Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 329-332).
◄  Lettre XII
Lettre XIV  ►



LETTRE XIII.


À.... Écuyer.


Scarbourough.


Je ne saurois répondre, mon cher ami, à toutes les choses tendres et obligeantes que vous pensez et dites de moi. — Je crois en effet que j’en mérite quelques unes, et je suis bien aise que vous croyez que je les mérite toutes. — Quoi qu’il en soit, je désire que vous nourrissiez les sentimens que vous avez si chaudement exprimes sur le papier ; et cela, par rapport à vous et à la personne qui en est l’objet.

Vos ordres, en général, seront toujours exécutés sans aucune réflexion ; — mais dans cette circonstance particulière, un rayon de prudence s’est avisé, contre son ordinaire, de venir m’éclairer. Je vous demande la permission de réfléchir quelques momens sur le sujet ; — et quand j’aurai consulté la sagesse, — le résultat sera, j’en suis sûr, de ne point me prêter à vos sollicitations.

Donner des avis, mon bon ami, c’est la générosité la moins obligeante qu’il y ait au monde, parce qu’en premier lieu, cela ne coûte rien, et qu’ensuite c’est la chose dont la personne à qui on l’offre croit avoir le moins de besoin. Telle est ma façon de penser ; et je crois, d’après moi-même, qu’elle ne convient que trop au sujet dont il s’agit entre nous.

Il y a dans le monde de mauvaises têtes et de bons cœurs, — de mauvais cœurs et de bonnes têtes. — Maintenant, pour ma part, et ne parlant que d’après l’influence de mes propres sensations, je préférerois la famille des bons cœurs avec toutes leurs bévues, leurs erreurs et leurs extravagances ; mais si j’avois des affaires à traiter, ou des plans à mettre à exécution, donnez-moi la bonne tête : — si le bon cœur se trouve dans le marché, tant mieux ! mais c’est principalement de la première que je dois m’étayer : — que le dernier soit bon ou mauvais, ce n’est pas une chose à considérer absolument. D’après votre système, cela, mon cher ami, n’est pas tout-à-fait orthodoxe ; mais plus vous irez, plus cette opinion se rapprochera de la vôtre.

Sans m’appuyer du côté de la proposition qui pourroit blesser la charité, je pense que le pauvre… est de la famille des mauvaises têtes. — Je connois son cœur, et je suis sûr que son embarras actuel provient de ses bonnes qualités ; mais quoique je pense moi-même qu’un bon conseil pourroit être utile en pareil cas, je ne puis me résoudre à conseiller dans cette occasion. Il est impossible de le faire sans avertir le particulier de sa maladie, qui n’est ni plus ni moins qu’une absolument mauvaise tête : alors le malade en offriroit un nouveau symptôme, en jetant mon ordonnance par la fenêtre, et peut-être voudroit-il faire éprouver le même sort à son médecin.

Si vous avez assez d’empire sur son esprit pour l’engager à se mettre sous ma direction, je ferai de mon mieux pour lui. J’emploierai les amers, et je donnerai de bonne grâce la médecine la plus dégoûtante. Nous ne parlerons donc plus de cela maintenant, si vous le voulez bien.

J’écris à la hâte, et sur mon oreiller, afin que vous sachiez le plutôt possible mes sentimens sur une matière dans laquelle vous avez en moi la plus grande confiance ; mais je crains que l’événement ne la justifie pas. — Adieu donc — et que Dieu vous bénisse !

Je reçus avant hier une lettre de ma pauvre petite Lydie. — C’est une aimable écervelée. — Que Dieu la bénisse également ! — encore une fois adieu.

Votre, etc.