par les mains de l’amour.

Que tu es encore novice, dis-je à la sœur Marianne, et que tu es bien peu familiarisée avec les ruses claustrales. On ne donne point, sois en sûre, des conseils à l’amour, c’est un dieu bienfaisant, et qui prend soin de nous inspirer.

Écoute comment monsieur l’abbé de L… et moi nous nous y prîmes (toujours sous la sauve-garde de l’amour) pour satisfaire notre aptitude aux plaisirs sensuels.

Notre unique soin, et il faut en avoir en pareil cas, fut de bien nous barricader ; lui du côté du parloir ; et moi du couvent.

Nos premières batteries ainsi disposées, nous n’avions rien à craindre des ennemis du dehors, et nous pouvions, en toute sûreté, travailler au plan de notre bataille. Si, au milieu de l’action, il nous survient quelque escarmouche, disions-nous, nous en serons quittes pour battre en retraite, et on ne pénétrera pas du moins tous nos projets de campement.

Tranquilles sur cet objet, nous avisâmes aux moyens d’en venir aux expédiens. De mon côté, je m’armai promptement de deux chaises, que je mis l’une sur l’autre en forme de fascines : elles m’étaient d’un grand secours, en ce qu’elles devaient me servir de point d’appui lorsqu’il plairait à monsieur le directeur de diriger la pointe de son canon tout vis-à-vis ma demi-lune. Monsieur l’abbé, de son côté, avait été plus diligent ; il n’attendait que la fin de mes préparatifs. Heureusement ils ne furent pas longs. Le chef du combat donna le signal, et nous montâmes à l’assaut.

Avant d’arborer le pavillon, j’eus soin d’ouvrir la barrière : c’était une petite fenêtre qui est ordinairement au milieu de la grille. Bientôt mon postérieur, qui pouvait le disputer aux belles fesses de Vénus, et que je présentai à cette issue, fut assiégé comme une citadelle.

Je sentis, aux coups violens qu’elle reçut, que le canon avait fait brêche. Quatre fois la gargousse sortit de son embouchure, et quatre fois elle y rentra. Enfin, après avoir assiégé la place dans toutes les formes, nous abandonnâmes le camp. Monsieur l’abbé se retira dans son presbytère, et moi je fis voile du côté de ma cellule.

Et la grille qui vous servait de barrière, me dit alors sœur Marianne, que devint-elle ?

Que veux-tu qu’elle devînt, répondis-je ; nous l’avons laissé à sa même place.

Comment, répliqua-t-elle, elle s’est sauvée ? elle était entre deux feux, et elle n’a pas fondu ? Ah ! je vois bien qu’on n’a pas eu le bonheur de pénétrer jusqu’au retranchement.

Un baiser, que je lui appliquai sur la parole, fut le prix de sa réflexion, qui me fit pâmer de rire. Je la vis bientôt m’ouvrir voluptueusement ses bras, et se précipiter de rechef avec mollesse sur le grabat qui avait été plusieurs fois l’humble témoin de nos faiblesses, s’il faut donner ce nom au doux penchant de la nature.

Si j’avais eu quelque talent pour la peinture, et que j’eusse essayé de crayonner la lassiveté, j’aurais choisi l’attitude ou était précisément la sœur Marianne. Nonchalamment étendue, sa chemise à demi levée, et ses cuisses un peu éloignées, c’était ainsi, ma sœur Christine, que mon égrillarde invoquait de rechef le dieu du plaisir.

Tu rends les choses, me dit-elle, avec tant d’art, de finesse et d’expression, qu’il n’est pas possible d’y résister ; tu animerais, je crois, le marbre. Mon imagination est tellement échauffée, qu’elle porte le feu dans toutes mes veines ; ce qui fait que je cherche à me procurer ces plaisirs inexprimables que tu as eu le bonheur de goûter dans les bras du directeur. Ah ! ma chère Agathe, ajouta-t-elle, pourquoi le malheureux destin me refuse-t-il un canon ? Avec quelle avidité je le saisirais ! qu’avec plaisir je le placerais dans mon embouchure !

Comme sœur Marianne ne connaissait pas encore l’usage des god…, il me vint dans l’esprit, de lui en faire voir un, et de lui faire goûter un bonheur auquel elle ne s’attendait peut-être pas.

Je l’aimais trop, d’ailleurs, pour la priver d’un secours imaginaire, qui, sans avoir rien de la réalité qu’on lui prête, ne laisse pas néanmoins que d’être utile, et de servir au besoin.

Hé bien ! puisque tu soupires après un canon, dis-je à sœur Marianne, tiens en voilà un, rassasie toi.

Ah ! c’est donc là, s’écria-t-elle, toute émerveillée, l’instrument agréable auquel tu donnais le nom singulier de hallebarde masculine ? Vraîment, il est assez drôle ; il me paraît que tu entends assez bien la lésine. Voyons, que j’essaie de te parodier.

Mais, reprit-elle par reflexion, ces deux gros grélots qui sont au-dessous de cette méchanique, ma sœur, de quelle utilité peuvent-ils être ?

On les a placés là exprès, répondis-je, pour faire l’arrière-garde, et pour empêcher qu’en se polluant trop fort, le goujon ne s’égare dans la cavité, et ne nage malheureusement, non pas dans l’eau douce, mais bien dans l’eau salée.

Pendant que je perorais, ma gaillarde ne perdait pas de tems : elle le mettait si bien à profit, que déjà l’épée était enfoncée jusqu’à la garde. Sans doute que le sentiment du plaisir l’emporta sur celui de la douleur, puisqu’au moment même de l’érection, elle ne poussa pas le moindre cri.

Ah ! ma sœur s’écriait-elle par intervalles, par quelle espèce de gratitude puis-je gratifier ta bienveillance ? c’en est fait de mes jours, ajoutait-elle un moment après. Trop de sensibilité m’épuise ; la raison m’égare, et je perds tout sentiment. Oh !… Oh !… Agathe ! chère divinité !… oui… oui… j’ar… j’arrive au port…

Avec quelle attention scrupuleuse, n’examinais-je pas, ma sœur Christine, les mouvemens accélérés et périodiques que faisait la sœur Marianne ! que de sanglots ! que de soupirs, que d’élans, occasionés sans doute par les jeux lascifs de mon amante ! ses yeux étaient pleins de feu, et son visage du plus bel incarnat. Sa gorge, plus blanche que l’albâtre, graduait à merveilles le flux et le reflux. Que te dirai-je de ses fesses ? elles trémoussaient, ainsi que ses cuisses ; il semblait que toutes les parties de son corps fussent en convulsion.

J’étais remplie, ma chère Christine, d’une satisfaction que je ne puis décrire. J’étais contente assurément du doux plaisir que se procurait la sœur Marianne, et j’avais l’âme trop noble pour en être jalouse. Malgré tout cela, je sentais un battement de cœur qui me suffoquait et qui me coupait la parole. Enfin le charme cessa. Marianne fit trêve avec le plaisir, et elle rendit, par ce moyen, le calme à mes esprits.

Je ne sais où j’en suis, me dit-elle en se levant. Je me trouve encore tout étourdie des vapeurs délectables qui ont pénétré mon âme. Tiens, voilà ton bijou, cet adorable bijou qui m’a rendu si joyeuse ; cache-le bien, ma bonne amie, et prends garde sur-tout de ne pas l’égarer. Elles joignit les instances les plus vives aux caresses les plus touchantes. Cette nouvelle manœuvre avait son but ; elle voulait exiger de ma complaisance, que je lui apprisse par quel canal j’avais eu le bonheur de me procurer un semblable lavabo.

Je suis femme, lui dis-je ; et quoiqu’on en dise de la fragilité de notre sexe, quand je promets un secret, je le tiens. La personne ajoutai-je, qui m’a fait ce présent, ma chère Marianne, est un sujet trop respectable pour t’en révéler le nom. En me remettant ce joujou, il me somma de la fidélité que l’on se doit réciproquement. J’en suis esclave comme tu vois.

Sœur Marianne avait du bon sens, elle n’insista plus. Comme l’heure du dîner s’approchait, elle se retira dans sa cellule, et moi je pris mes tablettes, pour y consigner les scènes brillantes dont j’avais été témoin, et que j’avais en partie réalisées.

Mon dessein, en le rangeant ainsi par ordre, était de les faire passer un jour à la postérité la plus reculée ; mais, ma sœur Christine, que de Midas, dont l’univers fourmille, vont se récrier contre une pareille production, si jamais elle paraît au grand jour !

Il n’y a pas, diront-ils, une seule page de sentiment dans toute cette brochure. Ce n’est qu’un tissu de sales débauches, d’irréligion et d’impiété. L’auteur, ajouteront-ils, en s’appropriant toutes les gradations du libertinage, a donné dans les écarts les plus honteux et les plus infâmes : c’est un âme basse, un individu sans mœurs, et fait pour être proscrit de la société civile.

Tel est à-peu-près le langage de ces ogres qui déchirent le genre humain ! Mais, ma sœur Christine, que m’importent leurs hurlemens, ce n’est pas pour eux que j’écris. Ton suffrage me vaut mieux que celui de toutes les universités du monde ; et pourvu que je t’amuse, mon cœur est satisfait. Hâte-toi, ma chère Christine, de me faire savoir de tes dernières nouvelles. Je suis impatiente d’apprendre quel a été le sort du petit Étienne, et la fin de tes intrigues. Porte-toi bien, ma bonne amie.      Agathe.

Supplément. Au moment même où je livre ma missive au mercure galant, nous présidons à l’élection d’une nouvelle dépositaire. La religieuse qui était chargée de cette auguste fonction, a été obligée de rendre ses comptes, par ordre du conclave. On la soupçonnait de divertir largement les espèces. Le sacristain qui faisait la desserte de l’église, et qui avait de fréquentes entre vues avec sœur Augustine, vient aussi d’être congédié. Les malins ajoutent que monsieur le sacristain ne brillait qu’à nos dépens, et que madame la dépositaire avait pris, avec ce drille, plus d’un ébat clandestin. Il n’avait rien cependant qui parlât en sa faveur, car c’était un vilain magot : le portait-il beau ? C’est ce qu’il faudrait demander à la sœur Augustine.