Lettres du dehors sur l’Assemblée nationale/02

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Lettres du dehors sur l’Assemblée nationale
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 95 (p. 472-478).
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CORRESPONDANCE

A M. LE DIRECTEUR DE LA REVUE DES DEUX MONDES.

Bâle, 12 septembre.

Monsieur,

L’assemblée nationale n’a point démenti les prédictions de ceux qui avaient foi en sa sagesse. Si elle n’a pas voté précisément la proposition Rivet, ce qu’elle a voté s’en rapproche beaucoup. Elle a changé l’étiquette du sac ; mais ce qui importe aux gens sérieux, ce n’est pas ce qu’on écrit sur un sac, c’est ce qu’il y a dedans. Il est vrai qu’en accordant quelque chose au gouvernement l’assemblée a tenu à s’accorder quelque chose à elle-même : elle s’est proclamée assemblée souveraine, et s’est attribué en cette qualité le pouvoir constituant. La différence est grande toutefois entre un droit qu’on s’attribue et un droit qu’on exerce. Il n’y a guère que les jeunes assemblées qui aient l’humeur constituante ; à mesure qu’elles vieillissent, elles sont moins disposées aux grands efforts, moins amoureuses des grandes responsabilités ; elles sentent toujours plus qu’elles ont à compter avec les événemens, qui sont leurs maîtres, et avec les électeurs, qui sont leurs juges. — On nous met en demeure d’écrire un chapitre du livre, s’écriait l’un des membres les plus spirituels de la majorité ; nous nous proposons d’écrire le livre tout entier. — Fort bien ; mais en attendant le premier chapitre est fait et publié, et, à supposer que les autres soient écrits dans le même style, ce n’est pas le centre gauche qui s’en plaindra. Si vous me pardonnez la familiarité de cette comparaison, la majorité vient de pondre un œuf de poule, en se réservant le droit de le couver et d’en faire éclore un canard. Un naturaliste de mes amis, à qui j’ai soumis le cas, prétend que c’est impossible. Je ne vais pas si loin, je crois aux miracles en politique ; seulement il en est de fort difficiles, et, pour vous dire là-dessus toute ma pensée, non-seulement je souhaite que celui-ci ne se fasse point, mais il me paraît désirable que ni l’assemblée nationale ni celles qui lui succéderont ne fassent usage de leur droit de constituer. La France a déjà fait et défait tant de constitutions ! C’est de bonnes lois qu’elle a besoin, et de bien meubler sa. maison, non de la démolir et de la rebâtir à tout coup. Son avenir serait assuré, si elle se décidait à en finir à jamais avec les constitutions et les révolutions.

Pour en revenir au présent, on demandait à l’assemblée d’affermir la situation de M. Thiers en lui conférant le titre de président de la république, et en prorogeant ses pouvoirs. Depuis le commencement de ce mois, la république a un président, et les pouvoirs de ce président dureront, selon toute vraisemblance, aussi longtemps que l’assemblée elle-même, laquelle ne paraît point disposée à mourir de sitôt. Ainsi en ont décidé 480 voix contre 93 ou 95, recrutées sur les bancs de l’extrême droite et de l’extrême gauche. Ce jour-là, MM. de Carayon-Latour et Quinet ont trouvé l’occasion vraiment unique de voter ensemble, ils seraient inexcusables de l’avoir laissée échapper. Chose curieuse, les journaux les plus opposés à la motion Rivet, ceux qui la déclaraient hautement inopportune et dangereuse, constatent à l’envi que le vote de la chambre a produit les plus heureux effets, que la confiance renaît partout, que les transactions et les marchés en font foi, que les affaires reprennent avec une vivacité inattendue. Pouvait-on désirer mieux ? Tout le monde se félicite de l’événement, les affaires d’abord et ceux qui les font, les modérés du centre droit et du centre gauche, que dis-je ? les Prussiens eux-mêmes, si l’on en croit la Correspondance provinciale de Berlin, qui possède les secrets des dieux. Bref, tout le monde est content, hormis, bien entendu, M. de Carayon-Latour et M. Quinet.

Non, M. Quinet n’est pas content, il l’a bien prouvé en proposant à l’assemblée, en termes fort courtois, de se dissoudre pour faire place à quelque chose de mieux. La dissolution immédiate, voilà le mot d’ordre de l’extrême gauche, et, pour en venir à ses fins, elle a organisé une campagne de pétitionnement dont elle se promet des merveilles. Il paraîtrait qu’elle peut compter, pour le succès de cette campagne, sur le concours empressé de tous les cabarets de France ; c’est du moins ce qu’il est permis d’inférer d’une dépêche adressée par le ministre de l’intérieur au préfet du Pas-de-Calais, et qui porte : « Prescrivez formellement aux cabaretiers de faire disparaître la pétition sous peine de fermeture. » Si l’on s’en rapporte aux signataires de la pétition et aux cabaretiers qui leur viennent en aide, la dissolution serait le remède à tous les maux, l’universelle panacée, l’infaillible moyen de payer le Prussien et de faire le bonheur des Français ; à lui seul, ce mot vaudrait cinq milliards en espèces sonnantes. Il se pourrait bien aussi que la dissolution fût tout simplement un expédient inventé par des ambitions aux abois, — on en rencontre à gauche comme à droite, — qui veulent arriver à tout prix ; les journées leur durent, leur appétit compte les minutes. Nous n’affirmons rien à ce sujet ; vous savez que nous autres nous n’avons pas l’esprit décisif, et que dans les matières compliquées nous aimons à suspendre notre jugement. Il nous paraît seulement que la dissolution est sujette à de graves inconvéniens, et, s’il est vrai que la crainte soit le commencement de la sagesse, il serait bon d’inspirer aux malades la crainte salutaire de certains remèdes et de certains médecins ; la maladie vaut souvent mieux que le docteur. Heureusement cette campagne que vient d’entreprendre l’extrême gauche n’a, semble-t-il, que peu de chances d’aboutir. Un diplomate français disait un jour à Florence : « Depuis que je suis en Italie, j’ai entendu dire beaucoup de sottises, je n’en ai point vu faire. » Tant qu’une sottise n’est pas faite, il n’y a que demi-mal, et des pétitions qui n’ont d’autre résultat que de faire prospérer les cabarets ne sont pas un danger mortel.

Sur quoi se fondent-ils, ces pétitionneurs, pour demander à l’assemblée de se dissoudre ? Ils lui représentent qu’elle a été élue pour conclure la paix, que la paix est conclue, que partant il ne lui reste plus qu’à s’en aller. Ce raisonnement ne nous paraît point irréprochable. Est-il donc vrai que la paix soit faite, que le Prussien soit sorti de France ? Il en sortira quand, on l’aura payé, et pour le payer il faut de l’argent, hélas ! beaucoup d’argent. Apparemment le corps électoral s’en doutait en février, et il a entendu conférer à ses mandataires le droit ou, pour mieux dire, leur imposer le devoir de procurer au gouvernement toutes les ressources nécessaires à l’exécution du traité. Il est vraisemblable aussi qu’en nommant une assemblée chargée de lui rendre la paix, la France désirait que cette assemblée réparât, autant qu’il était en elle, les désastres de la guerre, qu’elle travaillât avec le gouvernement de son choix au rétablissement de l’ordre, qu’elle remît sur pied le pays et prît toutes les mesures que réclamait sa sûreté. Cette œuvre de réparation, l’assemblée nationale est loin de l’avoir terminée, et personne ne saurait affirmer sérieusement qu’elle excède son mandat en examinant et modifiant les nouveaux projets d’impôts que lui soumet le pouvoir exécutif, en élaborant une loi militaire, en préparant et votant d’importantes réformes dont la défaite a fait sentir la nécessité, et qui prouveront à l’Europe que la France n’a pas traversé l’école du malheur sans y rien apprendre et sans y rien oublier.

Le patriotisme des pétitionneurs nous paraît être en défaut comme leur bon sens. Se souviennent-ils en vérité que le Prussien est toujours là, qu’on a bien des comptes encore à régler avec lui ? Il faut se défier des querelles d’Allemand, dit le proverbe ; ce proverbe n’est pas un vain mot. Que de subtiles chicanes, que de captieuses difficultés, n’essuiera pas la France avant d’obtenir la complète libération de son territoire ! Et n’est-ce pas le premier de ses intérêts d’éviter avec soin tout incident que pourrait exploiter au profit de ses exigences un vainqueur retors et processif ? En bonne foi, les radicaux pensent-ils que, si la dissolution les mettait en possession du pouvoir, la Prusse leur serait plus complaisante ou plus indulgente qu’elle ne l’est à M, Thiers et à son gouvernement ? Ne croient-ils pas comme nous qu’elle profiterait de l’occasion pour accroître ses prétentions, pour manifester sans contrainte ses méfiances, l’âpreté de sa morgue, ses éternelles rancunes, que n’a pu désarmer la victoire ? M. de Bismarck, assure-t-on, a dit un jour : « Nous aurions fait une mauvaise affaire, si nous laissions derrière nous une république habitable. » Il est certain qu’à la longue une république honnête, modérée et prospère causerait à Berlin des déplaisirs, et lui créerait des dangers capables d’effacer dans son cœur les joies de Wœrth et de Sedan ; mais, si Berlin peut désirer de réduire la France à l’impuissance en brouillant tout chez elle, il a d’autre part cinq milliards à recouvrer, et il entend qu’on le paie, qu’on le paie intégralement, jusqu’au dernier sou. Le succès étourdissant de l’emprunt l’a tout à la fois contristé et réjoui : il n’a pu constater sans douleur qu’il n’avait pas réussi à ruiner la France ; en revanche, il découvrait avec joie que la France était solvable et que sa créance était bonne, de telle sorte que dans ce grand conflit de sentimens il était à la fois triste d’être content et content d’être triste. Aussi, quelque chagrin qu’il ressente en voyant s’établir en France une république habitable, il considère que cette république est solvable, et ne peut s’empêcher de lui porter quelque intérêt. La Prusse n’a pas la chevalerie de la haine, elle ne saurait souhaiter mal de mort à un créancier qui paie ; mais à tort ou à raison Berlin ne croit pas à la solvabilité des républiques radicales. Que M. Thiers et l’assemblée nationale soient remplacés demain par une chambre et un président rouges, M. de Bismarck avisera aux moyens de leur rendre la vie impossible, et, s’il cherche, il trouvera ; on peut s’en remettre à lui, il excelle dans cet art, et c’est la France qui à son dam paiera pour ses gouvernans. Que si l’intérêt de leur pays touche médiocrement certains radicaux, seront-ils aussi indifférens à l’intérêt de leur cause et de leur parti ? Des classes entières en France sont persuadées qu’une république habitable est une chimère, que la république représente l’agitation et le désordre permanens. Est-ce un logis habitable qu’une maison qui serait tous les jours en proie aux écureurs et aux déménageurs ? La France a besoin de calme, de tranquillité, parce qu’il en faut pour travailler, et que le travail est aujourd’hui la première de ses nécessités. Les radicaux qui réclament la dissolution auraient bientôt fait de dégoûter leur pays de la république. Agitons, agitons ! crient-ils à pleine tête. L’écho répond : Payons, payons ! Qui donc a raison de Merlin l’enchanteur ou de cet écho désenchanté ?

Je dois vous faire, monsieur, un aveu qui me coûte, je n’ai point lu Merlin l’enchanteur, je n’en parle que sur ouï-dire et pour avoir entendu l’un de mes voisins, lecteur héroïque, s’écrier : « Ce livre est plus qu’un livre, c’est un événement, — ou si vous voulez que ce soit un livre, ajoutait-il, c’est un livre immense, qui contient le monde ; du cèdre jusqu’à l’hysope, on y trouve tout, absolument tout. » Les personnes de ma famille ont l’esprit posé, le sens rassis, et nous nous défions beaucoup des événemens en lettre moulée, des immensités et des auteurs qui se font forts de tout dire en trois cents pages ; il est déjà si difficile de dire quelque chose, et de le dire clairement, simplement, de manière à être entendu des honnêtes gens à Bâle comme à Paris ! Mais, s’il y a des Bêlois qui n’ont pas lu Merlin, nous avons tous lu les Révolutions d’Italie de M. Quinet et sa Révolution française, et nous tenons l’auteur pour un éminent esprit, pour un remarquable écrivain. Aussi nous paraît-il fort regrettable qu’un homme d’un si grand mérite le consacre à faire solennellement de la petite politique brouillonne, car solennel, M. Quinet le sera toujours, c’est un pli d’enfance dont il n’a pu se défaire. A la tribune ou ailleurs, il a toujours la gravité majestueuse d’une conscience qui officie ; la majesté sied aux consciences, et depuis longtemps M. Quinet a déclaré qu’il était une conscience, qu’il ne voulait être autre chose, qu’il était la seule conscience vraiment consciencieuse du siècle. Je n’y trouve rien à redire, et je respecte infiniment les scrupules ; mais ce mot-là prête aux confusions, et plus d’une conscience qui se donne pour telle n’est qu’une mauvaise humeur aigrie et condensée qui s’érige en oracle et parle par apophthegmes.

J’ai entendu des admirateurs de M. Quinet se plaindre qu’il a parfois des silences singuliers. Ils auraient voulu savoir par exemple ce qu’il pense de la commune et des incendies de Paris, et ils lui demandaient d’en dire nettement son avis, comme l’ont fait MM. Louis Blanc et Gambetta. Si je ne me trompe, M. Quinet s’est tu sur ce point ou s’en est exprimé fort obscurément ; sans doute c’est distraction de sa part. Quand il consent à parler, il dit à merveille ce qu’il veut dire. C’est ainsi que naguère il a clairement expliqué par une lettre adressée à un journal pourquoi il rejetait la nouvelle loi sur les conseils-généraux. Sa principale raison est qu’aux termes de cette loi les conseillers-généraux ne seront point salariés : la gratuité des offices les rend inaccessibles à quiconque ne jouit pas de quelque fortune et de quelques loisirs, et crée ainsi en faveur des gens aisés un privilège que réprouvent tous les principes de 89 ; sur quoi votre excellente chronique politique remarquait fort justement que, si l’on paie les conseillers-généraux, il faut payer aussi les conseillers municipaux, et, sous peine d’inconséquence, les électeurs eux-mêmes, qui ont l’ennui de se déranger pour porter leur vote dans l’urne. Toutefois, avant d’introduire cette utile réforme, il conviendrait peut-être d’attendre que le Prussien soit payé. Serait-il donc vrai que certains radicaux pensent à tout, sauf à M. de Bismarck, lequel pourtant n’est pas homme à se laisser longtemps oublier ?

La fréquente dissolution des assemblées et l’abolition de tous les offices gratuits, ces deux points se tiennent dans l’esprit des radicaux. Niveler et agiter, voilà leur devise ; leur science se résume en ces deux mots. Nous en savons quelque chose, nous autres Suisses. Le radicalisme nous a rendu autrefois de réels services, que nous n’aurions garde de méconnaître ; il nous a délivrés d’un conservatisme honnête, mais étroit, dont les préjugés se prêtaient difficilement aux réformes, résistaient opiniâtrement à toutes les nouveautés. Par malheur, à ce radicalisme utile, représenté par des hommes intelligens, a succédé un radicalisme de cabaret, qui n’a pas d’autre ambition ni d’autre souci, comme je vous le disais, que de tout niveler et de toujours s’agiter en agitant les autres. Il est une ville de Suisse où l’on s’occupe aujourd’hui d’élaborer une nouvelle loi sur l’instruction publique. Cette entreprise a fait éclore bien des projets, et l’auteur d’un de ces projets n’a pas craint de proposer qu’à l’avenir tous les professeurs de collège fussent pris parmi les régens primaires, les professeurs de faculté parmi les professeurs de collège. Avant d’enseigner le calcul différentiel ou les littératures comparées, il faudra désormais avoir commencé par montrer aux petits enfans leur croix de par Dieu ; voilà pour le nivellement. D’autre part, il importe que les professeurs ne soient pas assurés de leur lendemain, on stipulera qu’ils sont rééligibles à de très courtes échéances ; dissolution fréquente du corps enseignant, la liberté n’est garantie qu’à ce prix. Et encore les dissolutions fréquentes ne suffisent-elles plus à nos radicaux avancés ! Vous savez ce qu’on entend chez nous par ce fameux référendum, qui a été adopté dans plusieurs de nos cantons. Comme il se peut faire que le corps législatif qui a été élu hier n’exprime plus aujourd’hui la mobile volonté des électeurs, on ne saurait se dispenser de soumettre à la ratification du peuple toutes les lois votées par ses mandataires ; le peuple seul sait au juste ce qu’il pense et ce qu’il veut. Un corps électoral en permanence qui, jugeant le matin, se déjuge le soir, voilà la vraie démocratie. Il faut changer le Pater, monsieur, et y insérer cet article : Seigneur Dieu, accordez-nous notre bulletin de vote quotidien !

Ce que je redoute par-dessus tout pour mon pays, disait récemment un homme d’état italien, c’est la politique de cabaret. Il avait raison ; les cabarets ont leur utilité, mais on y fait de méchante politique. De toutes les illusions les plus dangereuses sont celles qui habitent le fond des pots et qui s’introduisent dans les cerveaux cornus avec les acres fumées d’un vin bleu ou les subtiles vapeurs de la liqueur verte. Quand le soir, les volets clos, les coudes sur la table, le broc en main, on se met à raisonner et à déraisonner, l’imagination s’échauffe agréablement, tout paraît possible et facile. C’est dans l’épais brouillard et la charmante moiteur de la salle à boire qu’on se plaît à reconstruire pièce à pièce les sociétés et les gouvernemens, à bâtir au coude levé des constitutions qui sont des machines si bien montées qu’on peut se passer du mécanicien pour les faire marcher ; le premier sot venu est plus que suffisant. On prétend que nous sommes dans le siècle des grandes machines et des petits hommes ; grand bien nous fasse ! Dans ces constitutions parfaites que fabriquent chaque nuit les cabarets, l’ignorant vaut le savant, l’homme de peine l’homme de loisir ; je me trompe, la supériorité d’esprit y est tenue pour suspecte ; n’est-elle pas le privilège par excellence, lequel tend toujours à ramener les autres à sa suite ? L’essentiel est que la machine sifflante, nivelante et dissolvante, dont le suffrage universel est le moteur, ramène sans cesse en haut ce qui était en bas, de telle sorte que les places soient successivement occupées par tous et que personne ne soit assuré de garder la sienne plus d’une semaine. Ai-je besoin d’ajouter que les inventeurs de ce puissant engin font une exception tacite en leur faveur, qu’ils se promettent d’échapper, eux et leur traitement, à cette perpétuelle instabilité qui est à leur sens le caractère des sociétés bien réglées ? Quand ces gens-là sont en place, ils s’y cramponnent, et il est malaisé de leur faire lâcher prise ; ils ont le secret de la chaudière.

Il me paraît, monsieur, que, si la république succombait une fois de plus en France, c’est le radicalisme qui l’aurait tuée. L’agitation perpétuelle ne saurait plaire longtemps dans un pays de travail et d’épargne, où les intérêts s’accommodent mal d’un régime qui, tous les matins, remet tout en question. Les ruraux ne souffrent pas qu’on les agite trop, et il est bon de compter avec les ruraux. Tous les républicains sages le sentent bien, témoin la lettre si digne et si sensée qu’écrivait l’autre jour M. Vacherot et qui a couru les feuilles publiques. Cette lettre m’a remis en mémoire le mot d’un éminent citoyen florentin, le marquis Gino Capponi. — Le malheur des hommes, disait-il, est qu’ils ne font pas assez de cas des avantages négatifs et des vertus modestes. — Il entendait par là l’esprit de conduite, la prudence, la modération. En France, la république a pour elle la force des situations et la désunion de ses ennemis. Les républicains doivent avoir confiance en ces puissans auxiliaires qui travaillent pour eux, et leur apporter le concours de leur calme, de leur prudence, surtout de leur abnégation. Si la république se fonde en France, elle aura été fondée par des gens qui n’en voulaient pas entendre parler, et qui après de longues hésitations se décidèrent à contracter avec elle un mariage de raison. Cela se fera on ne sait comment. Règle générale : ce ne sont pas les républicains qui font les républiques, ce sont les républiques qui font les républicains. Dieu bénisse la France et la tienne en garde contre la politique de cabaret !

Agréez, monsieur, je vous prie, l’expression de tous mes sentimens de haute considération.

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