Lettres de Fadette/Troisième série/19

Imprimé au « Devoir » (Troisième sériep. 50-52).

XIX

Un sermon en musique


J’entendais dernièrement, pour la seconde fois, la splendide « Neuvième symphonie » de Beethoven, magistralement exécutée par des artistes, des artistes touchés jusqu’au fond de l’âme par la joie divine qui s’en dégage et nous la transmettant, vibrante et belle, comme une action de grâce à la Vie elle-même.

Et c’est miraculeux, que de toutes ses détresses, Beethoven ait pu faire sortir cet hymne triomphal si grandiosement serein.

Infortune matérielle, ennuis de famille, solitude morale, amours irréalisés et la suprême épreuve, cette surdité qui le murait en lui-même et lui dérobait en partie son propre génie, ne voilà-t-il pas le bilan de la vie du grand musicien ? Une âme faible se fût jetée dans le désespoir, lui, fut vraiment purifié et divinisé par la douleur ; il s’en servit comme d’ailes immenses qui l’élevèrent au-dessus de lui-même. La souffrance ne l’empêcha pas d’aimer la vie d’un amour démesuré dont l’écho ravit encore le monde d’admiration, et dont cette Neuvième Symphonie semble l’expression la plus parfaite.

Dans la vie des grands hommes nous pouvons souvent puiser du courage et du goût à vivre. Sans cesse, elle nous fournit l’occasion de comparer nos jours trop légers avec ces existences toutes chargées, et nous déplorons alors notre inaction, la mesquinerie de notre destin que nous pouvons élargir pourtant, en l’acceptant bravement tel qu’il est au lieu de le subir en nous lamentant sur notre triste sort ! Si l’on vit avec son intelligence, son activité, son cœur, toute son âme, on n’a pas l’occasion de trouver sa vie « terne et plate », comme me l’écrivait ces jours-ci, une lointaine amie inconnue qui voudrait faire des choses héroïques pour « sortir de la banalité qui l’étouffe. »

Ma petite amie, le premier des héroïsmes c’est d’accepter la vie telle qu’elle nous est faite par les circonstances permises par Dieu. Oh ! ce n’est pas un héroïsme à panaches et à fanfares qui attire l’attention et provoque les applaudissements. C’est un héroïsme obscur, continue, manifesté dans les plus petites choses : comme un génie bienfaisant, il embellit tout ce qu’il touche, colore les vies ternes, féconde les vies stériles, et donne de l’air aux âmes étouffées par la banalité.

Laisser filer ses jours dans le gris, se désintéresser de tout parce que notre milieu ne nous convient pas, c’est vraiment une lâcheté et le fait d’un « cœur mou », comme disait la vieille.

C’est nous-mêmes qui devons donner sa valeur à notre vie et au lieu de dédaigner la vôtre, appliquez-vous à en dégager la beauté et à l’aimer.

Voulez-vous une bonne recette pour être heureuse ?

Ayez foi dans la vie, acceptez-en tous les devoirs, cherchez toutes ses joies et vous n’attendrez pas longtemps un bonheur paisible qui saura vous trouver au milieu des occupations les plus humbles.

Ceux qui ont une vie manquée ne sont pas ceux qui ont beaucoup d’épreuves, ce sont ceux qui n’aiment pas la vie et qui se fatiguent et fatiguent les autres de leurs lamentations sur ce qui « devrait être ! »

Là ! vous direz que je n’ai pas de sympathie !