Lettres de Pline le Jeune/Tome premier/Panckoucke 1826/II. À Paullinus

Traduction par Louis de Sacy revue et corrigée par Jules Pierrot.
éditeur Panckoucke (p. 87-89).
II.
Pline à Paullinus[1].

Je suis en colère : je ne sais pas encore si c’est avec raison ; ce qu’il y a de certain, c’est que je suis en colère. Vous connaissez l’amitié ; elle est quelquefois injuste, souvent emportée, toujours querelleuse[2]. Mais ici j’aurais matière à me fâcher, si mon courroux était fondé ; et je me fâche d’avance, comme si le motif en était aussi légitime qu’il est grave[3]. Quoi ! si long-temps sans me donner de vos nouvelles ! Vous n’avez plus qu’un moyen de m’apaiser ; c’est de m’écrire à l’avenir fort souvent, et de très-longues lettres. Je ne reçois que cette seule excuse ; je traiterai toutes les autres de mensonges. Je ne me paierai pas de ces défaites usées : Je n étais point à Rome, j’étais accablé d’occupations ; car pour l’excuse, j’étais malade, aux dieux ne plaise que vous puissiez vous en servir ! Moi, je me partage ici entre l’étude et la paresse, ces deux enfans de l’oisiveté. Adieu.


  1. Paullinus. Valerius Paullinus avait été tribun du prétoire, et, sous Vitellius, intendant de la Gaule Narbonaise. Il était ami de Vespasien avant son élévation, et lui rendit de grands services quand il fut empereur. (Voyez Tacit., Hist. iii, 42.)
  2. Toujours querelleuse. En corrigeant les premières phrases de cette lettre, nous avons substitué le mot d’amitié à celui d’amour, que De Sacy avait laissé par un excès de fidélité, qu’on pourrait appeler infidèle ; car il est certain que dans cet endroit amor ne signifie pas autre chose qu’amitié.
  3. Mais ici j’aurais matière, etc. De Sacy avait traduit : Mon chagrin est très-grand ; peut-être, etc. Ce n’est pas le sens : il s’agit, non pas du chagrin, mais du motif de ce chagrin : sans cela, hœc causa magna est serait une inutile répétition de l’idée exprimée par irascor. Remarquez qu’avec le sens qu’il adopte, De Sacy n’a pas pu traduire tamen.