Lettres (Spinoza)/XXVI. Spinoza à Leibniz

Traduction par Émile Saisset.
Œuvres de Spinoza, tome 3CharpentierIII (p. 431-433).

Lettre XXVI.

(Réponse à la précédente).


À MONSIEUR GODEFROY LEIBNIZ,

J. U. D., CONSEILLER DE L’ÉLECTEUR DE MAYENCE,

B. DE SPINOZA.



MONSIEUR,


J’ai lu le mémoire que vous avez eu la bonté de me faire tenir, et c’est une communication pour laquelle je vous suis extrêmement redevable. Je regrette de ne pas avoir, en un endroit, entendu assez bien votre pensée, que vous avez assurément expliquée avec une clarté suffisante : quand vous recommandez de ne donner aux verres que la plus petite ouverture possible, n’est-ce pas parce que les rayons qui viennent d’un certain point de l’objet ne se réunissent pas exactement sur un autre point correspondant, mais bien sur un petit espace qu’on a coutume d’appeler point mécanique, et dont l’étendue est plus grande ou plus petite suivant celle de l’ouverture ? Je vous demanderai aussi si ces lentilles, que vous nommez pandoches, détruisent cet inconvénient : je veux dire, si le point mécanique ou petit espace où se réunissent, après la réfraction, les rayons qui partent d’un point de l’objet, garde toujours la même grandeur, quelle que soit celle de l’ouverture. Car, s upposé qu’il en soit ainsi, on pourra augmenter tant qu’on voudra l’ouverture de ces lentilles, et alors elles seront bien supérieures aux verres de toute autre forme : autrement je ne comprendrais pas pourquoi vous les préférez si expressément aux lentilles ordinaires. Les lentilles circulaires, en effet, ont partout même axe ; et c’est pourquoi on doit, quand on les emploie, considérer tous les points de l’objet comme placés sur l’axe optique ; et bien que ces points ne soient pas à la même distance de la lentille, la différence qui en résulte n’est point sensible, pourvu que l’objet soit très-éloigné, les rayons qui partent d’un seul point pouvant être alors considérés, à leur entrée dans la lentille, comme parallèles. Je crois cependant que vos lentilles peuvent avoir une autre utilité : si l’on veut embrasser plusieurs objets d’un seul regard (comme, par exemple, quand on emploie des lentilles circulaires convexes), vos pandoches servent alors à représenter tous ces objets ensemble d’une façon plus distincte. Mais il vaut mieux que je suspende mon jugement sur tous ces objets jusqu’au moment où vous aurez éclairci davantage votre pensée, ce que je vous prie instamment de faire. J’ai remis, selon vos désirs, l’un des deux exemplaires de votre mémoire à M. ***. Il m’a dit que le temps lui manquait en ce moment pour l’examiner ; mais il espère pouvoir s’en occuper dans une ou deux semaines.

Je n’ai point encore vu le Prodromus de François Lana, ni les Études physico-mécaniques de J. Oltius ; mais ce que je regrette beaucoup plus, c’est de n’avoir pas entre les mains votre Hypothèse physique, qui ne se vend point à La Haye. Je recevrai donc avec infiniment de plaisir le présent que vous me promettez si libéralement, et je serais heureux de pouvoir, à mon tour, vous être utile en quelque chose ....


P. S 1. M. Diemerbroeck n’habite point ici. Je suis donc forcé de vous envoyer cette lettre par l’ordinaire. Je ne doute pas que vous ne connaissiez quelqu’un à La Haye qui veuille prendre soin de nos lettres ; je désirerais bien avoir une personne à notre convenance pour cet objet : il y aurait à la fois plus de commodité et plus de sécurité. Avez-vous le Traité théologico-politique ? Si un exemplaire vous est agréable, je vous l’enverrai.