Lettres de Fadette/Deuxième série/21

Imprimerie Populaire, Limitée (Deuxième sériep. 55-58).

XXI

Le ciel aux simples


« Jamais ils ne se comprendront ! Ils diffèrent comme le jour et la nuit ! » — J’entendais cela sans avoir à y répondre, et je laissai mon esprit vagabonder à son aise dans les petits sentiers que ces mots lui ouvraient.

Le jour et la nuit… l’un tout clair, l’autre toute noire… il y a pourtant un point où ils se rejoignent, et ces deux qui désirent s’entendre, arriveraient, en allant à la rencontre l’un de l’autre, à ce point où l’un se confond avec l’autre.

Ils n’y ont pas pensé sans doute ; il leur manque peut-être beaucoup de bonne volonté et plus de simplicité ? Elle est bien nécessaire aux fusions d’âme cette belle simplicité !

Plus j’y pense, plus je comprends pourquoi le royaume des cieux est promis aux simples d’esprit ; et certes, je ne range pas parmi eux ceux qui manquent d’esprit ! Il semble qu’étant toujours dans la clarté, ils aient moins à lutter que les autres et ils évitent ainsi les tiraillages en tous sens des gens compliqués.

Leur vie se déroule droite, régulière et il est possible, un peu routinière… et ils vont au ciel en trottinant paisiblement dans la poussière du seul chemin qu’ils connaissent, résignés à la poussière et aux inévitables obstacles qu’ils acceptent sans murmurer.

Avec ceux qui ne sont pas simples, c’est une autre histoire !

Ils dédaignent les chemins battus, et par les sentiers de traverse, ils cherchent le pittoresque et l’inédit ! Remplis de désirs contradictoires, ils se blessent au moindre mouvement qu’ils font pour se retourner. Ils ont en eux tous les vouloirs, mais ils manquent du seul vouloir qui les ferait des êtres logiques et « raisonnables ! »

Ils voient une chose, et derrière elle, l’ombre de celle qui la contredit ou la modifie ; ils aiment ce qui leur fait mal, et repoussent ceux qui leur veulent du bien…

Étonnons-nous, après cela, qu’ils soient arrêtés et empêchés sur le chemin du paradis… le chemin des simples qu’ils dédaignent !

Moi-même n’ai-je pas eu une nuance de dédain en parlant des simples que j’admire tant ?

Au moins, ils ne sont ni des escargots roulés sur eux-mêmes, ni des parapluies au fourreau !

Ils peuvent s’étendre, se déployer, parler avec leur cœur, penser avec leur esprit dans la lumière de tout ce qui est bien déterminé et bien clair !

Ce qui est compliqué est bien près de la fausseté, propre à induire les autres en erreur et à torturer celui qui en est victime habituellement.

Avez-vous remarqué comme les personnes simples ne sont pas susceptibles ? C’est qu’elles admettent les erreurs des autres aussi facilement qu’elles reconnaissent les leurs, et devant une explication ou une excuse, elles n’ont aucun doute et elles ne cherchent pas à deviner d’intentions cachées.

Ne nous contentons pas d’envier ces simples qui ont sur la terre la possibilité de trouver la paix et à qui le royaume des cieux est promis par surcroît, mais simplifions-nous ! Ne confions notre cœur qu’à de rares choisis, ayons des curiosités d’esprit, de l’indépendance dans la vie et les idées, mais ayons aussi de l’ordre dans notre vie, afin d’éviter les agitations et les complications inutiles. Avec cela, on m’a assuré qu’on se fait une belle existence qui profite aux autres et à soi.

Que chacun ajoute à ce petit programme ce qui lui est personnel, en ayant soin d’en exclure les puérilités et les exagérations, et il ne restera plus qu’à le mettre en pratique… c’est peut-être possible…