Lettres de Fadette/Quatrième série/34

Imprimé au « Devoir » (Quatrième sériep. 94-97).

XXXIV

Les rayonnantes


Madame de la Fayette écrivait un jour à Madame de Sévigné : « La joie est l’état véritable de votre âme. » Et c’est bien ainsi que nous apparaît encore Madame de Sévigné, après deux siècles écoulés, joyeuse, non pas de la joie frivole qui ne connaît pas les tristesses de la condition humaine, mais de cette joie sereine qui marque la force de l’esprit et la santé de l’âme.

Cette joie haute, subsistant à travers les épreuves, la maladie, la vieillesse et rayonnant sans cesse pour éclairer le chemin des autres, est une force divine possédée par certaines âmes privilégiées, et il me semble qu’elle doit être le résultat d’un plein épanouissement physique et moral, et par conséquent d’une éducation supérieure.

Ces femmes peuvent manquer de force dans la décision et dans les idées, mais elles possèdent cette force spéciale de la douceur toute simple, de la joie dans l’oubli d’elles-mêmes, de la gaieté qui domine les petits ennuis quotidiens.

En face du monde elles gardent une éternelle fraîcheur de sensations, la simplicité et la franchise d’un cœur toujours jeune, et elles plaisent sans le chercher, sans le savoir, comme les fleurs nous plaisent, et elles sont bien véritablement les fleurs du monde.

Mais les fleurs ne naissent pas toutes seules, et le charme qui nous attire n’est que le reflet d’une formation profonde de la conscience et de la sensibilité.

Toujours et en tout, ces femmes démêlent et entendent une note dominante, celle du cœur ; leur sensibilité guide leur raison, et si elles savent si bien apaiser et consoler c’est qu’elles ont souffert et qu’elles ont toujours pitié, même des méchants, surtout des méchants, les plus à plaindre de tous les malheureux.

Elles vivent dans un flottement de lumière, dans une atmosphère ardente : tout ce qui est vivant les intéresse, tout ce qui est faible les apitoie ; elles aiment les choses et elles aiment les âmes, et si elles ne sont jamais amères c’est qu’elles sont ingénieuses à découvrir la bonté cachée chez tous, et qu’elles prêtent à tout ce qui les entoure la beauté qui est en elles.

Elles savent, comme le poète, que « tout est plein d’âme », et c’est cette âme qui remplit tout ce qu’elles sentent et devinent, et elles sont elles-mêmes des âmes si vivantes et si belles que leur souvenir vivifie encore alors qu’elles sont disparues.

J’ai connu une de ces Rayonnantes. Après avoir été riche et heureuse, elle fut ruinée et perdit successivement ses enfants son mari, sa maison, sa santé, l’usage de ses jambes. Confinée dans sa chambre pendant des années rien ne put éteindre cette joie haute qui était « l’état de son âme ».

Près d’elle si éprouvée et si sereine, d’autres moins à plaindre allaient apprendre la résignation douce et la philosophie souriante dont elle ne se départit jamais. Elle mourut à quatre-vingts ans passés, et l’une de ses dernières paroles fut de ne pas la pleurer puisqu’elle était heureuse de s’en aller, mais de bien prier pour elle.

Elle était une chrétienne admirable, mais elle était aussi une artiste, de celles qui « trempent leurs mains dans la Beauté » pour en parer tout ce qui les approche, et elle avait le don incomparable de se donner, de donner son esprit, de donner son âme, de donner sa joie, et on la quittait en se sentant meilleur et plus riche.