Lettres de Fadette/Deuxième série/46

Imprimerie Populaire, Limitée (Deuxième sériep. 118-120).

XLVI

Impressions d’automne


Et voici que subitement l’été a disparu ! Il a suffi de deux jours de pluie pour donner au vent sa voix lugubre d’automne ; et là, dans le brouillard et la pluie, il arrache les feuilles qu’il disperse et brise les pauvres fleurs du jardin. Tout est trempé, amolli, dégoûtant ! Et les âmes comme les plantes ont pensé périr de froid sous le déluge glacé que nous versait inlassablement le ciel !

Vous savez, je sais et nous savons, qu’il est parfaitement déraisonnable de se laisser influencer par la température au point d’en perdre momentanément le courage.

On nous le dit et nous l’admettons : hélas ! constatation et admission ne nous empêchent pas de nuancer notre humeur à la couleur du temps !

Il semble que la pluie monotone et grise rende plus lourds les devoirs ennuyeux, et quand le soleil n’éclaire pas les petits problèmes de la vie, nous sommes tentés de croire que notre énergie et nos peines sont gaspillées en pure perte.

Cette impression, — car ce n’est pas autre chose — est tellement nuisible à certaines femmes, qu’à la longue, elles deviennent plus mobiles que les girouettes, au grand détriment de la paix et de la joie familiales. Et je ne vois rien de mieux à leur conseiller que de faire intervenir plus souvent dans leur vie le simple Bon Sens, que je vois, moi, comme un personnage rond et confortable, qui observe gravement, parle avec calme et sourit avec une douce malice de nos agitations vaines et de nos défaillances injustifiées.

Que peuvent la pluie ou le soleil sur une âme qui garde en elle la joie saine de vivre bien et utilement, en faisant ce que comportent son état et ses obligations ? Vous et moi devrions voir qu’il est extrêmement simple d’être, sinon très heureux, au moins satisfaits et paisibles.

Il s’agit de bien voir ce que nous avons à faire dans la vie, dans « notre » vie, et de le faire, résolument, avec persévérance et gaieté. Ah ! la gaieté et l’égalité d’humeur, quelles aides à travers les innombrables et inévitables ennuis qu’il n’est au pouvoir de personne d’éviter !

Rire d’une contrariété, tourner en plaisanterie un contre-temps, c’est presque les faire disparaître… tandis que l’impatience et l’aigreur leur donnent des proportions tragiques.

À quoi sert de se crisper, de grogner, de gronder, de crier ?

À rien d’autre qu’à vous rendre laides et souvent ridicules, car tout ce tintamarre n’a jamais rien arrangé de ce qui allait mal, allez !

« C’est facile « d’écrire » cela », me dit en narguant une mienne amie qui veut absolument n’avoir pas tort quand elle envoie sa bonne à tous les diables.

C’est assurément plus facile de l’écrire que de le vivre, je l’admets ; mais il est possible, par des efforts répétés et énergiques, d’acquérir la philosophie souriante qui simplifie les choses, et qui rend la vie si unie, si douce et si bonne, malgré ses revers, qu’elle est vraiment alors une bénédiction.

Disons-nous donc qu’il faut endurer l’inévitable, et apprenons à l’endurer aimablement, ce qui nous délivrera de l’amertume attachée à l’endurance maussade.