Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 413-415).



LETTRE XXXVIII.


À.......


Dimanche au soir.


Le monde met si peu de différence entre le pauvre en esprit et le pauvre en fortune ; sur dix il y en a neuf, même sur cent, quatre-vingt-dix-neuf qui se ressemblent si bien, qu’en pratiquant les vertus du premier, on est généralement sûr d’acquérir tout le crédit, ou plutôt le discrédit du second.

Peu de personnes, mon cher, ont le tact assez fin pour discerner dans les caractères les différentes nuances qui les distinguent — et, je suis fâché de le dire, mais il y en aura toujours très-peu qui soient assez humains pour se faire un devoir d’employer leur discernement à connoître le cœur.

Cette modération de caractère, qui toujours est la compagne du mérite réel, se concilie l’amitié du petit nombre ; mais, en même temps, elle est propre à être, non-seulement la dupe, mais le mépris de la multitude. On suppose que celui qui n’étend pas au loin ses prétentions, n’en a aucune, — ou du moins que des circonstances honteuses l’empêchent de les annoncer. — L’ignorant, la présomptueux, le suffisant, ne croiront jamais que l’homme modeste puisse avoir le moindre mérite. — Comme ils ne portent que des habits de clinquant, ils n’examinent pas si les autres en ont de meilleure qualité ; — ce qui, par parenthèse, est assez naturel.

Les méchans n’imaginent point qu’on ait assez de conscience ou de vertu pour ne pas se servir de ses talens quand leur exercice ne s’accorde point avec l’honnêteté ; — si on les emploie sans éclat, — ils soupçonnent toujours quelque motif artificieux ou bas ; — de manière que l’homme modeste et pieux n’a que très-peu de chances pour ce qu’on appelle dans le monde bonne fortune : — en effet, chrétiennement parlant, on ne lui promet que bien peu de chose dans cette courte vie ; — de pareilles vertus se proposent des récompenses plus durables à la fin des siècles : — c’est dans cette espérance qu’ils placent leur consolation et leurs plaisirs. Hélas ! sans cette espérance, comment pourroient-ils supporter une foule de circonstances fâcheuses qui pèsent continuellement sur eux, et, qui chassent le sourire pour y substituer les larmes ?

On vient m’interrompre ; — sans quoi je présume — qu’au lieu d’une lettre, vous alliez avoir un sermon ; mais c’est un soir de dimanche, — et par conséquent avec, — un Dieu vous bénisse ! — je finirai par me dire,

Votre affectionné, etc.