Lettres de Pline le Jeune/Tome premier/Panckoucke 1826/XIII. À Acilius

Traduction par Louis de Sacy revue et corrigée par Jules Pierrot.
éditeur Panckoucke (p. 223-225).
XIV.
Pline à Acilius.

Voici une aventure des plus tragiques, et telle, qu’une lettre ne suffit pas pour en faire sentir toute l’horreur. Les esclaves de Largius Macedo, l’ancien préteur, viennent d’exercer sur lui les dernières cruautés : c’était un maître dur, inhumain, et qui avait oublié, ou, si vous voulez, qui se souvenait trop que son père avait été lui-même esclave. Il prenait le bain dans sa maison de Formies, lorsque tout à coup ses gens l’environnent ; l’un le prend à la gorge ; l’autre le frappe au visage ; celui-ci lui donne mille coups dans le ventre, dans l’estomac, et, chose affreuse, jusque dans les parties du corps qu’on ne peut nommer. Lorsqu’ils crurent l’avoir tué, ils le jetèrent sur un plancher brûlant, pour s’assurer qu’il ne vivait plus. Lui, soit qu’en effet il eût perdu le sentiment, soit qu’il feignît de ne rien sentir, demeure étendu et immobile, et les confirme dans la pensée qu’il était mort. Aussitôt ils l’emportent, comme s’il eût été étouffé par la chaleur du bain. Ceux de ses esclaves qui n’étaient point complices s’approchent alors de lui : ses concubines accourent en poussant de grands cris. Largius, réveillé par le bruit, et ranimé par la fraîcheur du lieu, entr’ouvre les yeux, et, par un léger mouvement, annonce qu’il vit encore : il le pouvait alors sans danger. Les esclaves prennent la fuite : on arrête les uns ; on court après les autres. Quant au maître, ranimé a grand’peine, il meurt au bout de quelques jours, avec la consolation de se voir vengé, comme l’on venge les morts. Considérez, je vous prie, à quel danger, à quelle insolence, et à quels outrages nous sommes exposés ! Il ne faut pas se croire en sureté, parce qu’on est maître indulgent et humain ; car les esclaves n’égorgent point par raison, mais par fureur.

C’en est assez sur ce sujet. N’y a-t-il plus rien de nouveau ? Rien : je ne manquerais pas de vous l’écrire ; j’ai du papier de reste ; j’ai du loisir, et c’est jour de fête. J’ajouterai pourtant ce qui me revient fort à propos du même Macedo. Un jour qu’il se baignait à Rome dans un bain public, il lui arriva une aventure remarquable, et de très-mauvais augure, comme la suite l’a bien prouvé. Un de ses esclaves, pour lui faire faire place, poussa légèrement un chevalier romain ; celui-ci se retournant brusquement, au lieu de s’adresser à l’esclave, frappa si rudement le maître, qu’il pensa le renverser. Ainsi le bain a été funeste à Macedo, et lui a été, en quelque sorte, funeste par degrés : la première fois, il y reçut un affront ; la seconde fois, il y perdit la vie. Adieu.