Lettres de Fadette/Deuxième série/47

Imprimerie Populaire, Limitée (Deuxième sériep. 121-123).

C’est que j’ai pensé aux morts toujours vivants ! À ceux dont le souvenir est une douceur et une force, à ceux dont les œuvres ont continué à grandir, — eux partis, — semant le bien, consolant la pauvre humanité, et l’armant contre la misère physique et la détresse morale.

Ils ont passé, non comme nous, hélas, qui ne faisons rien, mais comme le Christ, « en faisant le bien », et toutes les âmes rencontrées par eux ont gardé quelque chose de leur âme sainte et bonne. Savons-nous ce que nous devons à tous ces morts aimés et regrettés, et à ces autres morts inconnus, dont la pensée et le cœur, indirectement, sont entrés dans nos vies pour les préserver ou les embellir ?

Oh ! ne gaspillons pas nos vies ! Ce serait mourir deux fois. Et n’est-ce pas gaspiller sa vie que d’oublier, fût-ce une heure, que nous vivons ?

Laissons le ciel être gris, et la terre se dénuder, et le vent pleurer et les oiseaux nous fuir ! Les oiseaux reviendront, la terre refleurira, et le vent chantera très doux sous les caresses du printemps, mais elles ne reviendront pas, les heures perdues que, mollement, nous laissons tomber sans y penser !

Elles nous ont précédées, elles nous attendent au bout de la route où nous conduira un jour le lourd « chariot » drapé de noir. Elles attendent toutes : les heures enfantines, légères et souriantes ; les heures de jeunesse joyeuses et pures ; les heures de grand bonheur et les heures d’atroce douleur, toutes les heures de notre vie : heures actives, heures lasses, heures mornes, heures floues, heures ardentes, heures de péché et heures de grâce !

Pressées ensemble dans l’attente, elles se mêlent sans se confondre. Chacune a ses yeux de joie ou de détresse et garde l’empreinte dont nous l’avons marquée irrévocablement, toujours sans y penser ! Bon gré mal gré elles se feront reconnaître, car elles nous ont attendues pour nous suivre dans l’au-delà mystérieux, où Celui qui nous les donna toutes blanches, au commencement de notre vie, lira ce que nous y avons écrit, toute notre vie.