Lettres de Pline le Jeune/Tome premier/Panckoucke 1826/V. À Lupercus

Traduction par Louis de Sacy revue et corrigée par Jules Pierrot.
éditeur Panckoucke (p. 95-99).
V.
Pline à Lupercus.

Je vous envoie un discours que vous m’avez demandé plus d’une fois, et que je, vous ai souvent promis. Vous n’en recevrez pourtant aujourd’hui qu’une partie ; je corrige encore l’autre. J’ai cru convenable de soumettre à votre critique ce qu’il y avait déjà de plus travaillé. Lisez, je vous prie, avec le même soin que j’ai composé. Je n’avais rien fait encore qui exigeât de moi autant d’application : on n’avait à juger, dans mes autres discours, que du zèle et de la fidélité de l’avocat : ici, l’on jugera de la piété du citoyen. Aussi mon ouvrage s’est étendu sous ma main, animé comme je l’étais par le plaisir de louer, de célébrer ma patrie, de la défendre tout à la fois et de faire éclater sa gloire. Abrégez cependant, taillez à votre gré ; car toutes les fois que je pense au dégoût et à la délicatesse de nos lecteurs, je conçois que la brièveté même n’est pas un moyen de succès à négliger.

Toutefois, en me recommandant à votre sévérité, j’ai à vous demander une grâce toute différente : c’est de vous laisser souvent dérider le front. Il faut bien donner quelque chose au goût des jeunes gens, surtout lorsque le sujet ne s’y oppose pas. Dans ces sortes d’ouvrages, on peut prêter aux descriptions des lieux, qui reviennent souvent, non-seulement les ornemens de l’histoire, mais peut-être encore les embellissemens de la poésie. Si quelqu’un pensait que je me suis accordé plus de licence sur ce point, que ne le permettait la gravité du sujet, le reste de mon discours m’excusera, je l’espère, aux yeux de ce censeur chagrin. J’ai, par la variété de mon style, tâché de satisfaire les différentes inclinations des lecteurs. Ainsi, tout en craignant que ce qui pourra plaire à l’un ne déplaise à l’autre, je me flatte que cette variété même sauvera l’ouvrage entier. Quand nous sommes à table, nous ne touchons pas à tous les mets ; nous louons pourtant tout le repas, et ce que nous n’aimons pas ne fait point de tort à ce que nous aimons. Non que je prétende avoir atteint au degré de perfection dont je parle : je veux seulement vous faire entendre que j’y visais. Peut-être même n’aurai-je pas perdu ma peine, si vous prenez celle de retoucher ce que je vous envoie et ce que je vous enverrai bientôt. Vous direz, qu’il ne vous est pas facile de vous bien acquitter de ce soin sans voir toute la pièce. J’en conviens : mais vous vous familiariserez toujours avec les morceaux que je vous soumets, et vous y trouverez quelque endroit qui peut souffrir des corrections partielles. Que l’on vous présente une tête, ou quelque autre partie d’une statue, vous ne pourrez pas dire si les proportions sont bien gardées, et pourtant vous ne laisserez pas de juger du mérite de cette partie. Et par quel autre motif va-t-on lire de maison en maison les commencemens d’un ouvrage, sinon parce que l’on est persuadé qu’ils peuvent avoir leur beauté, indépendamment du reste ? Je m’aperçois que le plaisir de vous entretenir m’a mené loin. Je finis. Il sied trop mal à un homme, qui blâme même les longues harangues, de faire de longues lettres. Adieu.