Lettres de Fadette/Troisième série/47

Imprimé au « Devoir » (Troisième sériep. 126-129).

XLVII

Autour du feu


Une fin d’après-midi dans le salon tiède et fleuri de narcisses au cœur d’or ; le feu brûle doucement en jetant des lueurs roses dans l’ombre qui envahit la pièce… Nous sommes quatre qui avons dédaigné le bridge de rigueur pour philosopher à notre manière en remontant aux méfaits de la première Ève et à la lâcheté du premier Adam, qui repoussa la responsabilité de la faute partagée et qui cria comme un enfant peureux : « Ce n’est pas ma faute ! C’est elle ! » Vrai, j’aime mieux Ève qu’Adam, il eut un piteux rôle, le roi de la création !

Un petit silence où flottent des pensées qui frémissent, et l’une de nous s’avise de demander : « Avez-vous jamais pensé qui vous voudriez être si vous n’étiez pas vous ? »

Cela vous étonnera peut-être, aucune ne put trouver quelqu’un qui lui parut, « en tout », préférable à elle-même. Notez bien, je vous prie, les mots « en tout » qui nous défendront contre l’accusation d’une vanité indue et d’une prétention exagérée.

L’une nous plaît par sa grâce et son charme, nous admirons l’intelligence d’une autre, et la beauté d’une troisième nous paraît enviable. Volontiers, nous cueillerions un peu d’exquis à toutes les femmes que nous admirons pour nous faire une personnalité idéale, mais en face du rêve irréalisable nous concluons après des délibérations amusantes que nous préférons être nous-mêmes.

Être « soi » est donc un élément de satisfaction dont on pourrait tirer un meilleur parti en cherchant, d’abord, à ne pas trop nous maltraiter et, ensuite, à nous rendre de plus en plus aimable.

Nous sommes quelquefois trop sévères pour nous-mêmes : nous nous ingénions à nous critiquer et à nous décourager. Nous comparons notre rêve qui plane à nos petites actions qui cheminent, et nous nous faisons croire que nous n’avons rien fait parce que nous n’avons rien à montrer, que notre vie est nulle parce que notre rôle est effacé. C’est faux et c’est injuste.

L’erreur est d’ignorer que tout être qui remplit sa tâche ou son devoir d’état, — comme vous voudrez l’appeler, — est dans la vérité et ne saurait être inutile. L’injustice, c’est de ne pas comprendre qu’on n’est pas tenu à faire plus que « son possible ». Ne soyons pas plus exigeants que le bon Dieu !

Quand on peut se dire : « Je fais tout ce que je peux », il faut être satisfait de cela qui est très bon, et demeurer dans la sérénité qui fait la vie belle même si elle est remplie de médiocrités. Il est nécessaire d’avoir foi en soi-même pour faire œuvre qui compte… et pour cela, il faut bien se connaître : se rendre compte de ses défauts est sage, mais se rendre compte de ses qualités l’est tout autant. Quand nous avons fait le calcul de nos lacunes et de nos faiblesses, mettons en regard la somme de nos forces qui sont nos richesses.

Les craintifs, les hésitants, ceux qui se défient trop d’eux-mêmes vont sûrement à la défaite dans toutes les luttes où l’on ne peut compter que sur soi-même.