Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 410-412).



LETTRE XXXVII.


À Madame V.....


Lundi matin.


Quand tout le monde, ma belle dame, se porte en foule dans les jardins pour entendre la musique des fusées et des pétards et voir l’air éclairé par des feux d’artifice ; je suis bien flatté, délicieusement flatté, que vous vouliez bien vous contenter d’errer nonchalamment avec moi dans le Renelagh vuide, et que vous joigniez à cette complaisance, celle de me faire entendre les sons enchanteurs de votre voix qui fut sans doute formée pour les chérubins. Comment avez-vous pu l’acquérir ? Je n’en sais rien, — il n’entre pas même dans mon plan d’en faire la recherche ; je suis toujours charmé de trouver une émanation de l’autre monde dans quelque coin de celui-ci : n’importe d’où elle vienne, — mais principalement lorsqu’elle se manifeste par l’entremise d’un organe féminin, — l’effet en doit être plus puissant parce qu’il est toujours plus délicieux.

Maintenant, après cette légère effusion de mon esprit, qui peut-être est un peu plus terrestre qu’il ne devroit l’être ; j’espère que vous ne trouverez pas mauvais que je vous prie de m’excuser si, conformément à l’engagement que j’en avois pris, je ne me rends pas ce soir à votre salon de compagnie : le fait est que mon rhume m’a saisi si violemment à la gorge, que quoique je pusse entendre votre voix, il me seroit impossible de vous dire l’effet qu’elle produiroit sur mon cœur. — À peine puis-je me faire entendre quand je demande mon gruau.

Par la longue connoissance que j’ai de ma machine valétudinaire, je me trouve maintenant au fait de toutes ses allures : je prévois qu’il faudra que je la ménage pendant une semaine au moins, pour pouvoir en faire usage une journée. — Toutefois, dimanche prochain, je compte que je pourrai m’envelopper dans mon manteau, et me faire voiturer dans votre appartement, où j’espère que j’aurai assez de voix pour vous assurer de l’estime sincère et de l’admiration que je sens pour vous, — soit que je puisse vous le dire, soit que je ne le puisse pas. Les rhumes et les catarres peuvent nouer la langue ; mais le cœur est au-dessus des petits inconvéniens de sa prison, et quelque jour il leur échappera tout-à-fait. Jusqu’à cette époque, je vous demande la permission d’être toujours,

Le plus fidèle, le plus obéissant et le plus humble de vos serviteurs, etc.