Lettres de Fadette/Troisième série/06

Imprimé au « Devoir » (Troisième sériep. 13-16).


VI

Bon sens


C’est La Bruyère qui a dit que les bonnes actions rafraîchissent le sang. Rien de plus vrai : en nous sentant un peu bons, nous sommes contents de nous, partant plus heureux et mieux disposés vis-à-vis des autres. Et de suite voilà la vie renouvelée, plus belle et plus bonne à aimer.

Rien de pire pour la vie active que de s’affaiblir dans la liturgie larmoyante. Laissons aux antiennes plaintives « la vallée de larmes », « la malice des hommes livrés aux embûches du démon », et ne nous alanguissons pas dans les gémissements quand nous avons besoin de tant de virilité et de confiance pour vivre une vie qui ne soit pas manquée.

L’espérance est une vertu, une des vertus théologales, et je n’ai vu nulle part que la tristesse fut une vertu, pas même une qualité. Elle est une conséquence de tout ce qui va de travers dans le monde ; j’admets qu’elle entre en nous sans nous consulter ; ce que je ne puis admettre, c’est qu’elle s’y installe, car, encore un coup, il faut de la sérénité et de la force dans cette vie qu’il s’agit non de subir, mais d’accepter vaillamment et avec gratitude, puisqu’elle est un bienfait de Dieu pour nous.

J’en veux à certaine littérature pieuse qui nous accable et nous écrase sous son dégoût de ce qui est humain et qui veut nous convaincre que le ciel seul importe. Le ciel ! Certes, c’est un beau but et je nous souhaite à tous d’y aller. Mais c’est sur cette terre que nous vivons et Dieu l’a faite belle afin que nous l’aimions ; Il nous a donné un corps aussi bien qu’une âme et nous devons justice aux deux.

Il est dangereux, lorsque chaque jour nous apporte son combat sur le chemin abrupt de la vie, de chercher à s’anéantir, de se complaire dans le mépris du monde où dans le débarras des choses extérieures.

Le monde est rempli d’âmes humaines, dans lesquelles il y a des rayons divins : elles sont toutes intéressantes, et puisque nous n’avons pas le droit d’en mépriser une seule, où prenons-nous celui de les mépriser en bloc ?

Ce ne sont pas ceux qui soupirent sans cesse « hélas ! hélas ! » qui font du bien. Ce sont ceux qui croient au bien, qui jugent avec indulgence, qui savent faire la part de la faiblesse humaine et qui ont compris que l’humanité peinante et méritante est admirable.

Oui, admirable, et si vous ne le croyez pas, ô pleureurs, observez mieux autour de vous. Voyez ces journaliers qui font crier la pierre sous leurs marteaux, ces autres en équilibre sur des échafaudages, rôtis par le soleil ou engourdis par le froid ; ces cyclopes qui paraissent flamber à travers les braises des forges ; ces laboureurs déchirant la terre pour lui confier la semence ; la multitude des femmes travaillant, enfantant, se sacrifiant, infatigables et dévouées jusqu’au bout de leurs forces, et osez parler de la malice des hommes : ceux qui le font n’ont pas vu leur résignation, leur courage, leur bonne humeur.

Admirons-la et aimons-la, l’humanité, et que chacune de nous, prenant exemple sur elle, vive dans le présent.

Les mécontents de leur époque ont toujours existé. La phrase « Dans les tristes temps où nous vivons » est une phrase de tous les temps.

Le passé est beau dans son lointain. Il est embelli par la légende, le roman, l’art, la poésie et par notre imagination. Ce beau passé quand il était le présent a connu ceux qui disaient : « Dans les tristes temps où nous vivons ! »

Et dans cinquante ans nous serons ce passé vertueux et admirable que nos petit-fils entendront vanter par les pessimistes de leur époque. Cela me faire rire… et vous ?