Lettres de Fadette/Première série/12

Imprimerie Populaire, Limitée (Première sériep. 24-27).

XI

Pour les petits malades, mesdames


La neige tombant en petites étoiles drues, brillantes et froides est très bavarde ; elle a de nombreuses voix qui accompagnent en sourdine le mouvement lent et continu qui lui fait relier le ciel blanc à la terre blanche. À sortir seule souvent, on apprend à entendre ces voix, on devient attentive à ce qu’elles racontent, que ce soit frivole, tendre ou pitoyable. C’est au retour d’une promenade dans la tempête que j’ai trouvé une invitation d’intéresser mes lectrices à l’Hôpital Sainte-Justine, et comme la neige m’avait parlé de bien des misères, j’ai été reconnaissante à ces dames de me mêler, si peu que ce soit, à l’oeuvre touchante qu’est leur hôpital d’enfants.

Mesdames, l’oeuvre est belle, mais il faut la faire grande et les ressources manquent ; et je viens vous demander de l’argent, beaucoup d’argent pour aider à la construction nouvelle dont s’occupent les fondatrices. La misère monte dans notre grande ville comme un flot mauvais que rien n’arrête. On ne peut pas empêcher la misère, on peut au moins soulager quelques misérables, et l’enfant pauvre, malade, ne touche-t-il pas votre pitié de femme ?

Or, à l’hôpital actuel, la porte ne peut toujours s’ouvrir, hélas ! pour recevoir les pauvres petits éclopés qu’on y apporte. On fait le plus de place possible, mais quand il n’y a plus un coin, la mère, désolée, rapporte son enfant, à la mort souvent, et le cœur de celles qui n’ont pu l’admettre saigne comme le sien.

Pour vous faire bien comprendre et bien sentir ce que l’on attend de votre charité, mes amies, il me semble que je ne puis faire mieux que de vous engager à visiter les salles blanches de l’Hôpital Sainte-Justine. Aucune description ne vaut un tableau comme celui-là. Vous ne pourrez plus oublier les figures ravagées et grises de ces petits vieillards grimaçant un sourire sans rayon, qui vous étreint le cœur de pitié. Quand, les ayant vus, vous songerez qu’il y en a tant et tant de ces petits martyrs que personne ne soigne, qui agonisent des mois et des années dans la saleté et la faim, privés des soins les plus élémentaires, vous ouvrirez votre cœur et votre bourse, et votre pitié de femme qui se change si facilement en dévouement, fera de vous des amies de l’œuvre.

J’en appelle aux mères dont la sollicitude inquiète et tendre s’alarme pour un simple rhume et je leur demande : avez-vous déjà pensé à la souffrance qui est le partage des bébés pauvres dès avant leur naissance, quand la mère qui les porte travaille au delà de ses forces et ne mange pas à sa faim ? Ils naissent chétifs, quelquefois infirmes, ils sont moins bien nourris que les chiens et les chats de nos maisons : à moitié vêtus, ils traînent leurs petits membres bleuis par le froid sur des planchers malpropres… et quand enfin ils ont contracté des maladies qui ne sont ni connues, ni soignées, ils sont condamnés à une souffrance longue qui les mine, à des tortures qui les font crier, mais qui ne les tuent pas.

Le jour où une charité secourable les découvre, les porte dans un lit moëlleux et blanc, ils doivent se demander s’ils arrivent au paradis et si les anges d’aujourd’hui ont des robes grises et des petites ailes à leurs cornettes.

L’enfant assez vieux pour observer et réfléchir reçoit sur son lit de souffrance sa première leçon de bonté humaine et de charité chrétienne. En même temps que son pauvre corps se redresse et se fortifie, son âme frémit et s’éveille au contact d’une douceur insoupçonnée qui la pénètre et l’imprègne de ce qu’il y a de meilleur au monde, et il en conservera toujours quelque chose.

Il sortira de l’hôpital guéri physiquement et né à une vie morale très haute qu’il aurait ignorée probablement, s’il ne fût entré dans cette maison des miracles. Il retourne à sa misère, mais avec un corps sain, et il emporte une clarté dans son âme. Le souvenir de la bonté, de la douceur, de la pureté, ce sera l’étoile éclairant sa route, lui faisant signe de la suivre, lui inspirant d’être lui-même doux aux faibles et secourable aux malheureux.

C’est bientôt Noël, la fête des petits enfants, le doux mystère du Dieu-Enfant tendant ses bras vers l’Humanité dans un geste confiant, qui dit aux riches d’avoir pitié des pauvres, aux pauvres, d’être patients puisqu’ils sont ses amis et ses frères, à tous de nous aimer et de nous aider les uns les autres. N’entendrons-nous pas son appel tendre et doucement impérieux ?