Lettres de Fadette/Deuxième série/20

Imprimerie Populaire, Limitée (Deuxième sériep. 53-55).

XX

De nos jours


Il n’y a pas à dire : nous sommes dans une ère de liberté sans précédent. Malgré la latitude dont jouissaient les jeunes filles il y a dix ans, la liberté qu’elles étalent aujourd’hui ne peut lui être comparée.

Est-ce un bien ?

Si vous le voulez, nous examinerons les résultats.

Si les jeunes filles d’aujourd’hui sont plus sérieuses, plus cultivées, plus distinguées de ton et de manières que celles d’il y a dix ans, la cause est jugée. En est-il ainsi ? Hélas, trois fois hélas, et malgré ma répugnance à gémir sur les temps actuels, je suis bien forcée d’avouer qu’elles s’éloignent de plus en plus de la jeune fille idéale. Remarquez bien, que par là je n’entends pas le petit type niais et bouché qu’on a qualifié d’oie blanche.

Non, pour moi, la jeune fille idéale, est celle qui est fortement préparée à son rôle de femme et qui saura le remplir à son honneur, cette femme fût-elle ou non appelée au mariage et à la maternité.

Je suis bien de mon époque et je ris un peu des sempiternels louangeurs des temps anciens. Nous marchons, nous courons vers le progrès, et c’est naturel : les fleuves ne remontent pas vers leur source.

Mais je ne vois pas de progrès dans la liberté sans limites conquise par les jeunes filles, avec ou sans l’assentiment des pauvres parents qui sont aussi étourdis que leurs enfants, ou que l’on berne à cœur que veux-tu !

« Mais nous ne faisons rien de mal, pourquoi nous juge-t-on si sévèrement ? » me disait, hier, une de ces jeunes affranchies.

Écoutez, ma belle enfant : vous ne faites rien de mal… vous, peut-être, et c’est miracle ! mais comment pouvez-vous m’assurer que tous ces beaux papillons jouant dans le feu ne s’y brûleront pas au moins les ailes ? Admettons que vous soyez toutes des anges de candeur et de pureté, savez-vous que vos allures, vos attitudes, votre ton, votre costume créent une impression malfaisante ? Car, il ne faut pas l’oublier : l’influence rayonnante du mal, ou si vous voulez, le scandale, ne vient pas toujours du mal même, mais aussi de tout ce qui en a l’apparence. Le Monde si large dans ses inspirations, si dur dans ses jugements classe et range parmi les femmes douteuses, toutes celles qui sont un peu libres d’allures, et bien des honnêtes femmes ont perdu leur réputation pour un flirt un peu audacieux.

De là vient l’autorité légitime des convenances qui vous paraissent puériles et inutiles et dont vous commencez par rire, avant de les mettre de côté comme étant surannées.

Soignez donc un peu les apparences si vous voulez qu’on vous juge bien : n’affectez pas des allures de gamin, encore moins des allures de femmes qui n’ont plus rien à perdre. Serez-vous moins heureuses si vous n’appelez pas par leur prénom tous les jeunes gens de votre connaissance, si vous ne les tutoyez pas, si vos sorties nocturnes sont protégées, si votre toilette est décente, si vous ne parlez pas à tort et à travers de tant de sujets dont vous ne voyez pas le fond ?

Ce qui est stupéfiant, c’est que la jeune fille actuelle fasse souvent une bonne mère de famille malgré son éducation à la diable ! Mais prenons garde !… nous nous éloignons trop du « bon type »… ne tentons pas la Providence !