Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 216

Texte établi par SuardFirmin Didot (p. 443-447).

216. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

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À Paris, mercredi 17 janvier 1680.

Le temps n’est plus, ma pauvre enfant, que ce m’était une consolation de recevoir une grande lettre de vous ; présentement ce m’est une véritable peine ; et quand je pense à celle que vous avez d’écrire, et au mal sensible que cela vous fait, je soutiens que vous ne sauriez m’écrire assez peu. Si vous êtes incommodée, il faut ne point écrire ; si vous ne l’êtes pas, il ne faut point écrire ; enfin, si vous avez quelque soin de vous et quelque amitié pour moi, il faut, par nécessité ou par précaution, garder cette conduite. Si vous êtes mal, reposez-vous ; si vous êtes-bien, conservez-vous ; et pusique cette santé si précieuse, dont on ne connaît le bonheur qu’après l’avoir perdue, vous oblige à vous ménager, croyez que ce doit être votre unique affaire, et celle dont je vous aurai le plus d’obligation. Vous me paraissez accablée de la dépense d’Aix ; c’est une chose cruelle que de gâter encore vos affaires en Provence, au lieu de les raccommoder : vous souhaitez d’être à Grignan, c’est le seul lieu, dites-vous, où vous ne dépensez rien : je comprends qu’un peu de séjour dans votre château ne vous serait pas inutile à cet égard ; mais vous n’êtes plus en état de mettre cette considération au premier rang ; votre santé doit aller la première, c’est ce qui doit vous conduire ; et quelle raison pourrait obliger ceux qui vous aiment à vous laisser dans un air qui vous fait périr visiblement ? Vous êtes si incommodée de la bise d’Aix et de Salon, que vous devez attendre à l’être encore plus de celle de Grignan. Ainsi, ma fille, il faudra prendre une résolution sage ; il faudra, quand vous serez ici, n’être plus, comme vous êtes toujours, un pied en l’air : il n’y a rien de bon avec cette agitation d’esprit ; vous devez changer de style, puisque vous changez de santé et de tempérament ; vous devez dire, Je ne puis plus voyager, il faut que je me remette. Mais au lieu de parler sincèrement de votre état à M. de Grignan qui vous aime, qui ne veut pas vous perdre, et qui voit comme nous combien le repos et le bon air vous sont nécessaires, il semble au contraire que vous vouliez le tromper et vous tromper aussi, en disant, Je me porte parfaitement bien, quand vous vous portez parfaitement mal. Il s’agira donc de rectifier toutes ces manières, qui jusqu’ici n’ont servi qu’à détruire votre santé. Nous en parlerons encore : mais je ne puis m’empêcher de vous dire tout ceci, sur quoi vous pouvez faire des réflexions.

Vous trouvez, ce me semble, la cour bien orageuse. Vous avez raison d’être étonnée de madame de Soubise ; personne ne sait le vrai de cette disgrâce ; il ne paraît point que ce soit une victime : elle a voulu une place que le roi l’a empêchée d’avoir : il y a bien à dire des épigrammes là-dessus. Quand elle a vu que toute cette distinction était réduite à une augmentation de pension, elle a parlé, elle s’est plainte ; elle est venue à Paris ; fy viens, fy suis encore, etc. Il ne serait pas impossible de tourner la suite de ces vers. On ne la voit point du tout, ni frère, ni sœur, ni tante, ni cousine : elle n’a que madame de Rochefort qui lui tient lieu de tout. On ne lui fera point dire ce qu’elle ne dit pas, car elle est recluse. Cependant elle est très-bien servie là-bas ; elle espère qu’elle retournera bientôt. Il y a des gens qui croient qu’elle pourra se tromper : si cela est, il faudra qu’elle change de vie ; une plus longue retraite ne serait pas soutenable. On ne voit pas non plus madame de Rochefort ; c’est une belle femme de moins dans les fêtes qui se font pour les grandes noces.

Mademoiselle de Blois est donc madame la princesse de Conti : elle fut fiancée lundi en grande cérémonie, hier mariée, à la face du soleil, dans la cbapelle de Saint-Germain : un grand festin comme la veille : l’après-diner, une comédie, et le soir couchés, et leurs chemises données par le roi et par la reine. Si je vois quel- | qu’un avant que d’envoyer cette lettre, qui soit revenu de la cour, je vous ferai une addition. Mais voyez comme il est bon de se tour- i menter un peu pour avoir des places ; il est certain que celles qui avaient été nommées pour dames d’honneur de cette princesse avaient fait leurs diligences. Le hasard veut que madame de Buri[1], qui est à cinquante lieues d’ici, tombe dans l’esprit de madame Colbert ; elle l’a vue autrefois, elle en parle à M. de Lavardin son neveu, elle en parle au roi ; on trouve qu’elle est tout comme il faut ; on mande qu’elle aura six mille francs d’appointements, qu’elle entrera dans le carrosse de la reine. On fait écrire le père Bourdaloue, qui est son confesseur ; car elle n’est pas Janséniste comme madame de Vibraye ; c’est avec ce mot qu’on a supprimé celle-ci, quoiqu’elle soit sous la direction de Saint-Sulpice, qui est, pour la doctrine, comme celle des jésuites. Enfin le courrier part, et on l’attend demain. Madame de Lavardin fait présent à madame de Buri d’une robe noire, d’une jupe, d’un mouchoir de point avec les manchettes, tout cela prêt à mettre. La Senneterre a eu beau tortiller autour du Bourdaloue ; point de nouvelles. Vous êtes étonnée que la presse soit si grande, vous n’êtes pas la seule ; mais la rage est d’être là in ogni modo. Voilà donc une amie de M. le coadjuteur encore placée : c’est un moulin à paroles, comme vous savez ; elle parle Buri, c’est une langue ; mais au moins elle ne s’en est pas servie pour être à cette place. Celle de la maréchale de Clérembault est fort extraordinaire ; elle est protégée par Madame, qui voudrait bien en faire une dame de la reine. Elle va à la cour, comme si de rien n’était ; il ne semble pas qu’elle se souvienne d’avoir été et de n’être plus gouvernante[2],

Et trouve le chagrin que Monsieur lui prescrit
Trop digne de mépris pour y prêter l’esprit.

Vous rajusterez ces vers : mais quand ils se trouvent en courant au bout de ma plume, il faut qu’ils passent. Montgobert me parle d’un bal, où je vois danser fort joliment mon petit marquis. Pauline a-t-elle la même inclination pour la danse que sa sœur d’ Adhémar ? Il ne faudrait plus que cet agrément pour la rendre trop aimable : ah ! ma fille, divertissez-vous de cette jolie enfant ; ne la mettez point en lieu d’être gâtée ; j’ai une extrême envie de la voir.

Je m’en vais vous dire une chose plaisante, dont Corbinelli est témoin : je lui dis lundi matin que j’avais songé toute la nuit d’une madame de Rus ; que je ne comprenais pas d’où me revenait cette idée, et que je voulais vous demander des nouvelles de cette sorcière. Là-dessus je reçois votre lettre, et justement vous m’en parlez, comme si vous' m’aviez entendue ; ce hasard m’a paru plaisant : me voilà donc instruite de ce que je voulais vous demander. Je n’ai pas oublié le comte de Suze. M. de Saint-Omer son frère a été à l’extrémité ; il a reçu tous les sacrements ; il ne voulait point être saigné avec une grosse fièvre, une inflammation ; le médecin anglais le fit saigner par force ; jugez s’il en avait besoin ; et ensuite avec son remède il l’a ressuscité, et dans trois jours il jouera à la fossette. Hélas ! cette pauvre lieutenante qui aimait tant M. de Vins, et qui craignait tant qu’on ne le sût pas, la voilà morte, et très-jeune ; mandez-moi de quelle maladie ; je suis toujours surprise de la mort des jeunes personnes. Vous avez raison de vous plaindre que je vous ai mal élevée ; si vous aviez appris à prendre le temps comme il vient, cela vous aurait extrêmement amusée.

N’avez-vous point remarqué la gazette de Hollande ? Elle compte ceux qui ont des charges chez madame la Dauphine : M. de Richelieu, chevalier d’honneur ; M. le maréchal de Bellefonds, premier écuyer ; M. de Saint-Géran, rien. Vous m’avouerez que cela est plaisant. Enfin, cette folie est passée jusqu’en Hollande. Mon fils est toujours les délices de Quimper ; je crois pourtant qu’il est présentement à Nantes, et qu’il sera ici à la fin du mois ; vous voyez bien que je l’ai mieux élevé que vous : j’espère que dans quinze jours il n’y paraîtra pas, et qu’il sera prêt à partir avec les autres. N’écrivez point, et gardez-vous bien de répondre à toutes ces causeries, dont je ne me souviendrai plus moi-même dans trois semaines. Si la santé de Montgobert peut s’accommoder à écrire pour vous, elle vous soulagera entièrement, sans même que vous ayez la pejne de dicter : elle écrit comme nous.

J’approuve fort que vous soupiez ; cela vaut mieux que douze cuillerées de lait. Hélas ! ma fille, je change à toute heure ; je ne sais ce que je veux : c’est que je voudrais que vous pussiez retrouver de la santé ; il faut me pardonner, si je cours à tout ce que je crois de meilleur ; et c’est toujours sous le nom de bien et de mieux que je change d’avis. Pour vous, ma très-chère, n’en changez point sur la bonne opinion que vous devez avoir de vous, malgré les procédés désobligeants de la fortune. En vérité, si elle voulait, M. et madame de Grignan tiendraient fort bien leur place à la cour : mais vous savez où cela est réglé, et l’inutilité du chagrin qu’on ne peut s’empêcher d’en avoir.

Je ne sais rien encore de ce qui s’est passé à la noce. J’ignore si ce fut à la face du soleil ou de la lune que le mariage se fit. J’irai faire mon paquet chez madame de Vins, et vous manderai ce que j’aurai appris. Cependant, je vous dirai une nouvelle la plus grande et la plus extraordinaire que vous puissiez apprendre ; c’est que M. le Prince fit faire hier sa barbe ; il était rasé ; ce n’est point une illusion, ni une de ces choses qu’on dit en l’air, c’est une vérité ; toute la cour en fut témoin ; et madame de Langeron prenant son temps qu’il avait les pattes croisées comme le lion, lui fit mettre un justaucorps avec des boutonnières de diamants ; un valet de chambre, abusant aussi de sa patience, le frisa, lui mit de la poudre, et le réduisit enfin à être l’homme de la cour de la meilleure mine, et une tête qui effaçait toutes les perruques : voilà le prodige de la noce. L’habit de M. le prince de Conti était inestimable ; c’était une broderie de diamants fort gros, qui suivait les compartiments d’un velouté noir sur un fond de couleur de paille. On dit que la couleur de paille ne réussissait pas, et que madame de Langeron, qui est l’âme de toute la parure de l’hôtel de Condé, en a été malade. En effet, voilà de ces sortes de choses dont on ne doit point se consoler. M. le Duc, madame la Duchesse et mademoiselle de Bourbon avaient trois habits garnis de pierreries différentes pour les trois jours. Mais j’oubliais le meilleur, c’est que l’épée de M. le Prince était garnie de diamants.

La famosa spada,
AU’ cui valore ogni vitloria è certa.

La doublure du manteau du prince de Conti était de satin noir, piqué de diamants comme de la moucheture. La princesse était romanesquement belle, et parée, et contente.

Qu’il est doux de trouver dans un amant qu’on aime Un époux que l’on doit aimer !


  1. Anne-Marie d’Urre d’Aiguebonne, veuve de François de Rostaing, comte de Buri.
  2. Madame dit dans ses lettres que cette dame ne lui fut ôtée que parce qu’elle l’aimait ; que c’était un tour de la maréchale de Grancey, dont la fille cadette était aimée du chevalier de Lorraine, favori lui-même de Monsieur.