Lettres de Fadette/Deuxième série/05

Imprimerie Populaire, Limitée (Deuxième sériep. 14-16).

V

Nos âmes


« Lisez ! Ce sont nouvelles ! » criait aux Anglais l’archer de Jeanne d’Arc, en leur lançant une missive attachée à une flèche.

Hélas, moi je ne puis vous dire : « Lisez, ce sont nouvelles ! » puisqu’il me semble devenir un brin rabâcheuse, et vous dire des choses usées à force d’être dites par d’autres et par moi-même !

Du nouveau, d’ailleurs, du vrai nouveau, il n’y en aurait que si nous changions de planète.

Car c’est toujours l’éternel recommencement des mêmes choses aux mêmes saisons, aux mêmes jours, aux mêmes heures. Si bien que la vie ressemble à une immense roue qui tourne pendant toute l’année et nous ramène au point de départ ; en y touchant, nous reprenons l’âme de la saison… et quatre fois par année notre âme se transforme. Il semble bien que notre âme d’hiver se glisse toute frileuse hors des boîtes à fourrures, et que, dans le parfum tiède des confitures de fraises, naisse notre âme d’été, indépendante et vagabonde, qui secoue les entraves et franchit les espaces…

Mes petites sœurs, je parle, pour vous seules, d’un mystère que vous seules comprenez. Car les hommes, eux, n’ont aucun souci de l’air du temps et de la couleur du ciel. Pourvu que leurs affaires aillent à leur gré il fait toujours beau temps. Et ils ont parfaitement raison, seulement, ils n’ont aucun mérite à avoir raison puisqu’ils sont ainsi faits. Et cela vient de ce qu’ils n’ont qu’une âme invariable et immuable, et elle n’est même pas toujours à la portée de la main comme la vôtre, comme la nôtre !

Quand vous aurez compris cela, vous serez plus calmes et plus heureuses. Presque toutes, vous vous bercez de l’illusion qu’ils peuvent saisir les nuances et comprendre les délicatesses et les subtilités féminines. C’est une grave erreur et la source de la plupart des malentendus humains.

Les hommes, croyez-moi, sont très positifs, très affairés, et surtout, bien plus occupés d’eux-mêmes que de vous : ils n’ont ni le temps, ni le goût de s’arrêter devant ce qu’ils ne comprennent pas : ils passent vite et disent : cela n’existe pas.

Vous seriez donc toutes des « incomprises » ? Oui, mais entendons-nous : ne sont malheureuses que les incomprises qui persistent à vouloir être comprises ! Les autres, les heureuses, apprennent de bonne heure qu’il importe peu d’être comprises pourvu que dans leur âme s’accumule une réserve de force et d’amour où puiseront ceux dont elles seront l’appui quand tout le reste manquera.

Non, n’essayez pas d’être comprises, petites âmes énigmatiques, mais essayez de comprendre, c’est-à-dire d’être intelligentes et bonnes, et vous qui tenez allumée la lampe qui éclaire, ayez pitié des hommes qui se heurtent aux obstacles parce que leur lampe est éteinte, et dites-vous souvent que plus vous êtes pure, plus votre lumière brille claire et rayonne au loin.