Lettres de Fadette/Première série/50
XLIX
Conseil
J’ai écouté le vent qui rôde lamentablement autour de la maison comme s’il cherchait une issue pour y entrer et se reposer, j’ai regardé le feu qui s’éteint lentement, et la cendre grise sur laquelle les tisons refroidissent ; j’ai flatté le chat qui ronronne en rêvant les yeux ouverts, j’ai interrogé les ombres qui se poursuivent fantastiquement dans les coins sombres du salon, et j’ai demandé aux choses et aux fantômes des choses, ce que je pouvais bien vous dire d’utile par ce temps triste et sans couleur qui pèse sur notre âme… et il m’a semblé que la réponse surgissait du dehors et du dedans : « Dis-leur d’être simples et d’être sincères ! »
À quel mobile étrange obéissons-nous donc, quand nous essayons de réprimer et de déguiser nos meilleurs élans de sympathie, de générosité, de pitié et même d’affection ? Nous semblons avoir honte de ce qui est beau en nous, et après avoir soigneusement caché les trésors de nos âmes, nous nous indignons d’être mal jugés et incompris.
Nous nous sommes fixé certaines limites étroites que nous nous interdisons de franchir dans la crainte de paraître exagérés, et pour échapper à ce reproche, nous nous donnons les apparences d’êtres secs et froids.
Le monde est rempli d’enfants qui ont faim des caresses de leurs mères, de parents qui gémissent de l’indifférence de leurs enfants, de malades qui sont blessés du manque de sympathie de ceux qui les soignent, pendant que ces derniers n’aperçoivent aucuns signes de reconnaissance chez les malades pour lesquels ils se dévouent.
Et tous ces gens s’aiment au fond, ils ont de la sympathie les uns pour les autres, mais un sot orgueil, une réserve ridicule leur ferme la bouche, et au lieu de laisser s’épanouir et s’exprimer les sentiments de leur âme, ils les dérobent si bien que personne ne soupçonne leur existence !
C’est une grande erreur et la source ordinaire de la plupart des malentendus.
S’il est vrai que nous ne valons que par ce qu’il y a de profond dans nos âmes, il est évident que nous ne serons appréciés que si nous laissons ces sentiments se refléter dans nos parole et nos actions.
Rien n’est aussi mesquin et aussi laid que la perpétuelle comédie que jouent les humains ! Ils passent le cœur palpitant et les yeux secs devant des douleurs qui se désespèrent, ils disent des paroles de haine et de rancune quand le pardon est au fond de leur cœur ; ils affirment ne pouvoir aimer, quand leur cœur est affamé de tendresse, et voilà pourquoi tout est confusion inextricable : la défiance habite les foyers et les cœurs sont tristes, et les malentendus subsistent jusqu’à la mort qui éclaire enfin les cœurs de sa funèbre lumière ; mais il est trop tard, et la douleur de perdre les êtres aimés s’augmente du regret de ne pas leur avoir laissé voir assez comme nous les aimions !