Lettres de Fadette/Deuxième série/40

Imprimerie Populaire, Limitée (Deuxième sériep. 102-105).

XL

La « petite âme »


Un proverbe lombard dit : « La femme a sept âmes et une petite âme ». Est-ce dans cette petite âme oubliée et dédaignée que les suffragettes ont enfin trouvé l’étincelle qui leur inspire la déclaration qu’elles viennent de faire au roi d’Angleterre ?

Elles renoncent à leurs luttes et à leurs revendications, parce que leur « petite âme » s’est émue de compassion pour les familles des braves soldats en guerre. Il faut dire que, préalablement, le roi leur avait accordé un pardon général ; — la reine Marie a dû lui suggérer ça ! — les suffragettes ont répondu à la générosité par la générosité, et je leur dois réparation d’honneur, moi qui les ai honnies la semaine dernière. Comme elles vont se sentir heureuses de redevenir bonnes et de redevenir de vraies femmes ! De celles qui prêchent l’amour par la bonté, de celles qui répandent la lumière de vie et de joie autour d’elles, provoquant chez tous ceux qui les approchent un épanouissement de l’âme.

C’est une impression de femme que je vous dis là, mais il me semble que maintenant, nous verrons l’Angleterre plus lumineuse et plus attirante… l’ombre mauvaise des femmes révoltées et haineuses est disparue, et l’Angleterre a donné la main à la France ! Dans notre pays on respire mieux, la bienveillance générale dilate les cœurs, et si la guerre nous attriste, elle a cependant fait sortir des âmes humaines tant de beauté, que chacun individuellement en devient meilleur.

— Je viens de lire que la fabrique d’armes de Herstal, un des faubourgs de Liège, a été attaquée par les Allemands cherchant à s’en emparer, et défendue par les ouvrières qui parvinrent à repousser l’ennemi.

Tous les ouvriers en état de se battre étaient partis pour la défense de Liège : il ne restait à la fabrique que des femmes et quelques vieillards.

Elles s’armèrent de fusils et de pistolets, et deux fois, repoussèrent les soldats allemands en tirant sur eux. Les munitions venant à manquer, elles s’organisèrent pour verser de l’eau bouillante sur les assaillants qui abandonnèrent la partie, perdant 200 hommes, morts ou blessés. Dans la « petite âme » de ces ouvrières se réveilla, devant le danger, ce courage qu’elles ne soupçonnaient pas elles-mêmes peut-être ?

Cette « petite âme », vous le comprenez comme moi, ce sont les réserves mystérieuses de vertus peu pratiquées, mais dont le germe est en nous, héritage d’ancêtres, résultat caché d’efforts méritoires, et si, dans le courant ordinaire de la vie, les « sept âmes » diverses, complexes et fantasques de la femme, font et défont les prévisions masculines et souvent les désappointent, dans cette dernière petite âme, les hommes trouvent au jour et à l’heure où ils en ont besoin, les trésors qui sauvent, les forces qui aident, tout ce qu’ils appellent quand ils n’en peuvent plus et qu’ils se réfugient dans notre faiblesse pour ne pas désespérer.

Ayons confiance dans cette petite âme si bien cachée dans les profondeurs, et ne jugeons pas sévèrement sur des apparences superficielles.

Qui a jamais regretté de croire à la Bonté ? Et ne savez-vous pas que le seul fait d’y croire la crée ?