Calmann-Lévy (p. 55-60).

IX


Paris, 2 juillet 1839.


Très chère maman,

Me voilà donc en vacances ! La voilà donc passée, cette année qui m’a semblé si courte, tant elle a été heureuse pour moi Aussi je bénis sans cesse le bon Dieu d’avoir permis que je redoublasse ma seconde, puisqu’en redoublant j’ai trouvé une classe choisie, et conservé un professeur bien aimé. La bonté de Monsieur Bessières, l’affection que je crois avoir trouvée en lui pour moi, et qui me rappellerait si bien celle de mes anciens professeurs, laissera en moi un bien profond souvenir, et excite aussi dans mon cœur un vif regret d’être obligé de le quitter. D’un autre côté, la classe de seconde était vraiment l’élite des classes. Figurez-vous vingt-trois jeunes gens, tous sincèrement et solidement pieux, plusieurs d’une vertu supérieure, parmi lesquels cinq ont été jugés dignes de recevoir la tonsure, tous se destinant à la vocation du sacerdoce, peut-être à une seule exception près. Ajoutez à cela que, parmi ces vingt-trois élèves, il y en a plusieurs doués de talents très remarquables, d’une intelligence étonnante, deux ou trois qui, j’en suis sûr, seront des hommes supérieurs ; au milieu de tout cela une variété surprenante de caractères, chacun ayant le sien bien déterminé, et néanmoins tous étant unis pour le bien et pour une même intention voilà la classe de seconde ; jugez si c’est à tort que j’y suis si attaché.

Cette année si heureuse s’est heureusement achevée et même, je dois l’avouer, le succès a surpassé mon attente. Il ne m’appartiendrait pas de vous annoncer les succès que j’ai pu obtenir ; cependant je vous dirai que j’ai obtenu le second prix d’excellence, les premiers prix de version latine, version grecque et narration latine, ainsi que le second d’histoire ; j’ajouterai même, vanité à part, que je crois que personne dans la classe n’en a obtenu autant. Je n’ai rien eu en vers latins, narration française et examens, pas même un accessit. Vous savez que les compositions des prix comptent autant que la moitié de toutes celles de l’année. Ainsi, si on a composé six fois en une faculté, celle des prix comptera pour trois. Le second prix d’excellence, je l’ai obtenu ex æquo avec Henri Nollin ; Alfred Foulon[1] a obtenu le premier. Il est impossible de se suivre de plus près que nous ne l’avons fait durant cette année, surtout vers la fin. Nollin et moi nous étions toujours à deux ou trois points de différence ; pour Foulon, il a conquis au second trimestre un certain avantage sur nous deux. J’ai été hier chez ce cher ami, conduit par un autre de mes condisciples, qui partait pour Chartres. Je l’ai trouvé, rue Notre-Dame-des Victoires, dans une petite chambre très propre, mais sans luxe, au quatrième, assis et lisant auprès de sa mère, qui travaillait auprès de la fenêtre. Ceci m’a rappelé votre souvenir, ma chère maman, et j’ai trouvé une conformité singulière entre la vie d’Alfred Foulon et la mienne, quand j’étais auprès de vous. Qu’il est heureux ! il est auprès de sa mère J’ai cru vous voir là-bas dans vos mansardes, ma bonne et excellente maman

Nous partons aujourd’hui pour Gentilly, chère maman. J’espère bien m’amuser ces vacances ; plusieurs de ceux qui restent sont mes amis particuliers ; Foulon lui-même doit y venir bientôt, car le séjour de Paris n’est favorable ni à la santé, ni aux délassements, ni surtout à la vertu, durant les vacances. Je vous écrirai plus souvent, et je vous donnerai de plus amples détails sur nos amusements. Le mardi est consacré à de grandes promenades, soit à Versailles, soit à Saint-Germain, Saint-Denis, Vincennes, Montmorency, etc. Par semaine, on a trois classes, d’une heure chacune et quelque petit temps d’étude. Toutes les après-midi de tous les jours sont consacrées à la promenade ainsi vous voyez que ce n’est point le travail qui peut nous faire mal. Le très cher Guyomard va venir avec nous à Gentilly depuis quelque temps, il est beaucoup mieux, et j’espère que l’air de la campagne lui fera du bien. J’envie le bonheur du cher Liart, qui va bientôt vous voir, ainsi que sa chère Bretagne. Henriette m’a dit qu’Alain avait déjà fait son voyage à Tréguier mais ce n’a été qu’une courte apparition, à ce qu’il paraît ; j’ai été bien surpris et en même temps peiné, quand j’ai appris que notre bon frère n’avait pu passer plus longtemps avec vous. Notre distribution de prix a été très belle et très nombreuse. Monseigneur l’Archevêque nommé de Paris, plusieurs autres prélats, parmi lesquels l’internonce du Pape, y assistaient. La séance a commencé par plusieurs lectures fort intéressantes de pièces de la composition des élèves. J’ai eu de beaux ouvrages pour prix les Œuvres choisies de Saint-Augustin, en deux volumes, Homélies choisies de Saint-Jean-Chrysostome (un volume), la Perfection chrétienne, traduite de l’espagnol, du père Rodriguez ; enfin la Bibliothèque du Prédicateur (deux volumes), que j’ai échangée contre l’Histoire des Variations des Églises protestantes (trois volumes) par Bossuet.

Adieu, ma très chère maman, vous savez combien je vous aime, je n’ai pas besoin de vous le répéter adieu, une dernière fois. Votre fils bien respectueux et dévoué sans réserve.

ERNEST



  1. Joseph-Alfred Foulon fut plus tard cardinal-archevêque de Lyon et primat des Gaules, de 1887 à 1893.