Lettres de Fadette/Quatrième série/60

Imprimé au « Devoir » (Quatrième sériep. 168-170).

LX

Le clocher de Saint-Pierre
les Becquets


Je ne viens pas à Saint-Pierre les Becquets sans retomber sous le charme de sa petite église d’un style si harmonieusement simple. Ici rien de heurté, rien de tarabiscoté : elle est une prière et elle est un chant. Elle se dresse fière et fine au-dessus du grand fleuve, et elle semble une âme en extase dans un décor dont chaque heure transforme la beauté : elle vit, elle est quelqu’un que l’on aime.

Hier soir, son clocher gris s’enlevait, élancé et gracieux, dans un ciel rose reflété sur les vagues moirées, et de son cœur, le premier soupir de l'angelus vint frapper mon cœur comme un sanglot. C’est qu’on m’avait dit que des projets de restauration rôdent, comme des ombres menaçantes autour de l’église ancienne dont le charme est rare dans notre Canada affairé où les véritables artistes sont si peu consultés.

Il est question de remplacer le clocher ajouré et élégant par une tour massive et carrée qui détruirait le caractère de belle et pure unité qu’admirent ceux pour qui les pierres sont les phrases d’un poème.

Pendant qu’on me désolait avec ces récits de reconstruction, la cloche grêle pleurait dans le ravissant clocher qui s’effilait dans les profondeurs de l’espace comme cherchant, dans un élan désespéré, à échapper aux démolisseurs. Est-ce possible ? Sous prétexte d’amélioration, va-t-on détruire ce bijou de clocher, si bien à sa place sur l’église, qu’elle semble être sortie toute faite du cœur même de l’artiste qui l’a rêvée en priant.

C’est un artiste encore qu’il faut consulter avant de porter une main imprudente sur ce joli monument dont la beauté est faite d’harmonie. On ne coiffe pas une tête d’évêque d’un chapeau fleuri, on ne place pas une mitre sur le voile d’une religieuse, et on ne remplace pas, par une tour large et lourde, le clocher léger et pointu nécessaire à l’impression d’idéal et d’infini qu’exhale l’église douce, pieuse, d’une grâce si française dans sa robe de pierre grise.

C’est au Prince, je suppose, qu’il faut adresser notre prière, cher joli clocher qui m’a pris le cœur. Nous l’implorerons tous deux : de ta voix qui tremble, de ma main qui griffonne, nous dirons notre détresse à l’évêque tout-puissant qui étendra sur toi sa main protectrice.

S’il faut te soutenir, — car tu vieillis, et en dépit de ta grâce aérienne, on parle de faiblesse et de décadence, — Monseigneur ordonnera, et des ouvriers, respectueux de ta beauté, la rendront durable, petit clocher qui pleurais dans le soir rose, hier, sur la pointe du promontoire !

L’on pourrait peut-être, en même temps, rendre aux murs intérieurs de ton église leur fraîcheur toute simple d’autrefois. On la ferait toute blanche, drapée comme les archanges, avec de discrètes lueurs d’or que la lumière caresse.