Lettres (Spinoza)/XXVII. Fabricius à Spinoza

Traduction par Émile Saisset.
Œuvres de Spinoza, tome 3CharpentierIII (p. 433-434).

Lettre XXVII.

À MONSIEUR B. DE SPINOZA,

LOUIS FABRICIUS.



MONSIEUR,


En vous écrivant sans avoir l’honneur de vous connaître, j’obéis aux ordres du sérénissime électeur palatin, mon très-excellent maître, qui a pour vous la plus grande estime. Il me charge de vous demander si vous seriez disposé à remplir dans son illustre Académie la chaire de professeur ordinaire de philosophie. Le traitement annuel serait le même dont jouissent en ce moment les professeurs ordinaires de l’Académie. Vous ne trouverez nulle part ailleurs, Monsieur, un prince plus favorable aux hommes de grand talent, au nombre desquels il se plaît à vous distinguer. Vous aurez pour philosopher toute liberté, le prince étant convaincu que vous n’en abuserez pas pour troubler la religion établie. Je me conforme, comme je le dois, aux ordres de ce sage prince en vous priant instamment, Monsieur, de me donner le plus tôt possible une réponse. Vous pourrez me la faire tenir, soit par le ministre résident du sérénissime électeur à La Haye, M. Grotius, soit par M. Gilles Van der Hek, qui la mettront dans le paquet de lettres qu’ils envoient régulièrement à la cour, soit enfin par toute autre commodité qui vous paraîtra la plus convenable. Je n’ajoute qu’un mot : si vous venez ici, soyez sûr que vous y mènerez une vie heureuse et digne d’un philosophe, à moins que toutes nos prévisions et toutes nos espérances ne soient entièrement trompées.

C’est dans ces sentiments que je vous prie de me croire,

Monsieur,

Votre zélé serviteur,


J.-LOUIS FABRICIUS

Professeur à l’Académie d’Heidelberg,

conseiller de l’électeur palatin.


Heidelberg, 16 février 1673.