Treuttel et Würtz (Ip. 38-42).

LETTRE VI.

Parthenay, 10 fructidor, an 3 républicain.


Oh ! ma chère amie, je n’en puis douter, je n’ai plus de frère ! Ah ! sans doute, je suis punie de ces saillies, presque de gaîté, qui m’échappoient quelquefois avec toi ; dans ces jours de malheurs et de désastres publics, je ne pensois qu’à moi, et la bisarrerie de ma situation me la faisoit presque supporter sans peine. Tranquille sur le sort de tout ce qui m’est cher, je les croyois échappés à la désolation universelle ; j’ai vu mon père et ma mère fuir le fer de nos ennemis, à travers les flammes, de leur demeure ; mais je partageois leurs périls ; et n’ayant pu me réunir à eux, je les savois au moins en sûreté loin de nous. J’ai suivi mon frère dans les hasards d’une guerre cruelle, mais j’étois présente à ses dangers ; et si mes allarmes renaissoient chaque jour, chaque jour me rendoit la tranquillité ; aujourd’hui, je n’ai que mes craintes et mes incertitudes ; hélas ! puis-je encore appeller doutes et incertitudes, ce qui n’est que trop semblable à l’affreuse vérité ; tu sais que je t’ai dit que nous nous quittâmes la nuit même où nous fûmes arrêtées et prises ; la troupe des nôtres suivit un autre chemin. Depuis ce moment, aucune nouvelle d’eux n’étoit parvenue ; mais je croyois leur retraite assurée. Hier, Maurice étoit de garde aux équipages, j’avois trouvé place sur un chariot ; un de ses camarades, démonté, marchoit avec peine ; il lui donna son cheval, et alloit à pied près de la voiture ; je trouvai moyen de lui faire place, je le fis monter à côté de moi ; je pensai alors que je pourrois avoir, par lui, quelques renseignemens sur la troupe armée dont nous faisions partie. — J’étois, me dit- il, de ceux qui les poursuivirent, nous les atteignîmes le matin à l’issue d’un bois ; ils avoient peu de gens à cheval ; après une longue résistance, ils furent défaits, presque tous furent tués, le reste pris et amené à Cholet, le même jour que vous… — Et savez-vous ?… — Ah ! me dit-il, comme tous les autres, ils ont été fusillés le lendemain. — Je jettai un cri ; la voiture s’arrêta, et je perdis connoissance ; des liqueurs fortes me firent revenir à moi ; je me trouvai assise dans le chemin, sur le bord du fossé, et près de moi, Maurice et le gendarme, auquel il avoit prêté son cheval ; ils m’y firent monter, en me disant qu’il y avoit du danger à rester en arrière ; et marchant l’un et l’autre à mes côtés, ils m’ont conduit au logement d’où je t’écris. Maurice ne m’a fait aucune question sur mon évanouissement, que j’ai attribué au mouvement de la voiture. Il paroît inquiet et très-affligé ; en rouvrant les yeux, j’ai vu tomber de grosses larmes des siens ; ce jeune homme a vraiment le cœur excellent. Je ne puis t’écrire plus long-temps ; mon cœur est serré, et je n’ai jamais autant souffert. Oh ! ma Clémence, tu es ma seule affection sur la terre, elle couvre maintenant ce qui m’étoit le plus cher ; mais j’y dois rester, tu y es encore. Mon amie, tâche de me faire arriver un mot de toi, nous ne sommes qu’à douze lieues de Nantes, et ta main seule peut mettre un peu de baume sur ma plaie.

Maurice me promet de te faire parvenir ma lettre par la poste.