Lettres de Pline le Jeune/Tome premier/Panckoucke 1826/Livre quatrième

Traduction par Louis de Sacy revue et corrigée par [[Jules Pierrot|Jules Pierrot]].
éditeur Panckoucke (p. 251-335).

LETTRES

DE PLINE LE JEUNE.

LIVRE QUATRIÈME.

I. - Pline à Fabatus[1]. modifier

VOUS désirez depuis long-temps nous voir ensemble, votre petite fille et moi : ce désir nous flatte, et nous le partageons ; nous ne sommes pas moins avides du plaisir d’être près de vous, et nous ne le différerons pas davantage. Nous faisons déjà nos préparatifs de voyage : nous hâterons notre marche, autant que les chemins le permettront : nous ne nous détournerons qu’une fois, et le détour ne sera pas long. Nous passerons par la Toscane, non pour voir l’état de nos biens en ce pays, car cela se peut remettre à notre retour, mais pour nous acquitter d’un devoir indispensable.

Près de mes terres est un bourg que l’on appelle Tiferne[2], sur le Tibre. Je sortais à peine de l’enfance, que ses habitans me choisirent pour leur protecteur[3] : il semblait que leur affection fût d’autant plus vive, qu’elle était plus aveugle. Depuis ce temps, ils fêtent toujours mon arrivée, s’affligent de mon départ, font des réjouissances publiques, toutes les fois que l’on m’élève à quelque nouvel honneur. Pour leur marquer ma reconnaissance (car il est honteux de se laisser vaincre en amitié), j’ai fait bâtir en ce lieu un temple à mes dépens. Comme il est achevé, je ne pourrais, sans impiété, en différer la dédicace. Nous y séjournerons donc le jour destiné à cette cérémonie, que j’ai résolu d’accompagner d’un grand repas. Peut-être demeurerons-nous encore le jour suivant ; mais nous n’en ferons ensuite que plus de diligence. Je souhaite seulement de vous trouver en santé, vous et votre fille : pour de la joie, j’ose être certain que vous en aurez, si nous arrivons heureusement. Adieu.

II. - Pline à Clemens. modifier

Regulus vient de perdre son fils ; c’est la seule disgrâce qu’il pouvait n’avoir pas méritée, parce que je doute qu’il la sente. C’était un enfant d’un esprit pénétrant, mais équivoque : peut-être eût-il suivi la bonne route, s’il eût évité avec soin les traces de son père. Regulus l’émancipa, pour lui faire recueillir la succession de sa mère[4]. Après l’avoir acheté par ce bienfait (au moins, c’est ainsi que le caractère de l’homme en faisait parler), il briguait les bonnes grâces de son fils par une affectation d’indulgence, aussi rare que honteuse dans un père. Cela vous paraît incroyable ; mais songez, qu’il s’agit de Regulus.

Cependant il pleure son fils avec excès, Cet enfant avait de petits chevaux de main, et plusieurs attelages, des chiens de toute taille, des rossignols, des perroquets et des merles : Regulus a tout fait égorger sur le bûcher ; et ce n’était pas douleur, c’était comédie. On court chez lui de tous les endroits de la ville : tout le monde le hait, tout le monde le déteste ; et chacun s’empresse de lui rendre visite, comme s’il était l’admiration et les délices du genre humain ; et, pour vous dire en un mot tout ce que je pense, chacun en s’empressant de faire la cour à Regulus, suit son exemple. Il s’est retiré dans ses jardins au delà du Tibre, où il a rempli d’immenses portiques une vaste étendue de terrain, et couvert le rivage de ses statues : car personne ne sait mieux associer la magnificence à l’avarice, la vanité à l’infamie. Il incommode toute la ville, qu’il force à l’aller trouver si loin, dans une saison si contraire ; et, dans la peine qu’il cause, il trouve une consolation. Il dit qu’il veut se marier : nouvelle absurdité à joindre à tant d’autres[5]. Préparez-vous à apprendre au premier jour les noces d’un homme en deuil, les noces d’un vieillard, quoique ce soit se marier à la fois et trop tôt et trop tard. Demandez-vous pourquoi j’ajoute foi à cette folie ? ce n’est point parce qu’il assure la chose très-affirmativement, car personne ne sait mieux mentir ; mais c’est parce qu’il est infaillible que Regulus fera toujours ce que l’on ne doit pas faire. Adieu.

III. -Pline à Antonin. modifier

Que vous ayez plusieurs fois rempli le consulat avec autant de gloire que les consuls de l’ancienne Rome ; que vous vous soyez conduit dans le gouvernement d’Asie d’une manière qui n’a guère d’exemples, je dirais qui n’en a point, si votre modestie pouvait me le pardonner ; enfin, que vous soyez le premier de Rome, par votre intégrité et par l’ascendant de vos vertus, non moins que par l’autorité de votre âge ; tout cela, sans doute, mérite nos hommages et notre vénération. Cependant, je vous admire bien plus dans la liberté de la vie privée. Car il n’est pas moins rare que difficile de savoir tempérer l’austérité par la grâce, la gravité par l’enjouement ; et c’est à quoi vous réussissez à merveille, soit dans vos entretiens, soit dans vos ouvrages. On ne peut vous entendre parler sans se représenter ce vieillard d’Homère[6], dont les paroles coulaient plus douces que le miel ; ni vous lire, sans croire que les abeilles composent le tissu de vos ouvrages de la plus pure essence des fleurs.

C’est ce qui m’est arrivé, quand j’ai lu dernièrement vos épigrammes grecques et vos iambes. Que d’élégance ! que d’agrément ! que de douceur ! Quel goût de l’antiquité ! quelle finesse et quelle justesse à la fois ! Je croyais lire Callimaque, Hérode, ou d’autres auteurs plus délicats encore, s’il y en a ; car certainement ces deux poètes n’ont pas excellé dans ces deux sortes de poésies, et l’un même n’a composé que dans un seul. Est-il possible qu’un homme né à Rome parle si bien grec ? En vérité[7], je ne crois pas que dans Athènes même on possède mieux l’atticisme. Vous dirai-je tout ce que je pense ? J’envie aux Grecs la préférence que vous avez accordée à leur langue sur la nôtre : car il n’est pas difficile de deviner ce que vous auriez pu faire dans votre propre langue, quand vous avez su trouver tant de beautés dans une langue étrangère. Adieu.

IV. - Pline à Sossius. modifier

J’ai la plus tendre amitié pour Calvisius Nepos : c’est un homme plein d’habileté, de droiture, d’éloquence ; qualités que je place en première ligne. Il est proche parent de C. Calvisius qui demeure dans la même maison que moi, et qui est votre intime ami : c’est le fils de sa sœur. Faites-lui obtenir, je vous prie, une charge de tribun pour six mois[8], et que cette dignité l’élève à ses propres yeux et à ceux de son oncle. Vous m’obligerez ; vous obligerez notre cher Calvisius ; vous obligerez Nepos lui-même, qui certainement, en fait de reconnaissance, n’est pas un débiteur moins solvable que nous-mêmes. Vous avez souvent accordé des grâces ; mais j’ose vous assurer que vous n’en avez jamais mieux placé aucune, et à peine une ou deux aussi bien. Adieu.

V. - Pline à Sparsus. modifier

ON dit qu’un jour Eschine lut sa harangue et celle de Démosthènes aux Rhodiens qui l’en priaient, et que l’une et l’autre excitèrent de grandes acclamations. Les applaudissemens qu’ont reçus les ouvrages de ces illustres orateurs ne m’étonnent plus, depuis que, dernièrement, lisant un de mes écrits devant une réunion de gens instruits, j’ai trouvé le même empressement, la même approbation, la même constance pendant deux jours de suite. Cependant, pour exciter leur attention, je n’avais pas le charme secret qui se trouve dans le parallèle de deux ouvrages rivaux, dans l’espèce de combat qu’ils se livrent et qui captive l’auditeur. Outre le mérite des deux discours, les Rhodiens étaient encore animés par le plaisir de les comparer. Le mien a su plaire, quoique privé de ce dernier attrait. Est-ce avec justice ? vous en jugerez, quand vous aurez lu cet ouvrage, dont la longueur ne souffre pas une plus longue préface. Il faut que ma lettre soit courte, puisque je puis la faire telle, pour mériter du moins que Vous m’excusiez d’avoir donné à mon ouvrage une étendue, qu’exigeait au reste la nature du sujet. Adieu.

VI. - Pline à Nason. modifier

La grêle a tout détruit dans mes terres de Toscane. Celles qui sont situées au delà du Pô ont été plus heureuses : tout y abonde ; mais aussi tout s’y donne pour rien. Je ne puis compter que sur le revenu de ma terre de Laurente. Il est vrai que je n’y possède qu’une maison et un jardin : le reste n’est que sable ; et cependant, je le répète, c’est le seul bien sur le revenu duquel je puisse compter[9]. J’y écris beaucoup ; et, si je ne puis y cultiver des terres que je n’ai pas, j’y cultive au moins mon esprit. Ailleurs, je vous ferai voir des granges pleines ; ici, des porte-feuilles bien remplis. Ainsi, voulez-vous un fonds de terre d’un produit riche et certain ? venez acheter sur ce rivage. Adieu.

VII. - Pline à Lepidus. modifier

Je vous le répète souvent ; Regulus a de l’énergie : il réussit d’une manière surprenante à tout ce qu’il veut bien. Il s’est mis en tête de pleurer son fils : il le pleure mieux qu’homme du monde. Il lui a pris fantaisie d’en avoir nombre de statues et de portraits : vous ne voyez plus les sculpteurs et les peintres occupés d’autre chose. Couleurs, cire, cuivre, argent, or, ivoire, marbre, on met tout en œuvre pour nous représenter le fils de Regulus. Ces jours passés, devant une nombreuse assemblée, il lut la vie de son fils, la vie d’un enfant. Peu content d’en avoir répandu mille copies dans l’Italie et dans toutes les provinces de l’empire, il a, par une espèce de lettre circulaire, invité la plupart des villes à faire choisir par leurs décurions le lecteur le plus habile, pour lire ce livre au peuple : on l’a fait. Que ne pouvait-on pas attendre d’un tel homme, s’il eût tourné vers de dignes objets cette énergie, ou, si vous l’aimez mieux, cette ardeur opiniâtre pour tout ce qu’il désire ? Au reste, les méchans ont toujours plus d’énergie que les bons : comme la hardiesse nait de l’ignorance, et la timidité, du savoir[10], aussi l’honnête homme perd de ses avantages par la modestie, tandis que le scélérat trouve de nouvelles forces dans son audace. Regulus en est un exemple. Il a la poitrine faible, l’air embarrassé, la langue épaisse, l’imagination paresseuse, une mémoire très-peu fidèle ; enfin, il n’a pour tout mérite qu’un esprit extravagant. Cependant, sans autre secours que son extravagance et son effronterie, il s’est acquis auprès de bien des gens la réputation d’orateur. C’est donc très-heureusement qu’Herennius Sénécion, renversant la définition de l’orateur que Caton nous a laissée, l’applique à Regulus et dit : L’orateur est un méchant homme , qui ignore l’art de parler. En vérité, Caton n’a pas mieux défini son parfait orateur, que Sénécion n’a caractérisé Regulus.

Avez-vous de quoi payer cette lettre en même monnaie ? Je vous tiendrai quitte, si vous me pouvez mander que cette complainte de Regulus a été lue dans votre ville par quelqu’un de mes amis, ou par vous-même, monté, comme un charlatan, sur deux tréteaux, dans la place publique ; que vous avez fait cette lecture à haute voix, et l’avez soutenue par un ton de confiance et d’autorité, pour parler le langage de Démosthènes[11]. Cette pièce est d’une telle ineptie qu’elle doit plutôt exciter le rire que les larmes : on croirait qu’elle a été composée, non pour un enfant, mais par un enfant. Adieu.

VIII. - Pline à Arrien. modifier

Vous vous réjouissez avec moi de ma promotion à la dignité d’augure, et vous avez raison. D’abord, il est toujours glorieux d’obtenir, même dans les moindres choses, l’approbation d’un prince aussi sage que le nôtre. Ensuite, ce sacerdoce, respectable par sa sainteté et par l’ancienneté de son institution, est encore consacré par un autre caractère ; c’est qu’il ne se perd qu’avec la vie. Il est d’autres sacerdoces, dont les prérogatives sont à peu près égales[12], mais qui peuvent s’ôter, comme ils se donnent : sur celui-ci, la fortune ne peut rien, que le donner. Ce qui me le rend encore plus agréable, c’est d’avoir succédé à Julius Frontinus[13], homme d’un rare mérite : à chaque élection, depuis plusieurs années, il me donnait son suffrage, et paraissait, par là, me désigner pour son successeur : l’événement a été si bien d’accord avec ses vœux, qu’il ne semble pas que le hasard s’en soit mêlé. Mais ce qui vous plaît davantage, si j’en crois votre lettre, c’est que Cicéron fut augure : vous me voyez avec joie marcher dans la carrière des honneurs, sur les traces d’un homme que je voudrais suivre dans celle des sciences. Plût au ciel qu’après être parvenu, beaucoup plus jeune que lui, au consulat et au sacerdoce, je pusse, au moins dans ma vieillesse, posséder une partie de ses talens ! Mais les grâces dont les hommes disposent, peuvent bien venir jusqu’à moi et jusqu’à d’autres ; celles qui dépendent des dieux, il est difficile de les acquérir, et il y a trop de présomption à se les promettre[14]. Adieu.

IX. - Pline à Ursus. modifier

Ces jours passés, on a plaidé la cause de Junius Bassus, homme illustre par les traverses et par les disgrâces qu’il a souffertes. Il fut accusé par deux particuliers, du temps de Vespasien. Renvoyé au sénat pour se justifier, il y vit son sort long-temps incertain : enfin, il se justifia pleinement et fut absous. Ami de Domitien, il craignit Titus, et Domitien lui-même le bannit. Rappelé par Nerva, il obtint le gouvernement de Bithynie. A son retour, il a été accusé de malversation. Vivement pressé, fidèlement défendu, il n’a pas eu tous les juges en sa faveur : le plus grand nombre pourtant a été de l’avis le plus doux. Rufus parla le premier contre lui avec sa facilité et sa chaleur ordinaires ; il fut secondé par Théophanes, l’un des députés, le chef et l’auteur de l’accusation.

Je répliquai : car Bassus m’avait chargé de jeter, pour ainsi dire, les fondemens de sa défense ; de faire valoir toute la considération que lui donnaient sa naissance et ses malheurs ; de dévoiler la conspiration des délateurs, qui vivaient de cet indigne métier[15] ; enfin, de mettre au jour les motifs qui le rendaient l’objet de la haine des factieux, et particulièrement de Théophanes. Bassus m’avait aussi recommandé de réfuter le chef d’accusation qui l’effrayait le plus : car sur les autres points, quoiqu’ils fussent plus graves en apparence, au lieu de châtiment, il méritait des éloges. Ce qu’il y avait donc de plus fort contre lui, c’était qu’avec sa simplicité, ennemie de toute précaution, il avait reçu des gens de la province quelques cadeaux, à titre d’ami[16] : car il avait déjà exercé la questure dans ce pays. Voilà ce que ses accusateurs appelaient des vols et des rapines : lui, il n’y voyait que des présens ; mais les présens mêmes sont interdits par la loi. Que pouvais -je faire dans cet embarras ? Quel système de défense adopter ? Nier le fait ? c’était reconnaître tacitement pour vol ce que l’on n’osait avouer ; et puis, contester ce qui se trouvait manifestement prouvé, c’était agraver le crime, loin de le détruire. D’ailleurs, Bassus n’en avait pas laissé la liberté aux avocats : il avait dit à plusieurs personnes, et même au prince, qu’il avait reçu et envoyé quelques bagatelles, le jour de sa naissance seulement et aux Saturnales. Devais-je donc recourir à la clémence ? J’enfonçais le poignard dans le sein de l’accusé : on est criminel dès que l’on a besoin de grâce. Fallait-il soutenir que son action était innocente ? Sans le justifier, je me déshonorais. Je crus qu’il était nécessaire de chercher un milieu ; et je m’imagine l’avoir trouvé.

La nuit, qui met fin aux combats, finit aussi mon discours. J’avais parlé pendant trois heures et demie : il me restait encore une heure et demie à remplir. Car, suivant la loi, l’accusateur avait six heures, et l’accusé neuf. Bassus avait partagé le temps entre moi et l’orateur qui devait me succéder : il m’avait donné cinq heures, et le reste à l’autre défenseur. Le succès de mon discours m’invitait au silence : car il y a de la témérité à ne se pas contenter de ce qui nous a réussi. J’avais encore à craindre, que, si je recommençais le jour suivant, les forces ne me manquassent : il est plus difficile de se remettre au travail, que de le continuer pendant que l’on est en haleine. Je courais même un autre risque : l’interruption pouvait rendre, ou languissant ce qui me restait à dire, ou ennuyeux ce qu’il fallait répéter. Un flambeau continuellement agité, conserve toute la vivacité de sa flamme ; et, une fois éteint, il se rallume difficilement : il en est de même de la chaleur de l’avocat et de l’attention des juges ; elles se soutiennent par la continuité de l’action ; elles languissent par l’interruption et le repos. Cependant Bassus me pressait avec instance, et presque les larmes aux yeux, d’employer en sa faveur ce qui me restait de temps. J’obéis ; et je préférai son intérêt au mien. Je fus agréablement trompé : je trouvai dans les esprits une attention si neuve et si vive, qu’ils paraissaient bien plutôt excités, que rassasiés par le discours précédent.

Lucius Albinus prit la parole après moi, et avec tant d’adresse, que nos plaidoyers offraient la variété de deux morceaux différens, et semblaient n’en former qu’un par leur liaison. Herennius Pollio répliqua avec une énergie pressante ; et, après lui, Théophanes prit la parole pour la seconde fois : car son impudence se montra en cela, comme en toutes choses ; il voulut parler après deux hommes consulaires, après deux orateurs éloquens, et il parla longuement : il plaida non-seulement jusqu’à la nuit, mais bien avant dans la nuit, à la lueur des flambeaux. Le lendemain, Titius Homullus et Fronton parlèrent pour Bassus, et firent des prodiges. Le quatrième jour, les témoins furent entendus, et on opina. Bébius Macer, consul désigné, déclara Bassus convaincu de péculat. Cépion fut d’avis, que Bassus conservât son rang dans le sénat[17], et qu’on renvoyât l’affaire devant les juges ordinaires. Tous deux avaient raison. Comment cela peut-il être, dites-vous, dans une si grande contrariété de sentimens ? c’est que Macer s’en tenait à la lettre de la loi ; et que, suivant la rigueur de cette loi, on ne pouvait se dispenser de condamner celui qui l’avait violée en recevant des présens. Cépion, au contraire, persuadé que le sénat peut étendre ou modérer la rigueur des lois, comme effectivement il le peut, croyait avoir droit de pardonner une prévarication autorisée par l’usage. L’avis de Cépion l’emporta. Il fut même prévenu, dès qu’il se leva pour opiner, par ces acclamations, qui ne se font entendre ordinairement que lorsqu’on se rasseoit, après avoir opiné : jugez des applaudissemens qui suivirent son discours, par ceux qui le précédèrent.

Cependant sur cette affaire, Rome n’est pas moins partagée que le sénat. Les uns accusent Macer d’une sévérité mal entendue ; les autres reprochent à Cépion une faiblesse qui choque toutes les bienséances. Comment comprendre, disent-ils, qu’un homme renvoyé devant des juges, puisse garder sa place dans le sénat ! Valerius Paullinus ouvrit un troisième avis : ce fut d’ajouter à celui de Cépion, que l’on informerait contre Théophanes, après qu’il aurait accompli sa mission. Paullinus soutenait que cet homme, dans le cours de l’accusation, avait lui-même, en plusieurs chefs, contrevenu à la loi qu’il invoquait pour faire condamner Bassus. Mais quoique ce dernier avis plût fort à la plus grande partie du sénat, les consuls le laissèrent tomber. Paullinus n’en recueillit pas moins tout l’honneur que méritaient sa justice et sa fermeté. Le sénat s’étant séparé, Bassus se vit de toutes parts abordé, environné avec de grands cris, et avec toutes les démonstrations d’une joie extrême. Le souvenir de ses anciens périls rappelé par un péril nouveau, un nom fameux par ses disgrâces, enfin, avec une taille noble et élevée, les dehors d’une vieillesse triste et malheureuse, tout cela lui avait concilié l’intérêt général.

Cette lettre vous tiendra lieu de préface[18]. Quant au discours entier, vous attendrez, s’il vous plaît ; et vous attendrez long-temps : car vous comprenez qu’il ne suffit pas de retoucher légèrement et en courant un sujet de cette importance. Adieu.

X. - Pline à Sabinus. modifier

Vous me marquez que Sabine, qui nous a fait ses héritiers, ne paraît, par aucune disposition de son testament, avoir affranchi Modestus son esclave, et que ce pendant elle lui laisse un legs[19] en ces termes : Je lègue à Modestus, a qui j’ai déjà donné la liberté. Vous me demandez mon avis. J’ai consulté des gens habiles. Tous prétendent que nous ne devons à cet esclave, ni la liberté, parce qu’elle ne lui a point été donnée, ni le legs qu’on lui a fait, parce qu’il est fait à un esclave. Mais moi, je ne doute pas que Sabine ne se soit trompée ; et je suis persuadé que nous ne devons pas hésiter à faire ce que nous ferions, si elle avait écrit ce qu’elle croyait écrire. Je m’assure que vous serez de mon sentiment, vous qui faites profession d’être religieux observateur de la volonté des morts : elle tient lieu de toutes les lois du monde à de dignes héritiers, dès qu’ils la peuvent entrevoir. L’honneur n’a pas moins de pouvoir sur des personnes comme nous, que la nécessité sur les autres. laissons donc Modestus jouir de la liberté ; laissons-le jouir de son legs, comme s’il lui avait été assuré par les précautions que la loi exige. C’est les prendre toutes, que de bien choisir ses héritiers. Adieu.

XI. - Pline à Minucianus. modifier

Avez-vous ouï dire que Valerius Licinien enseigne la rhétorique en Sicile ? J’ai peine à croire que vous le sachiez ; car la nouvelle vient d’arriver. Après avoir été préteur, il occupait, naguère encore, le premier rang au barreau. Quelle chute ! de sénateur, le voilà exilé ! d’avocat, le voilà rhéteur ! Lui-même dans son discours d’ouverture, en prit occasion de s’écrier d’un ton grave et triste : Fortune ! ce sont là de tes jeux ! tu fais passer les professeurs de l’école au sénat, et, du sénat, tu renvoies les sénateurs à l’école[20]. Il y a bien du dépit et de l’aigreur dans cette pensée, et je croirais volontiers qu’il n’a ouvert école que pour la débiter. Lorsqu’il entra couvert d’un manteau grec (car les bannis perdent le droit de porter la toge), après avoir composé son maintien et promené ses yeux sur l’habit qu’il portait : C’est en latin, dit-il, que je vais parler. Tous allez vous écrier : Quel triste et déplorable sort ! digne pourtant de celui qui a déshonoré tant de talens par un inceste[21]! Il est vrai qu’il a avoué le crime ; mais on n’est pas sûr encore si c’est la crainte ou la vérité qui lui arracha cet aveu. Domitien détesté de tous, frémissait de rage de n’avoir personne pour appuyer un de ses actes sanguinaires[22] : il s’était mis en tête de faire enterrer vive la plus ancienne des vestales, Cornélie Maximille, croyant illustrer son siècle par un tel exemple. Usant de son droit de souverain pontife, ou plutôt déployant toute la fureur d’un tyran, il convoque les autres pontifes, non dans son palais, mais dans sa maison d’Albe[23]. Là, sans aucune formalité, et par un crime plus grand que celui qu’il voulait punir, il déclare incestueuse cette malheureuse fille, sans la citer, sans l’entendre ; lui qui, non content d’avoir commis un inceste avec sa nièce, avait encore causé sa mort : comme elle était veuve, elle voulut se faire avorter ; il lui en coûta la vie. Aussitôt après cet arrêt barbare, les pontifes furent envoyés pour en ordonner l’exécution. Cornélie lève les mains au ciel, invoque tantôt Vesta, tantôt les autres dieux ; et, entre plusieurs exclamations, répète souvent celle-ci : Quoi ! César me déclare inces tueuse, moi dont les sacrifices l’ont fait vaincre, l’ont fait triompher ! On ne sait pas, si, par ces paroles, elle voulut flatter ou insulter le prince, si le témoignage de sa conscience, ou son mépris pour l’empereur les lui suggérait[24]. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle ne cessa de les répéter jusqu’au lieu du supplice, où elle fut conduite, innocente ? je n’en sais rien, mais du moins comme une criminelle[25]. En descendant au caveau souterrain, où elle devait être enfermée, sa robe s’étant accrochée, elle se retourna, et la dégagea elle-même. Le bourreau lui présentait la main ; elle recula avec horreur, comme si ce contact eût pu souiller la pureté de son corps : elle se souvint jusqu’à la fin de ce que l’austère bienséance exigeait d’elle ;

Elle sut, en mourant, tomber avec décence[26].

Ajoutez que lorsque Celer, chevalier romain, que l’on donnait pour complice à Cornélie, fut battu de verges dans la place publique où se tiennent les assemblées, il ne laissa échapper que ces paroles : Qu’ai-je fait ? je n’ai rien fait. L’on reprochait donc hautement à Domitien l’injustice et la cruauté de son arrêt. Il se rejette sur Licinien, et le fait poursuivre, sous prétexte que, dans une de ses terres, il avait caché une affranchie de Cornélie. Ceux qui prenaient intérêt à lui le firent avertir qu’un aveu seul pouvait le sauver et lui obtenir sa grâce : il s’y résigna. Sénécion porta la parole pour lui, en son absence, et son discours le disputait en brièveté au mot d’Homère, Patrocle est mort[27] : car il ne dit autre chose, sinon : D’avocat, je suis devenu courrier. Licinien s’est retiré. Cette nouvelle causa tant de plaisir à Domitien, que sa joie le trahit, et lui fit dire dans ses transports : Licinien nous a pleinement absous. Il ne faut pas, ajouta-t-il, pousser à bout sa discrétion. Il lui permit d’emporter tout ce qu’il pourrait de ses biens, avant qu’ils fussent vendus à l’encan, et lui assigna, comme prix de sa complaisance, un lieu d’exil des plus commodes. La bonté de Nerva l’a depuis transféré en Sicile. Là, il tient école aujourd’hui, et se venge de la fortune dans les exordes de ses leçons.

Vous voyez quelle est ma soumission à vos ordres, avec quel soin je vous informe, et des nouvelles de Rome, et des nouvelles étrangères, en reprenant les faits à leur origine. Comme vous étiez absent quand cette affaire s’est passée, je me suis douté que vous auriez seulement entendu dire qu’on avait banni Licinien pour inceste. La renommée rapporte le fond des choses, mais elle néglige le détail. Je mérite bien, ce me semble, qu’à votre tour, vous preniez la peine de m’écrire ce qui se passe, soit dans votre ville, soit aux environs ; car il ne laisse pas d’y arriver quelquefois des événemens remarquables. Enfin, écrivez tout ce qu’il vous plaira, pourvu que votre lettre soit aussi longue que la mienne. Je vous en avertis, je compterai, non-seulement les pages, mais encore les lignes et les syllabes. Adieu.

XII. - Pline à Arrien. modifier

Vous aimez Egnatius Marcellin, et vous me le recommandez souvent : vous l’aimerez et vous me le recomman derez encore davantage, quand vous saurez ce qu’il vient de faire. Il était allé exercer la charge de questeur dans une province. Le secrétaire, que le sort lui avait donné, mourut avant que ses appointemens fussent échus. Marcellin sentit qu’il ne devait pas garder ce qui lui avait été donné pour ce secrétaire. A son retour, il supplie l’empereur, et ensuite, par ordre de l’empereur, le sénat, de lui indiquer l’emploi qu’il devait faire de ces fonds. La question était peu importante, mais c’était toujours une question. Les héritiers, d’une part, de l’autre, les préfets du trésor réclamaient la somme. La cause a été fort bien plaidée des deux côtés : Strabon a opiné pour le fisc ; Bébius Macer, pour les héritiers. L’avis de Strabon a été suivi. Il ne vous reste qu’à donner à Marcellin les louanges qu’il mérite : moi, je me suis acquitté sur-le-champ. Quoique l’approbation publique du prince et du sénat ne lui laisse rien à désirer, je m’assure que la vôtre lui fera plaisir. C’est le caractère de tous ceux que possède l’amour de la véritable gloire : l’applaudissement, même des personnes les moins considérables, a pour eux des charmes. Jugez de l’impression que vos éloges feront sur Marcellin, qui n’a pas moins de vénération pour votre personne, que de confiance en votre discernement. Il ne pourra jamais apprendre que le bruit de son action ait pénétré jusque dans le pays où vous êtes, sans être ravi du chemin que sa réputation aura fait : car, je ne sais pourquoi, les hommes sont plus touchés de l’étendue que de la grandeur de la gloire. Adieu.

XIII. - Pline à Cornelius Tacite. modifier

Je me réjouis que vous soyez de retour à Rome en bonne santé. Vous ne pouviez jamais arriver pour moi plus à propos. Je ne resterai que fort peu de jours encore[28] dans ma maison de Tusculum, pour achever un petit ouvrage que j’y ai commencé. Je crains que, si je l’interromps sur la fin, je n’aie beaucoup de peine à le reprendre. Cependant, afin que mon impatience n’y perde rien, je vous demande d’avance, par cette lettre, une grâce, que je me promets de vous demander bientôt de vive voix. Mais avant de vous exposer le sujet de ma demande, il faut vous dire ce qui m’engage à vous l’adresser.

Ces jours passés, comme j’étais à Côme, lieu de ma naissance, un jeune enfant, fils d’un de mes compatriotes, vint me saluer. Vous étudiez, lui dis-je ? Oui, me répondit-il. — En quel lieu ? — A Milan. — Pourquoi pas ici ? Son père, qui l’accompagnait, et qui me l’avait présenté, prend la parole. Parce qu’ici nous n’avons point de maîtres. — Et pourquoi n’en avez-vous point ? Il était pourtant de l’intérêt de tous les pères (cela venait à propos, car beaucoup m’écoutaient) de faire instruire ici leurs enfans. Où leur trouver un séjour plus agréable que la patrie ? où former leurs mœurs plus sûrement que sous les yeux de leurs parent ? où les entretenir à moins de frais que chez vous ? Le fonds nécessaire pour avoir ici des professeurs coûterait peu de chose à chacun de vous : à peine fau drait-il ajouter à ce que vos enfans vous coûtent ailleurs, où il faut tout payer, voyage, nourriture, logement ; car tout s’achète, lorsqu’on n’est pas chez soi. Moi, qui n’ai point encore d’enfans, je suis tout prêt, en faveur de notre patrie commune, que j’aime avec la tendresse d’un fils ou d’un père, à donner le tiers de la somme que vous voudrez mettre à cet établissement. J’offrirais bien la somme entière, mais je craindrais que cette dépense, qui ne serait à charge a personne, ne rendit tout le monde moins circonspect dans le choix des maîtres ; que la brigue seule ne disposât des places ; et que chacun de vous ne perdît tout le fruit de ma libéralité : c’est ce que je vois en divers lieux oh l’on a fondé des chaires de professeurs. Je ne sais qu’un moyen de prévenir ce désordre : c’est de ne confier qu’aux pères le soin d’engager les maîtres, et de les obliger à bien choisir, par la nécessité de la contribution. Car ceux qui peut-être ne seraient pas fort attentifs au bon usage du bien d’autrui, veilleront certainement à ce que leur propre bien ne soit pas mal employé[29] ; et ils n’oublieront rien pour mettre en bonnes mains le fonds que j’aurai fait, s’ils ont eux-mêmes contribué à le faire. Prenez donc une résolution commune ; unissez vos efforts, et réglez-les sur les miens. Je souhaite sincèrement que la part que je devrai fournir soit considérable. Vous ne pouvez rien faire de plus avantageux à vos enfans, rien de plus agréable à votre patrie. Que vos enfans reçoivent l’éducation[30] au lieu même où ils ont reçu la naissance. Accoutumez-les dès l’enfance à se plaire, à se fixer dans leur pays natal. Puissiez-vous choisir de si excellens maîtres, que leur réputation peuple vos écoles ; et que, par un heureux re tour, ceux qui voient venir vos enfans étudier chez eux, envoient à l’avenir les leurs étudier chez vous !

J’ai repris mon histoire d’un peu haut, pour vous mieux faire entendre combien je serais sensible au bon office que je vous demande. Je vous supplie donc, dans cette foule de savans qu’attire de toutes parts auprès de vous la réputation de votre esprit, cherchez-moi des professeurs habiles, sans toutefois m’engager envers eux. Mon intention est de laisser les pères maîtres absolus du choix. Je leur abandonne l’examen et la décision ; je ne me réserve que la dépense et le soin de leur trouver des sujets. S’il s’en rencontre quelqu’un qui ait assez de confiance en ses talens, pour entreprendre ce voyage sans autre garantie, qu’il vienne : mais qu’il ne compte uniquement que sur son mérite. Adieu.

XIV. - Pline à Paternus. modifier

Vous avez bien l’air de me demander, comme à votre ordinaire, et d’attendre quelque plaidoyer : moi, je vous envoie mes jeux d’esprit, comme si c’étaient des curiosités étrangères et rares. Vous recevrez avec cette lettre des hendécasyllabes[31], que j’ai faits en voiture, au bain, à table, pour remplir et charmer tous mes momens d’oisiveté : j’y exprime tour à tour la gaieté, la folie, l’amour, la douleur, la plainte, la colère : mes descriptions sont tantôt simples, tantôt nobles. Par cette variété, j’essaie de satisfaire les différens goûts, et peut-être même assurera-t-elle à certains morceaux l’approbation de tout le monde.

Si par hasard vous trouvez des endroits un peu libres, votre érudition voudra bien se rappeler que les maîtres les plus austères, qui ont écrit dans ce genre, n’ont pas été fort chastes dans le choix de leurs sujets, et qu’ils ont même, sans scrupule, appelé chaque chose par son nom. C’est une liberté que je ne me donne pas : non que je me pique d’être plus sage (et de quel droit ? ), mais parce que je suis plus timide. Il me semble d’ailleurs que la véritable règle, pour cette espèce de poésie, est renfermée dans ces petits vers de Catulle[32] :

Le poète doit être sage :
Pour ses vers, il importe peu ;
Ils n’auraient ni grâce ni feu,
Sans un air de libertinage.

Voyez quel prix j’attache à votre opinion ! j’ai préféré votre jugement sur l’ensemble à vos éloges sur quelques passages choisis. Je n’ignore pas cependant que des morceaux, assez agréables quand on les lit séparément, cessent de le paraître, quand on les lit après d’autres de même genre : il y a même un autre désavantage ; c’est la nécessité qu’on impose au lecteur d’esprit et de goût, de ne pas comparer ensemble des poésies de caractères différens, mais d’examiner chaque chose en elle-même, et de ne pas juger l’une inférieure, à l’autre, si elle est parfaite dans son genre[33]. Mais pourquoi tant discourir ? Vouloir par une longue préface, justifier ou faire valoir des niaiseries, c’est de toutes les niaiseries la plus ridicule. Je crois seulement vous devoir avertir, que je me propose d’intituler ces bagatelles, Hendécasyllabes, titre qui n’a de rapport qu’à la mesure des vers. Vous les pouvez donc appeler épigrammes, idylles, églogues, ou simplement, poésies, comme plusieurs l’ont fait ; enfin, de tel autre nom qu’il vous plaira : je ne m’engage, moi, qu’à vous donner des hendécasyllabes. J’exige seulement de votre sincérité, que vous me disiez de mon livre, tout ce que vous en direz aux autres. Ce que je vous demande ne vous doit rien coûter : si ce petit ouvrage était le seul ou le plus important qui fût sorti de mes mains, il y aurait peut-être de la dureté à me dire, Cherchez d’autres occupations ; mais vous pouvez, sans blesser la politesse, me dire, Eh ! vous avez tant d’autres occupations ! Adieu.

XV. - Pline à Fundanus. modifier

Si j’ai quelque discernement, je le prouve à aimer de toute mon ame Asinius Rufus. C’est un homme rare, ami passionné des gens de bien comme moi : car pourquoi ne pas me mettre du nombre ? Il est encore intimement lié avec Cornelius Tacite, dont vous connaissez tout le mérite. Ainsi, puisque c’est la ressemblance des mœurs qui serre le plus étroitement les liens de l’amitié, si vous avez quelque estime pour Tacite et pour moi, vous ne pouvez en refuser à Rufus. Il a plusieurs enfans ; car il a compté, parmi les obligations d’un bon citoyen, celle de donner des sujets à l’état ; et cela, dans un siècle où il est si avantageux de n’avoir pas d’enfans, que l’on ne veut pas même un fils unique[34]. Ces honteux bénéfices l’ont peu tenté ; jusque là, qu’il n’a pas craint le nom d’aïeul. Il a des petits-fils de Saturius Firmus, son gendre, homme que vous aimerez autant que je l’aime, quand vous le connaîtrez autant que je le connais.

Vous voyez quelle nombreuse famille vous obligerez à la fois par une seule grâce. Cette grâce, nous avons été conduits à vous la demander, d’abord par un vœu que nous formons, ensuite par je ne sais quel espoir de le voir accompli. Nous vous souhaitons, et nous espérons pour vous le consulat, la prochaine année. Nos augures, nos garans sont vos vertus, et le discernement du prince.

Les mêmes raisons vous donnent pour questeur Asinius Bassus, l’aîné des fils de Rufus. C’est un jeune homme. . . . je ne sais ce que je dois dire : le père veut que je dise et que je pense que son fils vaut mieux que lui ; la modestie du fils me le défend. Quoique vous n’hésitiez jamais à me croire sur parole, vous lui croirez difficilement, sur ma seule assurance, l’habileté, la probité, l’érudition, l’esprit, l’application, la mémoire, que l’expérience vous fera découvrir en lui. Je voudrais que notre siècle fût assez fécond en vertus, pour qu’on pût trouver un jeune homme, digne d’être préféré à Bassus : je serais le premier à vous avertir, à vous presser d’y re garder plus d’une fois, et de peser long-temps, avant de faire pencher la balance. Par malheur, aujourd’hui. . . . Mais je ne veux pas vous vanter trop mon ami[35] : je le dirai seulement, il mériterait que vous l’adoptassiez pour fils, selon la coutume de nos ancêtres : ceux qui se distinguent, comme vous, par une haute sagesse, doivent se choisir dans le sein de la république des enfans, tels qu’ils voudraient en avoir reçu de la nature. Ne vous sera-t-il pas honorable, lorsque vous serez consul, d’avoir pour questeur le fils d’un homme qui a exercé la préture, et le proche parent de plusieurs consulaires, sur lesquels, tout jeune qu’il est, et de leur propre aveu, il répand autant d’éclat qu’il en reçoit d’eux ?

Ayez donc égard à mes prières, ne négligez pas mes avis, et surtout pardonnez à une sollicitation prématurée. L’amitié est impatiente, et court au devant du temps par ses désirs[36]. D’ailleurs, dans une ville, où il semble que tout soit fait pour le premier qui s’en empare, on trouve que le moment d’agir est passé, si l’on attend qu’il soit venu. Enfin, il est doux de jouir par avance des succès que l’on désire. Que déjà Bassus vous respecte comme son consul : vous, aimez-le comme votre questeur ; et moi, qui vous aime également l’un et l’autre, que je puisse goûter une double joie. Car, dans la tendre amitié qui m’attache à vous et à Bassus, je suis disposé à tout employer, mes soins[37], mes sollicitations, mon crédit, pour élever tout ensemble aux honneurs, et Bassus, quel que soit le consul dont il sera le questeur, et le questeur que vous aurez choisi, quel qu’il puisse être : jugez donc de ma satisfaction, si mon amitié pour Bassus, d’accord avec les intérêts de votre consulat, rassemblait tous mes vœux sur lui seul ! si enfin vous me secondiez dans mes sollicitations, vous dont les avis sont d’une si grande autorité, et le témoignage d’un si grand poids dans le sénat ! Adieu.


XVI. - Pline à Valerius Paullinus. modifier

Réjouissez-vous pour vous, pour moi, pour notre siècle : les lettres sont encore en honneur. Ces jours derniers, je devais plaider devant les centumvirs ; la foule était immense, et je ne pus trouver passage, qu’à travers le tribunal et l’assemblée des juges. Un jeune homme, d’un rang distingué, eut sa tunique déchirée, ainsi qu’il arrive souvent dans la foule : il n’en resta pas moins, et durant sept heures entières, couvert seulement de sa toge[38] ; car je parlai sept heures, avec beaucoup de fatigue, et plus de succès encore. Travaillons donc, et ne donnons plus pour excuse à notre paresse l’indifférence du public. Nous ne manquerons ni d’auditeurs ni de lecteurs : ayons soin, à notre tour, qu’ils ne manquent ni de bons discours à écouter, ni de bons livres à lire. Adieu.

XVII. - Pline à Gallus. modifier

Vous m’avertissez que C. Cécilius, consul désigné, poursuit en justice Corellia, absente en ce moment de cette ville ; et vous me priez de la défendre. Je vous remercie de l’avis ; mais je me plains de la prière. Je dois être averti, pour savoir ce qui se passe ; mais on ne doit pas me prier de faire ce que je ne puis, sans déshonneur, me dispenser de faire. Balancerais-je à me déclarer pour la fille de Corellius ? Il est vrai que je suis lié d’amitié avec son adversaire ; non pas intimement lié, mais enfin lié d’amitié : il jouit, je le sais, d’une grande considération, et la dignité qui l’attend exige de moi d’autant plus d’égards, que j’en ai été revêtu moi-même : car il est naturel de vouloir élever, dans l’opinion publique, les honneurs que l’on a possédés. Mais toutes ces raisons s’évanouissent, quand je songe que je vais défendre la fille de Corellius.

J’ai sans cesse devant les yeux ce grand homme, qui ne le cédait à personne de son siècle en sagesse, en vertu, en finesse d’esprit. Mon attachement pour lui naquit de l’admiration qu’il m’avait inspirée ; et il arriva, contre l’ordinaire, que je l’admirai bien plus encore, quand je vins à le mieux connaître. Je puis dire que je l’ai connu ; car il n’avait pour moi aucune pensée secrète. Il partageait avec moi ses amusemens, ses affaires, sa joie, ses peines. J’étais encore tout jeune, et il avait pour moi, non-seulement les égards, mais, j’ose le dire, le respect qu’il aurait eu pour une personne de son âge. Je n’ai point sollicité de dignité, qu’il ne m’ait appuyé de sa voix et de son témoignage : je n’ai pris possession d’aucune charge, qu’il ne m’ait accompagné[39], qu’il ne se soit mêlé à mon cortége ; je n’en ai point exercé, qu’il n’ait été mon conseiller et mon guide. En un mot, chaque fois qu’il s’est agi de mes intérêts, vieux et infirme, il semblait retrouver, pour les soutenir, sa jeunesse et sa vigueur. Quel soin ne prenait-il pas, soit en particulier, soit en public, soit à la cour, pour établir ma réputation ! Un jour, chez l’empereur Nerva, la conversation tomba sur les jeunes gens d’un heureux naturel : la plupart me comblèrent d’éloges. Corellius, après avoir quelque temps gardé le silence, ce qui donnait encore du poids à ses paroles : Pour moi, dit-il de ce ton grave que vous lui connaissiez, je suis obligé de louer Pline plus sobrement ; car il ne fait rien que par mes conseils. Par là, il m’accordait plus de gloire que je n’aurais osé le désirer : c’était proclamer la haute sagesse de toutes mes actions, que de les attribuer aux conseils du plus sage de tous les hommes. Enfin, en mourant, il dit à sa fille, qui souvent prend plaisir à le répéter : Je vous ai fait beaucoup d’amis, dans le cours de ma longue vie ; mais comptez particulièrement sur l’affection de Pline et de Cornutus.

Je ne puis songer à ce mot, sans concevoir tout ce que je dois faire, pour n’être pas accusé de trahir sa confiance et de démentir son jugement. Corellia peut donc compter sur moi : je la défendrai, quand je devrais me faire un ennemi de son adversaire. Mais j’ose compter sur le pardon et même sur les éloges de Cécilius (qui, dites-vous, hasarde ce procès dans l’espérance d’avoir affaire seulement à une femme ), lorsque, pour justifier ma conduite, ou plutôt pour m’en faire honneur, j’aurai développé dans mon plaidoyer, avec la force et l’étendue que ne permet point une lettre, tout ce que je viens de vous exposer dans celle-ci. Adieu.

XVIII. - Pline à Antonin. modifier

J’ai essayé de traduire en latin quelques-unes de vos épigrammes grecques : puis-je mieux vous prouver à quel point j’en suis charmé ? J’ai bien peur de les avoir gâtées ; et j’en accuse avant tout la faiblesse de mon génie, ensuite la stérilité, ou, pour parler comme Lucrèce, la pauvreté de notre langue. Si vous trouvez quelque agrément dans la traduction, qui est en latin et de ma façon, imaginez les grâces de l’original, qui est en grec et de votre main ! Adieu.

XIX. - Pline à Hispulla modifier

[40].

Je connais votre cœur : je sais que vous aimiez votre excellent frère, autant qu’il vous aimait lui-même ; je sais que sa fille a trouvé en vous, non-seulement l’affection d’une tante, mais toute la tendresse du père qu’elle avait perdu. Vous apprendrez donc avec une extrême joie, qu’elle est toujours digne de son père, digne de son aïeul, digne de vous. Elle a beaucoup d’esprit, beaucoup de retenue : elle m’aime, et c’est un gage de sa vertu. Elle a du goût pour les lettres, et ce goût lui a été inspiré par l’envie de me plaire. Elle a continuellement mes ouvrages entre les mains ; elle ne cesse de les lire ; elle les apprend par cœur. Vous ne pouvez vous imaginer son inquiétude avant que je plaide, sa joie après que j’ai plaidé. Elle charge toujours quelqu’un de venir lui apprendre quels applaudissemens j’ai reçus, quel succès a eu la cause. S’il m’arrive de lire un ouvrage en public, elle sait se ménager une place[41], où, derrière un rideau, elle écoute avidement les louanges que l’on me donne. Instruite par l’amour seul, le plus habile de tous les maîtres, elle chante mes vers, en s’accompagnant avec sa lyre. J’ai donc raison de me promettre que le temps ne fera que cimenter de plus en plus notre union. Car elle aime en moi, non la jeunesse et la figure, dont chaque jour voit diminuer l’éclat, mais la gloire, qui ne périt jamais.

Eh ! que pouvais-je attendre autre chose d’une personne élevée sous vos yeux, formée par vos leçons, qui n’a rien vu près de vous que des exemples de vertu et d’honneur, et qui, enfin, apprit à m’aimer en m’entendant louer de votre bouche ? Vos sentimens pour ma mère, que vous respectez comme la vôtre, et la part que vous preniez à mon éducation, vous ont accoutumée à me vanter dès ma plus tendre enfance : ce que vous vous plaisiez dès lors à prédire que je serais un jour, il semble à ma femme que je sois aujourd’hui. Ainsi, nous vous remercions à l’envi d’avoir uni, en nous donnant l’un à l’autre, deux personnes si bien faites pour s’aimer. Adieu.

XX. - Pline à Maxime. modifier


Je vous ai mandé mon sentiment sur chacune des parties de votre ouvrage, à mesure que je les ai lues : il faut vous dire aujourd’hui ce que je pense de l’ouvrage entier. Il m’a semblé parfait, plein de vigueur, de véhémence, d’élévation, de variété, d’élégance, de pureté : les figures y sont heureusement choisies, et l’étendue de la composition ne fait qu’ajouter ici à la gloire de l’auteur. Votre esprit et votre douleur ont ensemble déployé toute leur force, et se sont réciproquement soutenus. L’esprit y donne de la magnificence et de la majesté à la douleur ; et la douleur donne à l’esprit de la force et une sorte d’énergie amère. Adieu.

XXI. - Pline à Velius Cerealis. modifier

Que le sort des Helvidies est triste et funeste ! Ces deux sœurs sont mortes en couches, toutes deux après avoir mis au monde une fille. Je suis pénétré de douleur ; et je crois ne pouvoir l’être trop : tant il me paraît cruel de perdre, par une malheureuse fécondité, ces deux aimables personnes dans la fleur de leur âge[42] ! Je plains de pauvres enfans, à qui le même moment donne le jour et enlève leur mère : je plains des maris excellens ; je me plains moi-même : car j’aime encore le père des Helvidies, tout mort qu’il est, avec cette vive tendresse dont mon plaidoyer et mes écrits sont de fidèles témoins[43]. Il ne lui reste plus qu’un seul de ses trois enfans : un seul soutient maintenant sa maison, si glorieuse naguère de ses trois appuis. Ce me sera pourtant une douce consolation, si la fortune nous conserve au moins ce fils, pour nous rendre en sa personne son aïeul et son père. Sa vie et ses mœurs me donnent d’autant plus d’inquiétude, qu’il est unique aujourd’hui. Vous qui connaissez ma faiblesse et mes alarmes pour les personnes que j’aime, vous ne serez pas surpris de me voir tant craindre pour un jeune homme, sur lequel reposent de si hautes espérances. Adieu.

XXII. - Pline à Sempronius Rufus. modifier

J’ai été appelé au conseil de l’empereur, pour dire mon avis sur une question singulière. On célébrait à Vienne des jeux publics[44], fondés par le testament d’un particulier. Trebonius Rufinus, homme d’un rare mérite, et mon ami, les abolit pendant qu’il était duumvir[45]. L’on soutenait qu’il n’avait pu s’attribuer cette autorité. Il plaida lui-même avec autant de succès que d’éloquence. Ce qui ajouta à l’éclat de sa défense, c’est que, dans une question qui le touchait spécialement, il parla en Romain, en bon citoyen, avec sagesse et dignité. Lorsqu’on recueillit les avis, Junius Mauricus, dont rien n’égale la fermeté et la sincérité, ne se contenta pas de dire, qu’il ne fallait pas rétablir ces spectacles à Vienne ; il ajouta : Je voudrais même qu’on pût les supprimer à Rome.

C’est, direz-vous, montrer beaucoup de hardiesse et de force ; mais cela n’est pas surprenant dans Mauricus[46]. Ce qu’il dit à la table de Nerva n’est pas moins hardi. Cet empereur soupait avec un petit nombre de ses amis. Veiento[47] était près de lui, et même penché sur son sein : vous nommer le personnage, c’est vous en dire assez. La conversation tomba sur Catullus Messalinus, qui, naturellement cruel, avait, en perdant la vue, achevé de perdre tout sentiment d’humanité[48]. Il ne connaissait plus ni respect, ni honte, ni pitié. Il était, entre les mains de Domitien, comme le trait qui part et frappe aveuglément, et cet empereur barbare le lançait le plus souvent contre les citoyens vertueux. Chacun, pendant le souper, s’entretenait de la scélératesse de Messalinus et de ses conseils sanguinaires. Alors Nerva prenant la parole : Que pensez-vous, dit-il, qu’il lui fût arrivé, s’il vivait encore ? — // souperait avec nous, répondit hardiment Mauricus[49].

Je me suis écarté, mais non pas sans dessein. On prononça la suppression de ces jeux, qui n’avaient fait que corrompre les mœurs de Vienne, comme nos jeux corrompent les mœurs de l’univers. Car les vices des Vien nois sont renfermés dans leurs murailles : les nôtres se répandent bien plus loin ; et dans le corps politique, comme dans le corps humain, la plus dangereuse de toutes les maladies, c’est celle qui vient de la tête. Adieu.

XXIII. - Pline à Pomponius Bassus. modifier

J’apprends avec plaisir par nos amis communs, que vous jouissez et disposez de votre loisir d’une manière vraiment digne de votre sagesse ; que vous habitez un séjour délicieux ; que vous vous promenez souvent, soit sur terre, soit sur mer ; que vous donnez beaucoup de temps aux discussions, aux conférences, à la lecture ; et qu’il n’est point de jour que vous n’ajoutiez quelque nouvelle connaissance à cette vaste érudition que vous possédez déjà. C’est ainsi que doit vieillir un homme qui s’est distingué dans les plus hautes fonctions de la magistrature, qui a commandé des armés, et qui s’est dévoué au service de la république, tant que l’honneur l’a voulu. Nous devons à la patrie le premier et le second âge de notre vie ; mais nous nous devons le dernier à nous-mêmes : les lois semblent nous le conseiller, lorsqu’à soixante ans elles nous rendent au repos. Quand jouirai-je de cette liberté ? Quand l’âge me permettra-t-il ce délassement glorieux ? Quand mon repos ne sera-t-il plus appelé paresse, mais sage tranquillité ? Adieu.

XXIV. - Pline à Valens. modifier

Ces jours passés, comme je plaidais devant les centumvirs, les quatre tribunaux assemblés, je me souvins que la même chose m’était arrivée dans ma jeunesse[50]. Ma pensée, comme à l’ordinaire, m’entraîna plus loin. Je commençai à rappeler dans ma mémoire ceux qui suivaient avec moi la carrière du barreau à l’une et à l’autre époque. Je m’aperçus que j’étais le seul qui se fut trouvé aux deux jugemens, tant les lois de la nature, tant les caprices de la fortune amènent de changemens ! Les uns sont morts, les autres bannis. L’âge ou les infirmités ont condamné celui-ci au silence ; la sagesse ménage à celui-là une heureuse tranquillité. L’un commande une armée ; la faveur du prince dispense l’autre des emplois pénibles. Moi-même, quelles vicissitudes n’ai-je point éprouvées ! Les belles-lettres m’ont élevé d’abord, abaissé ensuite, et enfin relevé. Mes liaisons avec les gens de bien m’ont été avantageuses, puis elles m’ont nui[51], et, de nouveau, elles me sont utiles aujourd’hui. Si vous comptez les années, le temps vous paraîtra court ; si vous comptez les événemens, vous croirez parcourir un siècle. Tant de changemens, si rapidement amenés, sont bien propres à nous apprendre, qu’on ne doit désespérer de rien, ne compter sur rien. J’ai coutume de vous communiquer toutes mes pensées, de vous adresser les mêmes leçons, de vous proposer les mêmes exemples qu’à moi-même : ne cherchez pas d’autre intention dans cette lettre Adieu.

XXV. - Pline à Messius Maxime. modifier

Je vous avais bien dit qu’il était à craindre que le scrutin secret n’amenât quelque désordre[52]. C’est ce qui vient d’arriver à la dernière élection des magistrats. Dans plusieurs billets, on a trouvé des plaisanteries ; en quelques-uns, des impertinences grossières ; dans un, entre autres, à la place du nom des candidats, le nom des protecteurs. Le sénat fit éclater son indignation, et appela à grands cris la colère du prince sur l’auteur de cette insolence. Mais il a échappé à tous ces ressentimens ; il est demeuré ignoré, et peut-être était-il un de ceux qui criaient le plus haut. Que ne doit-il pas oser chez lui, l’homme qui dans une affaire si sérieuse, dans une occasion si importante, se permet des bouffonneries de ce genre, l’homme qui, en plein sénat, fait le railleur, le spirituel, l’agréable ? Pour produire cet excès d’audace dans une ame basse, il ne faut que cette réflexion : Qui le saura ? Demander du papier, prendre la plume, baisser la tête pour écrire, ne craindre point le témoignage des autres, mépriser le sien propre, voilà tout ce qu’il faut pour produire ces bons mots dignes du théâtre et de la scène. De quel côté se tourner ? Quelque remède que l’on emploie, le mal est plus fort que le remède. Mais ce soin regarde quelqu’autre puissance[53], au zèle et aux travaux de laquelle notre mollesse et notre licence préparent de jour en jour de nouveaux sujets de réforme. Adieu.

XXVI. - Pline à Nepos. modifier

Vous voulez que je charge quelqu’un de relire et de corriger avec exactitude l’exemplaire de mes ouvrages, que vous avez acheté : je le ferai. De quel soin plus agréable pourrais-je me charger, puisque je m’en charge a votre prière ? Lorsqu’un homme aussi grave, aussi savant, aussi éclairé, et, par dessus tout, aussi occupé que vous, croit devoir, en partant pour le gouvernement d’une grande province, emporter mes ouvrages avec lui, ne dois-je pas veiller de tout mon zèle à ce que cette partie de son bagage ne l’embarasse pas comme un fardeau inutile ? Je chercherai donc à vous rendre vos compagnons de route le plus agréables que je pourrai, et je tâcherai, pour votre retour, d’en préparer d’autres que vous désiriez joindre aux anciens ; car rien ne peut mieux m’engager à composer de nouveaux ouvrages, que l’attrait d’avoir un lecteur tel que vous. Adieu.

XXVII. - Pline à Falcon. modifier

Il y a trois jours que j’entendis avec beaucoup de plaisir, et même avec admiration, la lecture des ouvrages de Sentius Augurinus : il les appelle petites poésies. Il y en a de délicates, de simples, de nobles, de galantes, de tendres, de douces, de piquantes. Il n’a rien paru de plus achevé dans ce genre, depuis quelques années, si je ne suis point ébloui par l’amitié que je lui porte, ou par les louanges qu’il me donne dans une de ses pièces : elle roule sur le caprice que j’ai quelquefois de faire des vers légers. Vous allez vous-même juger de mon jugement, si le second vers de cette pièce me revient ; car je tiens les autres. Bon ! le voilà revenu.

Ma muse enjouée et badine
Imite Catulle et Calvus[54] ;
Mais je veux n’imiter que Pline :
Lui seul les vaut tous deux, s’il ne vaut encor plus.
Qui sait mieux, dans un tendre ouvrage,
Parler un amoureux langage ?
Quoi ! ce Pline si sérieux Et si grave ?. . .
Oui, ce Pline, épris de deux beaux yeux,
Fait quelquefois des vers où règne la tendresse.
Il célèbre l’amour : Caton en fit autant.
Vous qui vous piquez de sagesse,
Refusez d’aimer maintenant[55].

Vous voyez quelle finesse, quelle justesse, quelle vivacité. Le livre entier est écrit dans ce goût. Je vous en promets un exemplaire dès qu’il aura vu le jour. Aimez toujours ce jeune homme par avance. Réjouissez-vous pour notre siècle, illustré par un esprit si rare, qu’accompagnent d’ailleurs toutes les vertus. Il passe sa vie tantôt auprès de Spurinna, tantôt auprès d’Antonin, allié de l’un, intime ami de tous les deux. Jugez par là du mérite d’un jeune homme, qui est tant aimé de vieillards si vénérables. Car rien de plus vrai que la maxime du poète :

On ressemble toujours à ceux que l’on fréquente[56].
Adieu.

XXVIII. - Pline à Sévère modifier

[57].

HerenNius SeverUs, homme très-savant, tient beaucoup à placer dans sa bibliothèque les portraits de deux de vos compatriotes, Cornelius Nepos et Titus Cassius. Si vous avez ces portraits dans votre ville, comme cela est vraisemblable, il me prie de lui en faire faire des copies. En vous chargeant spécialement de ce soin, j’ai considéré, d’abord, votre amitié, qui se prête avec une extrême obligeance à tous mes désirs ; ensuite votre passion pour les belles-lettres, et votre amour pour ceux qui les cultivent ; enfin, le respect et la tendresse que vous inspirent tous ceux qui ont fait honneur à la patrie, non moins que la patrie elle-même. Je vous supplie donc de choisir le peintre le plus habile : car s’il est difficile de saisir la ressemblance d’après un original, combien ne l’est-il pas davantage d’après une copie ? Tâchez, je vous prie, que l’artiste ne sacrifie pas la vérité, même pour l’embellir. Adieu.

XXIX. - Pline à Romanus. modifier

Allons, paresseux, ne manquez pas, à la première audience qui se tiendra, de venir exercer vos fonctions de juge. Ne comptez pas que vous puissiez vous en reposer sur moi : on ne s’en dispense pas impunément. Licinius Nepos, préteur, homme ferme et sévère, vient de condamner à l’amende un sénateur même. Le sénateur a plaidé sa cause dans le sénat ; mais il a plaidé en homme qui demande grâce. L’amende lui a été remise ; mais il en a eu la peur, mais il a prié, mais il a eu besoin de pardon. Tous les préteurs, dites-vous, ne sont pas si sévères. Vous vous trompez : il faut de la sévérité pour établir, ou pour ramener de tels exemples ; mais quand ils sont une fois établis ou ramenés, les plus indulgens peuvent fort bien les imiter. Adieu.

XXX. - Pline à Licinius. modifier

Je vous ai rapporté de mon pays, pour présent, une question digne d’exercer cette vaste érudition, à laquelle rien n’échappe. Une fontaine prend sa source dans une montagne, coule entre des rochers, passe dans une petite salle à manger faite exprès de main d’homme, s’arrête quelque temps, et enfin tombe dans le lac de Côme. Voici le merveilleux : trois fois le jour, elle s’élève et s’abaisse, par un flux et un reflux réguliers. L’œil peut juger de ce prodige, et il y a un plaisir extrême à en observer les effets. On s’asseoit sur le bord, on y mange, on boit même de l’eau de la fontaine ; car elle est très-fraîche ; et on la voit, pendant ce temps, ou monter ou se retirer graduellement. Vous placez un anneau ou tout autre objet, à sec, sur le bord : l’eau le mouille peu-à-peu, et enfin le couvre tout-à-fait. Bientôt, il reparaît, et l’eau l’abandonne insensiblement. Regardez assez longtemps, et vous verrez, dans le jour, la même chose se répéter jusqu’à deux et trois fois. Quelque vent souterrain ouvrirait-il ou fermerait-il quelquefois la source de cette fontaine, selon qu’il entre, ou se retire avec force ? C’est ce qui arrive dans une bouteille, dont l’ouverture est un peu étroite : l’eau n’en sort pas tout à coup, et retenue, dans la bouteille renversée, par l’effort de l’air qui veut pénétrer, elle ne s’échappe que par élans. Cette fontaine obéit-elle aux mêmes influences que l’Océan ? la même cause qui étend ou resserre les flots de la mer, fait-elle aussi croître ou décroître ce mince filet d’eau[58] ? Ou bien, comme les fleuves, qui portent leurs eaux à la mer, sont refoulés par les vents contraires ou par le reflux, y aurait-il de même quelque obstacle interne qui repousse les eaux de cette fontaine[59] ? Peut-être encore, les veines qui l’alimentent ont-elles une capacité déterminée : tandis qu’elles rassemblent de nouveau la quantité d’eau qu’elles viennent d’épancher, le ruisseau s’abaisse et coule plus lentement ; au lieu qu’il s’enfle et se précipite, lorsque ces veines sont remplies. Enfin, existerait-il quelque balancement secret dans le bassin qui renferme ces eaux, de telle sorte que l’épanchement fût plus libre, lorsque les eaux sont moins abondantes ; et qu’au contraire, lorsqu’elles affluent, l’épanchement arrêté ne se fît que par bouillons[60] ? C’est à vous à découvrir les causes de ce prodige : personne ne le peut mieux que vous ? Pour moi, je suis content si j’ai bien exposé le fait[61]. Adieu.

  1. Fabatus. Il y a dans le latin Fabato prosocero suo, c’est-à-dire à Fabatus, aïeul de sa femme.
  2. Tiferne. Aujourd’hui Città di Castello. D. S.
  3. Protecteur. Le texte porte patronum. De Sacy avait traduit par le mot d’avocat. Pouvait-on choisir un enfant pour avocat ? Il était moins ridicule de le choisir pour patron.
  4. Regulus l’émancipa, etc. Elle avait institué héritier son fils, au cas qu’il fût émancipé par son père. D. S. (Tant que le fils était sous la puissance paternelle, tous les biens qu’il pouvait acquérir ne lui profitaient pas ; ils profitaient à son père. Sans doute la mère, connaissant les moeurs de son mari, ne voulait pas qu’il profitât de l’institution d’héritier qu’elle faisait en faveur de son fils. Sa prudence fut trompée : Regulus hérita du fils qu’il avait perdu : c’est pour cela que Pline dit, en commençant,
  5. Nouvelle absurdité, etc. Perverse n’a pas ici le sens que lui a donné De Sacy en traduisant, il le dit artificieusement.
  6. Ce vieillard d’Homère. Nestor. Au lieu de traduire la prose de Pline, je ne sais pourquoi De Sacy avait préféré traduire le vers de l’Iliade, dans lequel Homère caractérise l’éloquence de Nestor. ( Iliad. i, 249. )
  7. En vérité. Nous avons écrit medius fidius, parce que l’usage a prévalu de l’employer ainsi, quoiqu’il eût été plus exact de dire me Dius Fidius. C’est une sorte d’affirmation énergique, qui a le même sens que me Hercule. « Dius fidius et Deus fidius, dit Forcellini, est Jovis filius, quem Sancum, vel Sanguin sabina lingua, Herculem grœca appellari putabant. »
  8. Tribun pour dix mois. A cause du grand nombre des candidats, la charge de tribun s’accordait seulement pour un semestre. Ceci explique deux vers de Juvénal, vii, 88, sur l’histrion Pâris : Ille et militiœ multis largitur honorem, Semestri vatum digitos circumligat auro. Le semestre aurum était l’anneau que portaient les tribuns nommés pour six mois.
  9. C’est le seul bien, etc. Il est évident que solum mihi in reditu a le même sens ici que solum mihi Laurentinum meum in reditu : c’est une répétition qui ne manque pas de grâce. Pourrait-on croire qu’après avoir traduit la première de ces deux phrases par je ne puis compter que sur le revenu de ma terre de Laurentin, De Sacy traduit ainsi la seconde : le terrain n’est pourtant pas ingrat pour moi ; c’est-à-dire qu’il prend le second solum pour un substantif ? On ne peut faire un contresens plus formel.
  10. La hardiesse naît de l’ignorance, etc. Phrase grecque empruntée à Thucydide [In serm. epitaph. , 11, 40).
  11. Pour parler le langage de Démosthène. Voyez De Corona.
  12. D’autres sacerdoc es. De Sacy a traduit comme s’il y avait omnia au lieu de alia.
  13. Julius Frontinus. Il avait composé plusieurs ouvrages sur l’art militaire et d’autres sciences. Pline l’appelle principem virum : ïl méritait ce titre par ses lumières, par l’éclat de ses dignités, et surtout par ses belles actions. Il fut consul, gouverna la Grande-Bretagne sous Domitien, et réduisit, par les armes, la belliqueuse nation des Silures. Tacite le nomme vir magnus (Vie d’Agric. , 17)
  14. Mais les grâces dont les hommes disposent, etc. J’ai admis et au lieu de ea et ; adipisci au lieu de apisci ; nisi a diis non au lieu de nonnisi a diis. Ces légers changemens sont empruntés à l’édition de Schœfer.
  15. Qui vivaient de cet indigne métier. Les délateurs recevaient à titre de salaire la quatrième partie des biens de ceux qu’ils accusaient : de là, leur nom de quadruplatores.
  16. D’ami. Le texte, joint à la traduction de De Sacy, portait ut amicus.
  17. Conservât son rang, etc. C’est ainsi que j’ai entendu salva dignitate. De Sacy avait traduit, que sans toucher à l’honneur de Bassus, on civilisât l’affaire, etc. Ce qui m’a déterminé, c’est la phrase que j’ai trouvée plus bas : Negant congruens esse retinere in senatu, cui judices dederis.
  18. Préface. Le mot grec ■xfoS’^o^o ; veut dire le coureur qui précède et qui annonce l’arrivée de quelqu’un. Nous avons traduit par un équivalent.
  19. Et cependant, etc. Les esclaves ne pouvaient rien recevoir par testament ou par donation.
  20. Tu fais passer les professeurs, etc. Sans traduire, commeDe Sacy, professor par pédant, nous avons cherché à rendre l’intention énergique de la phrase, et à justifier la réflexion de Pline, cui sententiœ tantum bilis, tantum amaritudinis inest. Juvénal, dans sa septième satire, v. 197, a dit comme Licinien : Si fortuna volet, fies de rhetore consul, Si volet hæc eadem, fies de consule rhetor
  21. Vous allez vous écrier, etc. De Sacy a lu dicens tristia, et liant ces mots avec ce qui précède, il traduisait : « Messieurs, je vais parler latin ; et il mêla dans la suite de son discours les réflexions du monde les plus tristes et les plus touchantes. » Notre leçon, conforme à celle des manuscrits et des bonnes éditions, a encore l’avantage du sens. Licinien jetant un coup d’œil sur son manteau grec, et disant, je vais parler latin, est plus éloquent, dans sa brièveté, que Licinien débitant les réflexions du monde les plus tristes et les plus touchantes.
  22. Frémissait de rage, etc. La phrase de De Sacy ne rendait pas toutes les idées, ni surtout l’énergie de celle de Pline. Domitien avait cédé au barbare caprice de faire mourir une vestale : mais destitué de preuves et de témoins, et sentant que l’indignation publique s’élevait contre lui, il frémissait comme une bête féroce : la honte et l’embarras qu’il éprouvait se tournaient en fureur.
  23. Dans sa maison d’Albe. Aujourd’hui Albano. D. S. Voyez notre édition de Juvénal, sat. iv, note 20.
  24. Son mépris, etc. Domitien avait triomphé des Daces et des Cattes sans les avoir vaincus.
  25. Comme une criminelle. Au lieu de tanquam innocens que portent plusieurs éditions, nous avons adopté, avec De Sacy et Schæfer, tanquam nocens. C’est une leçon plus naturelle et plus claire.
  26. Elle sut, en mourant, etc. Euripide, Hecub. 569. Ovide a dit de Lucrèce, Fast. n, 833 : Tunc quoque jam moriens, ne non procumbat honeste, Respicit : hœc etiam cura cadentis erat
  27. Patrocle est mort. Homère, Iliad. xviii, 20.
  28. Encore. Il y a dans l’édition de Schæfer pauculis adhuc diebus, au lieu de pauculis diebus. J’ai suivi sa leçon.
  29. Veilleront certainement à ce que, etc. Tous les textes portent ne. . . . non nisi dignus accipiat : il y a évidemment une négation de trop. Heusinger a cité plusieurs exemples, où deux négations sont employées pour une seule, et il renvoie à Brouckus, Tibull. ii , 15, 2 ; à Oudendorp, Cœs. bell. Gall. v , 23, etc. , où l’on a recueilli un grand nombre de phrases de ce genre. Mais Schœfer ne pense pas qu’un de ces exemples puisse justifier la phrase de Pline, et il propose, comme Gesner, de substituer ut à ne.
  30. Reçoivent l’éducation. Nous avons préféré edoceantur à educentur : il s’agit ici d ’instruction, et non d’ éducation. On distingueen latin educari, de edoceri ou erudiri. Cornel. Nep. , Alcib. II , 1 : Educatus est in domo Periclis eruditus a Socrate.
  31. Hendécasyllabes. Vers de onze syllabes, qu’on réservaitpour les sujets licencieux, ainsi qu’on le voit dans Catulle et dansMartial : aussi Quintilien disait-il qu’il fallait prendre garde queces vers ne tombassent sous la main des enfans. (1, 8, 6. )
  32. Ces petits vers de Catulle. CatuLL. , 17, ad Aurelium et Furium.
  33. Je n’ignore pas cependant, etc. Tout cet endroit m’a semblé mal entendu par le traducteur : « En effet, dit-il, les morceaux d’une pièce qui, séparés, peuvent plaire, perdent souvent cet avantage, quand on les trouve en compagnie de plusieurs autres, qui leur ressemblent trop. Le lecteur, pour peu qu’il soit habile et délicat, sait qu’il ne doit pas comparer ensemble des poésies de dif-férens genres, mais les examiner chacune, par rapport aux règles particulières à son espèce. Selon cette méthode, il se gardera bien, etc. » Quelle est la conclusion de ce raisonnement ainsi présenté ? c’est qu’il n’y a aucun désavantage pour l’auteur à soumettre l’ensemble de son ouvrage au jugement d’un lecteur éclairé ; or, c’est précisément le contraire que Pline veut prouver : « J’ai préféré, dit-il, votre critique sur l’ensemble à vos éloges sur quelques passages choisis. »
  34. Où il est si avantageux, etc. On entendait par orbitatis prœmia les déférences, les flatteries et les présens, par lesquels les coureurs d’héritages tâchaient de s’assurer la succession des personnes riches et sans enfans.
  35. Mais je ne veux pas, etc. Dans l’édition jointe à la traduction de De Sacy, il y a arrogantius dicere : ce dernier mot ne se trouve pas dans l’édition de Schæfer, que j’ai sous les yeux.
  36. L’amitié est impatiente, etc. Plusieurs éditions ne portent pas le membre de phrase quia votis suis amor plerumque prœcurrit ; deinde. Il y a même des commentateurs qui en trouvent le sens vulgaire et indigne de Pline. Nous n’avons pas partagé cette opinion.
  37. Mes soins. Nous avons remplacé ope par opera, que nous avons trouvé dans Schæfer et qui nous semble plus naturel.
  38. Couvert seulement de sa loge. On a demandé comment il avait pu se faire que la toge fût restée entière, la tunique étant déchirée : quelques commentateurs concluaient de cette prétendue invraisemblance qu’il fallait substituer toga à tunicis, et vice versa. Ils n’ont pas songé que la tunique, étant plus étroite, devait se déchirer plutôt que la toge par les efforts qu’on faisait en luttant contre la foule. De Sacy, soigneux comme à l’ordinaire de conserver la couleur antique, traduisait : « Il demeura pourtant couvert de sa seule veste sept heures entières. »
  39. Qu’il ne m’ait accompagné. Les candidats ou les magistrats nouvellement élus avaient souvent pour cortége leurs parens et leurs amis : on donnait à cette suite le nom de deductores. Ci c, de Petit. cons. 9 : Hujus rei tres partes sunt : una salutatorum, altera deductorum, tertia assectatorum.
  40. Hispulla. C’était la veuve de Corellius dont il est question dans plusieurs lettres, et notamment dans la xvii de ce livre. Le frère d’Hispulla était le père de Calpurnie, seconde épouse de Pline.
  41. Se ménager une place. J’ai trouvé in proximum dans le texte joint à l’édition de De Sacy : j’ai rétabli in proximo d’après l’édition de Schæfer : c’est une leçon réclamée par l’exactitude grammaticale.
  42. Par une malheureuse fécondité. Voici un passage de l’Orai-ron funèbre du Dauphin, par le père Elisée, qui exprime la même idée avec une grâce touchante. L’infante d’Espagne était morte en donnant le jour au Dauphin : « Hélas ! dit l’orateur, ces liens que
  43. Dont mon plaidoyer, etc. Voyez ix, 13.
  44. Vienne. C’était la Vienna Allobrogum, située dans la Gaule-Narbonaise, qui était une colonie romaine. — Les jeux publics dont il s’agit étaient des exercices d’athlètes et de lutteurs. Rome et les provinces accueillaient ces spectacles avec la même avidité.
  45. Duumvir. Les duumvirs tenaient dans les provinces et dans les colonies le même rang parmi les décurions, que les consuls à Rome parmi les sénateurs.
  46. Dans Mauricus. J’ai lu avec Schæfer hoc Maurico au lieu de hoc a Maurico.
  47. Veiento. Juvénal cite plus d’une fois ce célèbre adulateur, sat. iii, 185 ; sat. iv, 113.
  48. Catullus Messalinus, qui, etc. Juvénal, sat. iv, 113, l’associe à Veiento : Et cum mortifero prudens Veiento Catullo, Qui nunquam visæ flagrabat amore puellæ, Grande et conspicuum nostro quoque tempore monstrum, Cæcus adulator, dirusque a ponte satelles, Dignus Aricinos qui mendicaret ad axes ; Blandaque devexæ jactaret basia rhedæ. Il est possible que ce Catullus soit le gouverneur de Cyrénaïque, dont l’historien Josephe dénonce la barbarie contre les Juifs, et raconte la triste fin (voyez De bello Jud. 7) : les temps, les noms, les caractères se prêtent à cette conjecture. Tacite, dans l’ Agricola, 45, cite un Messalinus comme l’un des opprobres du règne de Domitien. — J’ai lu, avec Schæfer, orbatus au lieu de captus, qui a moins de justesse.
  49. Il souperait avec nous, etc. C’était une censure hardie dela facilité de Nerva, qui admettait à sa table un vil flatteur commeVeiento.
  50. Les quatre tribunaux assemblés, etc. Voyez liv. i, 18, note 57. J’ai suivi le texte donné par M. Lemaire.
  51. Avec les gens de bien, etc. J’ai supprimé bonorum, répété devant obfuerunt, dans le texte mis en regard de la traduction de De Sacy. Je me suis conformé en cela aux dernières éditions de Pline.
  52. Que le scrutin secret n’amenât quelque désordre. Voyez liv. iii, 2 0.
  53. Quelqu’autre puissance. Trajan, sans doute.
  54. Calvus. Voyez liv. i , 2, note 4 '.
  55. Il célèbre l’amour, etc. L’avant dernier vers est différent dans la plupart des éditions : Ille, o Plinius, ille quot Catones. J’aime autant la leçon suivie par De Sacy dans sa traduction. Quant au dernier vers, qui est ainsi présenté dans le texte choisi par l’éditeur de la traduction, I nunc qui sapias, amare noli, j’ai dû le changer, parce que sapias contrarie la mesure. Il paraît cependant que c’est d’après cette leçon défectueuse que De Sacy a traduit.
  56. On ressemble toujours, etc. Euripide, Phæn.
  57. Sévère. Ce Sévère était de Vérone ; car on sait que ses deux compatriotes Cornelius Nepos et Titus Cassius étaient de cette ville.
  58. Fait-elle aussi croître, etc. J’ai lu egeritur au lieu d’erigitur. Il me semble que notre leçon, justifiée d’ailleurs par plusieurs manuscrits, marque mieux l’opposition des deux mots : egeritur contraste avec supprimitur. L’édition romaine d’Heusinger porte supprimitur erigiturque et egeritur.
  59. Qui repousse les eaux, etc. J’ai rétabli dans le texte devant repercutiat les deux mots per momenta, supprimés dans plusieurs éditions. Ils se trouvent dans d’excellens textes, et s’ils n’étaient pas de Pline, je ne vois pas comment ils auraient pu s’y introduire : il est plus facile et plus raisonnable d’imaginer qu’ils ont été oubliés par quelque copiste négligent.
  60. Lorsqu’elles affluent, etc. Au lieu de repletur, j’ai admis
  61. Pour moi, etc. On a donné dans les temps modernes une explication satisfaisante du phénomène observé par Pline. Voyez la note de M. Lemaire, édition de Pline, 1822. L’opinion des savans peut se réduire à ce fait que la cause du phénomène tient à la nature et à la disposition d’un syphon ou tuyau construit par la nature à travers l’argile et la pierre. On trouve une fontaine pareille à celle qu’a décrite notre auteur, dans la Savoie, à deux milles de Chambery et non loin du lac Bourget : on en trouve une autre en Suisse dans la vallée de Hasly.