Lettres de Marie-Antoinette/Tome II/Lettre CCLI

Lettres de Marie-Antoinette, Texte établi par Maxime de La Rocheterie [1837-1917], Alphonse Picard et FilsTome II (p. 157-159).
À la duchesse de Polignac.
1789, 29 décembre.
Ce 29 décembre.

J’ai été bien heureuse, mon cher cœur, d’avoir de vos nouvelles, et encore plus heureuse d’avoir une occasion sûre jusqu’à Turin pour vous écrire et vous parler de toute mon amitié. J’ai pleuré d’attendrissement en lisant vos lettres. Oh ! oui, aimez-moi toujours ; ce ne sera pas une ingrate, car tant que je vivrai mon amitié ne peut cesser. Vous parlez de mon courage : je vous assure qu’il en faut bien même dans les moments affreux où je me suis trouvée que de supporter continuellement et journellement notre position. Ses peines à soi, celles de ses amies, et celles de tous ceux qui entourent, sont un poids trop fort à supporter ; et, si mon cœur ne tenait pas par des liens aussi forts à mes enfants, à vous et à deux amies que j’ai, souvent je désirerais succomber. Mais vous autres me soutenez. Je dois encore ce sentiment à votre amitié ; mais moi je vous porte à tous malheur, et vos peines sont pour moi et par moi. Votre frère de Valenciennes a été exact à envoyer votre lettre elle est aimable comme vous, c’est tout dire. Je l’ai vue ; car, après trois mois de peine et de séparation, quoique dans le même lieu, la personne et moi sommes parvenues à nous voir une fois sûrement. Vous nous connaissez toutes deux ; ainsi vous pouvez juger de notre bonheur. Elle va faire une course chez votre frère cela était nécessaire, et j’avoue que j’ai a rien à dire. Je suis bien aise que M. de Guiche soit avec vous. C’est un gendre digne de vous et de votre mari, par son attachement, sa noblesse et sa loyauté. Tout le monde lui rend justice ici, et même ses ennemis lui rendent hommage par la haine qu’ils ont montrée contre lui. Dites-lui bien des choses pour moi. Je ne peux vous dire combien les quatre lignes de votre fille[1] m’ont fait plaisir. Et comment ne m’occuperais-je point de ces enfants ? Ne sont-ils donc pas à moi aussi ? N’est-elle point ma fille d’adoption ? J’ai tous les sentiments d’une mère pour elle. Quelle m’aime toujours un peu, et que surtout elle parle souvent de moi avec vous, et vous serez sûres toutes deux de vous occuper d’un être qui est sans cesse pensant à vous, et qui aime et embrasse sa plus tendre amie de toute son âme.

  1. Louise-Gabrielle-Aglaé de Polignac, née le 7 mai 1768, mariée le 11 juillet 1780 à Antoine-Louis-Marie de Gramont, duc de Guiche, morte le 30 mars 1803.