Lettres de Fadette/Deuxième série/11

Imprimerie Populaire, Limitée (Deuxième sériep. 29-31).

XI

Sages et femmes


Vous êtes-vous déjà demandé, chères lectrices, pourquoi les philosophes et les écrivains de l’antiquité ont dit tant de mal des femmes ?

Est-ce que, dans ces temps où on la traitait comme une esclave ou comme une enfant irresponsable, la femme était aussi perverse et aussi dangereuse qu’ils le disent avec un accord si étrange ?

Savez-vous, entre nous, tout à fait, je doute un peu de la sincérité de ces grands hommes… et… enfin ! je me comprends !

Ces sages n’eurent-ils ni amour, ni respect pour leur mère, et eurent-ils tant à souffrir des femmes qu’ils n’aient pu en dire ou en penser aucun bien ? Ils devaient poser un peu ! Cela semblait très… supérieur d’affecter le dédain des femmes, mais je serais curieuse de savoir si elles ne tenaient pas beaucoup de place dans leur vie, en dépit de leurs sublimes discours.

Excusons un peu ce pauvre Socrate, dont la sagesse fut si fort éprouvée par la mégère Xantippe. Mais encore, pourrait-on lui reprocher et de l’avoir choisie et de lui avoir permis de gâter sa vie, et aussi d’avoir beaucoup généralisé : « La femme, dit-il, est la source de tous les maux ». — « Son amour est plus à craindre que la haine d’un homme ».

Tous chantent de vilains petits refrains sur notre compte : Euripide, Plaute, Homère, oui, le doux Homère ! N’est-ce pas lui qui dit : « Il n’y a pas de démon plus vil et plus bas que la femme ».

Et Plaute : « Il n’y a pas de choix entre les femmes, aucune ne vaut rien ». N’est-il pas charmant ? — « Ô sexe détesté des sages, s’écrie Eschyle ; ne laissez dormir aucune femme sous mon toit, ni dans mes jours de déboires, ni dans mes jours de prospérité ! »

On ne peut pas dire qu’Eschyle eut le même genre de sagesse que Salomon, le sage entre les sages, qui avait sept cents femmes ! Quand il disait que « la femme est plus amère que la mort », il est permis de penser qu’il était un peu blasé, et il me semble qu’il a commencé par trouver quelque douceur à les fréquenter… autrement, il aurait manqué de logique, ce Sage !

Voici que je deviens tout à fait irrévérencieuse, et je vais scandaliser quelques-uns de nos sages modernes ! Mais voilà : je suis prête à avouer que, tout en étant remplie d’indulgence pour les faiblesses masculines, je suis tout à fait sceptique à l’endroit de leur sagesse, la moderne comme l’antique. En discours, c’est d’un beau ! En pratique, il n’y faut pas regarder de trop près. De plus, j’ai très mauvaise opinion des hommes qui disent du mal des femmes. En général ce sont ceux qui se sont mal conduits envers elles, et ils croient s’en excuser en les dénigrant.

Les hommes nobles, droits et délicats, ne parlent jamais des femmes d’une façon méprisante et vilaine, et quand j’entends un homme médire des femmes et les calomnier, je m’en défie extrêmement. Et cette défiance s’étend aux Sages de l’antiquité ? — Parfaitement. Ne me jugez pas trop prétentieuse, lecteurs respectueux, vous m’excuserez si vous pensez à Salomon, le si sage !