Lettres de Fadette/Deuxième série/43

Imprimerie Populaire, Limitée (Deuxième sériep. 110-113).


XLIII

Aidons-les !


J’ai marché longtemps dans la campagne sous le joli soleil pâle,… la rivière, soulevée par le vent, courait très vite, et les dernières feuilles, comme des petits oiseaux blessés, y tombaient légèrement et s’en allaient au fil de l’eau.

Longtemps je regardai les feuilles glisser dans l’eau et l’eau glisser sous le pont. Le tableau était charmant et le silence apaisant, et cependant, une étrange angoisse en sortait, et des larmes de fond d’âme, de celles qui brûlent les paupières, m’empêchaient de voir la beauté parfaite autour de moi.

Comment ne pas penser que ce même soleil si doux éclaire des champs de bataille et des scènes de désolation, et que sur les feuilles mortes de là-bas, au même parfum sauvage, des morts, par centaines, sont couchés, avec de grands yeux ouverts qui regardent le ciel sans le voir !

Dans l’automne de France, aussi charmant que le nôtre, les voix des mères emplissent l’espace de leur douleur, pendant qu’agonisent leurs fils dont le sang ensanglante le sol !

Et il y a des semaines que dure cette horreur, et elle continuera des mois encore !

Oppressés par cette angoisse grandissante, il semble que nous soyons immobilisés dans l’attente… l’attente d’une victoire lointaine, l’attente d’une défaite possible… et toujours ils se font tuer, là-bas, dans l’automne gris et doux !

Mais perçant la tristesse accablante, une voix claire s’est élevée dans mon âme : elle prie et commande, elle blâme et pardonne, et son accent impérieux et touchant fait cesser les larmes inutiles pour indiquer le devoir qui s’impose à vous, à moi, à nous toutes !

Les Françaises ont donné à la Patrie tous ceux qui pouvaient la défendre ; les soldats sacrifient leur vie sans hésiter, et nous ici, nous nous contenterions de pleurer ? Ce serait lâche…

Il faut travailler, il faut nous priver afin de donner tout le superflu, il faut étouffer en nous la futilité, l’égoïsme, la vanité, l’extravagance, afin qu’en nous ne vive que la bonté pitoyable et active. Un grand nombre de femmes, parmi nous, ont répondu à l’appel de la charité, et généreusement, elles donnent et travaillent. Mais toutes n’ont pas compris encore… et il y a tant de misères là-bas, tant de misères ici !

Nous pouvons travailler pour les soldats qui combattent, pour les blessés des ambulances, pour les réfugiés ruinés, pour les bébés qui naîtront dans cette tourmente, pour les familles sans chefs, pour les sans-travail, tous nous crient leurs besoins et implorent notre aide.

Ne soyons ni muettes ni inactives ; au lieu de pleurer sur tous ces maux, essayons de les soulager.

Non ! ne nous immobilisons pas devant l’eau qui court en emportant les feuilles mortes, mais donnons au temps qui passe de bonnes actions à emporter. Prenons nos aiguilles, ouvrons nos bourses et surtout notre cœur à tous les malheureux. Si chacune de nous fait sa part généreusement, notre secours sera efficace.

Jamais, il n’y eut plus belle occasion de nous montrer bien femmes, bien Françaises et bonnes Canadiennes.