Lettres de Fadette/Cinquième série/35

Imprimé au « Devoir » (Cinquième sériep. 107-109).

XXXV

Chaleur


L’ombre enfin descend sur la terre brûlée et séchée par la chaleur : des bouffées de vent chaud passent sur nous avec leurs rumeurs et leur parfum, et puis elles s’en vont ailleurs et plus une feuille ne bouge. Une fumée bleue et légère comme une fine mousseline adoucit tous les contours : c’est le repos, le silence, mais toujours cette chaleur torride qui accable les corps et les âmes !

Nous sommes livrés sans défense à ce qui déprime le corps et comme alors notre âme devient molle et sans ressort ! L’impatience l’agite, l’effort lui répugne, toutes les concessions plutôt qu’un geste de résistance, et ceux qui dépendent de nous, enfants, serviteurs, employés, profitent de cette inertie qu’ils devinent, et c’est la source de difficultés qu’une fermeté raisonnée et égale aurait pu éviter.

L’énervement et l’agitation d’une âme faible et peu maîtresse d’elle-même se communiquent à son entourage comme une maladie contagieuse : les petits surtout les sentent et les reflètent immédiatement.

L’âme dirigeante d’une famille crée l’atmosphère de la maison où les jeunes âmes conciliantes ou exigeantes, paisibles ou tapageuses, généreuses ou mesquines reçoivent une première formation qui ne s’effacera plus.

Alors, il ne faut pas permettre à la température d’influer trop sur nos dispositions morales, et notre volonté d’été doit être aussi ferme et aussi raisonnable que si la chaleur n’était pas fatigante.

Une volonté raisonnable n’insiste pas sur les minuties, ne se disperse pas sur les détails ; elle ne risque pas d’épuiser la soumission pour des vétilles et de n’en plus trouver pour les choses importantes.

En tout temps on a le devoir d’exiger que les enfants soient obéissants, respectueux, absolument véridiques. Ensuite, fermons les yeux sur les choses secondaires. Ayons pitié de leur faiblesse : la chaleur les fatigue, et les énerve comme nous.

J’ai vu des grandes personnes bousculer et rudoyer des enfants pour un vêtement sali, un bas percé. Ou parle rudement aux petits et l’on s’étonne qu’à leur tour ils soient grossiers. L’impatience provoque l’insolence et l’injustice fait naître la révolte.

Quel calme et quelle réflexion la mère doit avoir pour n’être jamais injuste, pour ne pas laisser percer une préférence, pour ne pas humilier inutilement, pour ne pas donner raison à celui qui a tort mais qui est le plus rusé et le plus habile.

L’œuvre difficile et si longue de l’éducation commence par la propre rééducation de la mère. Pour réussir dans sa tâche compliquée et délicate, il faut de toute nécessité qu’elle pratique ce qu’elle enseigne. Tous les défauts y passent : elle est le point de mire de ses enfants et vous savez avec quelle finesse ils observent.

Ils ne formulent pas toujours leurs observations qui sont souvent des accusations, mais rien de leur échappe et ils s’autorisent de l’exemple de leurs parents pour échapper à leur direction.

Aidons les enfants à trouver leur âme : que leur petite conscience éveillée et éclairée, soit notre aide la plus efficace. Si les mères pouvaient comprendre à quel point leur tâche serait simplifiée si chez tous les petits enfants le sens chrétien était développé par elles.