Lettres de la Vendée/II/34
LETTRE XXXIV.
Chère et bonne cousine, je t’appelle
pour partager l’ivresse de mon bonheur ;
tu manques à ta Louise, à sa
famille entière ; nous avons besoin de
ton sein, pour épancher notre joie ;
tu m’aiderois à l’épanouir, et je sens
que ton ame nous seroit utile à tous ;
elle doubleroit nos moyens, ainsi que
nos affections. Toi qui sais si bien aimer,
si bien sentir le bonheur de l’être, viens, ma douce amie, viens embellir
le nôtre de ta grace
et des charmes que tu emploies pour faire entendre
ton cœur ; nous ne savons
qu’être heureux ; viens donner la vie
aux sentimens que nous éprouvons.
Nous t’attendons, et n’osons sans toi,
célébrer la fête ; notre réunion n’est
pas encore complette : pourquoi faut-il que ta tendre mère ne soit pas encore
en état de supporter le voyage ; tu
dois cependant t’en rapporter aux
soins de notre amitié,
bonne Clémence ;
je partagerois tes inquiétudes ;
tu aurois, la douce satisfaction de la
voir revenir au milieu de tes amis, de
ses enfans. Combien ce titre m’étois
doux ; il ajoutoit à notre union, en,
nous faisant l’illusion d’être sœurs ; si elle étoit ici avec toi, c’est alors que
celle de mes beaux jours renaîtroit ;
tout ce que j’ai souffert
ne seroit plus
qu’un songe. Depuis que je suis ici,
chaque pas me rappelle et me remet
à mes douces habitudes. L’enthousiasme
et les élans de mon cœur,
qui exaltent un peu ma tête, y mettent
seuls des différences. Mes yeux ne s’arrêtent
point sur ma mère, sans qu’il ne
me prenne envie de me jetter dans ses
bras, et d’y pleurer à mon aise tout ce
que j’aurois perdu, si la tendre pitié
de Maurice ne m’eut sauvée. En recevant
ses embrassemens, et ceux de
mon père, je suis hors de moi ; et
pour la première fois de ma vie, je
n’ose me livrer à toute la sensibilité
que j’éprouve ; je crains de les émouvoir
trop eux-mêmes ; je crois aussi
que mon frère me gêne ; avec un caractère plus tranquille que le mien, il
semble trouver tous ces événemens naturels ;
et ces hommes, d’ailleurs,
regardent toujours ces épanchemens
comme peu nécessaires au bonheur ;
mon père, seulement, dont la tendre
bonté répond à nos cœurs, partage
notre ivresse ; et ce n’est que lorsque
je suis seule avec eux, que je me retrouve ;
mais toi, ma chère, toi, l’aimable
tiers que nous désirons tous,
quand viendras-tu ? Je ne te parle pas
des autres raisons dont ta Louise fait
les siennes, pour te désirer plus encore ;
mais ce que tu as fait déjà,
demande que le reste soit ton ouvrage.
Je t’attends ; tous mes intérêts
sont dans tes mains ; je ne puis respirer
ici plus long-temps sans toi ;
chère et tendre cousine, ta prudence
ne m’est pas seulement nécessaire, mais ton indulgence, ton amitié,
ta tendre amitié, sont devenues mon
bien, et je les invoque du plus profond
de mon cœur.
C’est un exprès qui te porte ma lettre ; si elle peut te décider, gardes-le ; il pourra t’être utile, pour tes arrangemens de voyage. Je compte qu’il te remettra un mot de ma mère. Puissent toutes nos prières, avoir du succès, et te faire remplir notre attente.