Lettres de Marie-Antoinette/Tome I/Lettre VIII

Lettres de Marie-Antoinette, Texte établi par Maxime de La Rocheterie [1837-1917], Alphonse Picard et FilsTome I (p. 17-19).


VIII.

À l’Impératrice Marie-Thérèse.
1771, 2 septembre.
Le 2 septembre 1771.

Madame ma très chère mère, j’ai été enchantée de l’arrivée du courrier, son retard ayant commencéà m’inquiéter, M. de Mercy m’a parlé de ce dont Votre Majesté l’a chargé[1] ; je crois qu’il sera content de mes réponses et j’espère qu’elle est bien persuadée que mon plus grand bonheur consiste à lui plaire. Je tâcherai aussi de bien traiter le Broglie[2], quoiqu’il m’ait manqué personnellement. Je suis au désespoir que vous pouvez ajouter foi à ce que l’on vous dit que je ne parle plus à personne ; il faut que vous ayez bien peu de confiance en moi pour croire que je sois assez peu raisonnable pour m’amuser avec cinq ou six jeunes gens, et manquer d’attention pour ceux que je dois honorer.

Je suis bien éloignée des idées que Votre Majesté me croit sur les Allemands : je me ferai toujours gloire d’en être ; je leur connais bien de bonnes qualités que je souhaiterais aux gens de ce pays-ci ; et, tant que les bons sujets viendront, ils seront contents de l’accueil que je leur ferai.

Je plains mon frère Ferdinand[3] d’approcher du moment de son départ, sentant bien par ma propre expérience combien il en coûte pour vivre éloigné de sa famille. Je crois bien qu’il y aura bientôt des fruits de son


mariage : pour moi, je vis toujours dans l’espérance, et la tendresse que M. le Dauphin me marque tous les jours de plus en plus ne me permet pas d’en douter, quoique j’aimerais mieux que tout soit fini.

Nous quatre nous vivons fort bien ensemble. La comtesse de Prorence est très douce et gaie en particulier, ce qu’elle ne paraît point en public.

M. de Mercy a eu raison de dire que l’écritoire m’a fait grand plaisir : elle m’en fait tous les jours, et il me semble vous voir, ma chère maman, dans toute cette maison et appartements. Je ne vous parle pas de toutes les tracasseries de ce pays-ci ; M. de Mercy vous dira sûrement ce qui en vaut la peine ; pour moi je m’y mêlerai toujours le moins possible. Votre Majesté peut être bien sûre que je me conduirai toujours par ses conseils, et que j’espère me montrer toujours digne d’elle et de la bonne éducation qu’elle m’a donnée.

(Archives impériales d’Autriche. Éd. Arneth, l. c., p. 43 ; Arneth et Geffroy, l. c., I, 216.)

  1. Louis XV tenait beaucoup à ce que la Dauphine montrât quelques égards à Mme du Barry et lui adressât la parole en public. Il s’en était même ouvert à Mercy. Marie-Thérèse, redoutant pour sa fille et aussi pour l’alliance austro-française le mécontentement du Roi et du « parti dominant », insistait dans le même sens. Mais Marie-Antoinette, poussée par ses tantes et soutenue en secret par son mari, conservait toujours vis-à-vis de la favorite la même raideur. Quelques jours avant cette lettre, après avoir promis de dire un mot à Mme du Barry au cercle de la cour, elle s’était éloignée brusquement sans lui adresser la parole ; de là plaintes de la « dame », mécontentement du Roi, gronderies de Marie-Thérèse. Il y eut pendant quatre ans, sur ce délicat sujet, entre la mère et la fille, un conflit, où en somme ce n’était pas la fille qui avait tort.
  2. Le comte de Broglie, qui dirigea sous Louis XV, de concert avec le Roi, la diplomatie secrète. Voir sur ce personnage le beau livre de M. le duc de Broglie, le Secret du Roi. Le comte de Broglie avait demandé que la comtesse de Broglie remplaçât sa sœur, la duchesse de Boufllers, dame du palais, qui songeait à se retirer. La Dauphine était peu favorable à cette demande, on verra pourquoi dans la lettre suivante.
  3. L’archiduc Ferdinand, frère de Marie-Antoinette, né le 1er juin 1754, mort le 26 décembre 1806.II allait quitter Vienne pour aller épouser Marie-Béatrix d’Este, fille du duc de Modène, et devenir gouverneur de a Lombardie.