Lettres de Fadette/Quatrième série/45

Imprimé au « Devoir » (Quatrième sériep. 127-129).

XLV

Peut-être ?


Ils discutèrent longtemps, ce soir-là, lui et elle, mais les discours du grand pessimiste ne pouvaient pas plus la convaincre de la prédominance du mal sur le bien dans le monde, qu’il n’aurait pu lui persuader qu’il n’était pas là, devant elle, pendant qu’il enfilait ses paradoxes.

Mais la vie elle-même nous prouverait presque qu’il n’y a pas de mal, puisque le mal est passager et qu’il sert finalement au triomphe du bien. Suivant le pouvoir que nous lui donnons, le mal ébranle, secoue, déchire, blesse, affaiblit, mais il ne détruit rien. Tout renaît, continue, recommence sans cesse, malgré le mal, parce que le Bien, la Vérité, Dieu enfin, ne peut être entamé. Le mal, tout malicieux qu’il puisse être, est limité, il passe… Je ne crois pas plus à la durée du mal que je ne puis croire que les cordes de violon ont été faites expressément pour créer la petite torture que causent les sons faux.

Plus on observe autour de soi, plus on suit le cours des événements, et l’évolution des âmes, plus s’enracine dans nos âmes cette foi à la toute-puissance du bien qui peut soutenir tous les courages et provoquer tous les héroïsmes.

— Mais, objectait-il, n’avez-vous donc jamais vu vos meilleures intentions causer le malheur des autres et parfois le vôtre ? N’avez-vous pas vu le mal dominer et faire misérables des êtres bons au fond, mais trop faibles pour se défendre contre lui. — Non, et vous ne l’avez pas vu, non plus, puisque rien de ce que vous avez vu est définitif. Je sais comme nous nous trompons souvent ; notre erreur, en passant, peut faire du mal là où nous voulions faire du bien, mais notre bonne intention, qui est un commencement de réalisation de la vérité, ne peut nous laisser, nous et les victimes de nos erreurs, échoués dans le désert des choses irrévocables. Elles nous pousse plus loin, plus haut, et malgré les apparences, c’est le bien qui sortira du bien, autrement le mal serait le maître du monde ; vous n’oseriez pas affirmer cela ?

— Et que faites-vous du mensonge, de l’avarice, de l’injustice, de toutes les profondes misères dont tant d’innocents sont les victimes ? Ne triomphent-ils pas de la confiance, de l’honnêteté, de la faiblesse ?

— Temporairement cela paraît ainsi, mais cela n’est pas, puisque le mal est passager. Qui vous dit que ces innocents, comme vous les appelez, ne devaient pas être déçus et traités avec injustice pour se réaliser en beauté ? Si par l’erreur nous arrivons à la vérité, l’erreur alors n’est qu’un marche-pied.

J’ai lu quelque part que la science brûle continuellement les erreurs pour libérer la vérité. Notre esprit, notre volonté, toute notre âme enfin se perfectionne dans la lutte contre les maux intérieurs et extérieurs.

Notre vie morale doit être semblable à notre vie physique qui consume sans cesse pour alimenter le feu de l’existence. La même chose doit se passer dans nos âmes, il me semble ; le Bien absorbe le mal, le consume… combien de fois nous avons pris notre élan dans nos fautes pour atteindre le mieux, nous installer dans la bonne volonté. Ce n’est peut-être pas bien orthodoxe, ce que je vous dis là, mais c’est plus réconfortant que vos doutes et vos dénégations.

— Il secouait la cendre de son cigare d’un air perplexe. — Je voudrais croire cela, la vie serait plus facile, plus simple. — Et meilleure et plus heuseuse, ajouta-t-elle vivement. Croire au bien, le voir même dans les âmes médiocres, ou qui nous paraissent telles, c’est lui permettre de s’épanouir partout où il germe. — Peut-être ?…