Lettres choisies (Sévigné), éd. 1846/Lettre 150
150. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.
modifierJ’attendais deux de vos paquets par le dernier ordinaire, et je n’en ai point reçu du tout. Quand les postes tarderaient, comme je le crois bien présentement, j’en devrais toujours avoir reçu un ; car je ne compte jamais que vous m’ayez oubliée. Celle confiance est juste, et je suis assurée qu’elle vous plaît ; mais comme les pensées noires voltigent assez dans ces bois, j’ai d’abord voulu être en peine de vous ; mais le bon abbé et mon fils m’assurent que vous m’auriez fait écrire. Je ne veux point demeurer sur cette crainte, elle est trop insupportable : je veux me prendre à la poste de tout, quoique je ne comprenne rien à l’excès de ce dérèglement, et espérer demain de vos nouvelles ; je les souhaite avec l’impatience que vous pouvez vous imaginer.
D’Hacqueville est enrhumé avec la fièvre ; j’en suis en peine, car je n’aime la fièvre à rien : on dit qu’elle consume, mais c’est la vie. Quoiqu’on dise les d’ Hacqueville, il n’y en a, en vérité, qu’un au monde comme le nôtre. N’a-t-il point déjà commencé de vous parler d’un voyage incertain que le roi doit faire en Champagne ou en Picardie ? Depuis que ses gens, pour notre malheur, ont commencé à répandre une nouvelle de cet agrément, c’est pour trois mois ; il faut voir aussi ce que je fais de cette feuille volante qui s’appelle les Nouvelles. Pour la lettre de d’Hacqueville, elle est tellement pleine de mon fils, et de ma fille, et de notre pauvre Bretagne, qu’il faudrait être dénaturée pour ne se pas crever les yeux à la déchiffrer[1]. M. de Lavardin est mon résident aux états ; il m’instruit de tout ; et comme nous mêlons quelquefois de l’italien dans nos lettres, je lui avais mandé, pour lui expliquer mon repos et ma paresse ici :
D’ogni oltraggio, e scorno
La miafamiglia, e la mia greggia illesc
Sempre qui fur, ne strepito di Marte,
Ancor turbo questa remota parte[2].
À peine ma lettre a-t-elle été partie, qu’il est arrivé à Vitré huit cents cavaliers, dont la princesse est bien mal contente. Il est vrai qu’ils ne font que passer ; mais ils vivent, ma foi, comme dans un pays de conquête, nonobstant notre bon mariage avec Charles VIII et Louis XII[3]. Les députés sont revenus de Paris. M. de Saint-Malo, qui est Guémadeuc, votre parent, et sur le tout une linotte mitrée, comme disait madame de Choisy, a paru aux états, transporté et plein des bontés du roi, et surtout des honnêtetés par ticulières qu’il a eues pour lui, sans faire nulle attention à la ruine de la province, qu’il a apportée agréablement avec lui : ce style est d’un bon goût à des gens pleins, de leur côté, du mauvais état de leurs affaires. Il dit que Sa Majesté est contente de la Bretagne et de son présent, qu’elle a oublié le passé, et que c’est par confiance qu’elle envoie ici huit mille hommes ; comme on envoie un équipage chez soi quand on n’en a que faire. Pour M. de Rohan, il a des manières toutes différentes, et qui ont plus de l’air d’un bon compatriote. Voilà nos chiennes de nouvelles ; j’ai envie de savoir des vôtres, et ce qui sera arrivé de votre procureur du pays. Vous ne devez pas douter que les Janson n’aient écrit de grandes plaintes à M. de Pomponne ; je crois que vous n’aurez pas oublié d’écrire aussi, et à madame de Vins qui s’était mêlée d’écrire pour Saint-Andiol. C’est d’Hacqueville qui doit vous servir et vous instruire de ce côté-là. Je vous suis inutile à tout, in questa remota parte : c’est un de mes plus grands chagrins : si jamais je me puis revoir à portée de vous être bonne à quelque chose, vous verrez comme je récompenserai le temps perdu. Adieu, ma très-chère et très-aimée, je vous souhaite une parfaite santé ; c’est le vrai moyen de conserver la mienne, que vous aimez tant : elle est très-bonne. Je vous embrasse très-tendrement, et vous dirais combien mon fils est aimable et divertissant : mais le voilà, il ne faut pas le gâter.