Lettres de la Vendée/II/38
LETTRE XXXVIII.
Explique-moi,
je te prie, une conversation que je viens d’avoir
avec ma mère ; nous avions déjeûné en famille :
Maurice y étoit ; les hommes sortirent
ensuite ensemble. Nous restâmes seules ;
nous prîmes chacune notre ouvrage ;
je brodai, et maman s’établit
à son métier de tapisserie. Là, sans
lever les yeux de dessus son canevas,
elle m’a fait de suite plusieurs questions,
que je vais tâcher de me rappeler,
dans leur ordre. — Louise, savez-vous
quelque chose des projets de
M. Maurice ? il est honnête, et paroît avoir reçu de l’éducation. — J’ignore
ses projets, maman ; vous savez qu’après
son affaire, il ne peut reparoître
à son corps, ni à son pays.
— Oh ! oui, mais cette affaire doit finir
par s’arranger ; … il faut qu’il ait les
passions bien vives, pour avoir pris vos intérêts
avec tant de chaleur. — Je n’avois plus
d’intérêt, et je pense aussi qu’il eût
été plus sage… — Mais plusieurs jours
s’étoient déjà passés, depuis cette singulière
avanture ; il ne vous prévint
donc pas ? vous ne pûtes rien deviner
de ses intentions ? — Il ne l’apprit que
par hazard, et ne se donna pas un
moment de réflexion. — Ici ma voix s’altéra ;
je rougis, et ma mère me regardant
fixement, me dit : — qu’avez-vous ?
êtes-vous incommodée ? — Je l’assurai que non. —
Il est extraordinaire, dit-elle, qu’ayant pu lui taire un tel événement, qui selon ce que
vous m’avez dit, a dû faire du bruit,
vous n’ayez pu prévenir cette saillie de
jeune homme ; car c’est un coup de
tête.
— Maman, je suis loin de l’approuver ;
cependant le motif étoit excusable.
— Oh ! les jeunes personnes
aiment les avantures dont elles sont
l’objet. — Maman, je vous assure que
j’aurois beaucoup préféré que celle là
n’eut point eu lieu. — Je le crois,
d’autant que tant de reconnoissance
peut embarrasser. — Il n’a jamais paru
la faire valoir. — C’est chez un oncle,
curé, je crois, qu’il a été élevé.
— Son père le destinoit à cet état.
— Je m’en serois doutée ; il est fort bien ;
cependant, ne lui trouves-tu pas l’air un peu
empesé, il marche avec de grands
mouvemens ; je crains toujours qu’il ne
heurte les murailles. — Il est peut-être embarrassé ; vous lui en imposez, maman,
et le respect ?… — Oh ! le respect
ne fait pas marcher plus vite ;
d’ailleurs, il doit nous connoître ; sans doute tu
lui as sûrement parlé de nous ?…
— Sans doute, maman, et c’est une raison
pour qu’il vous respecte davantage.
— Il ne paroît pas très à son aise, avec
votre frère. — Ils se sont vus peu de
jours. — À propos, je compte t’envoyer
bientôt voir ta cousine Clémence ;
tu seras charmée, j’imagine,
de la revoir, si elle ne peut quitter sa
mère ; pendant ce temps, nous verrons
ici à arranger les affaires de ce
jeune homme ; à ton retour, tu trouveras
cela terminé. Eh bien ! est-ce
que cela ne te convient pas ? nous retarderons.
— Tout ce que vous déciderez
de moi, maman, sera toujours
ce qui me conviendra le mieux. — Mais il ne s’agit pas de moi ; tu verras
toi-même… Votre père me paroît
goûter beaucoup M. Maurice.
— Je crois, maman, que mon père l’estime,
et lui sait gré. — Oh ! nous
lui savons tous gré ; notre seul embarras
est de lui en donner des preuves.
Tu lui as bien dit, sûrement,
combien nous étions reconnoissans
de sa conduite envers toi ; et tu dois
l’être aussi ; je serais fâchée de te trouver
ingrate. Ce n’est que la manière
qui nous embarasse : lui faire des offres
d’argent… — Oh ! maman, je crois
être sûre que vous l’humilieriez beaucoup,
et qu’il n’accepteroit pas. — Je
le pense de même ; on pourroit lui
acheter un bien, près celui de son
père. — Vous savez, maman, qu’il
n’y peut pas retourner. — Ou tâcher
de l’avancer au service. — Après son affaire, il ne peut plus y rentrer.
— Ah ! c’est vrai… C’est vraiment embarrassant.
Tu devrois y penser, et m’en parler.
— Maman, vous saurez mieux que moi…
— Non, tu le connois davantage,
et imaginerois mieux que nous
ce qui pourroit lui convenir ;
penses-y, et parles-moi, ou à ton père…
Louise, vas me chercher mon étui à
aiguille, dans le salon. —
Je crois,… je t’avoue, ma chère, que jamais
commission ne vint plus à propos.
En rentrant, ma mère n’y étoit plus ; je la vis qui se promenoit dans le parterre.